Francesc Trabal : Romantique surréaliste

Rencontre Sauramps. « L’homme qui s’est perdu » de Francesc Trabal, le 28 avril à l’auditorium Musée Fabre.

Francesc Trabal (1899-1957), journaliste catalan républicain, exilé à l’issue de la guerre civile en France puis au Chili, nous ouvre les portes du surréel dans son roman L’homme qui s’est perdu. L’ouvrage vient de paraître dans la collection tinta blava créée par Llibert Tarrago qui a rejoint les éditions Autrement. Il est traduit de sobre et belle façon par la journaliste montpelliéraine Marie-José Castaing. Cette ahurissante histoire narre l’ascension fulgurante de l’entreprise de Lluis Frederic Picàbia. Elle entraîne le lecteur dans un jeu vertigineux. Il importe, pour compréhension des règles, d’enjamber les frontières de la raison, ce qui place résolument l’auteur catalan dans l’espace de la littérature vivante. La vie du jeune bourgeois barcelonais Lluis Frederic, bascule le jour ou sa fiancée le quitte. Accablé, le jeune homme décide de faire de la perte son mode de vie. Ce véritable défi prend forme sur le mode binaire de choses à perdre et à retrouver. Les objets où les choses perdues par Lluis Frederic sont variables et ses expériences toujours plus extravagantes. L’essence de la pensée surréaliste plane dans ce roman qui nous conduit aux quatre coins de la planète en bousculant les puissants codes de la propriété et de l’esthétique bourgeoise. Mu par une irruption émotive, le personnage principal jouit d’une capacité d’adaptation étonnante qu’il met à profit dans des projets toujours plus imprévisibles. Devenu un grand professionnel désintéressé Lluis Frederic va tenter le top, et il va l’atteindre, sauf imprévu…

Jean-Marie Dinh

L’homme qui s’est perdu. Editions Autrement, 15 euros.

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La part de vérité des acteurs du PSU et leurs implications

Michel Perraud a présidé l’UNEF de janvier 67 à mars 68. Photo Rédouane Anfoussi

L’histoire du PSU par ceux qui l’ont vécue. Un travail passionné né d’une rencontre d’anciens militants à propos de la commémoration de mai 1968 réunit un collectif de vingt-trois auteurs dans une publication qui rouvre le débat. « Au Cœur des luttes des années soixante, les étudiants du PSU . Une utopie porteuse d’avenir ? » (éditions Publisud). Sous ce titre explicite, on découvre une mine d’informations et de témoignages  sur les rapports des ESU (Étudiants socialistes unitaires), de l’UNEF et du PSU (Parti socialiste unitaire).

Le PSU 1960-1989

Si diversifiée soit-elle, la représentation collective de l’histoire des années 60 retracée par les  auteurs* se rapproche de la pensée de Gramsci qui refusait dès les années 20 la tyrannie de la reproduction sociale et politique, conséquence d’un déterminisme marxisme réducteur. Le PSU créé en 1960 fonde principalement son action sur le combat pour la paix en Algérie et en est l’un des acteurs essentiels. Il incarne durant trois décennies la deuxième gauche qui se situait entre la SFIO social-démocrate et le PCF.

L’ouvrage parcourt les années soixante pour finir en 1971, année où les ESU quittent l’Unef et où Michel Rocard qui assumait la direction du Parti se trouve face à une forte opposition interne. En 1974 après le bon score de Mitterrand à la Présidentielle, les assises sont présentées comme la dernière étape du processus de reconstruction de la gauche non communiste autour d’une stratégie d’union de la gauche. Rocard choisit de rallier le PS pour se faire un profil d’homme d’Etat. En 1981, Huguette Bouchardeau qui dirige le Parti, est nommée ministre. Le PSU s’auto-dissout en 1989.

