Les éditeurs du Languedoc-Roussillon prêts pour le salon du livre

livres

Languedoc-Roussillon livre et lecture (LR2L) a invité les maisons d’éditions qui se rendent à la porte de Versailles. Une initiative suivie par une dizaine d’éditeurs (1) implantés dans la région venus présenter leur actualité littéraire avant de rejoindre le Salon du Livre qui se tient à  Paris du 18 au 21 mars .

Depuis trois ans, l’étendard régional  du Languedoc-Roussillon qui rassemblait sous sa bannière un vaste panel de la production régionale ne flotte plus au salon parisien. En raison du coût prohibitif du mètre carré, mais aussi de la volonté des éditeurs. On se souvient du tumulte de l’année dernière où de grands éditeurs dont Bayard et le groupe Hachette (Fayard, Grasset, Stock…) rejoints par plusieurs conseils régionaux avaient boycotté le salon pour protester contre le prix de location des stands. Cette année les prix ont baissé de 30% mais la durée de la manifestation s’est réduite dans les mêmes proportions…

« La décision du Conseil régional de ne plus louer de stand était en partie liée à la volonté des éditeurs, explique Christophe Bara le responsable des éditions l’Entretemps qui préside l’Association pour le développement de l’édition en région (L’Ader), chaque maison d’édition développe son identité et ses réseaux. Vu de l’extérieur un stand régional n’offre pas la meilleure des visibilités pour les lecteurs. »

A chacun ses choix

Si l’économie réalisée pour la collectivité n’est pas venue abonder le budget de LR2L qui reste constant, les éditeurs de la région ont la possibilité d’être soutenus individuellement  lorsqu’ils se déplacent sur les salons. Certains préfèrent se rendre au Salon du livre de Francfort, plus axé sur les échanges entre professionnels. « Le grand rendez-vous du livre parisien est une occasion pour porter nos productions à la connaissance de 30% des lecteurs français, » rappelle tout de même le représentant des éditions Au Diable Vauvert. Cela, même si le retour sur investissement n’est pas direct. « L’année dernière, à l’occasion de son dixième anniversaire, Le Diable a réalisé 11 000 euros de CA, soit 1% de son chiffre annuel sur le salon pour 35 000 investis. »


A chacun ses engagements

Le métier d’éditeur demeure une profession à risque. Outre l’incertitude économique, la liberté du choix éditorial s’accompagne de nombreux devoirs. L’éditeur est responsable de ce qu’il publie. Il doit aussi assurer des responsabilités graphiques et  techniques, dans le suivi de fabrication ainsi que le difficile  choix de la distribution. Le contrat signé avec les auteurs concerne sa rémunération comme l’engagement à promouvoir ses ouvrages dont la durée de vie imposée par le marché ne cesse de se réduire. « Nous allons sur un salon pour défendre l’ensemble de notre catalogue qui compte 600 titres disponibles » insiste à ce sujet le représentants des éditions Fata Morgana.

Dans un environnement rattrapé par les méthodes de gestion modernes et soumis aux mutations technologiques, il revient, dans une certaine mesure, aux collectivités publiques de mettre en valeur la contribution de cette profession à la vie culturelle, intellectuelle, linguistique, artistique et sociale. A l’image du phénomène littéraire de la fin de l’année 2010, signé par Stéphane Hessel et mis au monde par les éditions montpelliéraines Indigène dédiées aux arts et aux savoirs des cultures non industrielles du monde.


Jean-Marie Dinh


(1) 6 pieds sous terre, Altercomics, L’arachnoïde, Chèvre-feuille étoilée, Au diable Vauvert, Fata Morgana, H&O, Indigène, TDO, Verdier,

Voir aussi : Rubrique Edition, rubrique Livres, rubrique Politique culturelle,

Pour une critique de l’édition dominante

Parce que le livre est un média, il ne peut pas échapper à la critique des médias. Son industrie est concernée par des problématiques similaires à celles de la presse écrite ou de la télévision : exigence de rentabilité et de rapidité. Etouffée par un puissant oligopole qui fabrique, diffuse et promeut une grande partie des livres, l’édition alternative doit se retrousser les manches pour survivre. Nous reproduisons ci-dessous l’intervention d’Antoine Schwartz lors du jeudi d’Acrimed du 27 mai 2010 consacré à ce sujet. (Acrimed)

En 1999, l’éditeur franco-américain André Schiffrin publiait un ouvrage au titre équivoque (et fort bien trouvé) : L’édition sans éditeurs [1] (La Fabrique). Il y racontait la manière dont la maison à laquelle il appartenait, Pantheon Books, s’était fait racheter par des géants du secteur. Réputée pour son catalogue exigeant, elle avait alors subi une restructuration drastique au point que Schiffrin décide de la quitter pour fonder sa propre boutique, indépendante et engagée, The New Press.

