Printemps des Comédiens. Un bilan béton et des questions

La grenouille avait raison de James  Thierée Au Printemps des Comédiens

La grenouille avait raison de James Thierée Au Printemps des Comédiens

La trentième de tous les records, plus de 60 000 spectateurs, 90% de taux de remplissage… Mais demain ?

Eh bien voilà. Eteints les derniers projecteurs, baissé le rideau rouge de la Grenouille de James Thierrée, dissipées les ultimes acclamations. Et comme chaque année, à l’heure où se termine le Printemps des Comédiens, c’est dans un mélange de nostalgie et de satisfaction que l’équipe du festival veut remercier son public. Pour l’avoir suivi sur des pistes pas toujours balisées.  Il a fallu cette année bien des listes d’attente, bien des prises d’assaut de la billetterie pour tenter de satisfaire un public venu en rangs plus serrés encore que de coutume.

Ne rien sacrifier de l’artistique

Car cette édition du 30e anniversaire est celle de tous les records. Jean Varela, le directeur artistique du Printemps, voulait «un acte fort» : « Revenir à une durée plus longue après des années de baisse. Ne rien sacrifier de nos ambitions artistiques et maintenir le festival dans ce qui est sa marque : un mélange de publics, familles, enfants, amateurs plus pointus, un mélange de genres : cirques, théâtre de texte, croisement des disciplines comme avec Triptyque…»

C’est peu dire que le pari est réussi : la fréquentation du festival atteint un chiffre jamais vu en trente ans. Plus de 60.000 spectateurs ! Un remplissage des lieux de spectacle qui dépasse 90%… Il est vrai que ce chiffre bénéficie de l’effet Zingaro qui, installé dans le domaine de Bayssan à Béziers, accueillera jusqu’au 10 juillet entre 20 et 25000 spectateurs. Mais Zingaro, c’est le Printemps. Une sorte de retour aux sources même, puisqu’aux temps héroïques, le festival promenait ses tréteaux dans tout le département. Une affirmation du Conseil départemental aussi : marquer, aujourd’hui en terre biterroise, que la culture est plus que jamais une nécessité.

Dosages subtils

« Voilà donc le rideau baissé. Et à cet instant, chaque année, le dernier mot nous était évident : à l’an prochain, disions-nous à notre public. A l’an prochain avec des grands noms de la scène (…) Pouvons-nous le dire cette année ? Hélas, nous n’en savons rien : le transfert des compétences entre Conseil départemental et Métropole plonge l’avenir du festival dans l’incertitude. Ce n’est pas le lieu de s’immiscer dans des discussions où la politique et les exigences budgétaires s’entremêlent.

Mais peut-être est-ce le moment de rappeler qu’un festival, même fort de 60 000 spectateurs, est une construction fragile. Que la culture, la joie du public, le bonheur d’être ensemble dans un lieu magnifique, tout cela est une alchimie dont les dosages sont subtils. Puissions en préserver la recette l’an prochain pour un nouveau sacre du Printemps.»

Comment après la réussite d’une programmation artistique si ambitieuse, et l’accomplissement d’une mission culturelle publique de cette ampleur, validée par le plus grand nombre, une équipe est-elle amenée à s’interroger de la sorte ? Désormais, il appartient sans doute à ce large public de questionner les représentants du peuple,  pour connaître leurs véritables projets derrière leurs silences, leurs chiffres et leurs coups de menton…

Source : La Marseillaise 05/07/2016

Voir aussi ;  Rubrique Théâtre, rubrique Festival, Printemps des Comédiens 2016The Encounter, de McBurney , No Where de Marino Formenti, 4 x 11 l’ENSAD se déchaïne, Séducteur impie des temps modernesCirque Balthazar. 100 Zissu, Poison de Dag Jeanneret,  rubrique Politique, Politique culturelle, rubrique Montpellier,

Intermittents et Précaires: Un accord vertueux qui donne l’exemple

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Pique nique à la DRAC Languedoc-Roussillon Midi Pyrénées. Photo dr

Alors que le Medef a fait échouer les négociations  sur le régime d’assurance chômage, le mouvement unitaire du Languedoc-Roussillon fête l’annonce de l’application de l’accord du 28 avril 2016 qui sera appliqué par décret.

