Pudique il parlait peu de sa vie, aussi il sera simplement mentionné qu’il est né 13 septembre 1889 à Narbonne, qu’il aura été imprégné des odeurs de la Montagne noire et de la mer, qu’il aura connu Paris et ses artistes dès octobre 1910.
Là il débarque dans les brumes de la ville et des locomotives. Il aura froid, il aura faim.
« En ce temps-là le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d’or et j’écrivais dans un grenier où la neige, en tombant par les fentes du toit, devenait bleue. »
Il survivra en faisant des livres, des revues, encore des livres.
Le 17 juin 1960 il meurt à 71 ans, à Solesmes, dans « cet affreux petit village où il fait toujours froid ». Dans la solitude et l’exigence. Il voulait vivre et mourir dans la même tempête, ce fut une tempête de silence et de questions.
Source Esprits Nomades
« Tuer ou devenir meilleur », disait-il.
« Je veux affirmer que la vie est d’abord et toujours tout ».
Homme assis
Le tapis vert couché sous l’âtre c’est un piège.
L’homme au profil perdu s’écarte du mur blanc.
Est-ce le ciel qui pèse aux bras du fauteuil ou une
aile. L’espace devient noir. Les murs sortent des
lignes et coupent l’horizon. Après la course au
faîte des maisons. Après l’espoir de revenir au signe
on tombe dans un trou qui creuse le plafond.
Les mains sortent à l’air. Le visage s’affine et tout
rentre dans l’ordre, le cadre, le repos aux reflets
Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.
En 1956, Léo Ferré avait acquis une certaine renommée et gagné l’intérêt des surréalistes de l’époque, André Breton et Benjamin Péret en tête. Au point d’entretenir une certaine amitié avec Breton, et de vouloir lui confier la préface de son premier – et unique – recueil de poèmes : Poète… vos papiers ! Projet que Breton, qui prônait alors le vers libre, refusa, la teneur du texte n’étant pas à son goût. Cet épisode sonna le glas de leur courte amitié, et Ferré, qui n’était pas homme à se laisser rabrouer, adressa une dernière lettre assassine à son « ami d’occasion ».
Lettre à l’ami d’occasion
Cher ami,
Vous êtes arrivé un jour chez moi par un coup de téléphone, cette mécanique pour laquelle Napoléon eût donné Austerlitz. Je n’aime pas cette mécanique dont nous sommes tous plus ou moins tributaires parce qu’elle est un instrument de la dépersonnalisation et un miroir redoutable qui vous renvoie des images fausses et à la mesure même de la fausseté qu’on leur prête complaisamment. Et ce jour là, pourquoi le taire, j’étais prêt à toutes les compromissions : Vous étiez un personnage célèbre, une sorte d’aigle hautain de la littérature « contemporaine », un talent consacré sinon agressif. J’étais flatté mille fois que vous condescendiez à faire mon chiffre sur votre cadran à grimaces, pour solliciter une rencontre dont je ne songeais nullement à régler les détails… Trop ému, vous voyez je n’étais déjà plus flatté, j’aurais dû m’enquérir aussitôt – avant de faire les commandes d’épiceries – de votre personne, de vos problèmes, par exemple en mettant le nez dans vos livres. Je ne vous avais jamais lu, parole d’honnête homme, je ne l’ai guère fait depuis à quelques pages près. Les compliments qu’il m’a été donné de vous faire à propos de ces quelques pages étaient sincères, je le souligne. Votre style est parfait, un peu précieux certes, mais de cette préciosité anachronique qui appelle chat un chat et qui tient en émoi la langue française depuis qu’elle est adulte, guerres comprises. Bref j’ai lavé les chiens, acheté le whisky et mis mon cœur sur la table. Vous êtes entré.