La même année, Pierre Bourdieu publiait dans la revue scientifique, Actes de la recherche en sciences sociales, un article intitulé « Révolution conservatrice dans l’édition » (n°126-127, année 1999). Le sociologue y décrivait le secteur de l’édition comme un espace autonome organisé selon des logiques à la fois économiques et symboliques : tout oppose, par exemple, la grande maison d’édition commerciale qui privilégie les best-sellers américains au petit éditeur qui met un point d’honneur à publier des écrivains difficile d’accès, et à la diffusion restreinte. Bourdieu soulignait en conclusion l’emprise croissante des logiques économiques sur le secteur, et le risque pour l’édition française de subir une normalisation menée au nom des diktats de la rentabilité.

Les faits donnaient raison à ces inquiétudes. Un processus de concentration était à l’œuvre : en 2004, il devait prendre un tour spectaculaire avec, d’une part le rachat du Seuil par La Martinière, et d’autre part celui de la majeure partie du géant de l’édition, Editis, propriété de Vivendi, par Wendel Investissement. Tout un symbole : Wendel Investissement était en effet, non pas un groupe d’édition, mais un holding financier – à ce titre peu préoccupé de poésie –, qui plus est dirigé par une personnalité bien connue, le baron Ernest Antoine Seillière, alors président du MEDEF (Mouvement des entreprises de France).

Qu’en est-il aujourd’hui ? « La situation actuelle est bien pire que ce que je dépeignais [il y a dix ans], pire que ce à quoi je m’attendais », écrit Schiffrin en ouverture de son nouvel ouvrage L’argent et les mots [2]. Le diagnostic critique formulé à l’époque par cet auteur (et d’autres [3]) conserverait, à l’entendre, toute son actualité. On se propose donc d’y revenir, brièvement, en quatre points.

L’étau de la rentabilité

Le premier problème se trouve être, bien sûr, celui de la concentration, qui soumet des pans entiers du secteur à des grandes multinationales qui, pour certaines, contrôlent toute la chaîne du livre, depuis sa conception jusqu’à sa distribution dans les points de vente. Aujourd’hui, en France, deux mastodontes dominent le secteur. Le premier est Hachette Livre, qui appartient au groupe Lagardère. Avec un chiffre d’affaire de 2 159 millions d’euros en 2008 (et près de 20% de part de marché), il est le premier éditeur français et le 2e groupe d’édition au niveau mondial. Il possède des dizaines de « marques » – selon l’expression des gestionnaires – telles Armand Colin, Calmann-Lévy, Stock, Fayard, Grasset, Hachette, Hatier, Lattès, Larousse, etc. Le deuxième géant est Editis, acheté 650 millions d’euros par Wendel Investissement et revendu pour plus d’un milliard à Planeta, une entreprise espagnole – une opération dont le bénéfice fait figure de record en la matière. Editis comprend, entre autres, La Découverte, Le Cherche-midi, Perrin, Plon, Robert Laffont, XO, Nathan, etc. D’autres groupes (un peu) moins puissants pèsent également de tout leur poids, tels Albin Michel, Flammarion (RSC Mediagroup), Gallimard, France Loisirs (Bertelsmann), La Martinière et Médias-participation. Aux marges de l’oligopole, les petites et moyennes maisons d’éditions se comptent en revanche par centaines, et même par milliers.

Cette concentration traduit en fait quelque chose de plus profond : l’emprise croissante de la logique financière sur le secteur. C’est le deuxième point. Ce n’est pas que les éditeurs rechignaient par le passé à faire du profit – publier des livres est un commerce, et aucun éditeur ne saurait se soustraire à ces contraintes, sous peine de péricliter. Mais en exigeant des taux de rentabilité toujours plus élevés, on a bouleversé insensiblement toute l’économie du secteur. « Pendant tout le XIXe siècle et l’essentiel du XXe siècle, le bénéfice moyen des maisons d’édition en Europe et aux États-Unis se situait autour de 3-4% par an » indique Schiffrin, qui précise que « ce rendement paraissait tout à fait normal [4] ». Dans les grands groupes, on peut exiger désormais des taux s’élevant à 10, 15, voir 25 %. Or, quand la logique de la rentabilité prime, toute une série de livres exigeants, qui se vendent peu et nécessitent du temps pour trouver leur public, deviennent problématiques. La course au best-seller imprime ses marques, celle du temps court et du succès commercial – contrairement au temps long des livres qui se vendent moins mais fondent un catalogue digne de ce nom.

