Adonis prend fait et cause pour le poète dont la vie est menacée. Il fournit des explications sur la situation de la pensée dans certains pays arabes et voit dans leurs peuples la seule raison d’espérer à long terme.
Quelle est donc cette société, ce pays où l’on peut condamner à mort un poète ?
Adonis Il n’y a pas que les poètes qui soient condamnés. Il y a aussi les penseurs, les peintres, les hommes tout court. Dans le wahhabisme, l’homme n’est pas défini par son humanité mais par sa croyance. S’il est musulman, et qui plus est wahhabite, il est du côté du bien. Sinon… la mort guette le musulman qui tente de quitter cet islam-là. Le problème gît dans les structures culturelles et religieuses qui gèrent le pays. Modifier un régime arabe, remplacer un tyran par un autre, ne résoudra rien. Ce qu’on appelle révolution et opposition dans le monde arabe n’est que l’autre face du régime. Cette soi-disant opposition n’a aucun projet ni pour la laïcité, ni pour la libération de la femme, ni pour les droits de l’homme.
Pensez-vous que la protestation internationale soit assez forte ?
Adonis Les poètes doivent réagir. Cela pourrait aussi encourager les forces progressistes en Arabie saoudite. Je connais beaucoup de gens contre le régime saoudien qui écrivent sur leur blog mais tout est censuré.
Le fait qu’Ashraf Fayad soit palestinien a-t-il influencé la sévérité de la condamnation ?
Adonis Non, au contraire. Cela va peut-être aider à sa libération. Ce serait une façon pour l’Arabie saoudite de dire aux Palestiniens : « Nous ne sommes pas contre la Palestine. » La cause palestinienne, bien qu’elle soit délaissée par les Arabes, reste symboliquement présente, au moins dans le cœur et dans l’imaginaire. Cette cause n’est pas morte.
Pensez-vous qu’en s’en prenant à un poète qu’on accuse d’athéisme, on veuille faire un exemple terrifiant ?
Adonis Pour la France, pays des droits de l’homme, l’individu, qu’il soit ou non croyant, doit avant tout être libre. Or, pour nous, Arabes, la question religieuse est première. J’attends des intellectuels français qu’ils interviennent, qu’ils réfléchissent aussi à ce que nous sommes dans cette perspective. Les Français doivent sentir qu’ils ne sont pas tout à fait libres si un autre peuple ne l’est pas. Un régime qui peut tuer au nom d’une idéologie relève de la tyrannie mais un régime qui tue au nom de Dieu est plus tyrannique encore. Notre problème actuel, c’est la tyrannie théocratique.
Vous dites que l’islam est la négation de la poésie, laquelle participe toujours d’une subjectivité et d’une remise en doute de toute vérité préétablie ?
Adonis À l’époque préislamique, les poètes croyaient exprimer la vérité. Avec l’arrivée de l’islam, ils ont subi le sort que Platon leur réservait dans la cité grecque. L’exil. Par bonheur, les poètes n’ont pas écouté l’injonction du texte coranique. Ils ont continué à écrire. La plupart d’entre eux étaient contre la religion. D’ailleurs, dans toute l’histoire de la poésie arabe, on ne trouve pas un seul grand poète dont on ait pu dire qu’il était aussi un croyant, comme ce fut le cas, en France, avec un homme comme Claudel, poète et catholique.
Pensez-vous qu’une protestation internationale à l’échelle des chefs d’État pourrait avoir une quelconque influence sur ce jugement ? Et iront-ils jusque-là, compte tenu des rapports financiers et autres qui les lient ?
Adonis Je ne crois pas que les politiques américaine et européenne puissent reculer. Elles sont coincées. Elles disent une chose et en pratiquent une autre. Combien de pays sont dans la coalition contre Daech ? Quarante ? Plus ? Tout le monde ! Et personne n’en vient à bout ? C’est stupéfiant. Cela dit, si l’on ne peut qu’être pessimiste au sujet des pays arabes, il faut être du côté du peuple et garder confiance en lui.
Entretien réalisé par Muriel Steinmetz
Derniers livres parus?: Violence et islam, le livre III (al-Kitâb) au Seuil
à paraître en janvier?: Soufisme et surréalisme, éditions de La Différence
Depuis 2011, et plus que jamais, la question des relations euro-méditerranéennes représentent un défi et un enjeu important de part et d’autre du bassin méditerranéen. Mais comment ces relations, et la Politique européenne de voisinage (PEV) est-elle perçue par nos voisins du Sud ?
Nous tacherons par conséquent de présenter un point de vue de cette perception par les pays de la rive sud de la Méditerranée, notamment depuis les révoltes arabes.
