La politique économique de la France, enjeu central de cette rentrée | Reuters / Philippe Wojazer
Au second trimestre 2014, l’Italie est entrée de nouveau en récession et l’activité a stagné en France mais cela a aussi été le cas en Allemagne : les trois principales économies de la zone euro sont à l’arrêt. Toute la zone euro est désormais menacée par la déflation et une stagnation prolongée comme le Japon des années 1990. Six ans après la faillite de Lehman Brothers, Il est plus que temps de prendre (enfin) acte de l’échec total des politiques anticrises engagées en Europe. Depuis 2012, François Hollande a annoncé à maintes reprises sa volonté de réorienter ces politiques, sans jamais passer à l’acte pour l’instant. S’il ne se décide pas à engager enfin cette bataille, c’est la démocratie et l’intégration européenne qui risquent d’être mises à bas.
UN DÉCALAGE USA-EUROPE ABSURDE
Il faut d’abord prendre toute la mesure de l’absurdité de la situation actuelle. Cette crise a été déclenchée par une dérégulation financière particulièrement hasardeuse et les déséquilibres macroéconomiques massifs accumulés outre Atlantique. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont certes très loin d’être tirés d’affaire mais leur économie est repartie : leur PIB devrait excéder cette année de près de 10 % celui de 2008 et le nombre d’emplois proposés aux Américains s’est accru de 1,2 millions depuis lors. A contrario, le PIB de la zone euro n’a toujours pas rattrapé son niveau de 2008 et nous avons perdu 4,8 millions d’emplois en six ans. C’est bien simple : en 2008, la zone euro comptait 3,6 millions d’emplois de plus que les Etats Unis, elle en a désormais 2,4 millions de moins. Pourtant, il n’existe guère d’autre explication que l’obstination dans l’erreur des Européens pour expliquer une telle différence entre les Etats Unis et la zone euro.
Que faire face à ce constat d’échec massif que (presque) plus personne ne conteste ? François Hollande demandait, le 4 aout dernier dans le Monde, à Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), d’injecter davantage d’argent dans le circuit économique. La BCE a pourtant déjà ramené ses taux d’intérêt à 0,15% seulement. Elle a imposé également aux banques une pénalité de 0,1 % sur les dépôts qu’elles laissent chez elle, afin de les inciter à prêter davantage. Elle leur a également déjà fait crédit de mille milliards d’euros à des taux d’intérêt défiant toute concurrence. Contrairement à ce que de nombreux européens croient, elle a injecté en fait à peu près autant d’argent dans le circuit économique que la réserve fédérale américaine. Certes, elle pourrait faire davantage encore et elle devrait d’ailleurs injecter de nouveau 400 milliards d’euros dans l’économie à l’automne. Mais, dans la durée, une telle politique est difficilement défendable : elle consiste en effet à subventionner grassement sur fonds publics le secteur financier… Or cette politique n’est pas non plus très efficace ni sans risques sur le plan économique : dans la mesure où ménages et entreprises restent asphyxiés par une austérité excessive, ils ne font usage que de façon très limitée de cet argent qui coule à flot. Et cette politique monétaire laxiste a surtout pour effet de gonfler à nouveau des bulles spéculatives.
L’EURO SURÉVALUÉ ? PAS ÉVIDENT AVEC 200 MILLIARDS D’EXCÉDENTS
François Hollande souhaitait également faire baisser le taux de change de l’euro. L’euro cher est certes un facteur majeur de déflation puisque les prix des produits importés tendent à diminuer. Mais la zone euro dégage pour l’instant plus de 200 milliards d’euros d’excédents extérieurs par an, soit 2 % de son PIB : difficile dans ces conditions de considérer que la monnaie unique serait surévaluée puisque la baisse de l’euro aurait inévitablement pour conséquence d’augmenter encore cet excédent déjà considérable. Et nos partenaires extérieurs auraient beau jeu de dénoncer, et de combattre, une politique prédatrice de la zone euro vis-à-vis du reste du monde.
