Le réacteur EPR de Flamanville touché au cœur

EPR de Flamanville
Le réacteur EPR de Flamanville (Manche), en chantier depuis 2007, vient de connaître un nouveau déboire. Et c’est le cœur même du projet qui est aujourd’hui touché : la cuve où se produit la fission des atomes et qui constitue aussi la seconde barrière de confinement de la radioactivité, après la double enceinte de béton du bâtiment du réacteur. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a en effet annoncé, mardi 7 avril, qu’Areva l’avait prévenue d’une « anomalie de la composition de l’acier » dans le couvercle et le fond de la cuve du réacteur.

Le réacteur EPR de Flamanville (Manche), en chantier depuis 2007, vient de connaître un nouveau déboire. Et c’est le cœur même du projet qui est aujourd’hui touché : la cuve où se produit la fission des atomes et qui constitue aussi la seconde barrière de confinement de la radioactivité, après la double enceinte de béton du bâtiment du réacteur. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a en effet annoncé, mardi 7 avril, qu’Areva l’avait prévenue d’une « anomalie de la composition de l’acier » dans le couvercle et le fond de la cuve du réacteur.

Au cours des premiers essais chimiques et mécaniques sur des pièces similaires, fin 2014, les ingénieurs ont constaté une concentration importante en carbone, réduisant la capacité de l’acier à résister à la propagation de fissures. Une résistance indispensable dans une chaudière soumise à d’énormes pressions et à des chocs thermiques violents, précise le gendarme du nucléaire.

La seule pièce qu’on ne peut pas changer

La ministre de l’écologie et de l’énergie, qui s’est prononcée pour la construction de nouvelles centrales une fois les plus anciennes mises à l’arrêt, a aussitôt demandé à Areva de se conformer « sans délai » aux demandes de l’ASN. Ségolène Royal a réaffirmé sa « confiance à ce dispositif de contrôle et d’expertise » – composé de l’ASN et de son bras armé, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – censé rapprocher les installations du risque zéro.

Forgée dans l’usine Areva de Chalon/Saint-Marcel (Saône-et-Loire), la cuve est soumise à l’arrêté sur les équipements sous pression nucléaire qui renforce les exigences techniques dans ce domaine depuis 2005. Cette pièce doit être sans défaut puisque c’est la seule qu’on ne peut pas changer au cours de la durée de vie d’un EPR, qui sera de soixante à cent ans.

EDF et Areva ont annoncé le lancement, en avril, d’une « nouvelle campagne d’essais », dont les résultats sont attendus pour octobre, et s’engagent à « apporter à l’ASN toutes les informations permettant de démontrer la sûreté et la qualité des équipements concernés ». Ce contretemps n’empêchera pas les travaux de Flamanville de se poursuivre, affirment les deux groupes. Mais dans l’hypothèse où les nouveaux essais seraient invalidés, le chantier, qui a accumulé plus de cinq ans de retard et une dérive des coûts – ils sont passés de 3,3 milliards d’euros à 8,5 milliards –, pourrait prendre encore du retard.

Lourd enjeu pour Areva

A l’automne, EDF avait encore repoussé la date de mise en service de 2016 à 2017 et annoncé une nouvelle estimation du coût final, qui pourrait atteindre 10 milliards. Sur le site, les syndicats doutent de ce calendrier. L’équipe du nouveau PDG, Jean-Bernard Lévy, affiche aussi une grande prudence à quelques mois du début de la phase la plus critique : les essais du réacteur.

L’enjeu est lourd pour Areva, mais aussi EDF. Dans sa lettre de mission à M. Lévy, l’Etat actionnaire (à 84,5 %) lui a demandé d’« améliorer la gestion du chantier » et de « le livrer en optimisant les coûts et les délais ». Des équipes conjointes EDF-Areva y travaillent au siège d’Areva, à La Défense. Le raccordement de Flamanville (1 650 MW) conditionne aussi l’arrêt de deux tranches de 900 MW, qui pourraient être celles de Fessenheim (Haut-Rhin).