Cette observation ne signifie aucunement que les grandes maisons ne publient que des livres de piètre intérêt ou de grande consommation. Quiconque, par exemple, apprécie les ouvrages de sciences humaines et sociales, n’ignore certainement pas que Fayard (qui appartient à Lagardère) ou La Découverte (propriété d’Editis), en publient d’excellents dans ces domaines – y compris des ouvrages engagés à gauche. Simplement, de fait, l’audace en matière de création littéraire, et la critique sociale en matière de politique, se situent essentiellement du côté des petits éditeurs indépendants.

Des « documents choc » vite oubliés

Troisième point : qui dit logique commerciale dit aussi ingérence des logiques de marketing pour démultiplier les ventes. On observe ainsi, de manière croissante, une profusion de livres qui sont (plus ou moins) conçus à la va-vite, pensés comme des coups marketings, et promus comme tels dans les grands médias. Les auteurs de romans de gare à succès (type Dan Brown ou Marc Lévy) ne sont pas seuls en cause. Il faut aussi avoir à l’esprit tous ces essais (généralement inconsistants) publiés par des éditorialistes ou des intellectuels médiatiques, systématiquement présentés dans la grande presse comme des chefs d’œuvre de la pensée. Ce n’est pas un hasard si parmi les secteurs très lucratifs figure celui du « document d’actualité », dont le succès repose souvent sur du sensationnel : de 1990 à 2005, son chiffre d’affaire a augmenté de 124 % [5]. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, et la profusion de livres le concernant, tout laisse à penser que le phénomène s’est poursuivi, et même amplifié. C’est aujourd’hui le genre de livre qui recouvre les étalages des libraires.

Car la promotion marketing fait vendre et rapporte gros. Un exemple, celui l’ouvrage de Florence Aubenas, intitulé le Quai de Ouistreham (éditions de l’Olivier), dans lequel la journaliste raconte son expédition de Paris à Caen, des quartiers cossus de la capitale au monde des travailleurs précaires – une intrépidité que le gratin du journalisme parisien a jugée digne des reportages d’Albert Londres ou de Joseph Kessel… en oubliant cependant que l’année précédente, une jeune journaliste avait déjà mené une enquête de ce type, dans des conditions très semblables, sans que le milieu ne s’en émeuve [casino greece pourtant je me suis levée tôt… Une immersion dans le quotidien (…) » rel= »footnote » href= »http://www.acrimed.org/article3395.html#nb6″>6]. Il est vrai que tous les ouvrages ne bénéficient pas, comme le document choc d’Aubenas, d’un plan de lancement aussi soigné : tandis que Le Nouvel Observateur, où officie la journaliste, y consacre sa Une et en a publié les bonnes feuilles, les autres rédactions, afin de créer la surprise, ne reçoivent le livre que quelques jours avant sa parution ; campagne de promotion oblige, Aubenas se lance ensuite dans une tournée frénétique, multipliant les interviews dans les journaux, la télévision et la radio [7]. Résultat, à peine sorti, le livre se trouve propulsé en tête des meilleures ventes. Deux mois après sa sortie, les ventes atteignent 120 000 exemplaires (Le Parisien, 12 avril 2010) – un chiffre certainement supérieur à la diffusion du fameux Quai de Wigan de George Orwell, auquel le titre de l’ouvrage de Aubenas fait (malheureusement) référence.

Remarquons, en passant, qu’il arrive (certes rarement !) que la promotion médiatique échoue : Le Parisien révélait ainsi que Bernard-Henri Lévy, malgré une campagne médiatique proprement phénoménale [8], n’avait vendu « que » 3 700 exemplaires de ses Pièces d’identités (Grasset), et 5 000 exemplaires de sa Guerre en philosophie [9] (Grasset) – un ouvrage pourtant mémorable en ce qu’il évoque un philosophe, M. Botul… qui n’existe pas. Pour « BHL », c’est peu de dire que de tels chiffres sonnent comme une déconfiture.

Le dernier point concerne la distribution et la diffusion des livres. En ces domaines également, la concentration a imprimé sa marque puisque le 1er distributeur n’est autre que Hachette-Livre, le 1er éditeur – son Centre de Distribution du livre à Maurepas verrait passer chaque années plus 180 millions de volumes à destination de 20 000 points de vente. S’agissant des ces points de vente, on estime, en ordre de grandeur, que 80% du chiffre d’affaire est réalisé par seulement 20 % des librairies. Si le prix unique du livre constitue un garde-fou essentiel, il n’en reste pas moins que la santé financière des librairies indépendantes – auquel le sort de la petite édition est intimement lié – apparait très fragile, tant la concurrence avec les grandes enseignes et internet (la librairie Amazon notamment) s’avère rude. D’autant qu’une incertitude réelle règne quant aux effets de la révolution numérique sur le commerce de livre, qu’il s’agisse de l’introduction des liseuses numériques ou des visées gargantuesques de Google [10].