L’issue de la dernière réunion sur l’assurance-chômage, prévue hier, s’annonçait mal. Et elle a tenu en partie ses promesses. Après quatre mois de discussions infructueuses, les partenaires sociaux ont pris acte, jeudi 16 juin, de l’échec des négociations sur l’assurance-chômage.

La conclusion d’une convention censée fixer les règles de l’indemnisation des chômeurs pour les deux années à venir n’aboutira pas. Mais poussé dans ses derniers retranchement, le ministère du travail a indiqué que le gouvernement allait « assurer sans délai » la continuité de l’indemnisation chômage en prorogeant la convention actuellement en vigueur au-delà du 30 juin. Et surtout qu’il « transposera dans les règles de l’assurance-chômage » l’accord relatif aux intermittents signé le 28 avril. Le projet de décret sera transmis au Conseil d’Etat d’ici la fin du mois de juin et publié au journal officiel d’ici la mi-juillet.

Depuis le début des négociation entre  les partenaires sociaux (organisations d’employeurs et de salariés nationales et interprofessionnelles) le Medef qui dispose pourtant de l’oreille attentive du gouvernement, a joué la carte de la provocation – un fait reconnue par Audrey Azoulay elle-même –  à l’égard des Intermittents du spectacle en refusant tout augmentation de charge et en préconisant 400 M d’euros d’économie par an d’ici 2020.

La lutte paie !

Rassemblé en milieu de journée devant la DRAC  à Montpellier,  le mouvement unitaire des intermittents et précaire LR,  a réitéré hier sa demande pour des droits justes et adaptés à la discontinuité de l’emploi. En laissant la situation se dégrader entre les partenaires sociaux le gouvernement a sans doute voulu mesurer la teneur de  la détermination. Mais  durant quatre mois,  celle-ci n’a pas faibli avec des dizaines d’actions locales  dont un mois et demi d’occupation du CDN hTh. Des ponts se sont érigés avec la résistance contre le projet de loi du travail El Khomri .

« La lutte paie !, ils veulent éteindre le feu branche par branche, confie la Secrétaire régional de la CGT spectacle Eva Loyer, Maintenant on va se pencher sur le projet de loi du travail

Parmi les principaux points actés dans cet accord figurent, l’ouverture des droits à l’indemnisation aussi bien pour les artistes que pour les techniciens, à partir de 507 heures travaillées sur 12 mois. L’accord prévoit aussi un retour à une date anniversaire pour le calcul des droits des intermittents, un système plus avantageux que l’actuel dispositif.

On a fêté hier soir le premier petit pas de la séparation de l’Etat et du Medef qui sort grand perdant de son bras de fer.  « Notre accord est utile pour sécuriser les emplois discontinus», souligne Eva Loyer consciente du chemin qui reste à parcourir…

JMDH

Source La Marseillaise17/05/2016

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Société, Travail, Mouvements sociaux, Intermittents retour au front, Négociations explosives,  rubrique Politique, Politique Economique,

Festival Résurgence. Esprit ouvert dans l’espace public

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Compagnie Kiaï «Cri» Photo DR

Pour la seconde édition, le festival Résurgence affiche ses couleurs en invitant à la découverte des arts vivants du 21 au 24 juillet.

