Hala Mohammad, poète et réalisatrice syrienne exilée à Paris depuis juin 2011, est également engagée dans les échanges culturels entre la Syrie et l’Europe. Elle était invitée au Festival Voix Vives à Sète.
Comment viviez-vous en tant que poète en Syrie ?
A Damas, je n’ai jamais été invitée à une soirée ou à une lecture de poésie parce que je faisais partie de ceux qui sont avec la justice contre le régime de dictature avant qu’il y ait des tueries et des massacres. Nous les Syriens, n’avons pas démarré notre révolution en 2011. Nous avons entamé une lutte douce et pacifique contre l’injustice depuis bien plus longtemps. Nous avons établi notre paradis, ce que j’appelle l’art de vivre. Mais cela reposait sur un équilibre fragile parce que nous savions que si nous demandions plus, nous les intellectuels et les artistes, il y aurait des tragédies.
La situation a changé depuis 2011, vue d’ici, le mouvement du peuple syrien semble tombé dans l’oubli…
En 2011, c’est le peuple qui réclamait un changement, pas les élites dont je faisais partie. A ce moment, nous sommes tous entrés dans cette marée d’espoir. En appelant de nos vœux un avenir meilleur pour la Syrie. Nous espérions que notre civilisation puisse accéder à la paix. Les dictatures comme les régimes totalitaires empêchent les civilisations d’exister. Nous avons lutté avec tout notre bonheur, toute notre force pour vivre heureux dans un pays que nous aimons beaucoup comme chaque peuple du monde aime son pays. Quand je suis arrivée en France, tout le monde parlait de Daesh. Tout le monde parlait des extrémistes arrivés en Syrie à la fin 2012, mais personne ne parlait des actes du régime face au peuple pacifique sorti réclamer la liberté dans la rue en chantant, en dansant en espérant rejoindre l’autre bout du monde ou la démocratie en Europe. Nous faisons partie de cette humanité. Nous ne sommes pas coupés du monde. On ne parlait que des extrémistes islamistes et cela m’a frappé énormément.
Pour quelle raison ?
Pour être juste, il faut voir toute la vérité. Si on ne peux pas voir toute la réalité, on ne pourra jamais être juste. On ne pourra jamais établir la paix. La liberté, c’est l’oxygène de la paix. Si on ne peux pas être libre dans sa pensée, libre pour voir et dire, libre pour entreprendre une recherche afin de trouver la liberté, pour avoir son approche personnelle, on ne pourra jamais établir la paix. On a besoin de beaucoup de courage pour cela. Nous les Syriens avons fait preuve de beaucoup de courage. Nous sommes un peuple pacifique issu d’une civilisation piétinée par la guerre, par la négation de nos droit, piétiné par la violence, par l’absence, par l’oubli.
Avez-vous été victime de la censure du régime ?
A un moment, j’ai fait un film sur la littérature et la prison et j’ai été convoquée par le service de sécurité en Syrie. Durant un quart d’heure, on m’a fait marcher dans des labyrinthes souterrains pour arriver à un interrogatoire dans le bureau du général. J’étais escorté par un homme qui était comme un mur à côté de moi. Bien sûr je tremblais de peur. Nous étions silencieux. Nous passions devant des cellules où des familles criaient et suppliaient qu’on leur permette de voir leurs proches. Je voyais tout cela, puis nous sommes arrivés devant la porte du général. Elle s’est ouverte sur une salle immense. Le général était assis au fond, derrière un bureau gigantesque, comme un bâtiment. Il m’a regardé. Il y avait un tapis énorme dans cette salle et moi j’étais tellement terrorisée que j’ai trébuché sur le bout du tapis qui arrivait jusqu’à la porte. J’ai regardé le tapis et je lui ai demandé pardon. J’ai demandé pardon au bout de tapis pour l’avoir piétiné. A ce moment précis, je suis de nouveau devenu poète. Je me suis dit que si je me laissais fondre par cette peur, je deviendrai esclave toute ma vie.
Que s’est-il passé ?
J’ai récupéré mon âme de poète, j’ai regardé le général et je lui ai dit. Je ne dirais pas un mot sans mon avocat tout en sachant que je n’avais nul droit d’avoir un avocat. Je pense que cet exemple est minime par rapport à tout ce que le peuple syrien a réclamé. Il a réclamé d’être son propre avocat de participer et de contribuer à l’écriture de l’histoire de la Syrie. Il a été tué à balles réelles. Le peuple syrien est pris en otage entre deux extrémistes. Il n’y a pas pour les Syriens de différence entre celui qui tue les civils et celui qui tue les civiles.
Qu’avez-vous ressenti lorsque votre âme de poète vous a fait relever la tête ?