Les étudiants socialistes unitaires

Le PSU s’est appuyé sur la transformation (et la laïcisation) de la CFTC en CFDT. Il a défendu l’expérience autogestionnaire, en soutenant notamment les travailleurs de l’usine de Lip. Le livre donne un éclairage particulier sur les liens du Parti avec l’Unef.  Dans les années 60, ce sont en effet les étudiants du PSU, regroupés sous la bannière des ESU, qui se trouvent au cœur des luttes politiques contre l’impérialisme. Le Montpelliérain Michel Perraud qui présidait l’Unef de janvier 67 à mars 68 se souvient. « En 67 nous héritions d’une situation très difficile sur le plan politique et financier. Le ministère de l’EN nous avait supprimé les subventions, et les AGE (dirigées par la droite corporatiste) ne payaient plus leurs cotisations pour s’opposer à notre position internationale qui prônait la décolonisation. On mesurait la contradiction entre la fonction de gestionnaire (cités et restos U) et nos actions revendicatives. » Michel Perraud, co-auteur de l’ouvrage, souligne le rôle prédominant de l’Unef en mai 68. « L’engagement politique de l’Unef à l’époque nous a permis de mobiliser au-delà du périmètre d’influence des organisations politiques étudiantes, et d’engager une coordination avec la CGT, la CFDT et la FEN. »

Après la célébration du cinquantenaire de sa création en 2010, il importait de remettre en valeur le rôle du PSU où beaucoup d’hommes politiques français ont fait leurs classes. Cet ouvrage permet aussi de revenir sur l’histoire de l’Unef des années 60, quelque peu revisitée après la scission entre l’Unef et l’Unef ID. Enfin la situation que nous traversons actuellement avec des structures politiques qui apparaissent inadaptées aux urgences démocratiques, sociales et environnementales n’est pas si éloignée des problématiques politiques rencontrées naguère pour rompre avec l’impérialisme capitaliste. Le dialogue avec des acteurs d’hier, qui sont aussi témoins et acteurs de la réalité d’aujourd’hui, s’engage ce soir à la salle Pétrarque.

JeanMarie Dinh

Au Cœur des luttes des années soixante, les étudiants du PSU . Une utopie porteuse d’avenir ? éditions Publisud, 413 p, 32 euros

Ce soir à 18h Salle Pétrarque, Présentation et signature du livre. Avec Jacques Sauvageot, Luc Barret et Michel Perraud, tous trois anciens militants du PSU et dirigeants du syndicalisme étudiant.

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Entretien Atiq Rahimi « Le vide, je suis en plein dedans »

 

Atiq Rahimi, l’écrivain franco-afghan, était jeudi dernier l’invité de la librairie Sauramps pour évoquer son dernier roman « Maudit soit Dostoïevski ». Une déclinaison de Crime et Châtiment dans une Kaboul secouée par les bombes, où «tuer est l’acte le plus insignifiant qui puisse exister».

A la différence de Syngué Sabour qui s’inscrivait dans un huis clos, votre dernier roman nous invite à une errance dans Kaboul, espace qui donne un sentiment de détachement où le vide occupe une place centrale…

Le vide, je suis en plein dedans. Ce sera le sujet de mon prochain livre et d’un projet d’exposition qui m’occupe actuellement. Dans Maudit soit Dostoïevski le personnage de Rassoul vit dans le vide. Au début, il sombre dans son orgueil comme  le Raskolnikov de Dostoïevski dans Crime et Châtiment. Puis, il évolue au fil de sa discussion avec le narrateur. Rassoul pense que sans lui le monde serait vide mais celui-ci lui fait comprendre que sa disparition aurait pour effet un monde sans lui. Dans ce parcours se définit quelque chose qui aboutit à un détachement.

Votre livre comporte un aspect métaphysique à travers la recherche du personnage mais aussi celle d’un pays mystique, l’Afghanistan, qui a perdu le sens des responsabilités ?

La littérature persane afghane est peuplée de grands penseurs mystiques qui ont mis l’accent sur le sens, le retour sur soi alors que la pensée religieuse n’a pas de pensée individuelle. Elle considère l’individu au nom de son identité ethnique, politique ou religieuse. En Afghanistan s’ajoute la situation propre à l’état de guerre qui annihile aussi la liberté individuelle.

Le meurtre que commet Rassoul est une façon d’affirmer sa liberté dans une guerre civile où il n’a pas choisi son camp ?