Cette incertitude sur les capacités de résistance de la cuve est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne aussi les deux EPR construits par EDF et son partenaire China General Nuclear Power Corporation (CGN) sur le site de Taïshan, dans la province chinoise du Guangdong.

Les responsables de l’ASN ont prévenu leurs collègues chinois d’un risque de défaut, alors que le premier EPR chinois devrait être mis en service en 2016. En revanche, l’ASN indique que les pièces de l’EPR finlandais d’Olkiluoto, forgées au Japon, ne sont pas concernées par ces « anomalies ».

Un accident qui tombe mal

Le nouvel accident de parcours subi par l’EPR est du plus mauvais effet pour ses clients potentiels, comme l’Afrique du Sud, la Pologne, l’Arabie saoudite ou l’Inde. Tous s’interrogent depuis plusieurs années sur la solidité et la cohérence de la filière nucléaire française. Cette annonce sur l’EPR de Flamanville intervient à la veille de la visite en France du premier ministre indien, Narendra Modi, dont le pays est candidat à l’achat de deux à six EPR.

Elle s’inscrit aussi dans un environnement déjà très dégradé pour Areva. Le groupe a annoncé, le 4 mars, une perte de 4,8 milliards d’euros sur l’exercice 2014 et une baisse de 8 % de son chiffre d’affaires. Ses dirigeants travaillent depuis des mois avec EDF et le gouvernement à une réorganisation complète de la filière nucléaire. Dans ce cadre, tout ou partie d’Areva NP, la filiale réacteurs et services d’Areva, devrait passer sous le contrôle du géant de l’électricité.

Si les industriels croient toujours à l’avenir de l’EPR, écologistes et antinucléaires ont trouvé dans ce énième déboire une raison de plus pour réclamer l’arrêt du chantier. « Après une multitude de problèmes techniques, des années de retard et un surcoût monstre, souligne Europe Ecologie-Les Verts, le nouveau feuilleton de ce gigantesque ratage industriel déconstruit une nouvelle fois le mythe du nucléaire sûr et peu cher. »

Jean-Michel Bezat

Source : Le Monde 07/04/2015

Les USA se rapprochent de l’Iran ? C’est le meilleur allié contre l’État islamique

rohani-obama_0L’Iran et les États-Unis semblent avoir un ennemi en commun : l’État islamique. Et même si John Kerry affirme qu’il n’y a pas de coopération entre les deux pays, pour Thomas Flichy de La Neuville, membre du centre Roland Mousnier, Université de Paris IV – Sorbonne, l’Iran va devenir le théâtre d’une guerre d’influences géo-économiques majeure.

Comment expliquer le rapprochement américain vis-à-vis de l’Iran ?

Force est de constater que les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran n’ont pas produit tous les effets escomptés, même si la situation économique du pays est très difficile. On peut même parler d’échec si l’on considère le nombre actuel de centrifugeuses par rapport à la situation qui prévalait au moment des premières sanctions.

Loin de confiner davantage ce pays, les sanctions l’ont rapproché de la Russie et surtout de la Chine. Or, le centre géo-économique du monde est en train de se déplacer à grande vitesse vers l’Orient. Par conséquent, plus le temps passe, plus les sanctions gênent l’Europe.

En réalité, les sanctions américaines ne punissent pas l’Iran, mais bien les entreprises européennes. En effet, Washington veut assécher le marché iranien de la concurrence européenne.

Or, non seulement, les entreprises chinoises ont rempli le vide laissé, mais les sociétés françaises, longtemps découragées par l’hostilité des pouvoirs publics français et des banques, ont été supplantées par leurs concurrents européens, l’Allemagne en particulier. La place de la France s’est effondrée.

Des accords bilatéraux à l’origine du rapprochement

Depuis une décennie, l’alliance souple entre l’Iran, la Chine et la Russie avait constitué une sorte de « nouvel empire mongol« . Une forteresse continentale qui s’opposait en quelque sorte à la puissance océanique déclinante des États-Unis.