Héritière du Partenariat Euromed, ou Processus de Barcelone, mis en place en 1995, elle a récemment été critiquée, à cause notamment de son manque de réactivité et de réponse adaptée : aussi bien durant les révoltes qui ont secoué un bon nombre de pays arabes, que pendant les différentes crises affectant certaines régions ou encore plus récemment, face à la crise des migrants.
Nous relevons cinq principaux points :
Manque de discours clair et cohérent
Décalage entre les intérêts et les valeurs annoncées par l’UE
Perception de « doubles standards » politiques vis à vis des pays méridionaux
Manque de visibilité
Nécessité d’adopter un discours plus adapté à la réalité et moins diplomatique
Manque de discours clair et cohérent
Nous assistons notamment depuis les révoltes arabes, à un discours peu clair et souvent peu cohérent de la part de l’Union européenne. Mais pourquoi des messages souvent flous quelquefois contradictoires, sont envoyés de l’autre côté de la Méditerranée ?
D’une part parce que les 28 ont du mal à parler d’une voix : les intérêts des Etats membres ne sont pas toujours en accord avec la ligne officielle de l’UE, voire sont souvent divergents, ou ont tendance à évoluer. L’UE doit par conséquent s’adapter, et se retrouve souvent réduite à trouver le plus petit dénominateur commun.
Décalage entre les intérêts et les valeurs annoncées par l’UE
D’abord de manière générale l’Occident, et l’Europe en particulier, a du mal à déclarer ses intérêts, bien qu’in fine sa politique est déterminée par ceux-ci. Ils s’agit d’intérêts économico-financiers, sécuritaires ou migratoires, qui se trouvent être difficilement compatibles, voire souvent incompatibles, avec la mise en place de valeurs prônées et avancées.
Perception de « doubles standards » politiques vis à vis des pays méridionaux
Le double-langage pratiqué par les gouvernements occidentaux vis à vis des pays de la région MENA (Middle East and North Africa), ne fait que discréditer l’Union européenne. Pourquoi certains régimes autoritaires sont-ils plus condamnables que d’autres ? Certains de ces régimes, nos « alliés », semblent être moins problématiques que d’autres pays avoisinants alors que tous les principes, valeurs et droits fondamentaux sont allègrement bafoués. La légitimité et le silence gagnés à coup de barils ne constituent-ils pas un désaveu des principes humanistes avancés par les occidentaux et européens ?
On se retrouve donc avec des « doubles standards » dictés notamment par des intérêts économiques, migratoires ou sécuritaires, qui ne sont pas toujours compatibles avec les valeurs avancées : ce qui aboutit à une situation embarrassante car peu logique et encore moins défendable.
Comment expliquer que l’on a « fermé les yeux » sur ceux que l’on appelle maintenant « dictateurs » ou autocrates et avec lesquels on a même activement coopéré (le cas du Quai d’Orsay qui proposait le « savoir-faire » français aux forces de police de Ben Ali fin 2010/début 2011 ; celui du gouvernement italien avec Kadhafi pour que celui-ci contrôle les flux migratoires en provenance d’Afrique sub-saharienne ; celui des pays occidentaux avec le régime de Moubarak concernant la « sous-traitance » de centres de torture en Egypte pour servir la lutte contre l’Axe du Mal ; ou encore le traitement VIP du seul autocrate non monarchique de la région toujours en place, Bachar El Assad, et un long etcetera qu’il serait fastidieux et inutile de rappeler ici).
Manque de visibilité
L’Union européenne a pendant très longtemps manqué de visibilité sur le terrain, et ceci pour différentes raisons. D’abord les Etats privilégient les relations bilatérales, avec des pays ayant un passé historique ou ayant des relations diplomatiques ou des repères communs. Ensuite, l’UE est perçue comme un bloc difficilement franchissable, une machine bureaucratique extrêmement complexe, où il est difficile de pénétrer et qui souvent décourage l’interlocuteur. Et concrètement, souvent les projets réalisés par des entreprises des Etats membres sont plus concrets (Metro, assainissement des eaux, etc.), donc plus visibles. Alors que les projets de l’UE, à portée beaucoup plus générale et dont l’investissement sont beaucoup plus substantiels, ont malheureusement un impact bien moindre auprès des populations.
Nécessité d’adopter un discours plus adapté à la réalité et moins diplomatique
Souvent, de part et d’autre, on a tendance à avoir une « check-list » qui correspond peu à la réalité (respect des Droits de L’Homme, droits des femmes, minorités, bonne gouvernance, etc.), et encore moins à ce que l’UE exige réellement à ses interlocuteurs.
