Au Japon, les enjeux cachés des législatives


4539502_6_4e6f_discours-de-campagne-du-candidat-hirotaka_c0487db096887dee25b89b3a14f559bfFocalisée sur l’économie, la campagne pour les élections législatives du dimanche 14 décembre au Japon a éludé bien des sujets controversés, qu’il s’agisse de la révision de la Constitution, de la relance du nucléaire, de la politique de défense ou encore de la protection des secrets d’Etat. Le premier ministre Shinzo Abe a réussi à transformer ce scrutin en référendum sur les « Abenomics », les mesures de relance adoptées depuis son retour au pouvoir en 2012. « Pour le redressement économique, il n’y a que cette voie à suivre », tel fut le message martelé par le chef de gouvernement et ses troupes pendant les deux semaines passées à arpenter l’Archipel.

Surpris par l’annonce des élections anticipées, les autres partis ont tenté de suivre, essayant de capitaliser sur les limites des « Abenomics », en particulier sur le pouvoir d’achat. En vain, faute de pouvoir offrir une alternative crédible. Le 12 décembre, les sondages prédisaient une large victoire de M. Abe et de sa formation, le Parti libéral démocrate (PLD), qui pourrait obtenir plus de 300 des 475 sièges en jeu. Un tel succès restaurerait la popularité du premier ministre, affectée par la démission en octobre de deux ministres et par l’annonce en novembre de l’entrée en récession du Japon.

Absence de débats

Mais les sujets escamotés pourraient revenir dans l’actualité sitôt le scrutin passé. « Une fois réélu, il y a des chances que M. Abe oublie les Abenomics. Il pourrait concentrer son capital électoral sur les sujets qui lui tiennent à cœur, comme la défense ou la Constitution », estime Koichi Nakano, professeur de sciences politiques à l’université Sophia. « Il est compliqué de faire des réformes structurelles comme celles des Abenomics, confirme Michael Cucek, de l’Institut d’études asiatiques comparées de l’université Temple. Cela demande beaucoup d’énergie et peut créer des divisions. »

Le PLD a évité de parler des questions épineuses, aidé par une opposition qui n’a pas su en faire des sujets majeurs. D’après un sondage dévoilé le 11 décembre par le quotidien de centre gauche Mainichi, 49 % des sondés s’opposent à la loi sur les secrets d’Etat, contre 30 % qui la soutiennent. 51 % rejettent le droit à l’autodéfense collective, contre 35 % qui l’approuvent. L’absence de débats sur ces sujets peut aussi s’expliquer par la priorité donnée par les Japonais aux questions des retraites, de la sécurité sociale ou de l’éducation.

La loi sur la protection des secrets d’Etat, adoptée fin 2013 sur fond de vive contestation et entrée en vigueur le 10 décembre, est critiquée pour le flou de sa formulation. Elle prévoit dix années de prison pour une personne révélant une information classifiée et cinq ans pour ceux – journalistes ou militants par exemple – qui inciteraient à en révéler.

M. Abe y voit un moyen d’assurer la sécurité et de protéger l’intérêt national. Mais son application inquiète. Le quotidien de centre gauche Asahi a déploré la « faiblesse de la supervision des modalités du classement des informations ». L’organisation étudiante SASPL (« étudiants contre la loi de protection des secrets ») a manifesté les 9 et 10 décembre devant le bureau du premier ministre.

« Faire taire la population »

Pour le Congrès des journalistes du Japon, le texte est « un moyen de fermer les yeux et les oreilles de la population, et de la faire taire, tout en usurpant la liberté de la presse et d’expression ». Son adoption a déjà fait perdre au Japon six places dans le classement des pays sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), où il est désormais en 59e position sur 180 pays. « La loi restreint de manière inappropriée le droit de savoir de la population », regrette de son côté le syndicat japonais des libertés civiles, qui réunit des professionnels du droit.

Autre sujet évité pendant la campagne : l’énergie et la relance du nucléaire, trois ans après la catastrophe de la centrale de Fukushima. Sous la pression de l’industrie nucléaire et des compagnies d’électricité, Shinzo Abe souhaite redémarrer les réacteurs de l’Archipel, qui pourraient être relancés dès le mois de février.

La réforme de la Constitution et plus précisément la révision de l’article 9, par lequel le Japon avait renoncé à la guerre après la défaite de 1945, n’ont pas non plus été abordés par les candidats. Ce débat « a été occulté pendant la campagne, regrettait un éditorial publié le 11 décembre par Mainichi. C’est le PLD qui porte la responsabilité de l’inquiétant silence qui entoure cette question. » Connu pour ses positions nationalistes, M. Abe a toujours souhaité réviser la Constitution. La mouvance nationaliste nippone rejette cet article 9, qu’elle estime « imposé » par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale.