Mais ce nouvel empire souffrait d’une faiblesse de taille : l’île turcophone, c’est à dire la Turquie et les territoires de langue et de culture turque lui échappaient. Or, d’un point de vue historique, c’est bien le centre turco-mongol qui a fédéré l’Empire de Gengis Khan.

L’élément déclencheur est le suivant : le 1er décembre 2014, ont été conclus une série d’accords bilatéraux d’une extrême importance entre la Russie et la Turquie. Vladimir Poutine, qui a retrouvé l’initiative stratégique en désendettant la Russie, a fait échouer le projet de gazoduc russo-européen en lui substituant un nouveau pipeline russo-turc.

Ce mouvement vers le sud est un succès diplomatique majeur pour Vladimir Poutine. Ce succès est d’autant plus important qu’il n’a été entouré d’aucune publicité. Or, en raison de la concurrence millénaire entre l’Iran et la Turquie, l’alliance Russie-Iran-Turquie-Chine, donne au partenaire russe un rôle de pivot.

 Rien ne semble pouvoir enrayer le déclin américain

À la différence de Vladimir Poutine, qui parvient à multiplier les succès stratégiques au sein de sa sphère d’influence et peut compter sur la division des européens sur la question ukrainienne, le président américain est aux prises avec une accumulation inverse de défaites militaires : Afghanistan, Irak, Libye, Ukraine. Rien ne semble pouvoir enrayer le déclin américain.

En réalité, la politique étrangère américaine, porte en elle de telles contradictions, qu’elle entraîne irrémédiablement le chaos. Qui plus est, l’Amérique est tentée par une politique de pillage afin de remédier à son endettement colossal.

Tout comme Vladimir Poutine, qui exerce une influence visible sur les conseillers d’Obama, le président américain cherche à retrouver l’indépendance stratégique. Il lui faut donc revenir à une politique moins aventureuse, plus équilibrée.

La meilleure façon de retrouver l’équilibre consiste à se rapprocher de l’Iran. Ce pays va donc devenir au cours des prochain mois, le théâtre d’une guerre d’influences géo-économiques majeure.

L’Iran est la seule puissance qui veuille intervenir au sol

L’Iran a montré au cours des derniers mois, qu’il se présentait comme l’adversaire le plus déterminé contre l’État islamique. Les raisons en sont à la fois religieuses et historiques.

En effet, l’une des fiertés de l’Iran est de constituer un État millénaire remontant aux dynasties achéménides puis sassanides. Cette ancienneté de l’État lui donne une supériorité sur les monarchies récentes nées à ses côtés. On comprend dans ces circonstances que l’expression « État islamique » constitue une contestation directe de la « République islamique ».

Au-delà de cette opposition culturelle, il ne fait guère de doute, qu’une lutte contre l’État islamique qui n’intégrerait pas l’action militaire de l’Iran, serait vouée par avance à l’échec.

En effet, l’Iran est la seule puissance qui puisse et veuille intervenir au sol. Les États-Unis le savent. Ils doivent aujourd’hui faire le choix entre des actions de communication visant à se donner l’illusion de la puissance et un retour à la politique. Un retour qui implique des choix, et par conséquents des renoncements.

L’Iran constitue peut être le point d’appui ultime à partir duquel les États-Unis pourraient renverser la situation en leur faveur. Cette opportunité passée, ils n’auront d’autre choix que de prendre acte de leurs échecs pour revenir à l’isolationnisme.

 

Source L’Obs 05/03/2015

Voir aussi : Rubrique Géopolitique, rubrique Moyen-Orient, Iran, rubrique Etats-Unis, rubrique Russie : Livres : Olivier Hanne, Thomas Flichy de La Neuville, « État islamique, anatomie du nouveau Califat », Bernard Giovanangeli, 2014. Antoine de Prémonville, Thomas Flichy de La Neuville, « Géopolitique de l’Iran », Presses Universitaires de France, 2015

Jean Ziegler : La conscience humaine est une force révolutionnaire

Jean Ziegler "La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace " © Hermance Triay

Jean Ziegler « La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace. »
© Hermance Triay

Dans Retournez vos fusils ! le sociologue suisse choisit clairement son camp et livre des éléments d’analyse concrets pour comprendre et résister à la barbarie libérale.

Rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, aujourd’hui vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler est professeur émérite de sociologie à l’université de Genève. Son dernier essai apporte des clés pour comprendre notre situation et indique les voies d’action pour sa transformation.

Retournez les fusils ! Choisir son camp : vous n’y allez pas par quatre chemins…

La dictature du capital financier globalisé qui asservit aujourd’hui l’humanité non plus… Nous vivons dans un ordre cannibale du monde : toutes les cinq secondes un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim, presque 1 milliard d’êtres humains sont mutilés par une sous-alimentation grave et permanente, alors que d’immenses richesses s’accumulent dans les mains d’une mince oligarchie quasi toute puissante.

Selon la Banque mondiale, en 2014, les 500 plus puissantes sociétés privées transcontinentales, tous secteurs confondus, ont contrôlé 52,8% du produit mondial brut, Ces « gigantesques personnes immortelles », comme les appelle Noam Chomsky, échappent à tout contrôle étatique, syndical, social, etc. Elles fonctionnent selon un seul principe : celui de la maximalisation du profit dans le temps le plus court.

Contre cet ordre absurde et meurtrier, les Etats eux-mêmes, surdéterminés par les oligarchies du capital financier, sont impuissants. Les faits sont accablants, les risques encourus énormes. Les fusils dont il est question dans le titre de mon livre sont les droits démocratiques dont nous disposons dans les pays dominateurs.

Aujourd’hui, « faire ce qu’on veut et vouloir ce qu’on fait est devenu quasiment impossible » soulignez-vous. Ce regard critique réconforte, en quoi peut-il porter remède à ce monde malade ?

Connaître l’ennemi, combattre l’ennemi », telle était l’injonction de Jean-Paul Sartre. C’est la tâche de l’intellectuel, mais aussi de tout démocrate : faire l’effort d’étudier le capitalisme financier globalisé dans ses moindres stratégies, confronter celles-ci à l’intérêt général, choisir son camp, rallier les mouvements sociaux. Mon livre veut être une arme pour l’insurrection des consciences à venir.

Vous évoquez l’utilité des intellectuels. Faut-il mettre en regard leur rôle avec la régression de l’histoire des idées depuis plus de trois décennies ?

Ces trente ans écoulés ont vu l’effondrement du bloc soviétique, dont l’influence couvrait la moitié de la planète, l’unification économique du monde, le tsunami du néolibéralisme qui a dévasté l’idée de l’État-providence, privatisé le monde, tenté d’anéantir les politiques publiques, d’enchaîner les pays dépendants de l’hémisphère sud. Le triomphe de l’idéologie néolibérale correspond à une véritable contre-révolution qui a aussi ravagé les intellectuels.

En vertu des « lois naturelles » de l’économie, dites-vous, le but de toute politique est la libéralisation complète des mouvements de capitaux, marchandises et services. Le reste serait une histoire d’emballage ?

Oui, c’est le grand succès de l’idéologie néolibérale que de réussir à faire croire que l’économie obéit à des «lois naturelles», que la privatisation et la libéralisation, autrement dit la suppression de toute forme de contrôle public, crée le terrain favorable à l’expansion de l’économie, que la pauvreté des uns et l’extrême richesse des autres découlent d’une fatalité contre laquelle toute résistance serait vaine, que c’est à l’apogée de l’expansion que se fait « naturellement » la redistribution

En Europe, on commence à se rendre compte du danger mortel de cet « emballage » idéologique. On réalise progressivement qu’il soumet les gouvernements et les citoyens à ces forces économiques aveugles.

L’idéologie néolibérale est-elle le socle du retour du racisme et de la    xénophobie ?

Le désespoir qu’il provoque, oui. Racisme et xénophobie d’un côté, sentiment d’exclusion et d’apartheid de l’autre. En France, la droite française connaît une scission importante entre son courant gaulliste en train de disparaître et son aile néoconservatrice qui s’aligne sur la montée de l’extrême droite en Europe.