Pour toutes les raisons exposées précédemment, il nous semble important que le discours de l’Union européenne vis à vis de ses partenaires méridionaux, soit substantiellement revu. Suite à l’enthousiasme suscité par la mise en place du processus de Barcelone, nous assistons depuis plusieurs décennies, et de manière accélérée depuis quatre ans, à une érosion des relations Nord-Sud.
Ce phénomène est notamment dû à un discours moral normatif et normalisé de la part des puissances occidentales qui ne correspond à aucune réalité sur le terrain, se limite à des paroles et déclarations officielles de bonnes intentions, mais ne se traduit aucunement par une prise de position réfléchie, ou des conséquences logiques. Pourquoi griller ses cartes à condamner, à donner des leçons, si elles ne seront suivies d’aucunes actions sur le terrain, à aucune prise de mesures concrètes ? Ne risque-t-on pas de se discréditer dans le meilleur des cas, voire de s’humilier ? Pourquoi ne pas essayer de dépasser les procès d’intentions vis à vis des pays voisins avec lesquels de toute façon nous serons amenés à traiter, et tenter d’établir des relations d’égal à égal, de bâtir un partenariat plus franc.
Quels paradigmes ?
Il faut rajouter en plus le fait que souvent les sociétés concernées ne se reconnaissent pas dans ces déclarations ou demandes. Autre erreur maladroite, est que souvent l’étendard de la Démocratie est brandi comme conditions sine qua non pour une réussite du processus. Mais quelques problèmes majeurs apparaissent.
D’abord les valeurs européennes telles qu’annoncées et prônées par l’UE, ne sont pas toujours partagées par les pays du voisinage, ou en tout cas, pas par les groupes politiques dominants. Ensuite, dû à plusieurs raisons (crise économique, identitaire ou politique), les modèles politiques et économiques occidentaux ne sont plus un paradigme pour les sociétés concernées.
L’aboutissement démocratique
La démocratie devrait être l’aboutissement du processus. Pour aboutir à la démocratie, plusieurs autres étapes devraient d’abord être franchies : justice sociale, libertés civiles, développement économique, stabilité et Etat de droit. Tant que la gangrène de la corruption sévira et que les appareils politiques et politico-religieux maintiendront des carcans sur la population, le processus démocratique aura du mal à prendre. Les exemples algériens au début des années 1990, ou égyptien suite à l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, montrent bien une fois de plus, que la démocratie ne se résume pas à déposer un bulletin de vote dans une urne. L’exemple irakien, ou plus récemment le libyen, sont la preuves quant à eux, que la démocratie ne s’importe pas, ne s’obtient pas qu’en se débarrassant du tyran. A ce propos, citons Saint Thomas d’Aquin : « C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition ; si ce n’est peut-être dans le cas où le régime tyrannique serait renversé d’une manière si désordonnée que le peuple qui lui est soumis éprouverait un plus grand dommage du trouble qui s’ensuivrait que du régime tyrannique. »[1]
La démocratie a des racines plus profondes, et n’est pas issue d’une réaction chimique ressemblant à la « génération spontanée » qui surviendrait suite à des élections. L’Union européenne pourrait donc jouer un rôle primordial dans l’établissement de ces conditions préalables à l’arrivée de la démocratie. Et d’ailleurs à l’appui, les slogans scandés par des dizaines de milliers de personnes descendus dans les rues pendant les « printemps arabes » : ils ne demandaient pas de la démocratie, mais plutôt ‘eich, horeyya, ‘edâla egtema’iya « Pain, Liberté, Justice sociale ». Efforçons-nous donc à semer d’abord ces graines, afin que le fruit démocratique tombe de l’arbre. Il s’agit certes d’un processus de longue haleine, qui demandera beaucoup de patience, mais qui nécessitera également un changement d’approche et une vision claire et réfléchie de nos actions. Etant donné sa situation géographique, l’histoire et les liens culturels en commun, l’Europe ne peut se retirer du Mare Nostrum. Elle doit donc se positionner comme acteur principal, profitant notamment d’un certain retrait de Washington mais ne négligeant pas l’entrée en jeu de Moscou ou de Beijing au niveau économique et miliatire, qui mèneront certainement à un changement de la donne et des équilibres géopolitiques de la région. L’Europe, ce partenaire privilégié du Monde arabe, a tout intérêt à savoir rebondir sur de nouvelles bases, et revoir sa Politique européenne de voisinage. Pourquoi ne pas tenter un nouveau départ, qui serait gagnant-gagnant pour les différents acteurs ?