Le fond de l’affaire est ailleurs et par voie de conséquences les solutions aussi. S’il y a risque de déflation en Europe c’est d’abord parce que, tous les gouvernements européens, et au premier chef désormais le gouvernement français, mènent eux-mêmes des politiques déflationnistes. Ils ont tous adoptés des politiques budgétaires très restrictives malgré la faiblesse de l’activité. Celles-ci ont non seulement pour conséquence de freiner encore cette activité mais aussi, de ce fait, d’empêcher en réalité le désendettement des Etats : au premier trimestre 2014 un nouveau record de dettes publiques a été battu dans la zone euro et cette dette devrait encore s’accroître, au bas mot, de 320 milliards d’euros cette année. Tandis qu’en France le déficit de l’Etat était, fin juin, de 59,4 milliards d’euros contre 59,3 milliards un an plutôt malgré la hausse des taux de prélèvements et une baisse sensible des dépenses. Quels résultats extraordinaires…
LE MOINS DISANT SOCIAL SOURCE DE DÉFLATION
Mais ce qui nous mène surtout à la déflation, ce sont les politiques des gouvernements européens en matière de coût du travail : ils veulent tous le faire baisser. En théorie pour améliorer la compétitivité de leur économie nationale, mais comme tous leurs voisins font de même, les bénéfices sont en réalité très limités sur ce plan. En revanche l’effet dépressif sur la demande intérieure est, lui, massif puisque le coût du travail c’est aussi le revenu des travailleurs et celui de leur famille via la protection sociale : les ménages ne consomment et n’investissent plus et en conséquence, les entreprises non plus, malgré des profits qui remontent et des taux d’intérêt très bas. Fin 2013, la demande intérieure affichait ainsi un déficit de 370 milliards dans la zone euro par rapport à 2008, une baisse de 4,5 %. Jusqu’ici, la France avait plutôt résisté à s’engager dans cette spirale du moins disant social, mais avec le pacte de responsabilité ce n’est plus le cas : celui-ci est en effet très explicitement et massivement un pacte de déflation.
Pour éviter une stagnation à la japonaise, ce sont donc avant tout ces politiques budgétaires et du coût du travail qu’il faut infléchir d’urgence. Aucune chance compte tenu de la psychorigidité de nos voisins allemands ? Pas sûr. Les Allemands eux-mêmes, dont les exportations hors zone euro sont menacées par la crise ukrainienne et le ralentissement chinois, commencent (enfin) à prendre la mesure des dégâts sur le vieux continent. Sur un plan économique mais aussi sur un plan plus politique avec notamment la montée du Front national qui les inquiète (à juste titre) beaucoup. La meilleure preuve en a été apportée le 30 Juillet dernier par Jens Weidmann, le faucon des faucons de l’austérité qui préside la Bundesbank : il a plaidé pour des hausses de salaire plus importantes en Allemagne ! De plus, en Italie, l’arrivée aux affaires de Matteo Renzi, offre une opportunité d’alliance nouvelle avec les dirigeants de la troisième économie de la zone euro pour bousculer la donne européenne. Depuis 2012, il n’a certes échappé à personne que François Hollande n’avait manifestement aucune intention de prendre des initiatives un tant soit peu ambitieuses au niveau européen. S’il ne se fait pas violence sur ce terrain, il risque fort cependant de finir dans les livres d’histoire au même rayon que Guy Mollet, son peu glorieux prédécesseur à la tête du Parti socialiste.
Guillaume Duval (Rédacteur en chef d’Alternatives économiques)
Essai. Remettre en question la répartition au cœur de l’analyse économique.
Retour sur un essai qui fait couler beaucoup d’encre : Le Capital au XXIème siècle (Le Seuil) de Thomas Piketty * qui a prononcé la leçon inaugurale des Rencontres Pétrarques à Montpellier en juillet . Une des idées centrales de ce chercheur en sciences-sociales, est que la question de la répartition des richesses, qui intéresse et concerne tout le monde, est trop importante pour être laissé aux mains des seules économistes.
Thomas Piketty s’intéresse à l’évolution de l’accumulation du capital privé en se gardant des préjugés idéologiques qui ne manquent pas sur le sujet. Pour se faire il a rassemblé des données historiques et comparatives portant sur trois siècles et vingt pays.
