Montpellier Danse : La création face à la noirceur comme un phare dans la nuit

Sharon Eyal & Gai Behar OCD Love. Crédit Photo Ron Kedmi

Sharon Eyal & Gai Behar OCD Love. Crédit Photo Ron Kedmi

La 36e édition s’est clôturée samedi avec le sentiment d’avoir fait de nombreuses rencontres artistiques qui disent le monde d’aujourd’hui. Les déclarations de Jean Paul Montanari attestent cependant d’un regard paradoxal qui pose la question d’une restructuration.

Il serait injuste de bouder notre plaisir, celui que nous ont transmis bon nombre de chorégraphes invités cette année en provenance des quatre coins du monde. La question des origines notamment méditerranéennes posée cette année, comme celle de la transition semble avoir hanté le directeur artistique.

La sidérante et très actuelle pièce OCD Love (première en France) de la Chorégraphe Sharon Eyal associée au compositeur et Dj Gai Behar s’inscrira dans la mouvance d’un art habité plutôt mondial, tandis que la levée de rideau du festival sur The Primate Trilogy de l’Américain Jacopo Godani, successeur de William Forsythe à la tête de la Compagnie de danse de Dresde-Francfort, résume le savoir-faire irréprochable de la danse américaine, juste en oubliant l’âme et la pensée.

Mais une fois encore le Festival Montpellier danse a résumé dans une longue prise de vue panoramique les horizons chorégraphiques du moment. Nous devons les grands temps de cette édition à la Sud africaine Robyn Orlin avec la présence écarlate du performer Albert Ibokwe Kholza, à la liberté que le chorégraphe burkinabé Salia Sanou exprime dans Du désir d’Horizons, au céleste Still Life de Dimitris Papaioannou et aux engagements indisciplinés de la Franco-Algérienne Nacera Belaza ou de l’Iranien Hooman Sharifi.

Avec 32 000 spectateurs et un taux de fréquentation de 89% l’institution artistique Montpellier Danse a répondu cette année à l’extension métropolitaine en assurant une présence dans quinze villes de la Métropole. « Que vous le vouliez ou pas, vous nous avez transmis le goût et l’intensité de l’art chorégraphique, résumera le vice-président en charge de la culture métropolitaine, Bernard Travier à l’attention de Jean-Paul Montanari qui annonce dans le rôle de Cassandre la disparition de la danse contemporaine.

Le Festival et son directeur prévoient pour l’année prochaine un retour au ballet romantique avec Gisèle par le ballet du Capitole ainsi que la présence du ballet de Lyon et d’Amsterdam. Gageons que le festival maintiendra son soutien à la création, Sharon Eyal et Marlène Freitas sont déjà dans les tablettes de 2017.

 

 JEAN PAUL MONTANARI ET LE TROIS EN UN

S’il est attentif à l’évolution de l’art, le directeur de Montpellier Danse l’est aussi concernant l’évolution du secteur culturel montpelliérain. Aussi le dernier des Mohicans de l’ère culturelle frêchienne, qui constate une légère érosion de la fréquentation, a-t-il lancé l’idée non conventionnelle d’un regroupement des trois grands festivals de l’été, le sien, le Printemps des Comédiens et le Festival de Radio France.

Selon Jean-Paul Montanari, cette fusion qui pourrait également concerner le CDN dirigé par Rodrigo Garcia, serait une manière de renforcer la puissance culturelle de Montpellier face à Marseille, Aix, ou Avignon. Mais  s’ils ne s’opposent pas à une meilleure communication, voire à trouver des synergies, les deux autres directeurs de festival concernés, Jean Varela pour le Printemps des Comédiens et Jean Pierre-Rousseau pour le festival de Radio France ne l’’entendent pas de cette oreille. Le public fidèle des différents événements non plus, car il a bien saisi que cette restructuration aboutirait nécessairement à une réduction de l’offre culturelle.

A l’heure où le Conseil Départemental et la Métropole se disputent la compétence culturelle, cette question est éminemment politique. Le président de la Métropole a déclaré que cette idée pouvait être creusée. La présidente de Région Carole Delga, premier partenaire financier du festival de Radio France, a souligné l’importance de conserver l’identité forte et lisible de chaque festival.

Montanari, dont le goût pour la provocation est connu s’amuse-t-il à vouloir redistribuer les cartes, ou joue-t-il le rôle de poisson pilote de Philippe Saurel ?

JMDH

Source : La Marseillaise 12/07/2016

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Montpellier Danse Robyn Orlin . Requiem pour une Afrique renaissante

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Fascinantes mutation du jeune performer d’Albert Ibokwe Khoza qui voyage à travers le temps et l’histoire . dr

La rencontre inévitable entre le performer Albert Ibokwe Khoza et la chorégraphe sud africaine Robyn Orlin nous transporte dans la radicalité de l’histoire avec la création : « And so you see… Our honourable blue sky and ever enduring sun… Can only be consumed slice by slice... sous titré  Requiem à l’humanité ».