[1] Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin à propos du tyrannicide, IIa IIae Qu 42.
Dans la nuit de dimanche à lundi 2 mai, une unité des forces spéciales américaines a abattu Oussama Ben Laden dans la ville pakistanaise d’Abbottabad.
La deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida
Le hasard fait, parfois, bien les choses. L’homme qui a incarné le djihadisme international meurt au moment où le « printemps arabe » vient de porter un coup à ce fantasme totalitaire. Dès lors que les peuples arabes se révoltent au nom de la démocratie et non de l’islamisme ou du retour au califat prônés par Al-Qaida, Oussama Ben Laden était un moribond politique.
C’est presque la deuxième mort du fondateur d’Al-Qaida qu’a annoncée dimanche soir 1er mai le président Barack Obama, en indiquant qu’un commando américain avait tué Ben Laden au Pakistan.
Le premier avis de décès, politique celui-ci, du dissident saoudien, on pouvait le lire dans les slogans des manifestants de Tunis et du Caire. Y transparaissaient non pas la haine de l’Occident, « des croisés et des juifs », la haine de l’Amérique, cris de ralliement habituels de Ben Laden, mais un désir de liberté et de démocratie, deux « valeurs » abhorrées par le chef djihadiste. Dans le monde arabe, au moins, Ben Laden avait perdu la bataille : la révolte en cours ne célèbre pas l’islamisme, cette illusion mortelle que portait le chef d’Al-Qaida selon laquelle le retour au califat et à l’islam des origines est la réponse à tous les problèmes des pays musulmans – voire à ceux du monde entier.
Ben Laden meurt au moment où la capacité de mobilisation et d’entraînement de l’islamisme est sur le déclin. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’attentats. Ni même qu’Al-Qaida et ses filiales maghrébine et sahélienne ne séviront plus. Il y aura toujours des groupes se réclamant de la marque pour tuer et enlever, ici et là. Le Maroc vient d’en faire l’expérience. Ce culte de la violence la plus aveugle n’est pas le seul héritage laissé par Ben Laden. L’homme qui disparaît a profondément marqué – pour le pire – ce début de XXIe siècle. Oussama Ben Laden, ce fils d’une riche famille saoudienne qui fit ses premières armes dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, a façonné le paysage stratégique qui est le nôtre.
Parce qu’ils ont cru devoir répondre par la guerre aux attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont toujours empêtrés dans deux conflits : en Irak et, surtout, en Afghanistan. Ces aventures les ont épuisés militairement, budgétairement ; elles ont durablement terni leur image dans le monde arabo-musulman. M.Obama va pouvoir tirer profit aux Etats-Unis de l’élimination de Ben Laden; il n’en reste pas moins enlisé dans l’imbroglio afghan.
L’héritage encore : Al-Qaida a prouvé qu’un petit groupe pouvait perpétrer un crime de masse. Si Ben Laden, doté d’une arme chimique ou biologique, avait pu tuer non pas 3 000 mais 3 millions de personnes à New York, il l’aurait fait. Cette perspective a posé la lutte contre le terrorisme en priorité absolue. Et, au nom de celle-ci, en Amérique, en Europe et ailleurs, l’obsession sécuritaire a conduit à limiter les libertés publiques. On n’en a pas tout à fait fini avec Ben Laden.
Le Monde (02/05/11)
Une intéressante réflexion du journal La Croix
« sans baisser la garde face au danger terroriste, les pays qu’il menace doivent se porter aux côtés des jeunes forces, dans les pays du monde arabo-musulman, qui cherchent des voies nouvelles pour développer leur pays et y instaurer la démocratie. (…) Soutenir ces mouvements avec la même détermination, conclut La Croix, la même persévérance qui furent mises en œuvre pour traquer le chef d’Al-Qaïda, c’est – plus efficacement encore – combattre le terrorisme. »
Chine : une étape importante dans la lutte antiterroriste internationale
La Chine a déclaré lundi soir que la mort d’Oussama Ben Laden constituait une étape importante et un développement positif dans la lutte internationale contre le terrorisme. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Jiang Yu, s’est ainsi exprimé, commentant la mort du leader du mouvement terroriste Al-Qaïda.
Le président américain, Barack Obama, a annoncé dimanche soir que Ben Laden avait été tué lors d’une opération américaine au Pakistan. « La Chine a pris note de cet annonce », a affirmé Mme Jiang. « Le terrorisme est l’ennemi commun de la communauté internationale. La Chine est également une victime du terrorisme », a-t-elle indiqué.