Votre voix me frappa au visage comme une très ancienne chanson, une voix d’outre-terre dont je n’ai pas fini de dénombrer les sourdes résonances, un peu comme votre écriture lente, superbe, glacée. Avant de vous entendre on vous écoute, avant de vous comprendre on vous lit. Vous avez la science des signes, du clin d’œil, de la pause. Vous parti, il ne reste qu’une inflexion, qu’un froissement d’idée, qu’une sorte de vague tristesse enfin qui s’éteint avec les derniers frottis de vaisselle. Et l’on en redemande ! C’est assez dire le charme que vous distillez, un peu comme les jetons de casino, cette fausse monnaie, qui détruisent la vraie valeur pour ne laisser qu’une pauvre hâte à recommencer toujours et à perdre sans cesse. À vrai dire vous êtes un Phénix de café concert, une volupté d’après boire, un rogaton de poésie. Vous êtes un poète à la mode auvergnate : vous prenez tout et ne donnez rien, à part cet hermétisme puritain qui fait votre situation et votre dépit.
Vous avez amené chez moi toute une clique d’encensoirs qui en connaissaient long sur le pelotage. Ce n’étaient plus de l’encens, mais un précis frotti-frotta comme au bal, dans les tangos particulièrement, quand ça sent bougrement l’hommasse et qu’il y passerait plus qu’une paille. Vos amis sont nauséabonds, cher ami, et je me demande si votre lucidité l’emporte sur les lumières tamisées ou les revues à tirage limité. Tous ces minables qui vous récitent avec la glotte extasiée, ne comprenez-vous pas peut-être leurs problèmes et leurs désirs : ils vous exploitent et c’est vous en définitive qui passez à la caisse car l’ombre que vous portez sur leurs cahiers d’écoliers c’est tout de même la vôtre. Ils ont Votre style, Vos manières, Vos tics, Votre talent peut-être, qui sait ? Je suis venu quelquefois vous chercher à votre café « littéraire » et ne puis vous exprimer ici la honte que j’en ressentais pour vous. On eût dit d’un grand oiseau boiteux égaré parmi les loufiats, chacun payant son bock, et attendant la fin du monde. Quelle blague, cher ami, Vous qui m’aviez émerveillé, je ne sais comment, et qui vous malaxez chaque éphéméride à cette sueur du five o’clock.
Je ferai n’importe quoi pour un ami, vous m’entendez cher ami, n’importe quoi ! Je le défendrai contre vents et marées – pardonnez ce cliché, je n’ai pas votre phrase acérée et circonspecte – je le cacherai, à tort ou à raison, je descendrai dans la rue, j’irai vaillamment jusqu’au faux témoignage, avec la gueule superbe et le cœur battant. Vous, vous demandez à voir, à juger. Si l’on m’attaque dans un journal pour un fait qui m’est personnel, vous ne levez pas le petit doigt sur votre plume même si c’est ma femme qui vous le demande, sans vous le demander tout en vous le demandant. Vous êtes un peu dur d’oreilles et les figures de littérature dans une lettre d’alarme ça ne vous plait guère. Quant à enfoncer les portes que vous avez cru ouvrir il y a quelques décades, vous êtes toujours là : la plume aux aguets et le « café » aux écoutes…
Il y a ceux qui font de la littérature et ceux qui en parlent. Vous, de la littérature, vous en parlez plus que vous n’en faîtes. Vous avez réglé son compte à Baudelaire, à Rimbaud, pour ne parler que de ceux à qui vous accordez quelque crédit quand même. À longueur d’essais, de manifestes, d’articles, vous avez vomi votre hargne, expliqué en long et en large vos théories inconsolées, étalé vos diktats. Vous avez signifié à la gent littéraire de votre époque que vous étiez là et bien là, même à coups de poings, ce qui n’est pas pour me déplaire car vous êtes courageux, tout au moins quand vous avez décidé de l’être. Votre philosophie de l’Action ne va jamais sans un petit tract, sans un petit article ; vous avez la plume batailleuse, comme Victor Hugo et quand il part à Guernesey vous poussez une pointe aux Amériques, ce qui n’est pas non plus pour me déplaire, anarchisme aidant, l’Unique c’est Ma Propriété. L’histoire de la Hongrie s’est réglée pour vous, pour moi, pour d’autres, par un tract – encore – des signatures, une nausée générale et bien européenne et les larmes secrètes de Monsieur Aragon qui n’a pas osé se moucher. Alors, mon cher ami, permettez que je rigole de nos vindictes qui avortent en deuxième page de Combat, et allons à la campagne.