Best-seller aux Etats-Unis
Son travail établit patiemment des faits, et des régularités, et analyse les mécanismes, économiques, sociaux, politiques susceptibles d’en rendre compte. Une vaste entreprise d’enquête, en partie partagée par des chercheurs britanniques et américains, qui renouvelle le cadre théorique pour se baser sur les mécaniques actuellement à l’oeuvre. La démarche reconnue internationalement éclaire le débat démocratique sur la question des inégalités et contribue à redéfinir le débat. Le livre a rencontré un immense succès dans le monde anglo-saxon où il s’est vendu à 450 000 exemplaires contre 150 000 pour la version francophone (chiffres en juin 2014). Avec l’écho rencontré, l’ouvrage fait l’objet de nombreuses controverses auxquelles l’auteur répond point par point. «Dès lors que Le taux de rendement du capital dépasse durablement le taux de croissance de la production et du revenu, le capitalisme produit mécaniquement, des inégalités insoutenables, arbitraire, remettant radicalement en cause les valeurs méritocratiques sur lesquels se fondent notre société démocratique», souligne l’auteur qui revisite les théories généralement admises sans approfondissement par les économistes.
Les grandes théories revisitées
L’approche transversale, notamment historique et spaciale, de la démarche permet à Piketty de recontextualiser le débat. Ainsi à propos de L’essai sur le principe de population de l’économiste Thomas Malthus publié en 1798, il commente : «Tout n’est pas faux mais Malthus était très inquiet des nouvelles politiques et persuadé que la France courait à sa perte en acceptant de faire siéger le Tiers état au Parlement.» De même il souligne à propos de Marx : « Il écrivait dans un climat de grande exaltation politique (…) Il ne s’est guère posé la question de l’organisation politique et économique d’une société où la propriété privée du capital aurait été entièrement abolie.» Tout en reconnaissant : il conserve sur plusieurs points une certaine pertinence. Il part d’une vraie question, celle de l’invraisemblable concentration des richesses pendant la révolution industrielle, une démarche dont les économistes d’aujourd’hui ferait bien de s’inspirer. Le principe de l’accumulation infinie qu’il défend contient une intuition fondamentale pour l’analyse du XXI.» Et Piketty démontre l’ampleur du déséquilibre avec la très forte hausse de la valeur totale des patrimoines privés, mesurés en années de revenu national depuis les années 70 dans l’ensemble des pays riches.
Kuznets et la guerre froide
Plus proche de nous, l’auteur revient sur la théorie de Kuznets proposée en 1955, selon laquelle les inégalités de revenus sont spontanément appelées à diminuer dans les phases avancées du développement capitaliste, quelles que soient les politiques suivies ou les caractéristiques du pays, puis à se stabiliser à un niveau acceptable. S’il s’inspire du travail statistique approfondie de Kuznets, Piketty élargie l’étude des revenus dans le temps et l’espace et montre que la réduction des inégalités de revenus observée entre 1914 et 1945 est avant tout le produit des guerres mondiales et des chocs économiques et politiques qu’elles ont entraînés.
Dans sa dernière partie il tente de faire des propositions, comme l’impôt progressif sur le patrimoine privé, l’imposition des multinationales, ou des sanctions contre les paradis fiscaux… pour que la démocratie et l’intérêt général parviennent à reprendre le contrôle du capitalisme et des intérêts privés. «Trop lourd». C’est dans ces mots que Michel Sapin, ministre du Travail, a justifié son refus de lire le livre de Thomas Piketty
Jean-Marie Dinh
* Directeur d’études à l’EHESS il a publié Les Hauts Revenus en France au XXe siècle (Grasset), Pour une révolution fiscale (Seuil)
Mobilisation. Premier bilan régional du mouvement des Intermittents et précaires en lutte depuis six mois. Mouvement parti, comme en 2003, de Montpellier où le Printemps des Comédiens a été annulé.
Ce combat symbolique que mènent les intermittents et les précaires depuis près de six mois pourrait bien célébrer le divorce entre la gauche socialiste au pouvoir et le monde de la culture. C’est aussi un combat bien réel comme le contenu du protocole qui aggrave une situation déjà tendue pour beaucoup de professionnels du spectacle, surtout pour les plus jeunes et les plus précaires.
De fait, les mesures qui sont préconisées accroissent les inégalités. L’instauration d’un délai de carence supplémentaire touche directement les bas revenus avec un effet global de dumping social que le gouvernement tentera de masquer jusqu’au bout même s’il parvient à donner des gages acceptables pour les métiers de la culture.
Le vrai enjeu politique concerne le Pacte de responsabilité. En jouant la provocation pour faire passer la pilule le Medef ne s’attendait pas à une telle résistance. Retour sur un conflit parti de Montpellier qui reprendra à la rentrée.