Toutefois, au-delà des spéculations sur le futur, il est un effet immédiat, très visible et particulièrement néfaste, causé par les transformations économiques : la surproduction de livres, qui enrichit les distributeurs et permet aux grands éditeurs d’asseoir leur présence sur le marché et les chances de succès. En 2009, sont parues 63 000 nouveautés et rééditions [11]. Cinq années auparavant, en 2004, c’était environ 10 000 titres de moins – dix ans avant, 25 000 de moins ! Cela implique concrètement que tous les livres ne peuvent figurer sur les étalages des librairies et qu’il existe une rotation très importante diminuant d’autant les chances pour le livre de trouver son public.

Quelle audience pour les éditeurs engagés ?

Que retenir de ces quatre points ? Essentiellement que le renforcement général des logiques commerciales dans le milieu de l’édition exerce des effets puissants, à la fois sur les types de livres susceptibles d’être publiés et sur les types de livre qui ont une chance de trouver un large public. Le problème se pose tout particulièrement pour les ouvrages publiés par les maisons d’éditions engagées. Les idées dissidentes, on le sait, sont structurellement marginalisées dans le débat politique ; leurs chances de se faire connaître d’une large audience et de peser dans le débat public sont relativement minces. C’est peu dire, par exemple, que les livres contestataires sont à peu près invisibles dans l’espace médiatique dominant ; ou qu’ils subissent les censures insensibles du système de distribution des livres, avec la surproduction et la rotation rapide qui le caractérisent. Au mieux, ces ouvrages sont emportés, pour ne pas dire noyés, dans le grand flux des nouveautés, des livres de bric-et-de broc qui alimentent la grande chaudière de la surconsommation médiatique.

Face à cette situation, il importe toujours de rappeler, comme le fait André Schiffrin au début de L’édition sans éditeurs, «  qu’il n’a pas toujours été admis que le grand public ne souhaite que du divertissement » – qui plus est, du mauvais divertissement [12]. De nombreuses expériences historiques témoignent que rien n’oblige les marchands de culture – hormis la recherche inconsidérée du profit – à concevoir les livres exigeants et porteurs de critique sociale au seul bénéfice des classes favorisées. Schiffrin cite, entre autres, les exemples de Penguin Books, dont l’ambition, à ses débuts, était d’offrir à un public populaire à la fois savoir et délassement, ou du Left Book Club – qui avait publié en son temps The Road to Wigan Peer, de George Orwell, déjà mentionné :

« […] le Left Book Club mettait à la disposition d’un vaste public une phénoménale quantité de travaux et d’études importante. Sous leur marque parurent les livres d’Edgar Snow sur la révolution chinoise et les principaux textes analysant la montée du nazisme et l’imminence du conflit en Europe. Ces livres qui se vendaient par dizaines de milliers d’exemplaires, à des prix comparables à ceux de Penguin, ont contribué à créer une opinion publique de gauche extrêmement bien informée. Il est intéressant de noter que les livres du même type publiés aujourd’hui sortent de presses universitaires avec des tirages minuscules et des prix prohibitifs, sous le prétexte qu’il n’y a pas de public pour ce genre d’ouvrages. Pourtant cette expérience des années trente, évidemment appuyée sur un autre contexte politique, montre qu’il a été possible de trouver alors une grande masse de lecteurs pour des livres exigeants, sur des sujets qui devaient souvent paraître très éloignés des préoccupations quotidiennes de la plupart des Anglais. » [13]

En France, cette conception du travail d’éditeur, beaucoup l’ont partagée. Mentionnons seulement deux maisons emblématiques de la gauche communiste d’après-guerre : les éditions Maspero et les Editions sociales. Leur expérience respective, rappelons-le, apparait étroitement liée à l’existence d’un tissu de librairies militantes – on peut lire quelques bribes de cette histoire dans un bel ouvrage, l’Histoire de la librairie [14]. On y apprend, par exemple, comment le Parti communiste français a construit au sortir de la guerre un grand réseau de librairies (dit de La Renaissance française) attachées aux fédérations du parti ; ou bien, comment l’organisation avait créé son propre système de diffusion dans le but de ne pas dépendre d’Hachette ; on y découvre aussi comment ces librairies se trouvaient associés à tous les relais culturels des villes communistes, ainsi qu’aux entreprises qui, par le biais des syndicats, faisaient acheter des quantités de livres par les comités d’entreprises.