Nous, les poètes, nous devrions organiser de grandes farandoles, pitancher comme il se doit et dormir avec les demoiselles. Non, nous pensons, et jamais comme les autres. Quand il nous arrive de diverger dans nos élucubrations, on se tape dessus, à coup de plume, toujours. J’ai eu l’outrecuidance d’écrire en prose une préface, une introduction, une « note » si vous préférez – et cela pour vous laisser la concession du manifeste, concession que vous tenez d’une bande de malabars milneufcentvingtiesques qui avaient moins de panache que vous – je me suis donc « introduit » tout seul un petit livre de poésie où je pourfends le vers libre et l’écriture automatique sans penser que vous vous preniez pour le vers libre et pour l’écriture automatique et je ne savais pas que vous n’étiez que ça en définitive : un poète raté qui s’en remet aux forces complaisantes de l’inconscient. Vous avez rompu comme un palefrenier, en faisant fi de mon pinard, des ragoûts de Madeleine, et de ce petit quelque chose en plus de la pitance commune qui s’appelle l’Amour. Vous m’avez fait écrire une lettre indigente par un de vos « aides » dans ce style boursouflé dont vous êtes le tenancier et qui dans d’autres mains que les vôtres devient un pénible caca saupoudré de subjonctifs. Tel autre de vos « amis » et que par faiblesse et persuasion j’avais pris en affection jusqu’à le lire – car il signe aussi des vers libres – m’envoya dinguer toujours dans ce style qui se regarde vagir. Je passe l’intermède de votre revue « glacée » où en deux numéros j’allais du grand mec à la pâle petite chose. Un de vos vieux amis enfin m’a « introduit » dans une anthologie, moi le maigre chansonnier et chose curieuse nous sommes vous et moi et côte à côte les deux seuls vivants à essayer de bien nous tenir parmi et au bout de tant d’illustres cadavres. Vous ne trouvez pas qu’il y fait un peu froid ?
Je vous dois cependant certains souvenirs lyriques autant que commodes à inventorier : nos conversations à brûle-pourpoint, votre admirable voix lisant de la prose et je vous dois aussi de m’avoir sorti dans le moyen-âge dont vous savez tous les recoins et même les issues secrètes, à croire que vous en êtes encore.
Si j’en crois l’un de vos amis de la première heure et qui brinqueballe encore les insultes dont vous l’avez gratifié et ce « quand-même-on-ne-peut-pas-le-laisser-tomber » m’a affirmé que vous reviendriez à moi, les bras ouverts et la mine prodigue, car dit-il, un masochisme incurable vous pousse depuis des années à faire, défaire et refaire vos amitiés. Je n’en crois rien et vous laisse bien volontiers à vos vers libres.
Croyez que je regrette bien sincèrement de vous avoir eu à ma table.
Adonis prend fait et cause pour le poète dont la vie est menacée. Il fournit des explications sur la situation de la pensée dans certains pays arabes et voit dans leurs peuples la seule raison d’espérer à long terme.
Quelle est donc cette société, ce pays où l’on peut condamner à mort un poète ?
Adonis Il n’y a pas que les poètes qui soient condamnés. Il y a aussi les penseurs, les peintres, les hommes tout court. Dans le wahhabisme, l’homme n’est pas défini par son humanité mais par sa croyance. S’il est musulman, et qui plus est wahhabite, il est du côté du bien. Sinon… la mort guette le musulman qui tente de quitter cet islam-là. Le problème gît dans les structures culturelles et religieuses qui gèrent le pays. Modifier un régime arabe, remplacer un tyran par un autre, ne résoudra rien. Ce qu’on appelle révolution et opposition dans le monde arabe n’est que l’autre face du régime. Cette soi-disant opposition n’a aucun projet ni pour la laïcité, ni pour la libération de la femme, ni pour les droits de l’homme.