Il le croit. Mais son crime ne le rend pas plus libre. Cela réduit au contraire sa liberté alors que ceux qui continuent à tuer autour de lui parviennent à se sentir libre parce qu’ils n’ont pas de conscience. Rassoul va chercher à faire reconnaître sa culpabilité. Lacan disait que la pathologie de la culpabilité aboutit à deux résultats : la névrose chez ceux qui s’enferment avec leur culpabilité ou la psychose quand les gens refusent de l’endosser.

Guidé par une des femmes qui le hantent tout au long du récit, Rassoul se livre aux autorités mais ne parvient pas à faire exister son crime ?

Pour les autorités son appartenance supposée communiste revêt plus d’importance que l’acte criminel. Rassoul souhaite que l’on reconnaisse sa faute. Il veut être jugé. Cela peut nous renvoyer aux procès des criminels de guerre. Si le jugement n’a pas lieu, la loi aveugle de la vengeance demeure.

Elle se résout aussi parfois par un recours  à l’amnistie nationale…

Oui, ce fut au cœur de la polémique entre Mauriac et Camus au sortir de la guerre. Mauriac prenant le parti de l’amnistie au nom de la cohésion nationale et Camus se prononçant pour un jugement. Le débat est toujours d’actualité.

A vous lire on réalise à quel point la littérature nous est nécessaire pour porter l’histoire humaine et ses absurdités.

Maudit soit Dostoïevski est précisément un livre sur la littérature depuis son titre qui rend hommage à l’auteur russe jusqu’aux questions de conscience qu’il est, je l’espère, susceptible de soulever.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Maudit soit Dostoïevski, éditions P.O.L 19,5 euros

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Les éditeurs du Languedoc-Roussillon prêts pour le salon du livre

livres

Languedoc-Roussillon livre et lecture (LR2L) a invité les maisons d’éditions qui se rendent à la porte de Versailles. Une initiative suivie par une dizaine d’éditeurs (1) implantés dans la région venus présenter leur actualité littéraire avant de rejoindre le Salon du Livre qui se tient à  Paris du 18 au 21 mars .

Depuis trois ans, l’étendard régional  du Languedoc-Roussillon qui rassemblait sous sa bannière un vaste panel de la production régionale ne flotte plus au salon parisien. En raison du coût prohibitif du mètre carré, mais aussi de la volonté des éditeurs. On se souvient du tumulte de l’année dernière où de grands éditeurs dont Bayard et le groupe Hachette (Fayard, Grasset, Stock…) rejoints par plusieurs conseils régionaux avaient boycotté le salon pour protester contre le prix de location des stands. Cette année les prix ont baissé de 30% mais la durée de la manifestation s’est réduite dans les mêmes proportions…

« La décision du Conseil régional de ne plus louer de stand était en partie liée à la volonté des éditeurs, explique Christophe Bara le responsable des éditions l’Entretemps qui préside l’Association pour le développement de l’édition en région (L’Ader), chaque maison d’édition développe son identité et ses réseaux. Vu de l’extérieur un stand régional n’offre pas la meilleure des visibilités pour les lecteurs. »

A chacun ses choix

Si l’économie réalisée pour la collectivité n’est pas venue abonder le budget de LR2L qui reste constant, les éditeurs de la région ont la possibilité d’être soutenus individuellement  lorsqu’ils se déplacent sur les salons. Certains préfèrent se rendre au Salon du livre de Francfort, plus axé sur les échanges entre professionnels. « Le grand rendez-vous du livre parisien est une occasion pour porter nos productions à la connaissance de 30% des lecteurs français, » rappelle tout de même le représentant des éditions Au Diable Vauvert. Cela, même si le retour sur investissement n’est pas direct. « L’année dernière, à l’occasion de son dixième anniversaire, Le Diable a réalisé 11 000 euros de CA, soit 1% de son chiffre annuel sur le salon pour 35 000 investis. »


A chacun ses engagements

Le métier d’éditeur demeure une profession à risque. Outre l’incertitude économique, la liberté du choix éditorial s’accompagne de nombreux devoirs. L’éditeur est responsable de ce qu’il publie. Il doit aussi assurer des responsabilités graphiques et  techniques, dans le suivi de fabrication ainsi que le difficile  choix de la distribution. Le contrat signé avec les auteurs concerne sa rémunération comme l’engagement à promouvoir ses ouvrages dont la durée de vie imposée par le marché ne cesse de se réduire. « Nous allons sur un salon pour défendre l’ensemble de notre catalogue qui compte 600 titres disponibles » insiste à ce sujet le représentants des éditions Fata Morgana.