J’étais démolie, brisée comme une feuille sèche dans la nature. Et j’ai réalisé que je pouvais reverdir. On se découvre souvent dans les moments les plus atroces, rien n’est plus fort que la vie. Le courage appelle le courage. J’ai ressenti beaucoup de joie. Comme un amour fou qui me protégeait, l’amour profond de la mémoire de l’humanité. Tout à coup, j’ai senti que j’appartenais au monde. Cela se situe au-delà de la citoyenneté. C’est un grain de beauté qui laisse des traces. La vie n’est rien d’autre que quelques traces. Je voulais dire au bourreau : tu peux être bon. Tu n’es pas obligé d’être un monstre. J’ai saisi le moment qui s’offrait pour lui faire sentir que nous étions égaux. Il a dit : traitez la bien. Ce qui pouvait tout vouloir dire mais moi j’étais certaine que j’allais sortir pour raconter ça. Si je n’avais pas senti qu’il allait me relâcher, je n’aurais pas trouvé ce courage. C’était en 2005, le peuple syrien l’a fait en 2011. Nous ne défendons pas la Syrie mais la dignité de l’être humain qui n’est ni un principe, ni une géographie ou une histoire. Il faut être profondément soi-même pour s’inscrire dans cette volonté. Nous ne sommes pas syriens pour être nationaliste.
A vous écouter, on mesure le degré de maturité et de courage de votre peuple. Quelle altérité est-il possible de concevoir avec les peuples européens dont la liberté demeure contrainte par les modes de vie et de consommation ?
J’ai beaucoup appris depuis que je suis en France. Ici, et partout en Europe, les gens sont très sensibles à la poésie . Ils sont fidèles à l’écoute. On vous place là où votre poésie se place. J’avais besoin de cela. Je me suis fondue dans la société, libérée du ciment de protection. Je parle comme je veux. Je ris et pleure comme je veux. C’est grâce à la liberté. Mais ce n’est pas parce que l’on vit dans un monde libre que l’on est libre. En Occident, on fait vivre les gens sous la peur économique. L’art existe, pour explorer ces zones occultées. L’être humain a la capacité d’être un artiste comme il a la capacité d’être libre.
L’engagement se distingue-t-il à vos yeux entre les hommes et les femmes ?
Les hommes et les femmes se complètent dans l’amour et le combat pour la vie. J’aime le fait d’être une femme. Je n’ai jamais eu la sensation d’être inférieure. Je suis mère, femme, épouse, aimée pour celle que je suis. Nous avons perdu tous nos biens et des êtres très chers comme tous les Syriens, mais j’ai beaucoup de chance. L’homme oriental sait aimer les femmes. Elle joue un rôle décisif sans que l’homme soit dépossédé. Chacun donne à l’autre.
Comment réagissez-vous face aux attentats commis en France ?
J’ai ressenti une grande tristesse. Nous avons vécu cela et je ne voulais pas que les gens le vivent ici. Comment en finir avec ces formes de pouvoir qui touchent la profondeur criminelle ? La Syrie était mûre pour la démocratie. On a écrit Baudelaire dans les rues , et le pouvoir a tordu la vérité avec sa violence et ses mensonges. Le système despotique mondial a coopéré. Ce n’est pas les Syriens qui ont implanté Daesh dans leur pays. Cela on ne peut pas le dire tout seul, on doit le dire ensemble pour défendre la liberté.
Entretien réalisé par Jean-Marie Dinh
l A l’occasion du Festival Voix Vives en Méditerranée les Editions Al Manar viennent d’éditer le dernier recueil de Hala Mohammad «Ce peu de vie».
Cher monde musulman, je suis un de tes fils éloignés qui te regarde du dehors et de loin – de ce pays de France où tant de tes enfants vivent aujourd’hui. Je te regarde avec mes yeux sévères de philosophe nourri depuis son enfance par le taçawwuf (soufisme) et par la pensée occidentale. Je te regarde donc à partir de ma position de barzakh, d’isthme entre les deux mers de l’Orient et de l’Occident!
Et qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je vois mieux que d’autres sans doute parce que justement je te regarde de loin, avec le recul de la distance ? Je te vois toi, dans un état de misère et de souffrance qui me rend infiniment triste, mais qui rend encore plus sévère mon jugement de philosophe ! Car je te vois en train d’enfanter un monstre qui prétend se nommer État islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : DAESH. Mais le pire est que je te vois te perdre – perdre ton temps et ton honneur – dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement interminable entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine.