Pensez-vous que la protestation internationale soit assez forte ?
Adonis Les poètes doivent réagir. Cela pourrait aussi encourager les forces progressistes en Arabie saoudite. Je connais beaucoup de gens contre le régime saoudien qui écrivent sur leur blog mais tout est censuré.
Le fait qu’Ashraf Fayad soit palestinien a-t-il influencé la sévérité de la condamnation ?
Adonis Non, au contraire. Cela va peut-être aider à sa libération. Ce serait une façon pour l’Arabie saoudite de dire aux Palestiniens : « Nous ne sommes pas contre la Palestine. » La cause palestinienne, bien qu’elle soit délaissée par les Arabes, reste symboliquement présente, au moins dans le cœur et dans l’imaginaire. Cette cause n’est pas morte.
Pensez-vous qu’en s’en prenant à un poète qu’on accuse d’athéisme, on veuille faire un exemple terrifiant ?
Adonis Pour la France, pays des droits de l’homme, l’individu, qu’il soit ou non croyant, doit avant tout être libre. Or, pour nous, Arabes, la question religieuse est première. J’attends des intellectuels français qu’ils interviennent, qu’ils réfléchissent aussi à ce que nous sommes dans cette perspective. Les Français doivent sentir qu’ils ne sont pas tout à fait libres si un autre peuple ne l’est pas. Un régime qui peut tuer au nom d’une idéologie relève de la tyrannie mais un régime qui tue au nom de Dieu est plus tyrannique encore. Notre problème actuel, c’est la tyrannie théocratique.
Vous dites que l’islam est la négation de la poésie, laquelle participe toujours d’une subjectivité et d’une remise en doute de toute vérité préétablie ?
Adonis À l’époque préislamique, les poètes croyaient exprimer la vérité. Avec l’arrivée de l’islam, ils ont subi le sort que Platon leur réservait dans la cité grecque. L’exil. Par bonheur, les poètes n’ont pas écouté l’injonction du texte coranique. Ils ont continué à écrire. La plupart d’entre eux étaient contre la religion. D’ailleurs, dans toute l’histoire de la poésie arabe, on ne trouve pas un seul grand poète dont on ait pu dire qu’il était aussi un croyant, comme ce fut le cas, en France, avec un homme comme Claudel, poète et catholique.
Pensez-vous qu’une protestation internationale à l’échelle des chefs d’État pourrait avoir une quelconque influence sur ce jugement ? Et iront-ils jusque-là, compte tenu des rapports financiers et autres qui les lient ?
Adonis Je ne crois pas que les politiques américaine et européenne puissent reculer. Elles sont coincées. Elles disent une chose et en pratiquent une autre. Combien de pays sont dans la coalition contre Daech ? Quarante ? Plus ? Tout le monde ! Et personne n’en vient à bout ? C’est stupéfiant. Cela dit, si l’on ne peut qu’être pessimiste au sujet des pays arabes, il faut être du côté du peuple et garder confiance en lui.
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Derniers livres parus?: Violence et islam, le livre III (al-Kitâb) au Seuil
à paraître en janvier?: Soufisme et surréalisme, éditions de La Différence
« Ce qui m’intéresse essentiellement, ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »
A Montpellier Le cinéaste et président de la Cinémathèque française Costa-Gavras était l’invité de la Librairie Sauramps pour la parution de son coffret DVD « Intégrale vol.1 (1965-1983) » chez Arte éditions.
Vous êtes né à Athènes en février 1933. Très jeune vous optez pour l’exil, dans quelle perspective arrivez-vous en France ?