Au milieu des années 1970 on comptait ainsi une quarantaine de librairies dans ce réseau – sans compter le club Diderot qui assurait la vente par courtage. Au tournant des années 1980, le groupe Messidor fait même partie des dix plus grands groupes de l’édition française. L’histoire des éditions Maspero s’avère, évidemment, très différente : on ne saurait, toutefois, oublier que la célèbre librairie fondée par François Maspero au quartier latin (« La Joie de lire ») représente une sorte de modèle des dizaines de libraires militantes qui fleurirent dans les années 1960 et 1970, à travers toute la France. Ces librairies ont constitué des outils essentiels de formation des militants, ainsi qu’un vecteur important de politisation des étudiants. La plupart toutefois ne devaient pas survivre à la réaction conservatrice des années 1980.

***Ce genre d’expériences rappelle le rôle que jouent aujourd’hui les librairies engagées et les libraires consciencieux dans la diffusion des livres exigeants, et en particulier des livres porteurs de pensées rétives à l’ordre établi. Néanmoins, la façon de s’attaquer réellement au problème est certainement tout autre. Il convient d’imaginer – et d’imposer – des mesures qui permettraient de desserrer l’étau de la contrainte économique qui pèse si fortement sur le secteur de l’édition. Ce peut être un encouragement donné par les pouvoirs publics – grâce à la modulation des aides publiques – au développement de statuts du type « sociétés à but non lucratif ». Ce pourrait être aussi, un jour, le vote par ces mêmes pouvoirs publics de lois anti-concentration qui viseraient à restreindre considérablement la puissance des grands groupes.

Publié le 16 juin 2010 par Antoine Schwartz

Notes

[1] En réalité, ce titre reprenait celui d’un article de Jérome Lindon dans Le Monde du 9 juin 1998.

[2] André Schiffrin, L’argent et les mots, Paris, La Fabrique, 2010, p.9.

[3] cf. en particulier l’ouvrage de Janine et Greg Brémond, L’édition sous influence, Paris, Ed. Liris, 2002. (2004). A ce sujet voir l’introduction au jeudi d’Acrimed, du 19 décembre 2002, consacré à la concentration dans l’édition.

[4] André Schiffrin, L’argent et les mots, op. cit., p.17.

[5] Cité par Martine Prosper, Edition, l’envers du décor, Paris, Lignes, 2009, p. 19.

[6] Elsa Fayner, Et pourtant je me suis levée tôt… Une immersion dans le quotidien des travailleurs précaires, Paris, éditions du Panama, 2008. Cet ouvrage n’a rien du coup de tête d’une diva : pour preuve, son auteur tient un blog consacré à ces questions, intitulé : « Et voilà le travail, chroniques de l’humain en entreprise ».

[7] Voir l’article d’Acrimed : « La médiatisation de l’enquête de Florence Aubenas : un cache-misère ? ».

[8] Voir l’article d’Acrimed : Le lynchage médiatique de Bernard-Henri Lévy : c’est assez !.

[9] « Ils rêvaient d’un best-seller… », Le Parisien, 12 avril 2010.

[10] Sur le cas Google, lire Robert Darnton, « La bibliothèque universelle, de Voltaire à Google », Le Monde diplomatique, mars 2009.

[11] D’après le Centre national du Livre.

[14] Patricia Sorel et Frédérique Leblanc (dir.), Histoire de la librairie, Paris, éditions du Cercle de la Librairie, 2008 ; voir les contributions de Julien Hage.

La vie du livre n’est pas un long fleuve tranquille

FRANCE BOOK FAIRSalon du livre 2010. Vitalité de la diversité éditoriale et tendance mutante au premier rendez-vous de l’édition en France.

Le Salon du livre de Paris qui s’est tenu du 26 au 31 mars fêtait cette année sa trentième édition. Commencée sur fond de crise et d’inquiétudes diverses relatives à son avenir, la manifestation s’est achevée sur un bilan assez mitigé. 190 000 visiteurs ont été accueillis cette année soit un recul de 7% par rapport aux 204 000 de l’année 2009. Les vives critiques de certains éditeurs sur le prix de location des stands rejoints par plusieurs conseils régionaux – c’est notamment le cas du Languedoc-Roussillon qui préfère depuis deux ans adapter son soutien à la demande plus spécifique des éditeurs – ne sont sans doute pas étrangères à ce recul.

Plusieurs éditeurs se sont abstenus dont Bayard et le groupe Hachette (Fayard, Grasset, Stock…). Un vent de fronde s’est levé pour un retour au Grand Palais, lieu de naissance de la manifestation qui fut conçue peu avant l’adoption du prix du livre unique en 1981 pour rassembler les acteurs du livre et faire de ce rendez-vous public une manifestation culturelle de première importance.