Budget de la défense en hausse

Dans le domaine de la défense, la révision le 1er juillet dernier de l’interprétation de la Constitution pour permettre aux forces d’autodéfense (FAD) de participer à des systèmes de défense collective oblige le gouvernement à modifier la législation en cours. Les nouveaux textes devraient être finalisés en 2015. De même, alors que le Japon se débat avec une dette qui devrait atteindre 245 % du PIB, le budget de la défense devrait augmenter en 2015 pour la troisième année consécutive, en raison, explique le gouvernement, des risques liés à la menace chinoise.

Pour le professeur Nakano, Shinzo Abe pourrait « se rendre à nouveau à Yasukuni ». Ce sanctuaire shinto rend hommage, depuis la fin du XIXe siècle, aux soldats japonais morts à la guerre et qui se sont sacrifiés pour leur pays. Parmi eux, des criminels de guerre nippons de la seconde guerre mondiale. Il est devenu le symbole du militarisme des nationalistes nippons et chaque visite de premier ministre – la dernière fut celle de Shinzo Abe le 26 décembre 2013 – suscite l’indignation en Chine et en Corée du Sud. Pour Michael Cucek, M. Abe pourrait être tenté par une nouvelle visite, surtout si la présidente sud-coréenne Park Geun-hye persiste dans son refus de le rencontrer et si le numéro un chinois Xi Jinping maintient une attitude distante. Les contentieux historiques du Japon avec ses voisins pourraient être ravivés à l’occasion du 70anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, en 2015.

Cependant, souligne M. Cucek, « compte tenu de l’abstention attendue le 14 décembre, Shinzo Abe pourrait être élu par seulement un cinquième des inscrits. C’est peu même s’il a tous les pouvoirs au Parlement. » Dans ce contexte, renchérit Koichi Nakano, « la moindre difficulté sur l’économie ou sur des sujets impopulaires pourrait faire plonger sa popularité ».

Philippe Mesmer

Source Le Monde 12/12/2014
Les Japonais renouvellent leur confiance au conservateur Shinzo Abe

moody-s-abaisse-la-note-souveraine-du-japonLa coalition conservatrice sortante remporte une large victoire aux élections législatives de dimanche au Japon.

 Elle obtient d’après les premières projections 327 sièges sur 475 à la Chambre des représentants, la chambre basse du parlement japonais, où elle conserve sa majorité des deux tiers. Le Parti libéral démocrate (PLD) d’Abe n’obtient cependant pas à lui seul cette « super majorité » des deux tiers.

Les électeurs japonais étaient conviés dimanche à des législatives anticipées décidées en novembre par le Premier ministre sortant, Shinzo Abe. Ce dernier, âgé de 60 ans, voulait par ce scrutin obtenir un nouveau mandat pour conforter sa politique économique (surnommée « Abenomics »), après sa décision de reporter une nouvelle hausse du taux de TVA. La première hausse, qui a vu ce taux passer de 5 % à 8 % en avril dernier, a provoqué un recul de l’activité.

« Le taux de chômage a baissé, les salaires ont commencé d’augmenter, pensez-vous qu’il faille que l’on arrête, ou faut-il continuer », avait fait mine d’interroger Shinzo Abe tout au long de ses nombreux discours de rue. « Les abenomics (cocktail de mesures économiques) sont la seule voie », répondait-il.

 Le Parti démocrate rate son objectif

Selon les projections, le Parti démocrate (PDJ), la principale force d’opposition, obtiendrait 73 sièges à la chambre basse. D’après les estimations de la chaîne publique NHK, le PDJ (centre gauche), deuxième formation du pays, ne recueillerait qu’entre 61 et 87 sièges, ratant la barre des 100 espérée. D’après la NHK, le Parti Libéral Démocrate (PLD, droite) aurait obtenu entre 275 et 306 des 475 sièges en jeu et pourrait conserver les deux tiers de la chambre basse avec son allié centriste Nouveau Komeito, qui aurait obtenu entre 31 et 36 sièges, contre 31 députés sortants.

Près de 105 millions de Japonais étaient convoqués dans les écoles, mairies et autres lieux publics pour voter, mais la participation a été faible tout au long de la journée en raison du manque d’enjeu et d’une météo défavorable dans une partie du pays.