Théâtre de rue, concerts, cirque une trentaine de spectacles portés par une vingtaine de compagnies investiront les rues de Lodève pour la seconde édition du Festival Résurgence cet été.  Le terme  « résurgence » fut probablement choisi pour réaffirmer la volonté de la Communauté de communes du Lodévois Larzac de maintenir une offre culturelle de qualité après la disparition du festival de poésie Voix de la Méditerranée en 2015 pour des raisons budgétaires. «  Lodève a été nourrie par la poésie durant de nombreuses années et continue de l’être à travers le Printemps des poètes, indique le directeur des affaires culturelles Franck Loyat,  Nous avons repensé un événement culturel  recentré sur les arts vivants avec certes moins de moyens, mais en maintenant le rapport entre l’art et l’espace public.» L’année dernière, la première édition  a rassemblé 8 000 spectateurs (un quart en provenance de la communauté de communes, et 50% d’Héraultais). Ce succès  ouvre de belles perspectives

Soutien à  la création

Résurgence profite de la fraîcheur de la nouveauté et s’affirme « comme une preuve de la capacité du territoire à rebondir même dans les situations les plus difficiles », souligne la maire de Lodève, Marie-Christine Bousquet. Le festival donne aussi l’occasion de découvrir le riche patrimoine de Lodève.

Avec le sourire, si l’on suit La vaste entreprise, dans sa fausse visite de la ville. Cette compagnie utilise des éléments réels comme point de départ de leurs créations. Le groupe partira bien du monument aux morts. Les guides vous souhaitent une bonne visite en  prévenant d’entrée que tout va bien se passer même si vous n’apprendrez rien et qu’il est conseillé à tous de rester groupés…

Autre déambulation proposée par les quatre comédiens du Groupe Tonne, Ae-Les années, s’inspire de l’univers littéraire d’Annie Ernaut concentré sur le matériau autobiographique sans enluminure et à la fois très ouvert sur le monde réel qui nous entoure. Départ place de la république.  «La Place» justement, qui est aussi le nom du roman d’ Ernaut couronné par le Prix Renaudot.

Gratuité et petits prix

La majorité des spectacles sont gratuits à l’exception de Cirques Rouages pour son spectacle Sodade une fable circassienne et musicale  qui se déroule comme un rêve éveillé sur fil infini. De la création Gravitty.0 du chorégraphe Yann Lheureux qui allie dans cette pièce danse contemporaine et  acrobatie et du concert d’Anass Habib  jeune Syrien  accompagné de quatre  musiciens pour un concert de chants sacrés et profanes  associant les répertoires des chants arabes soufis, des chants maronites syriaques, et des chants sépharades andalous dans la Cathédrale de Lodève.

En se positionnant  sur la création,  en la soutenant comme elle le fait avec  la compagnie Nocturne  en résidence sur le territoire, le festival  joue la carte du développement culturel qualitatif à l’échelle locale en tentant de répondre aux attentes d’un public exigeants, sans oublier la convivialité.

 JMDH

Source La Marseillaise 21/05/2016

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Sérignan. Le Mrac pousse les murs avec la complicité de Bruno Peinado

 

Bruno Peinado au MRAC à Sérigan

Bruno Peinado est intervenu sur la façade et prolonge l’exposition « Il faut reconstruire l’Hacienda » à l’intérieur du Mrac. Photo JMDI

La présidente de Région Carole Delga a  inauguré le 20 mai l’extension du Mrac en réaffirmant son engagement en faveur de l’art contemporain. Une utopie vivante prenant forme au plus près de chacun…

L’histoire du musée est née de la passion et de l’engagement d’un homme pour la culture. Ceux d’André Gélis, maire de Sérignan, qui inaugure en 2006, ce lieu de 2 500 m² dédiés à l’art contemporain au cœur du village héraultais viticole de 8 000 habitants. Il y expose 400 œuvres d’une soixantaine d’artistes (Alechinsky, Buren, Combas, di Rosa, Klossowski…) Le coût de construction, 5,5 millions d’euros, lui coûtera son mandat. Deux ans plus tard, son successeur Frédéric Lacas, entame les négociations avec la Région qui en assure la gestion depuis 2010 et renouvelle l’ambition culturelle de ce musée illuminé par l’œuvre  créée in situ par l’artiste Daniel Buren.

L’inauguration architecturale de la semaine dernière marque un nouveau tournant pour le Mrac. Le nouvel espace de 420 m² acquis par la Région qui a investi 1,8 million d’euros, a été redessiné et agencé par l’atelier d’architecture Castelnau Ferri pour s’inscrire dans le cadre des volumes existants. Il permet d’augmenter de 25% la surface initiale d’exposition en la portant à 2 000 m². Les réserves ont été agrandies, optimisées et aménagées afin d’améliorer les conditions de préservation de l’ensemble des œuvres.