Que dis-tu en effet face à ce monstre ? Quel est ton unique discours ? Tu cries « Ce n’est pas moi ! », « Ce n’est pas l’islam ! ». Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom. Tu t’indignes devant une telle monstruosité, tu t’insurges aussi que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! Car tu te réfugies dans le réflexe de l’autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l’autocritique. Tu te contentes de t’indigner, alors que ce moment historique aurait été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme d’habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité : « Arrêtez, vous les occidentaux, et vous tous les ennemis de l’islam de nous associer à ce monstre ! Le terrorisme, ce n’est pas l’islam, le vrai islam, le bon islam qui ne veut pas dire la guerre, mais la paix! »
J’entends ce cri de révolte qui monte en toi, ô mon cher monde musulman, et je le comprends. Oui tu as raison, comme chacune des autres grandes inspirations sacrées du monde l’islam a créé tout au long de son histoire de la Beauté, de la Justice, du Sens, du Bien, et il a puissamment éclairé l’être humain sur le chemin du mystère de l’existence… Je me bats ici en Occident, dans chacun de mes livres, pour que cette sagesse de l’islam et de toutes les religions ne soit pas oubliée ni méprisée ! Mais de ma position lointaine, je vois aussi autre chose – que tu ne sais pas voir ou que tu ne veux pas voir… Et cela m’inspire une question, LA grande question : pourquoi ce monstre t’a-t-il volé ton visage ? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre ? Pourquoi a-t-il pris le masque de l’islam et pas un autre masque ? C’est qu’en réalité derrière cette image du monstre se cache un immense problème, que tu ne sembles pas prêt à regarder en face. Il le faut bien pourtant, il faut que tu en aies le courage.
Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira dans le futur autant de nouveaux monstres – pires encore que celui-ci – aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi longtemps que tu tarderas à l’admettre et à attaquer enfin cette racine du mal !
Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu’est la puissance de la religion – en bien et en mal, sur la vie et sur la mort – qu’ils me disent « Non le problème du monde musulman n’est pas l’islam, pas la religion, mais la politique, l’histoire, l’économie, etc. ». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu’ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière et économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité toute entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.
Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIe siècle ! Il y a en toi en effet, malgré la gravité de ta maladie, malgré l’étendue des ombres d’obscurantisme qui veulent te recouvrir tout entier, une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque-là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes livres ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance!
Il y a dans la Oumma (communauté des musulmans) de ces femmes et ces hommes de progrès qui portent en eux la vision du futur spirituel de l’être humain. Mais ils ne sont pas encore assez nombreux ni leur parole assez puissante. Tous ceux-là, dont je salue la lucidité et le courage, ont parfaitement vu que c’est l’état général de maladie profonde du monde musulman qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms d’Al Qaida, Al Nostra, AQMI ou de l’«État islamique». Ils ont bien compris que ce ne sont là que les symptômes les plus graves et les plus visibles sur un immense corps malade, dont les maladies chroniques sont les suivantes: impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; prison morale et sociale d’une religion dogmatique, figée, et parfois totalitaire ; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses.
Tout cela serait-il donc la faute de l’Occident ? Combien de temps précieux, d’années cruciales, vas-tu perdre encore, ô cher monde musulman, avec cette accusation stupide à laquelle toi-même tu ne crois plus, et derrière laquelle tu te caches pour continuer à te mentir à toi-même ? Si je te critique aussi durement, ce n’est pas parce que je suis un philosophe « occidental », mais parce que je suis un de tes fils conscients de tout ce que tu as perdu de ta grandeur passée depuis si longtemps qu’elle est devenue un mythe !
Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l’avouer enfin, tu as été incapable de répondre au défi de l’Occident. Soit tu t’es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression intolérante et obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l’intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes lieux saints de l’Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler de cette frénésie de consommation, ou bien encore de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes « élites » richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie désormais mondiale qu’est le culte du dieu argent.
Qu’as-tu d’admirable aujourd’hui, mon ami ? Qu’est-ce qui en toi reste digne de susciter le respect et l’admiration des autres peuples et civilisations de la Terre ? Où sont tes sages, et as-tu encore une sagesse à proposer au monde ? Où sont tes grands hommes, qui sont tes Mandela, qui sont tes Gandhi, qui sont tes Aung San Suu Kyi ? Où sont tes grands penseurs, tes intellectuels dont les livres devraient être lus dans le monde entier comme au temps où les mathématiciens et les philosophes arabes ou persans faisaient référence de l’Inde à l’Espagne ? En réalité tu es devenu si faible, si impuissant derrière la certitude que tu affiches toujours au sujet de toi-même… Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière. Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’État que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’«Il n’y a pas de contrainte en religion» (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ? Je dis qu’il est l’heure, dans la civilisation de l’islam, d’instituer cette liberté spirituelle – la plus sublime et difficile de toutes – à la place de toutes les lois inventées par des générations de théologiens !