Montée en puissance
« C’est un jeu de dupe qui se joue entre le Medef et le gouvernement et ce sont les salariés qui vont trinquer » prévenait la CGT Spectacle associée à la Coordination des intérimaires et précaires L-R (CIP) dans le cadre du mouvement unitaire L-R. Début mars, les manifestations et occupations se multiplient sans trouver beaucoup d’échos.
Le 2 juillet, l’AG de l’équipe technique du Printemps des Comédiens vote l’annulation des premiers spectacles. L’AG du mouvement unitaire du L-R embraye. La grève connaît alors un retentissement hexagonal. Dans la presse on relève des similitudes avec le mouvement de 2003 parti du même lieu qui avait abouti à l’annulation du Festival d’Avignon. La lutte fait tache d’huile dans l’hexagone et les nuages s’accumulent au-dessus de Matignon.
Lors de la cérémonie officielle des Molière, Nicolas Bouchaud cite la mobilisation à Montpellier et décerne au nom des intermittents un « Molière de la meilleure trahison à François Rebsamen ». L’onde de solidarité se propage. Et le Printemps des Comédiens ne démarre pas. Le président du conseil général de l’Hérault André Vezinhet maintient l’inauguration. Il aurait souhaité un mouvement plus flexible et fait part de ses craintes sur l’avenir tout en demandant au gouvernement de reprendre les négociations.
Les insurgés, décident en AG, et reconduisent la grève tout en menant d’autres actions et occupations dans les théâtres et festivals de la région. Le manque à gagner pour le Printemps des Comédiens se chiffrerait entre 350 000 et 400 000 euros. Le 4 juin, 250 personnes occupent l’Opéra de Montpellier, malgré les prises de paroles de la directrice Valérie Chevallier et du maire Philippe Saurel leur assurant un entier soutien. Le collectif reste sur la scène. La première de La Traviata est annulée.
Petits pas de Valls
Le 19 juin l’inflexible Manuel Valls recule à petits pas en reportant la mise en application du différé d’indemnisation et en s’engageant à financer la différence. Il promet aussi le maintien des crédits du spectacle vivant en 2015, 2016 et 2017. la CGT-Spectacle, qualifie l’offre de « mesurette ».
Le 21 juin le mouvement unitaire-LR négocie un passage à l’antenne sur France 2 où le président de la République est interpellé en prime time. Dans le Gard, Uzès Danse vote l’annulation du festival. « La seule décision possible pour préserver une équipe, des artistes et le public. »
Pris dans la tourmente le Festival Montpellier Danse maintient sa programmation. Fortement perturbé au début, le festival parvient à maintenir 38 spectacles sur 48 programmés. Le mode blocage se transforme en d’autres formes pour faire passer le message au public. Même processus à Avignon qui focalisait l’attention du gouvernement en raison des enjeux économiques.
Les grèves des 4, 12 et 24 juillet entraînent douze annulations dans le In et beaucoup d’actions dans le Off. A Montpellier le concert d’ouverture du Festival de Radio France, est annulé mais le reste des concerts a lieu.
Jeudi dernier s’est tenue la 4e réunion de concertation qui marque une pause avant de reprendre en septembre. Sur le thème des rémunérations, Jean-Patrick Gille un des membres missionné par le gouvernement a souligné « qu’il fallait trouver un système de discussions avec les intermittents et les employeurs du secteur. » Tandis que le secrétaire général de la CGT-Spectacle Denis Gravouil s’estime « au milieu du gué ».
Mais le conflit continue car les partenaires sociaux signataires disent qu’ils ne veulent pas rouvrir les négociations avant 2016. En attendant la rentrée sociale, la CGT-Spectacle a déposé un préavis de grève pour le mois d’août.
Jean-Marie Dinh
Source La Marseillaise 31/07/14
AG au Printemps des Comédiens, AG au Festival Montpellier Danse, Sur le plateau de France 2… photos dr
Le Premier ministre a repris les propositions du médiateur Jean-Patrick Gille, qui a recommandé de différer la mise en application du point le plus contesté de la convention Unedic, alors que la mobilisation des intermittents se durcit.