Un titre qui parle de consommation, d’honorable ciel bleu et de soleil permanent pourrait répondre aux critères attendus du tourisme de masse. Mais ce n’est pas tout à fait de cela dont il est question dans la dernière création de Robyn Orlin, à moins d’étendre le mode de vie consumérique occidental à une forme de tourisme déimpliquée des affaires du monde. La dernière création de Robyn Orlin présentée au Festival Montpellier Danse utilise la forme du requiem. Musicale, avec l’aimable participation de Mozart mais aussi dans différentes formes de rites religieux et profanes. La chorégraphe née en 1955 à Johannesburg vit aujourd’hui à Berlin. En Afrique du Sud, on l’a surnommée “l’irritation permanente”. Ce qui correspond bien à son indomptable faculté de dénonciation qui bouscule non sans humour le spectateur dans ses confortables certitudes.

 

Approche subversive

Robyn Orlin est une habituée de Montpellier Danse. Elle figure parmi les grandes personnalités dont chaque escale à Montpellier s’inscrit dans l’historique du Festival. En 2007 On doit manger nos sucettes avec leur emballage mettait le doigts sur la pandémie du sida qui concernait 12% de la population sud africaine. Avec sa pièce In a world full of butterflies, it takes balls to be a caterpillar… some thoughts on falling… présentée il y a deux ans, elle s’attaquait à l’image récurrente et symbolique des corps tombant des tours jumelles du World Trade Center, en s’attardant sur l’exploration de  la chute.

Conçu avec le fascinant danseur performer Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza, And so you see… Our honourable blues sky and eevr enduring sun... Can only be consumed slice by slice, est un solo qui révèle et transcende, la réalité complexe et contemporaine de l’Afrique du Sud, à l’instar des effets profonds et désastreux de l’exploitation du continent africain,  devenu continent des miracles négatifs. Robyn Orlin nous amuse avec ses clins d’oeil politiques aux anciennes et nouvelles puissances coloniales.

On entre dans la pièce par le corps d’Albert Ibokwe Khoza, à travers une scène mortuaire très plastique au mode d’exécution qui oscille entre les pratique ancestrales de l’Egypte antique et la mise en scène d’un sérial killer psychotique. Cette dualité entre la tradition qui resurgit en force et la perdition à laquelle se confronte le désir et l’espoir de la jeunesse africaine tient lieu de fil rouge, avec l’omniprésence du corps.

Un corps vécu et filmé se confrontant aux sept péchés capitaux sans échapper à la violence des représentations que la chorégraphe traite dans un subtil jeu de miroir. Prenons garde, celui que l’on regarde comme un sauvage et un demeuré peut le devenir…  Mais il peut aussi montrer avec une grande sensibilité son appartenance à l’humanité. Entre la vie et la mort, il y a ce passage  où le corps se libère, jouit, souffre, s’exprime, se prête à la cérémonie ponctuée par l’intonation chantée par le célébrant et un beau sens de la théâtralité.

La richesse du langage de Robyn Orlin trouve avec son danseur un potentiel d’expressions artistiques inespéré pour le grand plaisir des spectateurs qui sont du voyage.

. JMDH

Ce soir à 20h hTh Grammont

Source : La Marseillaise 02/07/2016

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Robyn Orlin: Le vrai visage d’une Afrique qui s’éveille

Robyn Orlin :" On doit manger nos sucettes avec leur emballage"

Rien n’est intangible. Les sucettes de Robyn Orlin n’ont pas le goût de l’anis. Leur parfum latex nous plonge dans le réel du monde. On l’a ressenti collectivement mardi au Corum avec We must eat our suckers with the wrappers on… (On doit manger nos sucettes avec leur emballage). Avec cette pièce, la chorégraphe sud africaine s’est appuyée sur le quotidien de la société de son pays pour en libérer toute la force. Celle de vivre dans un des pays les plus touchés par la pandémie du sida, 12% de la population contaminée, un millier de morts chaque jour. Pour Robyn Orlin, la danse est une composante majeure des progrès qui doivent s’opérer tant sur le plan des consciences que sur le plan politique « C’est un nid de vipères.  Mandela, qui a perdu sa fille et sa belle sœur de cette maladie, s’est impliqué mais il ne peut résoudre ce défi seul. »

We must eat our suckers with the wrappers se pose comme un acte de résistance qui tire son énergie dans la profondeur traditionnelle des corps en devenir. Ce qui les propulse du  même coup dans l’imminence du présent et hors du ghetto. Robyn Orlin interdit au public tout regard complaisant. Elle abolit les distances en se saisissant de nos regards, captés par les danseurs à l’aide de webcams. La symbolique du clan se tisse sur scène autour d’objets nouveaux : bananes, préservatifs, sucettes… Il est question de solidarité mais aussi de solitude face à la maladie et au risque. « Il y a toujours une part de moralité mais le fait c’est la mortalité », souligne la chorégraphe. L’utilisation de l’image permet  d’isoler, celle du rythme de rassembler. L’esprit de la fête se mêle à une esthétique froide et chaude empreinte de gravité. Le public contaminé qui constitue l’opinion internationale consent à se dépasser. Quand elle est sûre d’elle-même, la danse fait bouger la société.

Jean-Marie Dinh

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