De nombreuses voix que tu ne veux pas entendre s’élèvent aujourd’hui dans la Oumma pour s’insurger contre ce scandale, pour dénoncer ce tabou d’une religion autoritaire et indiscutable dont se servent ses chefs pour perpétuer indéfiniment leur domination… Au point que trop de croyants ont tellement intériorisé une culture de la soumission à la tradition et aux « maîtres de religion » (imams, muftis, shouyoukhs, etc.) qu’ils ne comprennent même pas qu’on leur parle de liberté spirituelle, et n’admettent pas qu’on ose leur parler de choix personnel vis-à-vis des « piliers » de l’islam. Tout cela constitue pour eux une « ligne rouge », quelque chose de trop sacré pour qu’ils osent donner à leur propre conscience le droit de le remettre en question ! Et il y a tant de ces familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès leur plus jeune âge, et où l’éducation spirituelle est d’une telle pauvreté que tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque chose qui ne se discute pas!
Or cela, de toute évidence, n’est pas imposé par le terrorisme de quelques fous, par quelques troupes de fanatiques embarqués par l’État islamique. Non, ce problème-là est infiniment plus profond et infiniment plus vaste ! Mais qui le verra et le dira ? Qui veut l’entendre ? Silence là-dessus dans le monde musulman, et dans les médias occidentaux on n’entend plus que tous ces spécialistes du terrorisme qui aggravent jour après jour la myopie générale ! Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l’islam ordinaire, l’islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l’islam de la tradition et du passé, l’islam déformé par tous ceux qui l’utilisent politiquement, l’islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose. Quand donc vas-tu faire enfin ta vraie révolution ? Cette révolution qui dans les sociétés et les consciences fera rimer définitivement religion et liberté, cette révolution sans retour qui prendra acte que la religion est devenue un fait social parmi d’autres partout dans le monde, et que ses droits exorbitants n’ont plus aucune légitimité !
Bien sûr, dans ton immense territoire, il y a des îlots de liberté spirituelle : des familles qui transmettent un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel ; des milieux sociaux où la cage de la prison religieuse s’est ouverte ou entrouverte ; des lieux où l’islam donne encore le meilleur de lui-même, c’est-à-dire une culture du partage, de l’honneur, de la recherche du savoir, et une spiritualité en quête de ce lieu sacré où l’être humain et la réalité ultime qu’on appelle Allâh se rencontrent. Il y a en Terre d’islam et partout dans les communautés musulmanes du monde des consciences fortes et libres, mais elles restent condamnées à vivre leur liberté sans assurance, sans reconnaissance d’un véritable droit, à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou bien même parfois face à la police religieuse. Jamais pour l’instant le droit de dire « Je choisis mon islam », « J’ai mon propre rapport à l’islam » n’a été reconnu par « l’islam officiel » des dignitaires. Ceux-là au contraire s’acharnent à imposer que « La doctrine de l’islam est unique » et que « L’obéissance aux piliers de l’islam est la seule voie droite » (sirâtou-l-moustaqîm).
Ce refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion est l’une de ces racines du mal dont tu souffres, ô mon cher monde musulman, l’un de ces ventres obscurs où grandissent les monstres que tu fais bondir depuis quelques années au visage effrayé du monde entier. Car cette religion de fer impose à tes sociétés tout entières une violence insoutenable. Elle enferme toujours trop de tes filles et tous tes fils dans la cage d’un Bien et d’un Mal, d’un licite (halâl) et d’un illicite (harâm) que personne ne choisit, mais que tout le monde subit. Elle emprisonne les volontés, elle conditionne les esprits, elle empêche ou entrave tout choix de vie personnel. Dans trop de tes contrées, tu associes encore la religion et la violence – contre les femmes, contre les « mauvais croyants », contre les minorités chrétiennes ou autres, contre les penseurs et les esprits libres, contre les rebelles – de telle sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad !
Alors, ne t’étonne donc pas, ne fais plus semblant de t’étonner, je t’en prie, que des démons tels que le soi-disant État islamique t’aient pris ton visage ! Car les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces ! Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C’est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l’éducation que tu donnes à tes enfants, que tu réformes chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n’es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias. Tu ne peux plus reculer, tu ne peux plus faire moins que tout cela ! Tu ne peux plus faire moins que ta révolution spirituelle la plus complète ! C’est le seul moyen pour toi de ne plus enfanter de tels monstres, et si tu ne le fais pas tu seras bientôt dévasté par leur puissance de destruction. Quand tu auras mené à bien cette tâche colossale – au lieu de te réfugier encore et toujours dans la mauvaise foi et l’aveuglement volontaire, alors plus aucun monstre abject ne pourra plus venir te voler ton visage.