Le PLD de Shinzo Abe avait 295 sièges et le Komeito, son partenaire de coalition, 31 à la Chambre des représentants quand elle a été dissoute pour ces élections anticipées. Le PDJ, lui, en avait 62. Cinq sièges ont été supprimés dans le cadre d’une réforme électorale. 18H00 (09H00 GMT), elle n’était que de 34,98 %, en recul de 6,79 points par rapport à celle du scrutin du 16 décembre 2012 où le nombre de votants était déjà historiquement faible.

Source : La Tribune.fr 14/12/2014

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Asie, rubrique Japon Il est plus important de limiter les radiations que l’information, On Line, Le Japon revient au nucléaire ,

Aéroport de Toulouse: les preuves du mensonge

macron-vallsEmmanuel Macron prétend que l’aéroport de Toulouse restera contrôlé à 50,1 % par des actionnaires publics. Mediapart publie des fac-similés du pacte d’actionnaires secret qui attestent du contraire : les trois membres du directoire seront désignés par les investisseurs chinois. Et l’État a signé une clause stupéfiante, s’engageant à soutenir par avance toutes leurs décisions.

Dans le dossier de la privatisation de l’aéroport de Toulouse, Emmanuel Macron a décidément pris une incompréhensible posture. Prétendant que la cession aux investisseurs chinois ne portera que sur une part minoritaire du capital, et suggérant du même coup que l’État et les collectivités locales resteront aux commandes de l’entreprise, il s’en est pris, samedi, très vivement aux détracteurs du projet.

Dans le prolongement de notre précédente enquête, dans laquelle nous pointions plusieurs contrevérités énoncées par le ministre de l’économie (lire Privatisation de l’aéroport de Toulouse : Emmanuel Macron a menti), Mediapart est pourtant en mesure de révéler la teneur précise du pacte d’actionnaires qui lie désormais l’État aux investisseurs chinois ayant remporté l’appel d’offres lancé pour la privatisation. Ce document a pour l’instant été tenu soigneusement secret par Emmanuel Macon. Les reproductions que nous sommes en mesure de révéler établissent clairement que le ministre de l’économie a menti.

Laurent Mauduit

Avant d’examiner le détail de ce pacte d’actionnaires secrets, reprenons le fil des événements récents pour comprendre l’importance de ce document. Annonçant au journal La Dépêche que l’aéroport de Toulouse-Blagnac allait être vendu au groupe chinois Symbiose, composé du Shandong Hi Speed Group et Friedmann Pacific Investment Group (FPIG), allié à un groupe canadien dénommé SNC Lavalin, Emmanuel Macron avait fait ces commentaires : « Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital. On ne vend pas l’aéroport, on ne vend pas les pistes ni les bâtiments qui restent propriété de l’État. […] Nous avons cédé cette participation pour un montant de 308 millions d’euros », avait dit le ministre de l’économie. Au cours de cet entretien, le ministre appelait aussi « ceux qui, à Toulouse, sont attachés à l’emploi et au succès d’Airbus, [à] réfléchir à deux fois aux propos qu’ils tiennent. Notre pays doit rester attractif car c’est bon pour la croissance et donc l’emploi », avait-il dit.

Dans la foulée, le président socialiste de la région Midi-Pyrénées, Martin Malvy, avait aussi laissé miroiter l’idée, dans un communiqué publié dans la soirée de jeudi, que cette privatisation n’en serait pas véritablement une et que l’État pourrait rester majoritaire. « J’ai dit au premier ministre et au ministre de l’économie et des finances, depuis plusieurs semaines, que si l’État cédait 49,9 % des parts qu’il détient – et quel que soit le concessionnaire retenu –, je souhaitais que la puissance publique demeure majoritaire dans le capital de Toulouse-Blagnac. C’est possible. Soit que l’État garde les parts qu’il possédera encore – 10,1 % – soit que le candidat désigné cède une partie de celles qu’il va acquérir. Emmanuel Macron confirme que le consortium sino-canadien n’y serait pas opposé. Je suis prêt à étudier cette hypothèse avec les autres collectivités locales, la Chambre de commerce et d’industrie et le réseau bancaire régional, voire d’autres investisseurs. Nous pourrions nous réunir au tout début de la semaine prochaine pour faire avancer une réflexion déjà engagée sur la base d’un consortium ou d’un pacte d’actionnaires en y associant l’État », avait-il déclaré.