Dans ce contexte, l’unité républicaine prend-elle sens ?

Oui, toute unité républicaine vaut mieux que l’extrême-droite au pouvoir. Mais elle ne peut pas durer sans changement profond de la société, de l’économie, de la politique, sans retour de la souveraineté populaire. Sinon la République, la nation, l’héritage formidables de la Révolution française, seront bientôt des coquilles vides.

Comment la gauche de gouvernement qui adopte le langage néolibéral pourrait-elle produire un récit alternatif ?

Telle qu’elle est jusqu’à ce jour, c’est sans espoir. Il faudrait un sursaut gigantesque au PS, je ne l’en crois pas capable.

Que vous évoque les attentats terroristes survenus à Charlie Hebdo et dans le supermarché casher ?

Un antisémitisme nauséabond monte en France. Mais aussi dangereux, au moins à égalité, est l’anti-islamisme. Entre le gouvernement soi-disant socialiste et un grand nombre de Français d’obédience musulmane, le contrat social, le lien de confiance sont fragilisés. C’est sur le terreau de la misère que prospère le monstre djihadiste.

Alors que peut, que doit faire le gouvernement français ? Essayer, par des investissements sociaux massifs, de briser l’isolement et la misère économique des millions d’habitants des banlieues sordides, dont une importante partie sont des musulmans. Prendre enfin sur la tragédie du peuple martyr de Palestine une position officielle claire : non à la colonisation et au terrorisme d’Etat du gouvernement Netanyhaou, oui à la création d’un Etat palestinien souverain.

Où situez-vous la relève ?

La société civile planétaire, cette mystérieuse fraternité de la nuit, oppose à la dictature du capital financier globalisé une résistance fractionnée mais efficace. Elle est composée par une myriade de mouvements sociaux, locaux ou transcontinentaux : tels Via Campesina, qui organise, du Honduras jusqu’en Indonésie, 141 millions de petits paysans, métayers, éleveurs nomades, travailleurs migrants, ATTAC, qui tente de maîtriser le capital spéculatif, Greenpeace, Amnesty international, les mouvements de femmes, etc.

Tous ces mouvements organisent patiemment le front planétaire du refus. Je suis persuadé qu’en Europe aussi l’insurrection des consciences est proche. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La conscience de l’identité entre tous les hommes est une force révolutionnaire. La nouvelle société civile planétaire n’obéit ni à un comité central ni à une ligne de parti. L’impératif catégorique du respect de la dignité humaine de chacun est son unique, mais puissant moteur.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Retournez les fusils ! Choisir son camp, Ed. du Seuil, 2014.

Source : La Marseillaise 16/02/2015

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique Rencontre, rubrique Livre, Essai, rubrique Politique, Politique Internationale, Société civile, rubrique Science, Science politique, rubrique Société, Citoyenneté, Droit des femmes, Pauvreté, Santé,

“Loin du Vietnam” enfin proche

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“Loin du Vietnam” était invisible. Arte Editions ressort ce film collectif unique en son genre. Une œuvre politique à laquelle participèrent notamment Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Alain Resnais… et Chris Marker.

Peu nombreux sont les cinéphiles à avoir vu Loin du Vietnam, film politique devenu mythique à force d’invisibilité, et dont l’opportune sortie en DVD chez Arte Editions élargira le cercle des happy few en donnant à tous ceux qui n’ont fait qu’en entendre parler de vraies raisons de l’apprécier. Sortie en décembre 1967, cette œuvre collective entreprise par Chris Marker, et à laquelle participèrent Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Alain Resnais et quelques autres, vit son exploitation stoppée au bout de quelques jours, à cause de menaces d’attentats émanant de groupes d’extrême droite. « Il en existe un si petit nombre de copies que Resnais m’a confié ne l’avoir lui-même jamais revue, précise l’historien Laurent Veray, auteur d’un excellent petit livre vendu avec le DVD. Lorsqu’il m’arrive de le montrer à mes étudiants de Paris 3, je suis surpris de voir à quel point le film « fonctionne » toujours. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des productions militantes des années 1960 et 1970, tant elles sont dogmatiques et datées. »