Opération déminage. Dans une allocution d’une prudence extrême, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé jeudi en fin de journée qu’il reportait la mise en application du point le plus contesté de la convention Unedic, le différé d’indemnisation qui a cristallisé la mobilisation des intermittents ces dernières semaines. Une proposition destinée à laisser le temps de bâtir une «nouvelle donne» pour le régime et puisée dans le rapport qui lui a été remis dans l’après-midi par le député PS d’Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille. Le Premier ministre a pris soin de commencer son discours en promettant l’agrément de l’intégralité de l’accord sur l’assurance-chômage, qui ne concerne pas seulement les intermittents. Et ce afin de donner des gages aux partenaires sociaux ayant signé ledit accord.
Une annonce insuffisante pour la CGT-Spectacle, qui a qualité de «mesurettes» les déclarations de Manuel Valls. Et d’annoncer un «probable préavis de grève» pour le 1er juillet. «Il est probable que nous déposions un préavis de grève», «on verra quelle forme il prendra», car «l’épée de Damoclès est toujours là, c’est une manoeuvre pour passer l’été», a déclaré le secrétaire général Denis Gravouil lors d’un point de presse.
Le Syndeac, syndicat des employeurs du spectacle, s’est lui dit «partagé», jugeant que «la porte était entrouverte» pour une sortie de crise malgré des «inquiétudes». «Nous sommes partagés. D’un côté il y a des éléments très positifs» avec «un budget préservé pour le domaine de la création» et le fait que «l’on crée des conditions assez précises de dialogue d’une autre nature que ce qui nous était jusque là offert, en remettant à plat l’ensemble du système de l’assurance-chômage des intermittents du spectacle», a dit à l’AFP Fabien André, chargé de mission au Syndeac (Syndicat des entreprises artistiques et culturelle).
«On fera tout pour que la promesse de ces discussions concrètes qui abordent le fond du sujet, cette réforme indispensable depuis plus de dix ans, donne un gage de sortie de crise», a-t-il ajouté. «A côté de ça, les éléments moins positifs, qui peuvent nous laisser circonspects, c’est quand on voit que l’Etat s’aventure sur la piste d’un partage du financement de la protection sociale», a-t-il dit.
Chargé le 8 juin par le Premier ministre d’une mission de médiation dans le conflit des intermittents, Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire a quant à lui remis ce jeudi en fin d’après midi son rapport (voir ci-dessous) à Manuel Valls. Ce dernier préconisait deux pistes pour éviter le blocage des festivals de l’été et sortir du bras-de-fer en cours.
La première consistait, au stade de l’agrément de la nouvelle convention d’assurance chômage, à différer au 1er octobre prochain la mise en application de l’ensemble des modifications apportées aux annexes VIII et X (celles concernant les intermittents); la seconde option, privilégiée par le rapporteur et donc reprise par Manuel Valls, consisterait à «différer de six mois la seule disposition portant sur le différé d’indemnisation». C’est cette piste qu’a donc explicitement prônée le Premier ministre, posant le principe d’une neutralisation du différé dans les mois à venir, le temps d’engager une «nouvelle donne» pour le régime des intermittents.
En clair, il s’agit pour le gouvernement de faire pression sur les partenaires sociaux pour qu’ils acceptent que la disposition la plus controversée de l’accord, celle concernant l’allongement du délai de carence entre le versement des cachets et la perception des allocations-chômage, ne soit pas appliquée dans l’immédiat. Ce qui laisserait le temps de mettre en place «les conditions d’une discussion loyale» entre tous les interlocuteurs – partenaires sociaux, représentants des intermittents et des employeurs du secteur culturel, gouvernement -, pour remettre à plat le statut des intermittents et «casser la mécanique des crises à répétition».
Pour l’occasion, une commission de trois personnalités a été chargée de faire des propositions avant la fin de l’année: Hortense Archambault, qui a codirigé le Festival d’Avignon, Jean-Denis Combrexel, ancien directeur général du Travail, et Jean-Patrick Gille, le député PS à peine sorti de sa médiation.
Comme ce report aura un coût pour l’assurance chômage, le Premier ministre s’est engagé à ce que l’Etat finance la différence. Il aussi promis le maintien des crédits du spectacle vivant en 2015, 2016 et 2017. «C’est un effort très significatif dans cette période de diminution de la dépense publique et il atteste de l’importance que nous accordons à la création culturelle», a-t-il indiqué.