Invité dimanche soir du journal de France 2, Manuel Valls a, lui aussi, fait entendre la même petite musique lénifiante. L’aéroport de Toulouse, a-t-il fait valoir, « va rester majoritairement dans les mains des collectivités territoriales et de l’Etat (…) il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte », a-t-il déclaré. « Nous, nous avons le droit de vendre des Airbus, d’investir en Chine et les Chinois ne pourraient pas investir chez nous ? Mais dans quel monde sommes-nous ? », s’est-il insurgé, avant d’ajouter : « Il faut assumer que nous vivons dans une économie ouverte et, en même temps, nous préservons bien sûr nos intérêts fondamentaux. Ce que nous faisons pour un aéroport, nous ne le ferons évidemment pas dans d’autres filières, je pense par exemple au nucléaire ».

En somme, le ministre de l’économie, le président socialiste de la région et le premier ministre ont, tous les trois, fait comprendre que l’aéroport de Toulouse resterait entre les mains de l’État et des collectivités locales, l’investisseur chinois ne mettant la main que sur 49,9 % du capital, l’État gardant 10,1 %, la Région, le département et la ville de Toulouse détenant le solde, soit 40 %.

En apparence dans son bon droit, Emmanuel Macron a donc monté encore d’un cran, en prenant très vivement à partie, samedi, tous ceux – et ils sont nombreux, au plan national comme au plan régional – qui s’inquiètent de ce projet de privatisation soi-disant partielle. « Celles et ceux que j’ai pu entendre, qui s’indignent de cette cession minoritaire de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse, ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français », a-t-il déclaré, en marge du congrès de l’Union nationale des professions libérales.

La formule volontairement féroce contre ceux qui « ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français » risque fort, toutefois, de se retourner contre son auteur car la combinaison du mensonge et du dénigrement des opposants est une curieuse vision de l’exercice du pouvoir en démocratie.

Oui, du mensonge ! Le terme n’est pas exagéré. Déjà dans notre précédente enquête, nous avions usé de cette formulation et, pour l’étayer, nous avions révélé quelques courts extraits du pacte d’actionnaires qui va désormais lier l’État français aux acquéreurs – pacte d’actionnaires dont ont eu connaissance certaines des collectivités publiques concernées par le projet et auprès desquelles nous avions obtenu ces informations. Mais comme le ministre de l’économie persiste à dire qu’il s’agit d’une privatisation partielle et suggère que les actionnaires publics gardent la main, nous sommes en mesure de rendre publics les fac-similés des passages les plus importants de ce pacte d’actionnaires secret, qui établissent le mensonge du ministre et que ces mêmes collectivités nous ont transmis.

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Dès le premier coup d’œil, on trouve donc la confirmation que le pacte d’actionnaires lie bel et bien l’État, qui conserve pour l’instant 10,1 % du capital, non pas à la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse (25 % du capital), le Conseil général du département (5 %), le Conseil régional (5 %) et la Ville de Toulouse (5 %). Non ! Alors que sur le papier les actionnaires publics restent majoritaires, l’État trahit ses alliés naturels et conclut un pacte d’actionnaires avec l’acquéreur chinois. En clair, les investisseurs chinois sont des actionnaires minoritaires, mais l’État leur offre les clefs de l’entreprise pour qu’ils en prennent les commandes.

Les dispositions prévues par ce pacte d’actionnaires secret pour les règles de gouvernance de la société viennent confirmer que les investisseurs chinois, pour minoritaires qu’ils soient, seront les seuls patrons de la société. Voici les règles de gouvernance prévues.

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D’abord, la société sera supervisée par un conseil de surveillance de 15 membres, dont 2 désignés par l’État et 6 désignés par l’investisseur chinois, selon la disposition « 2.1.2 » du pacte. Autrement dit, ces huit membres du conseil de surveillance, liés par le pacte, garantiront aux investisseurs chinois minoritaires de faire strictement ce qu’ils veulent et d’être majoritaires au conseil de surveillance.

Le point « 2.1.3 » du pacte consolide cette garantie offerte aux investisseurs chinois puisqu’il y est précisé que « l’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membres du conseil de surveillance présentés par l’Acquéreur, de telle sorte que l’Acquéreur dispose de six (6) représentants au Conseil de surveillance ».