Ouvert à la contradiction

C’est que Loin du Vietnam n’a rien d’ordinaire. Conçu en réaction à l’intervention américaine en Extrême-Orient, il n’adopte pas un point de vue univoque et s’ouvre même à la contradiction. « A New York, William Klein ne filme pas seulement les manifestations anti-guerre ; il filme aussi la grande parade et les drapeaux des manifestants pro-gouvernement, relève Laurent Veray. Tout en étant clairement positionné contre la guerre, Loin du Vietnam échappe à tout manichéisme et rend compte de la complexité de la situation en nous laissant une marge d’interprétation. »

Film à sketches dont chacun porte la marque, le style de son auteur, il emprunte à des formes variées. Si la partie de Klein adopte l’esthétique du cinéma direct, celle d’Alain Resnais est une fiction, dans laquelle Bernard Fresson joue un intellectuel de gauche tenant à sa femme silencieuse un long discours empreint de mauvaise conscience. A travers ce personnage agaçant, qui disserte sur son impuissance face au conflit, le cinéaste de La guerre est finie interroge l’utilité du film lui-même.

« A l’époque, ce sketch est celui qui a fait l’objet des commentaires les plus critiques. Avec celui de Godard, dans lequel le cinéaste suisse se montre derrière une caméra. Cette sorte d’autoportrait brechtien a irrité beaucoup de monde. On y a vu une forme de mégalomanie, alors que c’est tout au contraire un film d’une grande honnêteté intellectuelle, dans lequel Godard rend compte de ses difficultés à répondre à la commande. »

Effets de résonance

Quant à l’intervention de Joris Ivens, elle offre à Loin du Vietnam ses plus belles images. « Des plans très émouvants de Vietnamiennes fabriquant des abris anti-bombardements extrêmement rudimentaires et une troupe de théâtre d’Hanoï. On y trouve le visage de cette jolie femme qu’Ivens a souvent réutilisé. »

Si les séquences du film peuvent être appréciées isolément, leur assemblage produit de nombreux effets de résonance et de correspondance, qui confèrent à l’ensemble une réelle cohérence. « Voilà le grand apport de Chris Marker, dont le montage extrêmement complexe tisse des liens d’un sketch à l’autre. » Plus que godardienne, ivensienne, kleinienne ou resnaisienne, Loin du Vietnam est en définitive une œuvre markerienne, jusque dans le rapport réflexif qu’elle entretient avec le cinéma. « Dans ce film, comme toujours chez Marker, le spectateur reste conscient de la position qu’il occupe face aux images. Il n’est jamais passif. Chez lui, il ne faut jamais prendre une image pour ce qu’elle est censée montrer, mais aller au-delà de l’image, la creuser par un travail de montage — autrement dit, de cinéma. »

N’en déplaise aux laudateurs de Michael Moore et de ses épigones, revoir aujourd’hui Loin du Vietnam, c’est se rappeler que le cinéma politique ne saurait être uniquement politique : qu’il doit aussi être du cinéma. Telle est l’une des leçons de ce film collectif dont les auteurs, y travaillant, avaient en tête Guernica« Une peinture qui renvoie à une réalité terrible, mais une œuvre d’art à part entière. Et qui porte justement parce que c’en est une. »

François Ekchajzer   

1 Loin du Vietnam est disponible chez Arte Editions au prix de 25 €. En complément de programme : La Sixième Face du Pentagone, court métrage de Chris Marker et François Reichenbach sur la manifestation organisée à Washington le 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam. Les plus fortunés pourront se procurer pour 80 € Planète Marker, coffret de dix DVD réunissant, outre Loin du Vietnam : La Jetée (1962), Le Joli Mai (1962), Le fond de l’air est rouge (1977), Sans soleil (1982), A.K. (1985), Mémoire pour Simone (1986), Le tombeau d’Alexandre (1993), Chats perchés (2004)…

Source : Télérama 15/02/2015.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Vietnam, rubrique Art,

La croissance indienne dépasserait celle de la Chine en 2017

L'investissement représente 30 % du PIB indien.