Elle a souligné que la Chine s’était toujours opposée à toutes les formes de terrorisme et participait activement aux efforts anti-terroristes internationaux. « La Chine soutient que la communauté internationale devra établir une coopération afin de lutter ensemble contre le terrorisme », a réitéré Mme Jiang. « La Chine considère qu’il est nécessaire de trouver une solution temporaire et un règlement permanent dans la lutte contre le terrorisme et de faire de grands efforts pour éliminer le sol sur lequel repose le terrorisme pour se développer, » a ajouté la porte-parole chinoise.
Xinhua (3/05/11)
ONU : La mort de ben Laden est un tournant dans la lutte contre le terrorisme
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a estimé lundi que la mort du chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, annoncée par le président américain Barack Obama, constituait un tournant dans la lutte contre le terrorisme à travers le monde et a appelé à se souvenir des victimes.
« La mort d’Oussama ben Laden annoncée par le président Obama la nuit dernière constitue un tournant dans notre lutte commune et globale contre le terrorisme », a dit Ban Ki-moon dans une déclaration à la presse. « Les crimes d’Al-Qaïda ont touché la plupart des continents, causant des tragédies et la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Les Nations Unies condamnent dans les termes les plus forts possibles le terrorisme dans toutes ses formes quels que soient ses objectifs et les lieux où il frappe », a-t-il ajouté.
« C’est un jour pour se souvenir des victimes et des familles des victimes ici aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde », a encore dit le secrétaire général. Il a indiqué qu’il se souvenait personnellement très bien du 11 septembre 2001, alors qu’il se trouvait à New York ce jour-là.« Les Nations Unies continueront à combattre le terrorisme et prendront la tête de cette campagne contre le terrorisme », a insisté Ban Ki-moon.
L’opposition indienne accuse le Pakistan de fournir refuge aux terroristes
Le principal parti de l’opposition indienne, le Bharatiy Janata Party (BJP) a annoncé lundi que la mort d’Oussama Ben Laden au Pakistan avait montré que « le Pakistan fournit de refuge aux terroristes ».
« Il a été tué au Pakistan, tout près de sa capitale Islamabad, cela confirme le fait que le Pakistan reste l’épicentre du terrorisme », a indiqué le porte-parole du BJP Ravi Shankar Prasad. « Les terroristes sont encouragés par le Pakistan qui les fournissent de refuge, et la mort de ben Laden au Pakistan est le plus grand exemple », a-t-il ajouté.
Dans la presse européenne
El País – Espagne Un revers important pour Al-Qaida
Si la mort d’Oussama Ben Laden affaiblit le réseau terroriste Al-Qaida, elle ne le détruira pas, estime le quotidien de centre-gauche El País : « La perte de Ben Laden est un revers cinglant pour Al-Qaida. Il sera difficile de remplacer la force symbolique de son leader. Mais Al-Qaida poursuivra son existence et disposera d’un nouvel émir, probablement de l’Egyptien Aiman Al-Zawahiri. Celui se présente depuis des années comme le stratège du terrorisme mondial, même s’il n’est peut-être pas soutenu par tous les acteurs de ce réseau multiforme. Ces dernières semaines ont été arrêtées en Allemagne trois personnes qui étaient en relation avec la cellule dirigeante d’Al-Qaida et qui se préparaient à commettre des attentats-suicides dans le pays. On continuera à recevoir des nouvelles de ce type dans les années à venir. » (03.05.2011)
România Liber? – Roumanie La jeunesse musulmane a besoin de perspective
La mort du chef d’Al-Qaida Oussama Ben Laden ne signifie pas la fin du terrorisme, ce dont l’Occident est lui-même coupable, estime le quotidien România Liber? : « Ce combat n’existerait pas si la jeunesse appauvrie du monde islamique disposait d’une véritable alternative aux sociétés archaïques et à la violence qui les entoure. … Mais les données statistiques compilées par les organisations internationales ces dernières années montrent combien la situation de l’éducation est décourageante dans les pays musulmans. … La lutte contre les mouvements comme celui d’Oussama Ben Laden devrait être menée avec des livres plutôt qu’avec des bombes, et c’est l’élite politique, culturelle et aussi économique des Etats musulmans qui devrait la mener, plutôt que les généraux des armées occidentales. L’Occident pourrait jouer un rôle important qu’il n’a jusque là pas assumé avec suffisamment de détermination. C’est une obligation ! Si ce n’est par empathie, du moins pour préserver ses citoyens de nouveaux actes terroristes. » (03.05.2011)