Mais il y a encore plus grave que cela. Au point « 2.2.2 », l’État donne la garantie quasi formelle à l’investisseur chinois, aussi minoritaire qu’il soit, qu’il pourra décider strictement ce qu’il veut et que la puissance publique française ne se mettra jamais en travers de ses visées ou de ses projets. C’est consigné noir sur blanc – et c’est la clause la plus stupéfiante : « L’État s’engage d’ores et déjà à ne pas faire obstacle à l’adoption des décisions prises en conformité avec le projet industriel tel que développé par l’Acquéreur dans son Offre et notamment les investissements et budgets conformes avec les lignes directrices de cette Offre. »

Qu’adviendrait-il ainsi si l’investisseur chinois décidait d’augmenter le trafic de l’aéroport dans des proportions telles que cela génère de graves nuisances pour le voisinage ? Par un pacte secret, l’État a déjà pris l’engagement qu’il ne voterait pas aux côtés des collectivités locales pour bloquer ce projet, mais qu’il apporterait ses voix aux investisseurs chinois.

Si on prolonge la lecture de ce pacte d’actionnaires pour s’arrêter aux « décisions importantes » pour lesquelles l’État sera contraint d’apporter ses suffrages aux investisseurs chinois, on a tôt fait de vérifier que cela concerne tous les volets de la vie de l’entreprise. Voici en effet, au point « 4 » les « décisions importantes » qui sont en cause :

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En clair, les « décisions importantes » concernent tout à la fois « l’adoption du plan stratégique pluriannuel », « l’adoption du plan d’investissement pluriannuel », « l’adoption du budget », etc.

Bref, les investisseurs chinois ont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent. Au point « 3 », on en trouve d’ailleurs la confirmation, avec cette autre clause stupéfiante : « Le Directoire sera composé de (3) trois membres. L’État s’engage à voter en faveur des candidats à la fonction de membre du directoire et de Président du directoire présentés par l’acquéreur, étant précisé que ces candidats feront l’objet d’une concertation entre l’État et l’Acquéreur préalablement à la séance du  Conseil de surveillance concerné, afin de s’assurer que l’État n’a pas de motif légitime pour s’opposer à la désignation de l’un quelconque des candidats proposés par l’Acquéreur. » En clair, là encore, l’État trahit ses alliés naturels que sont les collectivités locales, pour offrir les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, même s’ils sont minoritaires.

Au passage, l’État donne aussi les pleins pouvoirs aux investisseurs chinois, sans le moindre garde-fou, pour qu’ils pratiquent la politique de rémunération qu’ils souhaitent au profit de ceux qui dirigeront la société. « Les mêmes dispositions s’appliqueront, mutatis mutandis, s’agissant de la détermination de la rémunération de ces mêmes candidats », lit-on à ce même point « 3 ».

Et toute la suite du pacte est à l’avenant. Voici la fin du point « 4 » et les points « 5 » et « 6 » :

57SkhxEo8XK8pJyH0toFaKbsZnEEt il est prévu au point « 10 » que ce pacte liera les parties pour une très longue durée. Voici ce point « 10 » :

Id4DgdyyOkRXumQX_0aixQZqk3wLe pacte est donc prévu pour une durée de douze ans, reconductible ensuite pour les dix années suivantes.

Alors, avec le recul, les belles assurances ou les anathèmes du ministre de l’économie prennent une bien étrange résonance. Comment comprendre que le ministre de l’économie ait pu jurer, croix de bois, croix de fer, « qu’il ne s’agit pas d’une privatisation mais bien d’une ouverture de capital dans laquelle les collectivités locales et l’État restent majoritaires avec 50,01 % du capital » ? Comment comprendre cette sortie tonitruante contre ceux qui « ont pour profession d’une part d’invectiver le gouvernement et d’autre part d’inquiéter les Français » ? Un mélange de mensonge et de cynisme…

Gerard Karageorgis

Source Médiapart et Sans langue de bois : 07/12/2014

Voir aussi : Actualité France, Aéroport de Toulouse Document, Rubrique Politique, Affaires, Politique économique, On Line, Autoroutes: le rapport de la Cour des comptes ,

Un blogueur vietnamien arrêté pour « mauvaises informations »

B3v7C1BIcAAusfdUn blogueur vietnamien a été arrêté par la police pour avoir posté sur Internet de « mauvaises informations » sur le gouvernement. Une décision qui illustre la nouvelle étape de la campagne de répression contre la dissidence en ligne dans le pays communiste.

Hong Le Tho, 65 ans, a été arrêté samedi 29 novembre à Ho Chi Minh-Ville (dans le sud du pays, ex-Saïgon) pour des articles ayant un « mauvais contenu qui réduit la confiance envers les services d’Etat », a indiqué le ministère de la sécurité publique dans un communiqué publié tard dans la soirée de dimanche. Son blog est désormais inaccessible.