René Solis
Source Libération AFP 19/06/2014
Intermittents : Manuel Valls donne des gages au Medef
Le premier ministre a tenté d’apaiser les intermittents avec des compensations financières mais il a annoncé l’agrément de l’accord du 22 mars.
De l’argent pour apaiser les tensions, il fallait oser. Que propose Manuel Valls, ce soir, pour répondre à la mobilisation des intermittents du spectacle après avoir accusé réception du rapport du médiateur Jean-Patrick Gille à 17 heures ?
Signer l’accord du 22 mars alors que des banderoles « Non à l’agrément » flottent encore sur un bon nombre d’édifices en France, dont l’échafaudage de la Philharmonie en construction à Paris. Argument du premier ministre : respecter l’accord auquel sont arrivés les partenaires sociaux. Sauf que la majorité des organisations d’employeurs du spectacle ne sont pas membres des organisations interprofessionnelles : Medef, CGPME et UPA., dixit le rapport d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques rendu par Jean-Patrick Gille à l’Assemblée en avril 2013. Ce faisant, l’Etat donne des gages au Medef qui ne va pas voir d’un bon oeil son intrusion dans le débat mais pourra se féliciter de faire l’économie d’une discussion avec tous les partenaires concernés.
Lancer une nouvelle mission pour engager une « nouvelles donne » sur les intermittents. A sa tête : Hortense Archambault, ancienne co-directrice du Festival d’Avignon, Jean-Denis Combrexel, ancien directeur général du Travail, et Jean-Patrick Gille, député PS actuel médiateur qui se voit donc prolongé jusqu’à la fin 2014. Ce devrait prendre la forme d’une discussion tripartite Etats-partenaires sociaux-intermittents sur l’ensemble des questions liées à l’intermittence (lutte contre les abus et la permittence, professionnalisation, etc.).
Sauf que nombre d’études sérieuses ont déjà réalisées depuis dix ans sur les intermittents du spectacle, dont celle commandée par le Syndeac sur l’indemnisation des professionnels du spectacle et qui a fait son petit effet au Sénat le 4 juin dernier.
Reporter le « différé d’indemnisation », une des mesures les plus controversées du texte qui, en allongeant le délai de carence entre le versement des cachets et la perception des allocations-chômage risquait de laisser un bon nombre d’intermittents sans revenus pendant plusieurs semaines. Un conseil que lui a donné le médiateur, Jean-Patrick Gille. Lequel affirme, ce soir : » Il faut signer l’armistice pour se mettre autour de la table »
Sauf qu’en attendant, c’est l’Etat qui devra compenser l’effet de ce différé. Ce qui équivaut à remplacer la solidarité interprofessionnelle par la solidarité nationale. Alors même que les intermittents défendent un régime par mutualisation, l’Etat vote un système assurantiel individuel et se porte garant pour les précaires. Mais temporairement : pour six mois uniquement.
« Le fonds « social » d’Etat est fléché. Il doit pallier le manque de revenu dû à la carence (différé), mais exclusivement pour les annexes 8 et 10. Encore ne s’agit-il que d’une annonce pour tenter de désamorcer la mobilisation. Nous sommes face à l’application du pacte de responsabilité » qui prévoit 2 milliard d’économie sur l’assurance chômage, ce que l’accord du 22 mars met en ouvre (à hauteur de 400 millions d’économie dès 2014, le reste à suivre). Il y’a donc un accord parfait quand aux objectifs : réaliser des économies sur le dos des précaires et inciter à l’emploi non choisi, dans n’importe quelle conditions. il s’agit d’aller vers le plein emploi précaire. » , décrypte la Coordination des intermittents d’Ile-de-France.
L’Etat annonce le « maintient intégral des crédits 2015, 2016, 2017 de la création du spectacle vivant », d’après Jean-Patrick Gille. Ce faisant, il tente de faire valoir l’intérêt particulier qu’il porte à la culture. Sauf qu’en période de coupes drastiques dans le budget de la culture, cette décision revient à mettre en concurrences les différents domaines culturels : le spectacle vivant contre la patrimoine, par exemple.
Manuel Valls en appelle à la responsabilité de chacun pour contrer les annulations de festivals. C’est oublier que ces annulations pénalisent en premier ceux qui ont préparé les dits spectacles.