De Morgen – Belgique La fin du choc des civilisations
Avec la disparition d’Oussama Ben Laden, l’indicible « choc des civilisations » peut aussi prendre fin, espère le quotidien De Morgen : « On peut voir dans la mort de Ben Laden la fin presque symbolique du terrorisme fondamentaliste, mais aussi celle de l’exploitation qui en a été faite pour amplifier et problématiser la contradiction entre monde occidental et monde musulman. … Il n’y a dans l’histoire ni table rase ni rupture soudaine d’un jour à l’autre. … Mais la mort de Ben Laden, associée aux évolutions dans les pays arabes, contribuera à ce que l’on ne puisse plus parler de la politique mondiale en des termes manichéens, ‘noir et blanc’, ‘vous et nous’. Elle ne contribuera pas à ce que l’on abandonne la politique hégémonique, ni à ce que tout devienne rose. Mais la mort d’Oussama Ben Laden et le printemps arabe pourraient augurer une ère où les deux ‘cultures’ ne seront plus hermétiques l’une à l’autre. » (03.05.2011)
Le Monde – France Les révolutions arabes ont tué le djihad
Oussama Ben Laden est mort politiquement depuis déjà longtemps, écrit le quotidien de centre-gauche Le Monde : « La mort physique d’Oussama Ben Laden fait suite à la mort politique du chef d’Al-Qaida, liquidé par les révolutions démocratiques arabes dont les slogans étaient aux antipodes de son idéologie islamiste radicale. Eût-il été éliminé par George W. Bush durant la guerre contre la terreur, Ben Laden aurait pu servir de martyr à la cause jihadiste, voire d’icône aux mouvements anti-occidentaux divers du monde musulman. Sa mort vient clore une sombre décennie dans les relations entre le monde arabe et musulman et l’Occident, ouverte par les attentats du 11-Septembre et refermée par la révolution du jasmin tunisienne, par la place Tahrir au Caire et par les aspirations des peuples arabes à la démocratie et aux droits de l’homme. » (03.05.2011)
Gilles Kepel
The Times – Royaume-Uni Le Pakistan mis en cause
Le fait qu’Oussama Ben Laden ait pu se cacher aussi près de la capitale pakistanaise préoccupe le quotidien libéral-conservateur The Times : « Un problème certain de Washington est désormais de savoir comment traiter le Pakistan. Il est difficile de croire que personne ne savait ce qui se trouvait dans ce camp largement fortifié – à quelques centaines de mètres d’une école militaire d’élite. Dans le meilleur des cas, Islamabad est coupable de négligence, dans le pire des cas, de complicité. Les Etats-Unis ont désormais besoin du Pakistan à leurs côtés, notamment pour les prochaines décisions sur l’Afghanistan, et traiteront Islamabad avec un certain tact diplomatique. Il serait toutefois imprudent de se fier à ce gouvernement dysfonctionnel. » (03.05.2011)
Rencontre avec l’écrivainAmin Maalouf qui signe un ouvrage à large spectre sur notre époque tumultueuse.
Les urgences auxquelles nous devons faire face en ce début de XXIe siècle sont à l’origine du dernier essai de l’écrivain libanais Amin Maalouf Le dérèglement du monde qui s’appuie sur une double connaissance, de l’Occident et du monde arabe, pour appeler à une action lucide et partagée.
« A vous lire, on mesure à quel point la crise identitaire est générale et à quel point elle se trouve au centre des dysfonctionnements du monde
Les gens ont un peu peur de la notion d’identité culturelle. Ils manient cela avec beaucoup de réticences. Je pense au contraire que ne pas parler de la question de l’identité, c’est laisser se développer toute sorte de démons alors que quand on en parle, on peut arriver à définir les choses clairement. Le débat est utile. On doit parler de l’identité française, on doit parler de l’identité européenne et les choses ne sont pas simples. Elles ne sont pas comme elles apparaissent lorsque l’on se contente d’allusions.
Comment créer un sentiment d’appartenance commune notamment au sein de l’UE ?
De mon point de vue, l’identité européenne doit se construire. Il y a des choses qui existent. Toute personne qui adhère à l’Europe doit adhérer à un certain nombre de valeurs. Elle doit considérer comme sien tout un bagage culturel et en même temps elle doit savoir que cela n’est pas figé, qu’il y a des choses qui doivent être apportées. Et que ces apports peuvent venir de la planète entière. Parce que l’histoire ne s’est pas achevée. La culture n’est pas un paquet que l’on se passe de l’un à l’autre. C’est quelque chose de vivant.
Vous insistez sur la primauté de la culture. Sur quelles valeurs doit-elle se fonder ?