Appelé « Nguoi Lot Gach », qui signifie « paveur de briques », il a été lancé il y a au moins trois ans. Il est régulièrement mis à jour en vietnamien, en anglais et en français et traite principalement de questions sociales et politiques.

Beaucoup de ses articles sont fortement anti-Chinois, reflétant la forte animosité de nombreux Vietnamiens, y compris les intellectuels, envers leur voisin du nord. Hanoi et Pékin ont des différends territoriaux de longue date en mer de Chine du Sud. Les dirigeants vietnamiens sont très sensibles à toute critique contre leur règlement du conflit et ont systématiquement brisé les manifestations anti-chinoises et arrêté leurs organisateurs.

34 BLOGUEURS SOUS LES VERROUS

Au Vietnam, les médias privés sont interdits et tous les journaux et les chaînes de télévision sont gérés par l’Etat. Le pays est régulièrement dénoncé pour son intolérance vis-à-vis de la dissidence politique. Des avocats, blogueurs et militants sont régulièrement l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, d’après les groupes de défense des droits de l’Homme. Selon Reporters sans frontières, au moins 34 blogueurs sont actuellement emprisonnés dans le pays.

Un blogueur bien connu, Anh Ba Sam, est en détention dans l’attente de son procès et Bui Thi Minh Hang, militante anti-chinoise, doit être rejugée dans les prochains jours après avoir été condamnée en août à trois ans de prison. En octobre, soucieux selon les analystes de s’attirer les bonnes grâces de l’allié américain face à Pékin, le pays avait libéré le blogueur Dieu Cay et l’avocat Cu Huy Ha Vu. Ces derniers vivent aujourd’hui en exil aux Etats-Unis.

Source : Le Monde AFP 01/12/2014

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Asie, Vietnam, rubrique Internet, rubrique Société, Citoyenneté,

Expo Mangaro/Heta-Uma. Plongée underground nippone

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Heta-Uma un univers en rebellion contre la perfection et l’esthétisme glacé de la culture japonaise. Dr

Expositions. Dans les années 60, les artistes japonais alternatifs brisent les carcans de la bienséance pour libérer leur créativité. Le mouvement vit toujours à découvrir au Miam à Sète jusqu’au 1er mars 2015.

A propos de la culture graphique japonaise, il paraît aujourd’hui difficile d’échapper au pouvoir des Pokemons ou à la poésie de l’œuvre de Miyazaki. Pourtant c’est possible. C’est ce que révèle l’exposition Mangaro/Heta-Uma, une collaboration inédite entre le Musée international des arts modestes (Miam) à Sète et le Cartel de la Friche la Belle de Mai à Marseille, qui se décline en deux volets.

Marseille à la Belle de Mai

Dans la cité phocéenne à l’initiative de l’artiste et responsable des éditions Le dernier cri, Pakito Bolino, et de la libraire japonaise Ayumi Nakayama, l’expo Mangaro regroupe les éditeurs japonais et français qui revendiquent l’héritage de la revue culte Garo. Un support d’édition alternative de BD japonaises né en 1964 qui bouscule les codes établis en alternant art abstrait, drames sociaux et autobiographiques. Garo choque une partie de la société japonaise et séduit un public étudiant tout en ouvrant la porte des mangas aux adultes.

« On peut comparer l’émergence de Garo au journal Hara-kiri pour son côté bête et méchant mais aussi politique puisque la revue était proche des milieux de l’extrême gauche japonaise », explique Pakito. Les nombreux artistes qui y travaillent en profitent pour explorer de nouveaux champs de création.

Dans les années 60 Garo rencontre un véritable succès populaire. Au début des années 70, le tirage du magazine atteint 80 000 exemplaires. Du jamais vu pour une revue underground libre de toutes contraintes. L’année 2002 marque la fin de Garo. Le magazine Axe prend le relais et trouve une continuité dans l’hexagone avec les éditions du Lézard noir qui assurent une traduction française de certains de ses auteurs.

Sète au Miam

A Sète, l’expo Heta-Uma, littéralement l’art du mal fait bien fait,  retrace 40 ans de cette histoire méconnue. On découvre ce style volontairement maladroit né sous l’impulsion de King Terry Yumura à travers les déclinaisons inventives de 80 artistes. La période Heta-Uma qui émerge dans les années 80 se révèle plus graphique avec un dessin sale un peu à la Reiser qui emprunte à la BD underground américaine. Trois générations d’artistes japonais sont réunies dans le cadre de l’expo, du jamais vu.