La directrice du Musée régional d’art contemporain, Sandra Patron peut ainsi accueillir le dépôt exceptionnel du Fonds d’art contemporain pour une durée de cinq ans qui comprend 167 œuvres de 64 artistes issus de 17 nationalités différentes. En parallèle, la Région a passé commande à l’artiste emblématique de sa génération Bruno Peinado pour concevoir une œuvre pérenne sur la façade du nouveau bâtiment.

La singularité de l’histoire du Mrac tient en partie aux interactions intérieur/extérieur initiées par les artistes comme Buren ou l’Islandais Erro. Avec son intervention sur la façade du nouveau bâtiment, Bruno Peinado, formé à l’Ecole des Beaux Arts de Montpellier qui connut une forte influence du mouvement Supports/Surfaces, poursuit le lien conceptuel du dedans/dehors.

 « Il faut reconstruire l’Hacienda », extérieur . Photo dr

« Il faut reconstruire l’Hacienda », extérieur . Photo dr

Reconstruire l’Hacienda

L’artiste intègre dans un esprit ludique le local de la Poste situé au rez-de-chaussée en empruntant à sa signalétique. « Je me suis inspiré de leur charte graphique et des nombreux supports publicitaires pour créer des enseignes libérées de leur contenu. »  Repeint en gris, le bâtiment revêt l’aspect joyeux d’une maison qui évoque l’univers virtuel des jouets. « Le gris se situe habituellement du côté de la perte. Il n’est pas considéré comme une couleur. Il ne trouve sa valeur qu’entre le blanc et le noir. C’est la couleur des bâtards, pour moi c’est la couleur de la mixité. » Sur ce fond gris, les panneaux colorés et les caissons lumineux renvoient à l’abstraction et participent à l’œuvre d’ensemble intitulée par l’artiste Il faut reconstruire l’Hacienda.

  « Il faut reconstruire l’Hacienda », intérieur , Good Stuff , the pleasure Principle  .  Photo dr

« Il faut reconstruire l’Hacienda », intérieur , Good Stuff , the pleasure Principle . Photo dr

Pour ce projet, Peinado est allé puiser dans l’imaginaire de l’Hacienda, d’après le texte d’Ivan Chtcheglov dit Gilles Ivain, Formulaire pour un urbanisme nouveau  dont une version, établie par Guy Debord, est parue en 1958 dans la revue Internationale situationniste. Avant d’être reprise, dans les années 80, sous le nom d’Hacienda, boîte de nuit mythique de Manchester, issue d’un projet utopique porté par le label de Joy Division, Factory Records. Cette association est à l’origine de toute la scène house anglaise qui fait lien entre la culture populaire et l’avant-garde artistique dans le champ de la communication du design et de la publicité. « Le retrait est une forme de résistance », indique Peinado qui se confronte aux paradoxes avec force et bonne humeur.

Ainsi, la destinée du Mrac de Sérignan,  musée où l’on marche dans la lumière, se poursuit.

JMDH

 

Le programme de l’Hacienda
Pendant toute la durée de l’exposition Il faut reconstruire l’Hacienda visible jusqu’au 9 octobre, l’artiste iconoclaste Bruno Peinado nous invite à des rencontres depuis une reconstruction du dancefloor de la mythique Hacienda de Manchester. Ce lieu fut dans les années 1980 1990 un véritable espace social transversal, tout à la fois salle de concerts, club, espace d’exposition et d’échanges. Il est reformulé au Mrac comme une extension de l’exposition. Concerts, performances, lectures ou conférences, à découvrir tous les dimanches à 15h. Une programmation d’événements variés et gratuits, dans un mix réjouissant entre les styles et les générations. Découvrir le programme sur : mrac.languedocroussillon.fr/

Source La Marseillaise 24/05/2016

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Les métropoles cultivent la culture

Visite street art avec l’association Vitry’n Urbaine à Vitry / © Steve Stillman

Visite street art avec l’association Vitry’n Urbaine à Vitry / © Steve Stillman

La culture est aujourd’hui un facteur puissant d’attractivité et d’identification pour les métropoles qui se livrent sur ce terrain une concurrence féroce. Deux économistes de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France se sont penchées sur le phénomène, à l’heure où le Grand Paris est toujours en quête de son identité.