Cher monde musulman… Je ne suis qu’un philosophe, et comme d’habitude certains diront que le philosophe est un hérétique. Je ne cherche pourtant qu’à faire resplendir à nouveau la lumière – c’est le nom que tu m’as donné qui me le commande, Abdennour, « Serviteur de la Lumière ».
Je n’aurais pas été si sévère dans cette lettre si je ne croyais pas en toi. Comme on dit en français: «Qui aime bien châtie bien». Et au contraire tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas assez sévères avec toi – qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui t’arrive – tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service ! Je crois en toi, je crois en ta contribution à faire demain de notre planète un univers à la fois plus humain et plus spirituel ! Salâm, que la paix soit sur toi.
Sonya Yoncheva opéra de clôture du festival Iris de Mascagni . marc Ginot
Région Occitanie
La 32e édition du Festival de Radio France Montpellier Occitanie s’achève sur un bilan positif à plusieurs égards. Elle confirme la reprise et l’avenir d’un grand festival engageant toutes les radios publiques françaises à inscrire leurs identités – plus que leur marque – dans un mouvement de décentralisation. Il existe, quoi qu’on en dise, une différence fondamentale entre une présence physique et une liaison radio. L’expérience vaut pour le vaste ensemble du personnel de la maison ronde concerné comme pour le public, dont le statut passe d’auditeur à spectateur, voire à celui acteur.
Au-delà de retombées médiatiques nationales et internationales conséquentes, le Festival de Radio France permet à la Région Occitanie (65% du budget global) d’affirmer son ambition culturelle en terme d’accessibilité à la culture avec 90% de propositions gratuites, et de qualité. Il en va de même pour les Villes et Départements, parties prenantes de l’événement et particulièrement pour Montpellier, lieu de naissance du festival .
Plus 4,2% de fréquentation
Côté chiffres, l’édition 2016 enregistre une hausse globale de 4,2% avec un total de 101 000 spectateurs pour 171 événements contre 212 l’année dernière. Les 15 concerts payants (deux de moins qu’en 2015,) se situent essentiellement à Montpellier dans le répertoire lyrique et symphonique. Ils affichent une hausse significative avec 22 000 places vendues. Sur ce segment, la programmation semble trouver un équilibre entre le répertoire courant de bonne qualité sauf exception, et des propositions plus rares et appréciées comme le Zoroastre de Rameau ou Iris de Mascagni avec la soprano Sonya Yoncheva qui a fait l’unanimité en clôture.
Pour cette 32e édition, la qualité artistique n’a pas failli à la réputation acquise dans chacun des genres musicaux dont la diversité constitue une singularité majeure du festival. Le volet musique du monde gagnerait à être développé même s’il se trouve parfois au carrefour de la programmation jazz accueillie au Domaine d’O. La programmation électro de Tohu Bohu sur le parvis de l’Hôtel de ville de Montpellier renouvelle son caractère attractif auprès du public jeune qui trouve, fort heureusement, des occasions de prolongation en ville après l’extinction précoce des feux officiels.
Pour leur 30e anniversaire, les Rencontres de Pétrarque ont donné du grain à moudre. Autour de son livre Le procès de la liberté, qui fait revivre les idées de liberté ouvrière et des révolutions sociales du XIXe siècle, l’historienne Michèle Riot-Sarcey, à introduit cinq jours de passionnants débats.
Le thème du Voyage d’Orient choisi cette année s’est illustré de différentes et belles manières comme lors du concert d’ouverture autour de Shéhérazade. Il a aussi été tragiquement rattrapé par l’actualité. Quelques concerts ont été affectés par des annulations mais l’art musical a dignement pris le dessus sur les interrogations et la culture sur la barbarie, en gardant le cap sur l’humanité, la diversité et l’avenir.
A l’instar des barbaries de l’Etat islamique, le lynchage et la torture des noirs américains pendant la ségrégation n’étaient pas seulement des actes de racisme mais aussi des actes empreints de signification religieuse, justifiés par le christianisme de l’époque
Si, selon un certain cliché, les Américains ont la mémoire courte, cela n’empêche pas, depuis le samedi 7 février, un bon nombre d’entre nous de débattre au sujet des guerres de religion médiévales et de l’idée que nous puissions en tirer quelques leçons sur la violence qui règne aujourd’hui au Moyen-Orient.