« Avec le concours de Ayumi Nakayama de la librairie Taco Ché à Tokyo, nous avons réussi à réunir un panel d’artistes complet et représentatif, indique Pakito Bolino ce qui aurait été impossible au Japon en raison des cloisonnements sociaux et générationnels. Nous tirons satisfaction d’avoir permis ces échanges, ainsi que de la mise en relation entre les éditeurs et les artiste français et japonais qui pourrait déboucher sur une expo au Japon. »

Une quinzaine d’artistes japonais étaient présents lors du vernissage qui a donné lieu à des créations d’œuvres in situ. Beaucoup appartiennent à la troisième génération du mouvement alternatif. Leur travail s’inspire de l’univers psychédélique des années 60 et du pop art américain avec des références culturelles spécifiquement nippones comme le bondage, l’esprit samouraï, la présence forte de la faune et de la flore, ou des esprits liés au shintoïsme. Certains créateurs sont aussi musiciens ce qui participe au télescopage entre création plastique et univers musical très couru dans le milieu de la noise japonaise.

La scénographie immerge le visiteur dans une rue sublimée de Tokyo où la surabondance de l’information est saisissante. Peintures, dessins mal faits, vidéo, musique collection de jouets transportent dans un ailleurs où l’avant-garde côtoie volontiers la décadence.

Le Miam s’abandonne à une puissance créative qui surpasse l’imagination et ne cherche pas à être contrôlable et encore moins contrôlée ce qui rend la visite très stimulante.

Jean-Marie Dinh

 Jusqu’au 1er mars 2015

Edition. Le dernier Cri structure éditoriale indépendante

Pakito Bolino

Pakito Bolino

Le dernier cri est une maison d’édition associative publiant tour à tour des livres des affiches, des cartes à jouer, des pochettes de disques et des vidéos, au sein de l’atelier sérigraphique de Pakito Bolino. La structure éditoriale indépendante, installée au sein de la Friche la Belle de Mai à Marseille, s’attache depuis vingt ans à promouvoir une forme d’expression décalée à l’interface de l’art brut et de la bande dessinée hors cadre et du graphisme déviant. Dans la lignée du mouvement intergraphique, Le dernier cri organise et participe à de nombreuses manifestations.

La maison d’édition s’attache depuis le début des années 90 à promouvoir les travaux d’auteurs évoluant de manière atypique. Dans la lignée de leurs aînés Hara-Kiri, Bazooka et Raw, le Dernier Cri entretient un penchant pour l’image torve qu’il cultive avec jubilation. Sans se départir de ses fondements éditoriaux, son catalogue, qui compte aujourd’hui plus de 300 titres, s’ouvre à des graphismes et des modes narratifs toujours plus innovants. Ce mélange de styles fait du Dernier Cri un véritable laboratoire d’une édition inventive, toujours grinçante mais néanmoins en prise avec les préoccupations de la société.

Atelier d’édition dédié aux innovations graphiques et aux nouvelles formes de métissage de l’outil multimédia, le Dernier Cri crée un lien entre les acteurs français et internationaux de la création SUB-graphique.

Source : La Marseillaise, L’Hérault du Jour, 25/10/2015

Voir aussi :  Rubrique Expositions, Art, rubrique Asie, Japon, rubrique LivreEdition,

Joko Widodo prend la tête de l’une des principales économies d’Asie

Le nouveau président indonésien, Joko Widodo, lors de son investiture, le 20 octobre 2014 à Jakarta. Reuters/Darren Whiteside

Le nouveau président de la République d’Indonésie, Joko Widodo, a été investi ce lundi, trois mois après les élections. Il prend la tête de ce pays de 240 millions d’habitants, répartis sur pas moins de 13 466 îles. La population y est à 90% musulmane, ce qui en fait la plus grande terre d’islam du monde, parsemée de minorités, chrétiennes, bouddhistes ou confucéennes… Les Indonésiens s’étaient déplacés en masse en juillet dernier pour placer à leur tête Joko Widodo, un homme du peuple qui va tenter de réformer la première économie d’Asie du Sud.

L’arrivée de Joko Widodo représente un grand changement pour l’Indonésie. Depuis 1998 et le départ du dictateur Suharto après 32 ans de pouvoir, les présidents qui ont suivi ont toujours appartenu à cette élite qui dirigeait déjà le pays du temps des militaires. Joko Widodo, lui, a été élevé dans une cabane en bambous sur l’île de Java, c’est un ancien marchand de meubles. Depuis il est devenu le gouverneur de la capitale Jakarta. Mais il n’a pas oublié d’où il vient.