Carine Camors et Odile Soulard, économistes à l’IAU d’Île-de-France et auteurs de l’étude «Lieux culturels et valorisation du territoire»

Le Guggenheim à Bilbao, le Louvre à Lens, le Centre Pompidou à Metz, le musée Dia:Beacon dans la grande banlieue de New-York sont autant d’exemples montrant que les lieux culturels peuvent générer de la visibilité et des retombées économiques importantes pour les territoires qui les accueillent. Ces succès poussent un nombre croissant d’acteurs locaux à attendre de ces lieux qu’ils contribuent davantage au développement économique et à l’attractivité touristique, dans un contexte où le tourisme culturel est en plein essor au niveau mondial. En Île-de-France, les industries culturelles et créatives totalisent plus de 500.000 salariés, soit 9% de l’emploi francilien. Un pourcentage supérieur à l’industrie automobile, les activités financières ou le secteur de la construction. De plus, la richesse des équipements culturels – la région dénombre plus de 3.900 musées et monuments historiques, 350 théâtres, 310 cinémas et 445 salles de concert – est un atout indéniable en termes d’éducation, d’aménagement et de dynamiques économiques et sociales. Pourtant, comme de nombreuses autres grandes métropoles, la région parisienne fait face à une saturation de son hypercentre. L’un des défis qu’il lui faut donc relever est d’assurer une meilleure irrigation de son territoire. Pour ce faire, il convient de s’interroger sur le rôle que peuvent jouer les lieux culturels en la matière.

La culture comme vecteur d’image

Par leur dimension symbolique, les lieux culturels sont en capacité de s’inscrire dans une stratégie visant à modifier l’image voire même l’identité dominante d’un territoire. C’est le cas pour le Beamish Museum près de Newcastle, Zollverein à Essen, le Dia:Beacon près de New-York, le Louvre-Lens, l’Istanbul Modern et la Tate Modern à Londres. Si tous les lieux culturels n’ont pas comme vocation première de se fondre dans cette démarche, ils en deviennent des acteurs « malgré eux » et peuvent largement en bénéficier à travers un soutien institutionnel, stratégique et parfois financier.

Certains lieux ont même été créés pour agir sur l’identité du territoire d’installation, comme le Louvre-Lens ou le Beamish Museum. Le territoire est ici marqué par une image négative associée au déclin de l’activité industrielle et à une faible attractivité. Le lieu culturel, par sa capacité à véhiculer un imaginaire et une identité, permet de renouer avec cette histoire tout en lui apportant une continuité présente et future. À travers le lieu, c’est ainsi le récit du territoire qui s’écrit et se renouvelle.

Ce récit peut s’inscrire dans un passé « fantasmé » et idéalisé, comme au Beamish Museum près de Newcastle, qui vise à recréer l’atmosphère d’un village anglais avant la guerre, ou offrir un témoignage fidèle du passé, comme le musée de la Ruhr à Zollverein ou le People’s History Museum à Manchester. Il peut aussi se tourner vers le futur. La Tate Modern de Londres a ainsi été construite comme musée du nouveau millénaire. Dans la plupart des cas, c’est souvent le mélange entre ces trois postures qui permet au lieu d’être symbole de continuité entre l’histoire et le devenir du territoire. Le musée des Guerres Impériales de Manchester, construit dans un bâtiment iconique et ultra-moderne, en est un exemple.