Ce qu’a dit Obama
Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, ce débat fait suite aux commentaires du président Obama lors du National Prayer Breakfast annuel, où –après avoir condamné le groupe radical Etat islamique et l’avoir qualifié de «culte de la mort»– il a proposé une réflexion appelant à la rationalisation.
«Avant de monter sur nos grands chevaux et de penser que le phénomène est l’apanage d’un lieu différent du nôtre, souvenons-nous que pendant les croisades et l’Inquisition, les gens ont commis des actes atroces au nom du Christ. Dans notre patrie, l’esclavage et les lois [ségrégationnistes] Jim Crow ont trop souvent été justifiés au nom du Christ (…) Par conséquent, cela n’est pas l’apanage d’un seul groupe ou d’une seule religion. Il existe une tendance en nous, une tendance immorale qui peut pervertir et déformer notre foi.»
Ce point simplissime –«aucune foi n’a le monopole de l’arrogance religieuse»– est devenu un point d’ignition partisan incitant les conservateurs à sermonner le président en l’accusant de «mettre sur le même pied» chrétiens croisés et radicaux islamiques, à l’accuser d’entretenir des croyances anti-chrétiennes et à se demander pourquoi il évoque un conflit vieux de plusieurs siècles, quand bien même on relèverait quelques analogies entre celui-ci et l’époque actuelle.
Ce qui nous manque dans l’argument sur les croisades cependant, c’est la mention par Obama de l’esclavage et de Jim Crow. Dans The Atlantic, Ta-Nehisi Coates choisit de souligner les justifications religieuses de l’esclavage américain, et il vaut la peine d’en faire autant pour son successeur d’après la guerre de Sécession. Et puisque nous en sommes à réfléchir en termes de violence religieuse, nous nous devons de nous pencher sur le spectacle le plus brutal du règne de Jim Crow: le lynchage.
Pendant pratiquement tout le siècle entre les deux Reconstructions américaines, la plus grande partie du Sud blanc a fermé les yeux et approuvé la violence terroriste exercée contre les noirs. Un nouveau rapport de l’Equal Justice Initiative, basée en Alabama, signale presque 4.000 lynchages de noirs dans 12 Etats du Sud –en Alabama, en Arkansas, en Floride, en Géorgie, dans le Kentucky, en Louisiane, dans le Mississippi, en Caroline du Nord et du Sud, au Tennessee, au Texas et en Virginie– entre 1877 et 1950, ce qui, note l’organisation, représente «au moins 700 lynchages de plus dans ces Etats que ce qui avait été signalé auparavant».
«Le Juge Lynch» –nom donné par la journaliste et militante antiségrégationniste Ida B. Wells aux foules de lyncheurs– se montrait capricieux, impitoyable et barbare à l’égard de ses victimes. C.J. Miller, accusé à tort du meurtre de deux sœurs adolescentes blanches dans l’ouest du Kentucky, fut «traîné dans les rues jusqu’à un échafaud de fortune fait de vieilles douves de tonneau et autre petit bois», écrit l’historien Philip Dray dans At the Hands of Persons Unknown: The Lynching of Black America. Ses agresseurs le pendirent à un poteau téléphonique, et tandis que «la première chute lui brisa le cou (…) le corps fut soulevé et abaissé à maintes reprises pendant que la foule le criblait de balles avec des armes de poing». Son corps resta pendu dans la rue pendant deux heures, au cours desquelles il fut photographié et mutilé par des badauds. Puis il fut décroché et brûlé.
Plus sauvage encore fut le lynchage de Mary Turner, tuée pour avoir protesté contre le meurtre de son mari, et de l’enfant qu’elle portait.
«Devant une foule où se trouvaient des femmes et des enfants, écrit Philip Dray, Mary fut déshabillée, pendue par les chevilles, aspergée d’essence et brûlée à mort. Au milieu de son supplice, un homme blanc lui ouvrit le ventre avec un couteau de chasse et son bébé tomba à terre, poussa un cri et fut piétiné à mort.»
Des rituels de l’évangélisme sudiste et de son dogme
Scène de lynchage dans l’Indiana, en 1930, sous le regard indifférent des spectateurs. (Domaine public)
Ces lynchages n’étaient pas seulement des punitions infligées par des groupes d’autodéfense, ou, comme le note l’Equal Justice Initiative, «des actes de célébration du contrôle et de la domination d’une race sur l’autre». C’était des rituels. Et plus spécifiquement, des rituels de l’évangélisme sudiste et de son dogme d’alors prônant la pureté, le littéralisme et la suprématie blanche.
«Le christianisme était le principal prisme par lequel la plupart des Sudistes conceptualisaient et donnaient un sens à la souffrance et à la mort, quelle que soit leur forme», écrit l’historienne Amy Louise Wood dans Lynching and Spectacle: Witnessing Racial Violence in America, 1890–1940.