On peut regretter l’absence cette année d’un pays invité d’honneur, remplacé par un triple hommage, à la littérature turque, russe et africaine autour de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance dans quatorze pays africains. Cet éclatement thématique dissipe la force d’un thème central. Comme le souligne Arnaud Laporte, animateur de l’émission Tout arrive sur France Culture : « La pertinence de la formule un « Pays invité » permettait de mettre en lumière des écrivains dont nous n’aurions jamais entendu parler et soulignait le travail remarquable souvent entrepris par des petites maisons d’édition qui ont le goût et l’envie de nous faire découvrir d’autres horizons littéraires, par le biais de la traduction. »

Si en 2008 l’invitation de la littérature israélienne avait entraîné un mouvement de boycott, le coup de projecteur sur la littérature mexicaine, invitée d’honneur l’année dernière, s’était soldé par une vraie découverte avec plus de 20 000 livres vendus.

Le Salon du livre reste, quoiqu’on en dise, une occasion de prendre la température auprès de l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Avec 63 690 nouveautés parues cette année, malgré la crise, le secteur maintient une stabilité de la production (+ 0,1%) après avoir cru de 62% en dix ans. La tendance se révèle dans les ajustements par genre. En baisse, les ouvrages de loisirs créatifs (- 23%) l’ésotérisme (-11%), la gestion (-13%), on observe en revanche une hausse des romans fantastiques (+20%), des livres de cuisine (+13%) et leur pendant avec les livres de santé et de diététique (+11%). Les romans français accusent une légère baisse de 2% et les romans étrangers de 3%.

L’édition 2010 a tenté de développer la professionnalisation avec l’ouverture d’un centre de droits et du licensing qui a reçu les agents littéraires et les responsables de droits étrangers ainsi qu’un marché des droits audiovisuels ouvert aux producteurs. Mais le salon parisien privilégie toujours la rencontre des écrivains et des lecteurs. Toutes les mouvances esthétiques et les écoles d’écriture s’y retrouvent pour étancher la soif de curiosité du public. Et les interminables files d’attente des lecteurs de Paul Auster, Salman Rushdie ou Amélie Nothom démontrent que les dédicaces convoitées n’ont pas de prix.

Jean-Marie Dinh

Le salon de conversations

Place des Livres, au fond du salon, les débats se succèdent. « Avec ses impératifs liés aux maquettes, la presse offre un espace de plus en plus réduit à la critique, constate Jean-Claude Lebrun qui pratique le genre depuis plus de vingt cinq ans pour l’Humanité. On est obligés d’écarter beaucoup des aspects de l’approche pour restituer un rendu global. C’est aux lecteurs de fournir la part complémentaire… »


Air du temps et du livre numérique qui pose la mort du papier comme un thème littéraire. La presse semble de plus en plus contournable pour les éditeurs qui misent désormais sur les libraires pour assurer le bouche à oreille essentiel pour vendre un livre. Problème, les libraires indépendants sont aussi en danger face au développement des grandes surfaces culturelles ou pas.

Au salon, il y a aussi de petits éditeurs qui remontent leurs manches pour défendre eux-mêmes leurs poulains. C’est le cas des Editions montpelliéraines Le Chèvre feuille étoilé qui, depuis dix ans, publient des femmes méditerranéennes (Wassyla Tamzali, Claude Ber, Maïssa Bey, Peggy Inès Sultan, Catherine Rossi, Najia Mehadji, Leïla Sebbar). Elles sont montées à Paris pour fêter leur dixième anniversaire.

Marion Mazauric

Marion Mazauric

Au diable Vauvert qui a le même âge, a eu la même idée. Eux aussi sont arrivés en famille avec Pierre Bordage, Régis de Sa Moreira, Ménéas Marphil, Nicolas Ray et Catherine Fradier la petite dernière venue présenter son dernier livre Cristal défense qui est sorti la veille. Ce bouquin écrit comme une série TV tombe comme un pavé dans la marre des spécialistes du renseignement économique, du contre-espionnage et de l’info-guerre au cœur des entreprises. Le catalogue du Diable est impressionnant. « Nous sommes nés adultes, précise Marion Mazauric qui dirigeait la collection J’ai lu, avant de créer sa propre structure, La maison est née pour des auteurs traduits qui ne disposaient pas de lisibilité. Notre créneau ce sont des écrivains hors genre pour la plupart issus de la génération née dans les années 60. Je publie ce qui me dérange. Ce qui modifie mon paysage. » la lucidité frappe toujours deux fois !

