La part de vérité des acteurs du PSU et leurs implications

Michel Perraud a présidé l’UNEF de janvier 67 à mars 68. Photo Rédouane Anfoussi

L’histoire du PSU par ceux qui l’ont vécue. Un travail passionné né d’une rencontre d’anciens militants à propos de la commémoration de mai 1968 réunit un collectif de vingt-trois auteurs dans une publication qui rouvre le débat. « Au Cœur des luttes des années soixante, les étudiants du PSU . Une utopie porteuse d’avenir ? » (éditions Publisud). Sous ce titre explicite, on découvre une mine d’informations et de témoignages  sur les rapports des ESU (Étudiants socialistes unitaires), de l’UNEF et du PSU (Parti socialiste unitaire).

Le PSU 1960-1989

Si diversifiée soit-elle, la représentation collective de l’histoire des années 60 retracée par les  auteurs* se rapproche de la pensée de Gramsci qui refusait dès les années 20 la tyrannie de la reproduction sociale et politique, conséquence d’un déterminisme marxisme réducteur. Le PSU créé en 1960 fonde principalement son action sur le combat pour la paix en Algérie et en est l’un des acteurs essentiels. Il incarne durant trois décennies la deuxième gauche qui se situait entre la SFIO social-démocrate et le PCF.

L’ouvrage parcourt les années soixante pour finir en 1971, année où les ESU quittent l’Unef et où Michel Rocard qui assumait la direction du Parti se trouve face à une forte opposition interne. En 1974 après le bon score de Mitterrand à la Présidentielle, les assises sont présentées comme la dernière étape du processus de reconstruction de la gauche non communiste autour d’une stratégie d’union de la gauche. Rocard choisit de rallier le PS pour se faire un profil d’homme d’Etat. En 1981, Huguette Bouchardeau qui dirige le Parti, est nommée ministre. Le PSU s’auto-dissout en 1989.

Les étudiants socialistes unitaires

Le PSU s’est appuyé sur la transformation (et la laïcisation) de la CFTC en CFDT. Il a défendu l’expérience autogestionnaire, en soutenant notamment les travailleurs de l’usine de Lip. Le livre donne un éclairage particulier sur les liens du Parti avec l’Unef.  Dans les années 60, ce sont en effet les étudiants du PSU, regroupés sous la bannière des ESU, qui se trouvent au cœur des luttes politiques contre l’impérialisme. Le Montpelliérain Michel Perraud qui présidait l’Unef de janvier 67 à mars 68 se souvient. « En 67 nous héritions d’une situation très difficile sur le plan politique et financier. Le ministère de l’EN nous avait supprimé les subventions, et les AGE (dirigées par la droite corporatiste) ne payaient plus leurs cotisations pour s’opposer à notre position internationale qui prônait la décolonisation. On mesurait la contradiction entre la fonction de gestionnaire (cités et restos U) et nos actions revendicatives. » Michel Perraud, co-auteur de l’ouvrage, souligne le rôle prédominant de l’Unef en mai 68. « L’engagement politique de l’Unef à l’époque nous a permis de mobiliser au-delà du périmètre d’influence des organisations politiques étudiantes, et d’engager une coordination avec la CGT, la CFDT et la FEN. »

Après la célébration du cinquantenaire de sa création en 2010, il importait de remettre en valeur le rôle du PSU où beaucoup d’hommes politiques français ont fait leurs classes. Cet ouvrage permet aussi de revenir sur l’histoire de l’Unef des années 60, quelque peu revisitée après la scission entre l’Unef et l’Unef ID. Enfin la situation que nous traversons actuellement avec des structures politiques qui apparaissent inadaptées aux urgences démocratiques, sociales et environnementales n’est pas si éloignée des problématiques politiques rencontrées naguère pour rompre avec l’impérialisme capitaliste. Le dialogue avec des acteurs d’hier, qui sont aussi témoins et acteurs de la réalité d’aujourd’hui, s’engage ce soir à la salle Pétrarque.

JeanMarie Dinh

Au Cœur des luttes des années soixante, les étudiants du PSU . Une utopie porteuse d’avenir ? éditions Publisud, 413 p, 32 euros

Ce soir à 18h Salle Pétrarque, Présentation et signature du livre. Avec Jacques Sauvageot, Luc Barret et Michel Perraud, tous trois anciens militants du PSU et dirigeants du syndicalisme étudiant.

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Syndicalisme en crise

Michel Perraud est ingénieur à l’usine IBM de Montpellier. Secrétaire du syndicat CFDT de la métallurgie de l’Hérault, il a animé la lutte des salariés de Gespac à Vailhauquès et au Crès dans l’Hérault contre la délocalisation des entreprises au Maroc. Défenseur d’un syndicalisme revendicatif, il fait le point sur la crise dans la CFDT.

 Les difficultés que connaît la CFDT ne sont qu’un des aspects de la crise du syndicalisme français. On peut mesurer la gravité de cette crise : la France est le pays européen qui a le plus de confédérations et assimilées et le moins de syndiqués. Le taux moyen de syndicalisation des salariés est de l’ordre de 9 %. Ce taux est proche de 6 % dans le privé qui regroupe pourtant plus de 80 % des salariés. Les huit principales organisations françaises (CGT, FO, CFDT, CFTC, CGC, G10 Solidaires, FSU, UNSA) se partagent ces maigres effectifs.