L’intégration de la culture dans une stratégie globale du territoire

Les acteurs locaux attendent des lieux culturels qu’ils soient non seulement des moteurs de l’attractivité du territoire mais aussi qu’ils contribuent à la compétitivité et à l’amélioration sensible de la qualité de vie. Pour réussir, les lieux culturels doivent s’inscrire dans une stratégie plus large développée par les acteurs territoriaux, qu’elle soit urbaine, de développement économique, d’attractivité ou d’éducation.

Le musée Guggenheim à Bilbao, ouvert en 1997 sur les rives de la ria du Nervion, est un exemple d’inscription dans une stratégie économique et urbaine plus large. À partir de 1992, le redéveloppement du front d’eau à la place des friches industrielles et portuaires est mis en place par l’agence Bilbao Ría 2000. Le schéma directeur (Masterplan) prévoit alors la construction de deux bâtiments emblématiques, sans en préciser la nature. Le port industriel est déplacé à l’extérieur du centre-ville, l’aéroport est rénové, les trains métropolitains sont modernisés et le métro apparaît en 1995. Le parc technologique de Zamudio, dans la proche banlieue de Bilbao, est également développé.

La proposition d’un musée Guggenheim suscite en premier lieu des critiques de la part des habitants et des associations culturelles, qui ne comprennent pas cet ordre de priorité. Il voit finalement le jour en 1997, deux ans avant le Palais Euskalduna (Palais des congrès et de la musique), qui accueille une programmation de concerts, opéras et pièces de théâtre. Le nouvel aéroport ouvre en 2000 et le tramway est opérationnel en 2002. Si l’on considère a posteriori que le musée a été la principale cause du renouveau de Bilbao, cet historique montre que les effets structurels du musée sur son territoire doivent être replacés dans le contexte d’une stratégie plus large impliquant des investissements importants dans différents domaines.

Le cas de Zollverein près d’Essen est sur ce point similaire. Construit sur un ancien complexe minier situé en bordure d’Essen, le projet de Zollverein a été mené dans le cadre de l’Exposition internationale d’architecture de 1989. Il a permis de donner une seconde vie aux installations et aux paysages industriels à travers des projets artistiques, environnementaux et architecturaux. Il s’est poursuivi pendant dix ans et a donné lieu à la création d’Emscher Park, grand projet paysager et culturel de 300 km de long. La stratégie de développement repose sur des investissements massifs dans les infrastructures (traitement de l’eau, réaménagement urbains et paysagers) et le capital humain (travail sur l’identité, la formation). L’objectif est d’améliorer les qualités endogènes du territoire (qualité de vie, identité territoriale, qualité de l’emploi) et son attractivité, qu’elle soit touristique, économique ou résidentielle.

Le site de Zollverein abrite aujourd’hui des musées (Musée d’Histoire de la Ruhr, le Red Dot Design Museum), un centre d’arts du spectacle, des galeries et ateliers d’artistes, une école de management et de design ainsi que des activités récréatives (escalades, parc, etc.).

Lieux culturels et cohésion sociale

Le dernier exemple de stratégie territoriale impliquant tout ou partie d’un lieu culturel vise à renforcer la cohésion sociale sur un territoire. Il se réfère à l’intensité des relations entre les habitants d’un même territoire, ainsi qu’au partage de valeurs et de règles communes. Les lieux culturels peuvent ainsi jouer un rôle dans la promotion de la diversité culturelle d’un territoire, participer à la vie locale et mener des actions sociales et éducatives. C’est le cas notamment du musée Dia:Beacon à New York. Situé dans une ancienne imprimerie d’emballages, symbole du passé industriel de la ville, il présente des collections d’art de 1960 à nos jours. Le lien avec le territoire est notable et organisé, notamment à travers des actions éducatives, la gratuité des musées pour les résidents, ou le positionnement de la ville comme destination d’art. La ville de Beacon se positionne comme destination d’art et lieu de résidence pour la classe créative. Des galeries d’art, résidences d’artistes et ateliers se sont créés depuis l’ouverture du musée.

Un potentiel sous-exploité en Île-de-France

Quelques enseignements sont à tirer pour l’Île-de-France. De nombreux lieux culturels, peu connus du grand public, souvent situés en périphérie de Paris, pourraient attirer davantage de visiteurs avec des actions ciblées mais ils ne peuvent le faire sans une dynamique collective.