Dans un environnement rattrapé par les méthodes de gestion modernes et soumis aux mutations technologiques, il revient, dans une certaine mesure, aux collectivités publiques de mettre en valeur la contribution de cette profession à la vie culturelle, intellectuelle, linguistique, artistique et sociale. A l’image du phénomène littéraire de la fin de l’année 2010, signé par Stéphane Hessel et mis au monde par les éditions montpelliéraines Indigène dédiées aux arts et aux savoirs des cultures non industrielles du monde.


Jean-Marie Dinh


(1) 6 pieds sous terre, Altercomics, L’arachnoïde, Chèvre-feuille étoilée, Au diable Vauvert, Fata Morgana, H&O, Indigène, TDO, Verdier,

Voir aussi : Rubrique Edition, rubrique Livres, rubrique Politique culturelle,

Les poètes circulent en ville, place aux poèmes

le pouvoir vibratoire d’une poésie ancrée dans le réel.  Photo Jean-Louis Esteves

Initié en 1999, le Printemps des poètes est une manifestation nationale qui incite le plus grand nombre à fêter la poésie sous toutes ses formes d’expression. Il a contribué à changer la perception de la poésie en désacralisant le genre. Dans la région, La Maison de la poésie qui essaime à tous vents les voies poétiques avec une contagieuse passion a relayé la manifestation dès 2006. L’association présidée par le poète Jean Joubert vient de trouver cette année auprès de la Ville de Montpellier une juste reconnaissance. Elle dispose désormais d’un local et d’un soutien au fonctionnement. A l’occasion du 13e Printemps des poètes plus d’une vingtaine de rencontres gratuites sont programmées en ville.

Lundi 7 mars à l’occasion du lancement de la manifestation, l’adjoint à la culture Michaël Delafosse a salué l’éclectisme de la programmation concoctée par Annie Estèves, pour sa qualité et son ouverture en direction de la jeunesse et de la poésie contemporaine. Puis tout le monde s’est engouffré dans le tramway jusqu’à la Comédie pour suivre une intervention poétique. Symbolique démonstration du déploiement possible et nécessaire de cet art vivant dans l’espace publique. Un art dont le pouvoir vibratoire ouvre sur la profondeur du réel. La semaine s’est poursuivie au rythme de deux rendez-vous par soirée. A la Maison de la poésie à 18h30 et à la Salle St Ravy à 21h.

Le poème carrefour des arts

Mettre en avant la richesse poétique, c’est faire résonner le  fil intérieur du public, le captiver en croisant les arts. Lors de cette première semaine, la guitare flamenco de Pedro Soler s’est mêlée à la voix du poète Bruno Doucey pour un oratorio dédié à Federico Garcia Lorca. La puissance sauvage et citoyenne du comédien Julien Guill a fait retentir les paroles de Léo Ferré dans une interprétation hypnotique. Les comédiens David Léon et Frédérique Dufour ont marché sur le fil tendu de sang et de conscience par Jean Genet dans Le funambule.

« Poètes vos papiers. » scandait Ferré ce qui est aussi une façon de dire qu’on ne décrète pas un territoire poétique comme un couvre feu. Pour ouvrir un espace urbain sur l’infini, il faut l’irriguer de liberté. La ville entend affirmer la présence essentielle des poètes au sein d’une cité qui en a grand besoin. Ce ne sera pas une sinécure dans cet environnement de rails, de bruit et de poussière. La fuite effrénée au développement permanent et le conformisme des représentations qui l’accompagne n’est guère propice à l’espace poétique. Mais on le sait, quand la fenêtre est ouverte, le poème sait entrer avec une sincérité déconcertante. Il nous traverse, et  nous habite seulement quand on lui laisse le temps de poser son souffle. Il parcourt actuellement la ville. Sachez en profiter.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Poésie, Quelques prévisions de veillées poétiques, Voix de la Méditerranée le contenu d’une union , L’espace des mots de Pierre Torreilles, Salah Stétié, Rubrique Rencontre Jean Joubert, Bernard Noël, Gabriel Monnet,