L’aspect culturel de la construction européenne doit être un élément essentiel. C’est comme cela que les gens vont adhérer. Parce que l’aspect culturel sous-tend la notion d’appartenance. Universalité des valeurs et diversités des expressions sont les deux faces d’une même monnaie, elles sont inséparables. Si l’on transige sur l’université des valeurs. Si on accepte qu’il y ait des droits de l’homme pour les Européens et d’autres droits pour les Africains, les musulmans ou d’autre, on perd sa route. Et si on considère que la diversité culturelle est une chose secondaire, que l’on peut accepter la marginalisation et la disparition de cultures millénaires, là aussi on fait fausse route. Il faut parler de ces questions et tracer une ligne claire.
A notre stade d’évolution il faut changer dites-vous ?
L’occident à besoin de modifier son comportement. Sans abandonner ses principes. Il doit se comporter dans le reste du monde en fonction de ces valeurs. Sans adopter deux poids et deux mesures en attaquant un dictateur et en se taisant avec un autre parce qu’il a des contrats. Les pays arabes doivent aussi faire leur propre examen de conscience pour sortir de leur puits historique.
Vous dites cela face à des urgences très concrètes ?
Absolument, nous avons besoin aujourd’hui de faire face ensemble à une crise majeure liée au réchauffement climatique, aux pandémies aux armes de destructions massives, à la coexistence des peuples et des cultures… Ce qui n’est possible que s’il existe une véritable confiance, une véritable solidarité parce que nous avons besoin d’agir ensemble pour gérer le monde autrement.
Avec quelle implication citoyenne ?
Il faut changer la manière que nous avons de satisfaire nos envies. Je pense qu’il faut passer d’un monde où nos besoins sont essentiellement satisfaits par une consommation matérielle à un monde où une partie très significative de ces satisfactions viennent de satisfactions immatérielles liées à l’épanouissement de la personne. C’est une question de survie : nous devons vraiment recentrer notre vision du monde ».
recueilli par Jean-Marie Dinh
Le dérèglement du monde, édition Grasset 18 euros.
Spécialiste du Moyen- Orient, Christian Chesnot est journaliste pour Radio France Internationale (RFI) et Radio France, ainsi que pour la Tribune de Genève. Il était basé à Amman en Jordanie avant sa libération. Il a travaillé à de nombreuses reprises avec Georges Malbrunot avec qui il a été retenu en détention durant quatre mois en Irak.
Votre venue à Montpellier s’inscrit-elle en soutien, à Florence et Hussein ?
Oui, à ma libération, j’avais été invité par des amis journalistes qui sont membres du Club de la Presse. Nous avions convenu d’une date pour rencontrer les Montpelliérains et les remercier de leur soutien. Et puis entre temps Florence s’est fait enlever donc cette rencontre est bien sûr pour la soutenir.
Comment avez vous vécu votre détention et quelles en ont été les étapes ? Espoir et faux espoir…
Il est vrai que lorsque vous passez 4 mois en détention, vous vivez, des phases d’optimisme et des phases de détresse. Au début vous êtes content parce que vous êtes en vie, parce que le kidnapping s’est fait sans violence et puis vous réalisez que la situation est périlleuse. Lorsque vous êtes otage, vous espérez toujours être libéré. Et quand on vous annonce une libération pour le lendemain et qu’il ne se passe rien votre moral en prend un coup. Il y a des moments de doute et des fois, des vrais drames. Par exemple le 8 novembre quand un responsable nous a expliqué que nos vies étaient menacées. Il y a aussi des périodes où il ne se passe rien. Des périodes de 15 jours 3 semaines où vous n’avez aucune nouvelle, où personne ne vient vous voir hormis les geôliers qui vous apportent à manger. Dans ces moments-là on garde espoir. On se dit que tant qu’on ne nous menace pas, ça va. On n’a jamais été frappés, mais on avait quand même à faire à des hommes en armes et puis on connaît le sort d’autres otages.
A quoi pense-t-on ? Vers où se sont portées vos réflexions pendant la détention ?
Je pensais à mes proches, à ma famille, à mes amis, à ce que je n’ai pas fait dans ma vie. Vous avez une spiritualité qui est un petit peu exacerbée. On replonge aussi dans son enfance… Et puis vous vous dites que si vous vous en sortez vous vivrez encore plus intensément.
Ressort-on renforcé d’une telle expérience ?
Oui je pense qu’on est vraiment des miraculés. On s’en sort bien, on n’a pas été maltraités. Nous disposons pleinement de notre intégrité physique et morale. Mais il faudra un peu de temps pour digérer tout ça, parce que c’est quand même du stress à haute dose. Le fait de pouvoir en parler avec des rencontres comme celle-ci permet d’évacuer progressivement la pression accumulée. Et puis on met la dernière main à un livre qui retrace dans le détail, nos quatre mois de détention. Sa sortie est prévue au mois de mai. Maintenant, l’objectif est de retrouver une vie normale de journaliste à Paris. Je vais reprendre le travail à partir du premier avril.