Je suis arrivé en France en 1955, pour étudier. Je voulais écrire. Je me suis inscrit en licence de Lettres. A l’époque, c’était le seul pays où l’on pouvait entreprendre des études sans avoir d’argent, ce qui était mon cas. Sinon on était plutôt tenté par la belle vie en Amérique, telle qu’elle apparaissait à nos yeux.
A Paris, je fréquentais la Cinémathèque où j’ai découvert des cinéastes comme Jacques Becker, Erich von Stroheim, Renoir … qui m’ont permis de saisir que l’on pouvait travailler de nouvelles formes d’écriture avec des images. Par la suite j’ai voulu entrer à l’Idhec. Le concours d’entrée était très difficile. Il y avait un projet d’expo sur le théâtre grec ancien, on s’est adressé moi. Bien que n’étant pas formé – personne n’enseigne le théâtre antique en Grèce, ni la démocratie – je me suis lancé.
Lorsque vous quittez la Grèce en 1955, période où le pays voit le retour de la monarchie, le faites-vous aussi pour des raisons politiques ?
Oui, je fuyais la monarchie soutenue par les colonisateurs américains. Mon père était un démocrate anti -royaliste. Il avait fait la guerre en Asie mineure et il avait vu mourir autour de lui tous ses amis pour rien. Ce conflit soutenu par les royalistes, qui rêvaient de reconstruire l’empire byzantin, l’avait marqué profondément.
Après, durant la guerre civile tous ceux qui n’étaient pas conservateurs étaient considérés comme des communistes et ils ne disposaient pas des mêmes droits, leurs enfants n’avaient pas accès aux études.
Vous trouvez donc les moyens d’apprendre le cinéma notamment au côté de René Clément. Dans quelles circonstances réalisez-vous , « Compartiment tueur » votre premier film, sorti en 1965 ?
A l’origine, j’avais dans l’idée de faire une adaptation, un peu comme un exercice, parce qu’on ne travaillait pas sur les adaptations à l’Idhec. Il s’est trouvé qu’une secrétaire avait lu le livre de Sébastien Japrisot. Elle en a parlé au directeur des studios. Nous en avons discuté avec lui et il a fini par me dire : faisons un film.
Yves Montand s’est déclaré partant et Simone Signoret m’a dit : je te fais la vieille actrice. Tout cela était inattendu, après c’est devenu un film d’amis où se sont greffés Trintignant, Piccoli, Charles Denner, Bernadette Lafont… Daniel Gelin est venu faire de la figuration, simplement parce qu’il voulait être de l’aventure.
Le film rencontre un vif succès en France comme aux Etats-Unis. La critique salue vos talents de réalisateur et lance votre carrière. Comment s’est enclenché « Un homme de trop « , votre second long métrage ?
Après ce premier succès un producteur américain m’a demandé de lui proposer un projet je lui ai dit que je voulais adapter La condition humaine. J’ai commencé la préparation avec les acteurs, Piccoli Kremer, Claude Brasseur… et puis le producteur n’a pas donné suite, prétextant que le sujet était trop complexe. Il y avait trop de Chinois dans cette histoire pour les Américains.
A ce moment j’ai appris que Chabrol voulait faire un film sur la Résistance. C’est ainsi qu’on a basculé avec l’équipe sur Un homme de trop. Qui n’a pas bien marché. Chabrol ne voulait pas prendre position, il voulait aborder la Résistance sous l’angle de l’action. Les spectateurs attendaient sans doute autre chose sur ce sujet.
Avec Z, sorti en 1969, vous revenez vers vos origines à un moment clé, un an et demi après le coup d’Etat des colonels, aviez-vous conscience de la portée politique que ce film portait en germe ?
J’ai eu le livre de Vassilis Vassilikos dans les mains avant le coup d’Etat. Le film relate l’assassinat du député Lambrakis à Athènes en 1963. Nous l’avons écrit avec Jorge Semprun. C’était un peu comme un cri lancé sur un mur pour dire « à bas les colonels » Nous avons tourné à Alger, les acteurs ont accepté d’y participer sans condition. Je me souviens de Trintignant me disant, je le fais sans être payé.