« Pour le moment, la seule piste évoquée est l’agrément et la table ronde réunissant tout le monde. Hier au comité de suivi, cette éventualité a été balayée par tous. Nous avons parlé de provocation, d’opération communication, qu’une table ronde était acceptable uniquement si l’agrément n’était pas donné. De toute façon, si la table ronde était nécessaire, pourquoi ne l’ont ils pas imposé AVANT ? », précise encore, à chaud, la Coordination des intermittents.
D’ors et déjà, un préavis de grève est lancé pour le 1er juillet. La CGT spectacle évoque des « mesurettes ».
Communiquer sur les efforts financiers en faveur du spectacle vivant en pleine politique d’austérité, en appeler à la responsabilité des intermittents alors même que le gouvernement refuse d’entendre leurs propositions, c’est à la fois renvoyer les intermittents dans leurs cordes et prendre le parti de rendre leur mouvement impopulaire auprès du contribuable, qui va être ravi de « payer à la place du Medef ». Aussi impopulaire que celui des cheminots…
C’est prendre aussi le risque d’ouvrir un nouveau front au Parti socialiste, dont certains parlementaires, sénateurs,élus, avaient pris position contre l’agrément. C’est enfin refuser d’assumer sa propre responsabilité dans les annulations de festivals. Et tenter d’acheter la paix, le temps de l’été.
Valls « recule » pour désamorcer le conflit avec les intermittents
Le premier ministre propose que l’État prenne à sa charge la principale mesure de la convention d’assurance-chômage à l’origine du conflit actuel.
A trop vouloir ménager la chèvre et le chou, on mécontente souvent tout le monde… Pour désamorcer un mouvement qui menaçait les festivals de l’été, le gouvernement a décidé de suspendre la mesure de la nouvelle convention d’assurance-chômage qui crispait le plus les intermittents: l’allongement du différé d’indemnisation (délai avant de percevoir l’allocation chômage). «Le nouveau différé ne s’appliquera pas» au 1er juillet comme prévu, a annoncé Manuel Valls jeudi. Une bonne nouvelle pour les intermittents. Mais pas pour les finances publiques. L’Unedic (gestionnaire de l’assurance-chômage) comptait réaliser 95 millions d’économies en année pleine grâce à ce différé, et 20 à 40 millions en 2014. L’État lui compensera cette perte. C’est donc l’ensemble des Français via l’État qui payeront la facture.
Est-ce un prélude à une nouvelle répartition des rôles, où l’État serait plus présent? Il est trop tôt pour le dire. Mais le gouvernement veut revoir tout l’architecture du système, pour «bâtir un cadre enfin stabilisé et sécurisé», selon Manuel Valls. Ce seront le patronat, les syndicats, les professionnels du secteur et l’État qui s’y attelleront, et ce dès la semaine prochaine. «Tous les sujets seront sur la table» a précisé François Rebsamen, le ministre du Travail. Cette concertation sera pilotée par trois personnalités: Hortense Archambault, l’ex-patronne du Festival d’Avignon ; Jean-Denis Combrexelle, l’ancien directeur général du Travail ; et le député PS Jean-Patrick Gille. C’était bien le moins pour celui qui a fait office de médiateur ces deux dernières semaines et dont le rapport, remis en catastrophe jeudi soir, a été peu repris. Ce chantier devrait s’achever en fin d’année. Et c’est pendant toute cette période que le différé d’indemnisation sera suspendu. Le gouvernement a encore décidé de maintenir intégralement le budget consacré à la création et au spectacle vivant en 2015, 2016, 2017.
Des «mesurettes»
Reste que même avec ces gestes, le gouvernement n’a pas calmé la colère des intermittents. La CGT spectacle les a qualifiés de «mesurettes» et a appelé…. à amplifier le mouvement alors que Manuel Valls a conclu son point presse en souhaitant que les festivals se déroulent normalement! «Il est probable que nous déposions un préavis de grève» pour le 1er juillet, a déclaré son secrétaire général, Denis Gravouil. Quant au collectif des intermittents, il demande toujours le non-agrément de la convention d’assurance-chômage.