Y a-t-il des choses qui vont changer dans la pratique de votre métier ?
Fondamentalement non, mais en même temps, mon rapport au risque a changé. C’est-à-dire que quand vous avez survécu à ce genre d’expérience, vous êtes plus prudent. On me demande souvent est-ce que tu vas revenir à Bagdad ? Bagdad certainement pas, je ne suis pas un kamikaze, et je n’ai pas une âme suicidaire.
Faut-il être suicidaire pour travailler aujourd’hui à Bagdad ?
Cela fait débat. Maintenant il faut savoir que les risques sont quand même très élevés. Je suis à la fois bien placé et mal placé pour me prononcer la dessus. Je connais bien l’Irak, pour avoir labouré le pays avec Georges durant deux ans, et en même temps, sortant de cette expérience, je n’ai pas forcément envie de retourner au feu. Instinctivement je préférerais la prudence, mais c’est quand même notre boulot de journaliste de témoigner et de se rendre là où les citoyens ne peuvent pas aller.
Dans quelles conditions ?
Dans la profession il y en a qui disent, qu’il vaut mieux y être. Même si l’on reste à l’hôtel sans en sortir. Je considère personnellement qu’il vaut mieux ne pas y aller dans ces conditions. Si c’est pour rester dans une chambre et voir des Irakiens qui passent de temps en temps, ce n’est pas très satisfaisant. Moi j’aime le travail sur le terrain, aller au contact des gens… Je n’ai pas envie de me déplacer avec une escorte armée et porter un gilet par-balles dès que je sors. Le débat est ouvert. Il n’est pas évident.
Cela relève-t-il malgré tout du choix des journalistes où est ce qu’il revient au gouvernement de prendre les mesures qu’il juge utile pour assurer leur sécurité ?
Le gouvernement ne peut pas interdire aux journalistes de se rendre sur le terrain. Pour revenir sur l’intervention qu’a faite Jacques Chirac en mettant en garde les journalistes qui souhaitent partir en Irak, je pense que chacun doit tenir son rôle. Ce qui implique que les journalistes doivent aussi faire des choix responsables. L’ambassade de France, ce n’est pas la sécurité sociale des journalistes.
Comment assurer le droit à l’information ?
On peut par exemple, être basé à Amman où il est possible de collecter énormément d’information sur l’Irak et puis quand la situation le permet ou pour un besoin précis passer une semaine en Irak. Il faut décrocher parce que plus on reste longtemps en Irak, plus on est vulnérable. D’abord, parce que vous êtes repérable mais aussi parce qu’avec le temps, vous gagnez en confiance et vous baissez votre garde.
Repartirez-vous en reportage au Moyen Orient ?
Bien évidemment oui. Je suis toujours autant passionné par cette région. Il y a encore beaucoup de choses à dire et à expliquer.
Comment analysez-vous la prise de position de la France pour le retrait des forces syriennes au Liban ?
La France est encore très présente au Moyen-Orient. C’est sans doute un des derniers gros dossiers internationaux où elle à son mot à dire et où elle est entendue. C’est vrai que même si la position française soutient l’indépendance des Libanais, on a l’impression que les choses se sont précipitées. Ce qui met la Syrie au pied du mur alors que la France est une alliée de la Syrie et du Liban. La France reste un des derniers pays occidentaux à avoir maintenu le dialogue avec Damas.
Fallait-il pousser la Syrie dans ses derniers retranchements ?
Je sais qu’il y a beaucoup de Libanais qui remercient la France d’avoir encouragé l’opposition à manifester et à réclamer l’indépendance. Mais il y a aussi beaucoup de Libanais et d’Arabes qui pensent que la France se mêle de ce qui ne la regarde pas.
Comment cet interventionnisme, qui fait le jeu de la stratégie américaine au Moyen-Orient, est-il ressenti dans le monde Arabe ?
Grâce à sa position sur l’Irak, la France à gagner beaucoup de crédit au Moyen-Orient. Mais dans cette affaire libano-syrienne, le fait qu’elle emboîte le pas aux Américains est plutôt mal perçu. Il ne faut pas oublier que la France était la puissance mandataire au Liban et en Syrie. Certains interlocuteurs m’ont fait comprendre qu’elle risquait de réveiller de vieux démons. Le monde arabe vit en ce moment une période très critique et l’équilibre reste fragile.