JMDH

Lecture politique

Les quatorze travaux de Frédéric

mitterrand-lectureLa princesse de Clèves fut la star du salon 2009 après la sortie de Sarkozy qui l’avait rendue si populaire. Alors que le salon fermait ses portes, c’est sans doute pour lui voler la vedette que le ministre de la Culture a présenté quatorze propositions visant à redonner aux Français l’envie de lire. Pour mettre fin «  à la lente érosion de la lecture et à son déclin en tant que pratique culturelle de référence depuis les années 1980 », Frédéric Mitterrand promet de débloquer tous les ans une enveloppe de près de 100 millions d’euros. Dans une société où la lecture ne passe plus uniquement par le support papier, l’ensemble des bibliothèques et médiathèques des communes de plus de 20 000 habitants passeront toutes d’ici à 2015 à l’ère du numérique, avec un accès à Internet et leur propre site web.

Le ministère souhaite également que les 50 bibliothèques des agglomérations les plus densément peuplées après Paris soient ouvertes « 50 heures » par semaine, contre 38 en moyenne actuellement. Enfin, la tradition qui consistait à offrir une anthologie de poésie aux jeunes mariés sera remise au goût du jour, de même que l’opération « Premières pages » qui consiste à offrir un livre à chaque nouveau-né. Frédéric Mitterrand lance A vous de lire ! anciennement Lire en fête . Les festivités sont d’ores et déjà prévues dans toute la France du 27 au 30 mai. Et le bilan des effets concrets de ces annonces un peu plus tard…

Voir aussi : Rubrique Politique culturelle, Elections régionales 2010 l’enjeu culturel,   model culturel français et perspectives,

Rapport pour avis du député Marcel Rogemont sur les crédits création; transmission des savoirs et démocratisation de la culture du Ministère de la Culture et de la Communication présenté au nom de la commission  des affaires culturelles et de l’éducation.

« La question des institutions est centrale dans la République »

Jean-Claude Milner « N'importe quelle règle ne vaut pas n'importe quelle autre »  Photo DR

C’est au philosophe, linguiste Jean-Claude Milner, ex directeur du Collège international de philosophie, grand lecteur de Marx, Freud, Lacan, Foucault…que revient la charge de la leçon inaugurale des XXIV ème Rencontres de Pétrarque à Montpellier organisées par France Culture en collaboration avec Le Monde sur le thème : Après la crise , quelle(s) révolution(s) ?

Que vous évoque cet intitulé ?

D’un certain point de vue, il me ramène à l’interrogation sur le mot révolution et au fait qu’autrefois, avant que ce mot désigne un total changement, dans le langage astronomique comme politique, il désignait le retour à un état antérieur. Et il me semble que dans le titre, les deux interprétations se laissent déchiffrer. Une des interprétations de la crise est quelle est financière et qu’il faut revenir au fondamentaux du capitalisme classique : C’est-à-dire fondé sur la production industrielle et non pas sur des produits sophistiqués totalement disjoints de la production de biens.

Le recours en force à l’Etat pour éponger les pertes bancaires pourrait contribuer à cette vision…

En nationalisant les pertes, on a retrouvé des procédures qui existaient de longue date. Lorsque Obama lance un plan pour soutenir les banques ou en nationalisant Général Motors il ne fait pas quelque chose sans précédent dans l’histoire américaine puisque cela ramène au New Deal et à la politique de Roosevelt.

Envisagez-vous cette notion de révolution comme une solution à l’impossible équation du capitalisme financier ?

Les solutions qui sont aujourd’hui présentées à cette équation impossible sont des retours au capitalisme classique. En revanche, si le centre du pouvoir bouge des Etats-Unis ou de l’Europe vers l’Inde et vers la Chine ce serait un déplacement sans précédent. Je ne vois pas de révolution sociale venant de l’Atlantique nord.

Inscrit au singulier, le mot crise sous-tend la rupture de l’équilibre mais il concerne plusieurs champs : financier, économique, politique, social, écologique…

Quand on emploie le mot au singulier, on évoque la crise financière qui a fait basculer un modèle de manière spectaculaire. Mais évidemment, cela débouche sur une crise économique. Et dans un certain nombre de pays, je pense notamment à la Chine, une crise économique se traduira par la famine. Un pays où des millions de gens sont frappés par la famine peut connaître des troubles extrêmement graves. Les grandes crises sociales dans l’histoire européenne sont liées à la famine qui ne menace pas aujourd’hui l’Occident.

Existe-t-il un risque de révolution sociale en Occident malgré l’affaiblissement historique du prolétariat et du syndicalisme ?