Or Manuel Valls a redit jeudi que le gouvernement allait agréer cette convention, au nom du respect des partenaires sociaux. Ce texte est en effet issu d’un accord signé par le patronat, la CFDT, FO et la CFTC. Et l’exécutif ne pouvait pas se fâcher avec eux. Sauf que là aussi, l’objectif est en partie manqué. Si FO a affiché sa satisfaction, la CFDT a protesté contre la mesure sur le différé qui «rompt l’équité entre le salariés». De fait, les cadres subiront eux pleinement un différé sur les chèques de départ. Quant au Medef, il n’a pas réagi jeudi soir. Mais gageons qu’il proposera des mesures choc, comme la révision des 193 métiers ouvrant au statut d’intermittents.
Cécile Crouzel
Source Le Figaro 19/06/2014
Intermittents : «Une manœuvre de Valls pour passer l’été»
Les propositions du premier ministre pour mettre fin à la polémique autour de la convention de l’assurance chômage sont loin de faire l’unanimité.
Son allocution était très attendue. À 19h, moins d’une heure après la réception du rapport du médiateur Jean-Patrick Gille, Manuel Valls a mis fin aux interrogations concernant l’agrément de l’accord du 22 mars sur la convention d’assurance chômage. L’accord signé par les partenaires sociaux sera bien agréé. Pour le premier ministre, une «refonte en profondeur du système est de l’avis de tous indispensable». Pour mener cette refonte, un groupe de trois experts a été nommé pour formuler d’ici la fin de l’année des propositions pour une remise à plat d’un système qui fait l’objet d’abus. Parmi ce trio, Hortense Archambault, ancienne co-directrice du festival d’Avignon. Le signal envoyé aux festivaliers est fort. Suffisant ?
Une seule mesure rencontre l’unanimité: l’annonce d’un maintien du budget de la création pour les trois prochains exercices. «Afin de promouvoir l’emploi dans le secteur culturel», le budget alloué à la création et au spectacle vivant sera «maintenu intégralement en 2015, 2016 et 2017», a annoncé en effet Manuel Valls à l’issue de la remise à Matignon du rapport du médiateur. «C’est un effort très significatif dans cette période de diminution de la dépense publique et il atteste de l’importance que nous accordons à la création culturelle», a-t-il ajouté, précisant que ses mesure répondent à l’exigence de retrouver une «sérénité nécessaire à un dialogue».
La CGT-spectacle n’a visiblement pas envie de l’entamer, elle a d’ores et déjà annoncé «le probable dépôt d’un préavis de grève au 1er juillet». «On verra quelle forme il prendra car l’épée de Damoclès est toujours là, c’est une manoeuvre pour passer l’été» a déclaré Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle.
Principale main tendue: l’annonce que le gouvernement prendra intégralement à sa charge la mesure la plus contestée de l’accord et ses conséquences sur le différé d’indemnisation qui sera finalement intégralement pris en charge par l’État. «Les intermittents concernés ne verront pas de changement de leur situation par rapport à la situation actuelle», a ainsi précisé Manuel Valls, allant plus loin que ce que suggérait Jean-Patrick Gille.
«Si tu agrées, prépare tes gréements, ça va valser!»
Du côté des intermittents, on dénonce, pêle-mêle, la langue de bois du chef du gouvernement, sa volonté de jouer la montre. Ou pis, de simples effets de manche pour sauver la saison des festivals. À l’annonce du maintien de la mesure, le compte twitter Interluttants, qui représente la Coordination des intérimaires, intermittents et précaires du Nord-Pas-de-Calais, a interpellé le ministre avec colère: «Si tu agrées, prépare tes gréements, ça va valser!». Même son de cloche chez la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France (CIP-IDF) qui a menacé: «Valls est donc aux ordres du Medef. Nos Actions ne connaîtront pas de pause.» Le syndicat des musiques actuelles a lui tâclé: «Euh… Et c’est sans rien régler, ni écouter personne d’autre que l’Unedic et le Medef qu’on s’en sort?» Pour ce qui est du différé, ils ont encore évoqué une simple «mesure transitoire». L’acteur Samuel Churin, figure active de la Coordination des intermittents du spectacle, parle pour sa part d’un «scandale». Il va même plus loin: «Valls exhauce le rêve du Medef. Sortie de l’interprofessionnel avec caisse autonome. À vomir.»
Beaucoup de commentaires sur la twittosphère s’interrogent ce soir sur le financement ce différé d’indemnisation, soupçonnant qui pèserait sur les impôts de la population française.