Cela suppose une véritable stratégie de diversification de l’offre touristique qui permettra d’attirer les touristes au-delà des grands sites de Paris intramuros, du château de Versailles ou de Disneyland Paris, dans un contexte où les flux touristiques augmentent et la concurrence avec d’autres destinations prisées comme Barcelone, Berlin, Londres, New-York ou Shanghai s’intensifie.

L’ensemble de la région pourrait davantage tirer parti des nombreux atouts culturels et touristiques situés dans sa périphérie. Il s’agirait pour cela de s’appuyer sur de nouvelles offres basées sur des équipements et lieux récemment ouverts ou en projet (Fondation Louis Vuitton dans le bois de Boulogne, Cité musicale de l’île Seguin à Boulogne, Cité de la gastronomie à Rungis, etc.) ou de renforcer l’attractivité des sites culturels parfois méconnus des touristes, voire des Franciliens eux-mêmes, à l’instar par exemple des châteaux de Fontainebleau, d’Ecouen ou de Vaux-le-Vicomte, de la Cité de la céramique à Sèvres, du musée de l’Air et de l’Espace au Bourget, du MAC VAL à Vitry, de la Ferme du Buisson à Noisiel, du Centre d’art contemporain d’Ivry ou encore du Centre photographique d’Île-de-France à Pontault-Combault. L’accessibilité de certains de ces sites culturels sera améliorée avec le Grand Paris express, qui permettra de renforcer la desserte en transports en commun dans la région avec la création de 200 km de lignes de métro supplémentaires et 69 nouvelles gares d’ici à 2030.

Il convient en outre d’encourager la promotion de nouveaux lieux, pas uniquement patrimoniaux, comme les parcours de street art en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, la destination « Impressionnisme » dans le Val-d’Oise en lien avec la Normandie, le tourisme fluvial dans la vallée de la Seine, les sites industriels, (etc.).

Des actions en faveur de la formation, de l’offre d’hébergement et de la création d’entreprises culturelles et créatives peuvent également enrichir l’écosystème francilien et stimuler durablement son attractivité touristique.

Quant aux candidatures aux Jeux Olympiques de 2024 et à l’Exposition universelle de 2025, elles constituent deux occasions exceptionnelles d’accroître considérablement la fréquentation touristique visiteurs de loisirs et d’affaires en Île-de-France. Rien que pour l’Exposition universelle, les retombées économiques directes sont estimées à 23,2 milliards d’euros et 150.000 emplois créés pour une durée d’au moins deux ans. Elle permettrait également de faire évoluer l’image perçue de la région capitale à l’international afin de satisfaire les attentes de nouvelles clientèles.

Enfin, il est déterminant de faire prendre conscience aux élus et à la population de l’importance du tourisme sur le plan économique, mais aussi les bénéfices à en retirer en termes d’image et de réputation. Les lieux culturels sont un facteur puissant d’attraction de visiteurs qu’ils soient de proximité ou plus éloignés. Mais, à l’exception de publics spécifiques (CSP++, enseignants, etc.), ils constituent rarement le motif principal d’une destination. Renforcer l’attractivité d’un territoire à partir d’une offre culturelle suppose de construire ou valoriser une destination par la mise en réseau d’acteurs publics, privés, associatifs qui partagent un projet commun de développement (pas uniquement culturel) et de marketing territorial. Cela passe par la coopération avec les offices du tourisme, les professionnels du tourisme et du développement économique ainsi que la mise en place d’outils communs (informations pratiques sur Internet, création de circuits et d’itinéraires de découverte, visites à thème, signalisation,etc.). Agir ensemble est la condition nécessaire pour faire émerger une image plus contemporaine de la région capitale.


Source Libération 05/06/2016

A lire : L’écosystème créatif en Île-de-France (étude réalisée en 2015 par l’IAU)

Voir aussi : Actualite France, Rubrique Politique, Politique Culturelle,