La Banque mondiale parie sur l’Inde et sur sa capacité à retrouver une croissance forte après des années 2012 et 2013 décevantes. Dans ses perspectives économiques globales, présentées le 13 janvier, l’institution de Washington prévoit que le produit intérieur brut (PIB) indien progressera de 6,4 % en 2015 (soit 0,8 point de plus qu’en 2014) puis de 7 % à partir de 2016. Dans le même temps, le ralentissement chinois, orchestré par Pékin et lié au passage à un modèle de croissance davantage tiré par la consommation intérieure, ramènerait la progression du PIB chinois de 7,4 % en 2014 à 7,1 % en 2015, 7 % en 2016 et 6,9 % en 2017. A cette date, le dynamisme de l’économie indienne l’emporterait sur celui de la Chine continentale.

De telles prévisions méritent qu’on s’y attarde. L’Inde, en effet, est connue pour être, comme le Brésil, un des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui souffre de l’insuffisance et de la mauvaise qualité de ses infrastructures. Les coupures d’électricité y rendent la vie des entreprises quotidiennement difficiles. Le climat des affaires y a longtemps été médiocre, notamment du fait des difficultés rencontrées par les entreprises étrangères lorsqu’elles veulent investir et s’implanter.

Amélioration du moral des entrepreneurs

Les experts de la Banque mondiale n’ignorent rien de ces freins, de ces goulets d’étranglement qui n’ont pas disparu comme par magie depuis les élections générales de 2014 et l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi. Mais ils semblent considérer que les efforts conduits depuis plus d’un an par la Banque centrale indienne pour réduire l’inflation, relancer la croissance et s’attaquer au déficit courant, ont porté leurs fruits et que la nomination de M. Modi, très pro-business, au poste de premier ministre devrait durablement contribuer à l’amélioration du moral des entrepreneurs.

A l’évidence, en tout cas, l’incertitude politique qui prévalait en 2013 et début 2014 pendant la campagne électorale a disparu. Une situation que la Banque mondiale juge favorable à la reprise de l’investissement. Or il représente 30 % du PIB de la plus grande démocratie du monde. Les exportations indiennes bénéficieraient aussi de la reprise aux Etats-Unis, un partenaire commercial clé du sous-continent. Consciente de la part de risques associés à ces prévisions, l’organisation internationale prévient toutefois que « le moindre relâchement dans le rythme des réformes se traduirait par une croissance plus modérée ».

Reprise fragile

Pour le reste, la Banque mondiale continue de juger la reprise fragile et inégale, ce qui ressort de ses statistiques : + 2,6 % de croissance pour le PIB mondial en 2014 (en hausse de 0,1 point par rapport à 2013), + 3 % en 2015, + 3,3 % en 2016 et + 3,2 % en 2017. Rien à voir avec ce que l’on a connu dans les années 2000. La croissance des pays en développement, qui dépasserait en moyenne les 5 % en 2016, resterait plus de deux fois supérieure à celle des pays dits avancés (autour de 2,2 % à 2,4 %). Ces derniers sont pénalisés par la stagnation de la zone euro (+ 0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015) et les difficultés persistantes du Japon (+ 0,2 % et + 1,2 %).

Dans les pays en développement, l’amélioration de 2015 serait en partie due aux faibles prix du pétrole (une bénédiction pour les pays importateurs), à la reprise de l’économie américaine, aux bas taux d’intérêt mondiaux et à l’apaisement des turbulences ayant secoué plusieurs grands marchés émergents. Les champions du dynamisme économique resteraient l’Asie de l’Est et du Pacifique, toutefois talonnés par l’Asie du Sud. A noter que les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie ont retrouvé des rythmes de croissance égaux ou supérieurs à ceux qu’ils avaient connus entre 2001 et 2012.

Source Le Monde 15/01/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Asie, Inde, rubrique Brics, rubrique Economie,