Le succès a été immédiat. Le film est resté quarante semaines à Paris. Les gens applaudissaient à la fin. Nous étions sous le coup de la stupéfaction. Z a été une étincelle, les gens se sont éveillés. Il se sont exprimés comme l’a fait Melina Mercouri, mais les moments que j’ai vécus le plus intensément, sont liés à l’effet mobilisateur qu’a eu le film sur la population grecque qui avait vécu le coup d’Etat un peu passivement au début.
Quel rapport entretenez-vous avec l’engagement en tant que cinéaste ?
Ce qui m’intéresse essentiellement ce sont les gens qui résistent au pouvoir, d’où ma volonté d’adapter La condition humaine. Pour moi le cinéma est avant tout un spectacle, pas un préau où on fait des discours politiques ou académiques. Mais je n’ai jamais considéré le spectacle comme un amusement. Le cinéma doit parler de la société.
Dans l’Aveu en 1970, vous dénoncez les excès du stalinisme notamment en Tchécoslovaque. Ce film reflète-t-il aussi une désillusion d’une partie des artistes français de gauche ?
Notre génération était très attirée par les propositions soviétiques que nous ne considérions pas comme des ennemis mais comme des alliés. Nous discutions beaucoup avec Montand, Resnais, Chris Marker, Semprun… des vicissitudes de l’histoire mondiale.
A cette époque, on sentait le besoin d’un changement profond. Les communistes italiens nous paraissaient avoir fait un pas important. On sentait que cela pouvait se développer en France. Mais au sein du PCF d’alors aucune critique n’était possible. Certains acteurs avaient refusé de faire le film.
En 1973, avec Etat de siège, vous prenez pour cible la politique des Etats-Unis sur l’Amérique Latine ?
Au Guatemala, j’ai découvert l’existence de spécialistes de la déstabilisation politique. J’ai suivi cette piste qui m’a conduit à faire un film sur l’Uruguay dont la réflexion porte sur la violence révolutionnaire.
Après Claire de femme, vous revenez sur la thématique avec Missing ?
Claire de Femme est une adaptation d’un livre de Romain Gary qui interroge sur notre capacité à profaner le malheur avec l’amour. Pour Missing c’est venu d’une proposition américaine. Comme j’avais rencontré Allende plusieurs fois ça m’intéressait à la condition de faire la post production en France. Le film a marché.
Quand un film ne marche pas, ça m’est arrivé, c’est qu’on a loupé quelque chose…
James Noël est né à Hinche (Haïti) en 1978. Poète prolifique, il écrit dans deux langues : « Le créole pour la main gauche, le français pour la main droite. » Son premier recueil de poèmes, Poèmes à double tranchant (Seul le baiser pour muselière), publié en 2005, est ainsi présenté par le poète Frankétienne : « Un recueil de poésie à double tranchant, esthétique et idéologique, à résonance individuelle et collective… Entrez dans l’univers fabuleux du poète, vous en sortirez ébloui, transfiguré ! »
En 2006, il publie Le Sang visible du vitrier, qui reçoit une mention spéciale d’excellence au Grand prix des Amériques Francophones à Montréal en 2007. Considéré comme la révélation de l’anthologie L’Année poétique 2008, James publie régulièrement, chez des éditeurs haïtiens, québécois, français, des livres marqués par le sceau d’une grande originalité : Le Pyromane adolescent (2013), Cheval de feu (2014), La Migration des murs (2012/2016). Ses publications lui valent de nombreuses distinctions, et il est pensionnaire de la Villa Médicis en 2012.
Mardi 13 décembre, 19h: Maison de la Poésie Jean-Joubert ; mercredi 14 décembre, 16h-18h : site universitaire Saint-Charles de l’Université Paul-Valéry ; mercredi 14 décembre, 20h-21h30 : boutique d’écriture & Co ,