Les divisions syndicales sont d’autant plus surprenantes qu’il n’y a, en réalité, que trois orientations significatives :

l  le syndicalisme révolutionnaire de tendance anarcho-syndicaliste, qui fut très influent en France, puisque c’était la ligne majoritaire de la CGT avant la Première Guerre mondiale. Cette tendance persiste à la CNT et, pour partie, au G10-Solidaires ;

2 le syndicalisme revendicatif, avec la CGT, la FSU et la minorité de la CFDT en opposition avec la ligne confédérale, orientation que je défends depuis 35 ans ;

3 un syndicalisme dit « réformiste » ou de « dialogue social » qui inclut FO, l’UNSA et la plus grande partie de l’appareil de la CFDT, mais dont on ne voit plus très bien, sur le terrain, la différence avec la CGC et la CFTC qui prônent ouvertement la collaboration de classe.

L’anarcho-syndicalisme a eu une influence indéniable (notamment en France avant 1914 ou en Espagne avant 1939). Mais il est inefficace dans les sociétés développées. Contester le système capitaliste de manière radicale est une chose. Mais on ne peut croire que le syndicalisme, avec ses structures et son histoire, puisse après d’autres se déclarer « avant-garde éclairée ».

La crise de la CFDT doit donc se lire comme une bataille entre l’orientation revendicative et l’orientation de collaboration de classe et non, comme le prétendent ses dirigeants, comme une lutte entre « révolutionnaires » et « réformistes ».

Cela dit, tout se passe comme si les dirigeants de la CFDT n’avaient retenu, en fin de compte, que les positions de Michel Rocard (« le capitalisme a gagné »), ou de Delors (« et même plus, il ne mourra pas »). Que faire face à un capitalisme définitivement hégémonique et devenant l’univers social et politique indépassable ? Si cela était vrai, nous aurions atteint la fin de l’histoire. Il ne resterait plus qu’à aménager le système, à trouver des arrangements et à gérer les institutions de prévoyance sociale en attendant que l’OMC et la Constitution européenne ne les interdisent définitivement pour renforcer l’économie de marché, « facteur de progrès si elle est régulée ».

Au nom de la recherche désespérée « d’entreprises socialement responsables » (sic), et « d’investissements éthiques » (resic), les dirigeants de la CFDT veulent donner la priorité au « dialogue social » sur l’action revendicative. La CFDT est par ailleurs censée devenir une « agence sociale », gestionnaire notamment des institutions paritaires de prévoyance, dont les organismes de Sécurité sociale, les caisses de retraites complémentaires et l’Unedic, ce qui suppose des compromis avec le Medef qui dispose généralement de la moitié des sièges.

L’image nationale médiatisée des confédérations est certainement mesurée dans les sondages d’opinion et dans les votes aux élections professionnelles, mais elle a peu d’influence sur la décision d’adhérer. C’est la pratique militante des sections syndicales dans les entreprises qui entraîne l’adhésion. Dans la CFDT, ces sections syndicales et les syndicats qui les regroupent ont de moins en moins leur mot à dire : ainsi, Gérard Lopez, secrétaire général de l’union régionale CFDT de Languedoc-Roussillon, nous a expliqué, lors d’une réunion des secrétaires de syndicats le 27 mai 2003 (en plein mouvement sur les retraites) : « Vous n’êtes pas ici pour débattre mais pour prendre connaissance des décisions prises en bureau national confédéral et vous les approprier. » Le sommet décide, la base applique.

Comment la voix des adhérents est-elle prise en compte dans les décisions d’orientation ? Les congrès sont réunis tous les quatre ans. Entre les congrès, ce sont les bureaux nationaux des structures qui définissent la ligne. De plus, dans tous les congrès de la CFDT, les votes sur les personnes ont lieu avant le vote sur l’orientation. La résolution est préparée par le bureau sortant qui désigne une « commission des résolutions » chargée de trier les amendements. Naturellement, les amendements présentés par les syndicats minoritaires sont rejetés au motif qu’ils « modifient le sens du texte » et on ne soumet au débat que quelques amendements, pas forcément les plus significatifs. Concrètement, cela veut dire qu’il n’y a plus de débat public sur les orientations, que le pouvoir d’amendement des syndicats est sous contrôle, et qu’il leur reste la possibilité d’exprimer tous les quatre ans un vote binaire : « pour » ou « contre ». Dans ces conditions, les exécutifs ont les mains libres. Etonnante résurgence du centralisme « démocratique »…

Enfin, il faudrait aussi commenter le parasitage provoqué par des regroupements catégoriels tels que CFDT-cadres (ex-Union confédérale des cadres), ou l’Union confédérale des retraités. Pourquoi ces regroupements catégoriels, et pourquoi un refus systématique d’organiser une union « CFDT-chômeurs » ?

Sur une ligne revendicative et un fonctionnement démocratique dont le conflit Gespac est l’exemple, le syndicat des métallos CFDT de l’Hérault a doublé le nombre de ses adhérents en cinq ans. Quelques militants ont décidé de nous quitter après la caution confédérale donnée au plan Fillon de régression des retraites. Mais, pour des raisons pratiques de soutien aux militants isolés et de continuité dans les luttes engagées, la quasi-unanimité des militants a préféré le statu quo plutôt que la disparition de notre syndicat qui aurait privé les métallos du département d’un instrument irremplaçable.

Michel Perraud

Voir aussi : Rubrique Travail , rubrique Mouvements sociaux,