Un homme qui tient ses promesses

« C’est un garçon qui a un style de vie assez simple, il est très populaire parmi les classes défavorisées », explique David Camroux, chercheur au CERI / Sciences Po, qui pointe « une certaine crédibilité dans ses promesses » envers les plus pauvres (le pays a beau bénéficier depuis dix ans d’une croissance qui oscille entre 5 et 6%, plus de 100 millions de personnes vivent avec moins de deux dollars par jour).

En 2012, une fois élu gouverneur de la capitale Jakarta, il a ainsi lancé les travaux pour le métro de la capitale que la population n’attendait plus – la première étude de faisabilité remonte aux années 80. Il a aussi déplacé les marchés sauvages situés près des rivières et régulièrement victimes de terribles inondations, et construit des maisons pour les plus pauvres. Il s’est aussi attaqué à « des choses très symboliques, détaille David Camroux, il a fait en sorte que les fonctionnaires de Jakarta arrivent à leur travail à l’heure ! »

Un pays à réformer

Pour autant, diriger une ville, aussi grande soit-elle, n’est pas diriger un pays. Et Joko Widodo va devoir traiter des dossiers d’ampleur laissés en friche par ses prédécesseurs.

D’abord, le problème des infrastructures, et particulièrement les transports : les routes sont mauvaises, le pays manque d’autoroutes, et les chemins de fer datent de l’époque coloniale. Pire, dans ce pays aux 13 466 îles, le système portuaire est « dramatique » souligne Jean-Raphael Chaponnière, chercheur à Asie 21, alors que l’Indonésie souhaite être un grand pays exportateur.

Mais l’état de ses infrastructures le place à la traîne de ses concurrents – le Vietnam, l’Indonésie, la Thaïlande. Et l’Indonésie a perdu des parts de marché à l’international sur le manufacturier à cause de la concurrence chinoise. Or le pays a besoin de créer des emplois : « sa population continue d’augmenter très rapidement, alors que 80% des emplois qui sont créés relèvent du secteur informel, comme en Inde, explique Jean-Raphael Chaponnière. Mais là, c’est faute d’infrastructures et faute d’industrialisation, qui a pris du retard à partir de 1998 ». D’autant que, ajoute David Camroux, le système éducatif indonésien « ne produit pas de main d’œuvre qualifiée, ou un peu qualifiée pour une économie moderne ». Autant de défis à moyen et long terme pour le nouveau président.

L’essence subventionnée : un gouffre financier

Pour financer ces nouvelles infrastructures et l’aide aux plus pauvres, Joko Widodo a prévu de réduire les subventions qui maintiennent le prix de l’essence au plus bas, mais qui mangent près de 9% du budget de l’Etat, et coûte au pays 3 points de PIB.

Problème : si c’est la classe moyenne et la classe aisée qui en bénéficient le plus avec leurs 4×4, les ménages les plus pauvres seraient aussi touchés par une augmentation des prix – et ce sont eux les plus prompts à manifester. Résultat, les efforts déployés ces dernières années par les présidents successifs pour réduire ces aides ont échoué.

Négocier avec l’opposition

Autre problème : Joko Widodo ne dispose pas de la majorité à l’Assemblée nationale mais de 39% des voix, ce qui va le forcer à faire des compromis. Ce n’est pas nouveau : ses prédécesseurs ont dû eux aussi négocier avec les autres partis politiques. D’autant que la coalition qui détient le reste des sièges à l’Assemblée et qui s’était présentée contre lui est fragile : ainsi le parti Golkar, de l’ancien dictateur Suharto, qui « n’imagine pas ne pas être au pouvoir »…

Le nouveau président va donc devoir former des coalitions de circonstances, et son choix de vice-président est à ce titre révélateur : Jusuf Kalla, qui fut le premier vice-président de l’ancien président Yudhoyono. « Jusuf Kalla a la réputation d’être celui qui, au Parlement, est capable, par un système de carotte et de bâton, de créer des coalitions pour soutenir l’action d’un président », analyse David Camroux. Joko Widodo peut aussi compter sur un soutien populaire assez grand et sur une partie des médias, qui ont fait campagne pour lui.

Mais en attendant, fin septembre, le Parlement indonésien a supprimé la loi qui, depuis 2005, autorisait l’élection au suffrage direct des élus locaux. C’est précisément cette loi qui avait permis à une nouvelle génération de dirigeants issus du peuple d’émerger. Parmi eux, un certain Joko Widodo, qui était devenu la même année maire de sa ville de Solo, entamant le chemin qui allait le mener à la présidence.

Christophe Paget

Source : RFI 20/10/2014

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