«Il serait inconcevable qu’ils aient pu infliger douleurs et tourments aux corps des hommes noirs sans imaginer cette violence en tant qu’acte religieux, chargé de symbolisme et de signification chrétienne.»
Le Dieu du Sud blanc exigeait de la pureté –pureté incarnée par la femme blanche. Les Sudistes blancs construisirent une frontière à l’aide de la ségrégation. Mais quand celle-ci était violée, c’est avec le lynchage qu’ils réparaient la brèche et affirmaient qu’ils étaient libres de toute contamination morale, représentée par les noirs, par les hommes noirs en particulier –même si elle ne se limitait pas à eux. Leo Frank, lynché en 1915, était juif.
La brèche imaginée était souvent d’ordre sexuel, définie par le mythe du violeur noir, un «démon» et une «bête» décidée à profaner la pureté chrétienne de la féminité blanche. Dans son récit du lynchage d’Henry Smith –tué à la suite d’accusations de viol et de meurtre d’une fillette de 3 ans, Myrtle Vance– P.L. James raconte comment l’énergie d’une ville et d’un pays entier s’était tournée vers «l’arrestation du démon qui avait dévasté un foyer et souillé une vie innocente».
La «volonté de Dieu»
James n’était pas un cas isolé. De nombreux autres défenseurs du lynchage interprétaient leurs actes comme un devoir chrétien, consacré comme étant la volonté de Dieu contre la transgression raciale.
«Après le lynchage de Smith, note Amy Louise Wood, un autre de ses défenseurs écrivit: “ce ne fut rien d’autre que la vengeance d’un Dieu outragé, qui Lui fut offerte, au moyen de l’instrument que furent ceux qui provoquèrent la crémation.»
Comme l’écrit Donald G. Mathews, professeur émérite à l’UNC-Chapel Hill dans le Journal of Southern Religion:
«La religion s’insinuait dans le lynchage communautaire parce que cet acte se produisait dans le contexte d’un ordre sacré conçu pour garantir la sainteté.»
L’«ordre sacré» c’était la suprématie blanche, et la «sainteté», la vertu blanche.
Je me dois de souligner que les noirs de l’époque voyaient le lynchage comme étant enraciné dans la pratique chrétienne des Sudistes blancs. «Il est extrêmement douteux que le lynchage puisse exister dans une autre religion que le christianisme», écrivit Walter White, leader de l’association de défense des droits civiques NAACP en 1929.
«Quiconque connaît bien les prédicateurs intempestifs, acrobatiques, fanatiques prêchant les feux de l’enfer dans le Sud, et a vu les orgies d’émotion qu’ils suscitent, ne peut douter un seul instant qu’ils libèrent des passions dangereuses contribuant à l’instabilité émotionnelle et jouant un rôle dans les lynchages.»
Et si certains chefs d’église ont condamné ces pratiques comme étant contraires à la parole de Dieu –«Religion et lynchage, christianisme et écrasement, feu et bénédiction, sauvagerie et raison nationale ne peuvent aller main dans la main dans ce pays», affirmait un éditorial en 1904– le consentement écrasant du Sud blanc confirmait le point de vue de Walter White.
Le seul christianisme sudiste uni dans son opposition au lynchage était celui des noirs américains, qui tentaient de re-contextualiser les attaques comme un genre de crucifixion et ses victimes comme des martyrs, renversant la situation et faisant des noirs les véritables héritiers du salut et de la rédemption chrétienne. Et c’est ce dernier point qui doit mettre en exergue le fait que rien de tout cela n’était intrinsèque au christianisme: c’était une question de pouvoir, et du besoin qu’avaient les puissants de sanctifier leurs actes.
Pourtant, il est impossible de nier que le lynchage –dans toute sa grotesque violence– était un acte empreint de signification religieuse, justifié par le christianisme de l’époque.
Il avait également un caractère politique: c’était un acte de terreur et de contrôle social et la chasse gardée de citoyens privés, de responsables publics et de législateurs puissants. Le sénateur Ben Tillman de Caroline du Sud défendit le lynchage devant le Congrès des Etats-Unis, et le président Woodrow Wilson applaudit un film qui célébrait le juge Lynch et ses disciples.
Ce qui signifie qu’Obama avait raison. Les environnements extrêmement différents de l’Amérique d’avant les droits civiques et du Moyen-Orient d’aujourd’hui cachent les similitudes conséquentes qui existent entre la violence religieuse relativement récente de nos ancêtres suprématistes blancs et celle de nos ennemis contemporains. Et le fossé actuel entre musulmans modérés et leurs opposants fanatiques trouve une analogie dans notre division passée entre christianisme nordiste et son homologue sudiste.