Objectivement, les pays occidentaux font de l’industrie sans ouvriers ou avec de moins en moins d’ouvriers. C’est un très grave problème. Je ne vois pas de révolution se profiler à l’horizon de ce point vue là. Je ne pense pas que nous verrons resurgir en France des grands bassins d’emploi industriel.

Reste que la crise des subprimes pose les limites et brise la mécanique du capitalisme financier qui a institutionnalisé le profit, la précarité, et l’endettement…

Oui, c’est pour cela qu’il faut observer de très prêt la manière dont le capitalisme industriel va se réunifier, s’il se réunifie. Il ne le fera pas sur des bases ouvrières comme précédemment. Un pays comme l’Allemagne ne renoncera pas à fonder son développement économique sur les machines outils. De la même manière les Etats-Unis vont jouer la carte du versant industriel de l’écologie.

Les scénarios de sortie de crise seront au cœur des Rencontres Pétrarque et notamment celui de la guerre comme issue possible ?

La guerre peut effectivement être envisagée à la condition quelle soit extrêmement circonscrite. Les deux guerres d’Irak sont à ce sujet deux exemples opposés de la manière dont une guerre peut être menée de telle façon qu’elle relance ou ne relance pas l’économie. La première guerre d’Irak était très circonscrite, la deuxième ne l’était pas. Et s’est traduite par un affaiblissement de l’économie américaine alors que la première a amené une consolidation. Maintenant je vois mal, même la Grande Bretagne qui est beaucoup plus active sur le plan militaire, utiliser la guerre comme moyen de relance économique. Elle n’en a pas la capacité.

Si la vision d’Obama en matière de politique étrangère ne semble pas belliqueuse, ce n’est pas le cas d’une partie de son entourage qui trouve des partisans au sein de l’UE ?

La logique d’Obama est une logique qui inclut la possibilité d’une intervention militaire circonscrite dans l’espace et dans le temps. La question qui se pose est de savoir si, étant donné ce qu’est l’Afghanistan, l’Iran voisin et le Pakistan, la possibilité d’une guerre limitée est vraiment ouverte. Est-ce vraiment possible ? Le discours du Caire d’Obama n’est pas un discours qui s’adresse à l’Islam dans son ensemble, mais à une partie qui accepterait un certain nombre de principes. Cela renvoi à une relation qui inclue la possibilité d’une guerre.

Quel regard portez-vous sur ce discours qui prône une autre vision du monde ?

Je l’ai trouvé très Rooseveltien. J’ai trouvé remarquable qu’il juge opportun de tendre la main au monde musulman. Les seuls pays pour lesquels il a été critique, ce sont les pays occidentaux. Obama considère que cela n’a pas de sens de tendre la main au européen parce qu’il les considère d’ores et déjà à l’intérieur de l’espace occidental. On ne tend pas la main à un pays occidental qui adopte sur la laïcité une vision qui n’est pas le point de vue régnant dans les pays anglo-saxons. C’est exactement la position qu’avait Roosevelt qui tendait la main à l’Union Soviétique mais pas aux pays européens.

L’ampleur de la secousse ouvre des opportunités politiques qui ne sont pas saisies. Où situez-vous les résistances aux nouveaux champs d’action possibles ?

J’accorde une place importante à la notion d’institution. Au cours des trente dernières années, je pense que la notion de régulation a été perçue comme la multiplication de règles avec des interactions de plus en plus difficiles à maîtriser. L’opacité de la réglementation européenne en est un bon exemple. Si on prend au sérieux la réglementation du capitalisme qui a été évoquée, pas seulement par les hommes politiques mais également des économistes, il faut se poser la question de ce qu’est une règle et de qui peut la définir.

Vous appelez à une reprise en main de la sphère politique ?

Grand ou petit un groupe ne peut définir la règle, cela doit être un pouvoir législatif et exécutif reconnu comme tel. N’importe quelle règle ne vaut pas n’importe quelle autre. Les règles ne doivent pas être très nombreuses. Elles doivent valoir non pas pour un petit nombre de circonstances mais retrouver un caractère assez général. Je pense qu’il peut y avoir sur ce point une véritable reconstruction. La question des institutions a été très longtemps centrale dans la vision de la République et de la démocratie et elle a peu à peu perdu de sa vivacité. Les gouvernements sont en mesure, s’ils le souhaitent, de baliser réglementairement le type d’inventivité que le capitalisme financier s’est autorisé.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Jean-Claude Milner a notamment publié Existe-t-il une vie intellectuelle en France (Verdier 2002) L’arrogance du présent (Grasset 2009)

Voir aussi : Rubrique livre, Mai 68 en surchauffe, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Jean-Claude Milner, Michela Marzano, Daniel Bensaïd, Bernard Noël,