Il ne s’agit pas tant de relativisme que de vision clairvoyante de notre vulnérabilité commune, de la vérité qui est que les graines de la violence et de l’autocratie peuvent germer n’importe où, et du fait que notre position actuelle de supériorité morale n’est pas la preuve d’une quelconque supériorité intrinsèque.
Sharon Eyal & Gai Behar OCD Love. Crédit Photo Ron Kedmi
La 36e édition s’est clôturée samedi avec le sentiment d’avoir fait de nombreuses rencontres artistiques qui disent le monde d’aujourd’hui. Les déclarations de Jean Paul Montanari attestent cependant d’un regard paradoxal qui pose la question d’une restructuration.
Il serait injuste de bouder notre plaisir, celui que nous ont transmis bon nombre de chorégraphes invités cette année en provenance des quatre coins du monde. La question des origines notamment méditerranéennes posée cette année, comme celle de la transition semble avoir hanté le directeur artistique.
La sidérante et très actuelle pièce OCD Love (première en France) de la Chorégraphe Sharon Eyal associée au compositeur et Dj Gai Behar s’inscrira dans la mouvance d’un art habité plutôt mondial, tandis que la levée de rideau du festival sur The Primate Trilogy de l’Américain Jacopo Godani, successeur de William Forsythe à la tête de la Compagnie de danse de Dresde-Francfort, résume le savoir-faire irréprochable de la danse américaine, juste en oubliant l’âme et la pensée.
Mais une fois encore le Festival Montpellier danse a résumé dans une longue prise de vue panoramique les horizons chorégraphiques du moment. Nous devons les grands temps de cette édition à la Sud africaine Robyn Orlin avec la présence écarlate du performer Albert Ibokwe Kholza, à la liberté que le chorégraphe burkinabé Salia Sanou exprime dans Du désir d’Horizons, au céleste Still Life de Dimitris Papaioannou et aux engagements indisciplinés de la Franco-Algérienne Nacera Belaza ou de l’Iranien Hooman Sharifi.
Avec 32 000 spectateurs et un taux de fréquentation de 89% l’institution artistique Montpellier Danse a répondu cette année à l’extension métropolitaine en assurant une présence dans quinze villes de la Métropole. « Que vous le vouliez ou pas, vous nous avez transmis le goût et l’intensité de l’art chorégraphique, résumera le vice-président en charge de la culture métropolitaine, Bernard Travier à l’attention de Jean-Paul Montanari qui annonce dans le rôle de Cassandre la disparition de la danse contemporaine.
Le Festival et son directeur prévoient pour l’année prochaine un retour au ballet romantique avec Gisèle par le ballet du Capitole ainsi que la présence du ballet de Lyon et d’Amsterdam. Gageons que le festival maintiendra son soutien à la création, Sharon Eyal et Marlène Freitas sont déjà dans les tablettes de 2017.
JEAN PAUL MONTANARI ET LE TROIS EN UN
S’il est attentif à l’évolution de l’art, le directeur de Montpellier Danse l’est aussi concernant l’évolution du secteur culturel montpelliérain. Aussi le dernier des Mohicans de l’ère culturelle frêchienne, qui constate une légère érosion de la fréquentation, a-t-il lancé l’idée non conventionnelle d’un regroupement des trois grands festivals de l’été, le sien, le Printemps des Comédiens et le Festival de Radio France.
Selon Jean-Paul Montanari, cette fusion qui pourrait également concerner le CDN dirigé par Rodrigo Garcia, serait une manière de renforcer la puissance culturelle de Montpellier face à Marseille, Aix, ou Avignon. Mais s’ils ne s’opposent pas à une meilleure communication, voire à trouver des synergies, les deux autres directeurs de festival concernés, Jean Varela pour le Printemps des Comédiens et Jean Pierre-Rousseau pour le festival de Radio France ne l’’entendent pas de cette oreille. Le public fidèle des différents événements non plus, car il a bien saisi que cette restructuration aboutirait nécessairement à une réduction de l’offre culturelle.
A l’heure où le Conseil Départemental et la Métropole se disputent la compétence culturelle, cette question est éminemment politique. Le président de la Métropole a déclaré que cette idée pouvait être creusée. La présidente de Région Carole Delga, premier partenaire financier du festival de Radio France, a souligné l’importance de conserver l’identité forte et lisible de chaque festival.
Montanari, dont le goût pour la provocation est connu s’amuse-t-il à vouloir redistribuer les cartes, ou joue-t-il le rôle de poisson pilote de Philippe Saurel ?