Culture Hérault. Rétrospective #1 de janvier à juin 2015

On ne peut pas faire feux de tout bois

Sous le double feu des réductions budgétaires et de la compétition politique le monde culturel et artistique démontre sa vivacité.

 2015 fut une année riche en propositions culturelles et artistiques dans l’Hérault, avec la persistance d’un poids économique et politique qui pose plus de questions qu’il ne fournit de perspective. On s’est évertué à calmer les inquiétudes légitimes des artistes et acteurs culturels. Et on s’est souvent agité avec des spéculations fantaisistes sur l’apport culturel à l’économie ou aux stratégies politiques, mais la valeur de la culture en termes de socialisation, d’ouverture, et d’imagination demeurent largement ignorées. Ce qui n’a pas empêché les citoyens, trop souvent cantonnés dans le rôle de spectateurs, de nourrir leur appétit pour le changement et la curiosité.

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Pavillon Populaire. Exposition consacrée à Aaron Siskind

Janvier. Au Pavillon populaire, Gilles Mora renoue avec sa passion pour les photographes américains, avec l’exposition Siskind, le photographe poète qui enquêtait sur la vie dans les quartiers populaires durant la grande dépression. Montpellier Danse invite la mythique Carolyn Carlson en prise avec l’inconscient et le comos. Serge Avedejian, évoque au cinéma Diagonal son dernier film le  Scandale Paradjanov et la vie mouvementée de ce génial réalisateur.

Carolyn Carlson

Carolyn Carlson

Février. Les lodévois défendent la poésie et leur festival les Voix de la Méditerranée mais les plumes poétiques coulent sous le plomb de l’austérité. A Béziers, les irréductibles de SortieOuest résistent au coeur d’un combat politique et culturel exacerbé par les élections départementales.

Mars. A Montpellier, La Baignoire ouvre grand les portes aux auteurs dramatiques contemporains, avec Horizons du texte. Faute de soutient elle ne reconduira pas cet événement en 2016. Invité par les K-fé-Krime Sauramps, l’inquiétant auteur de roman noir américain Jake Hinkson nous explique pourquoi son héros Geoffrey kidnappe son kidnapper… «Je crois qu’il fait cela parce qu’à ce moment c’est le grand vide.» Dans le cadre de la saison hTh, le collectif de jeune acteur La carte Blanche, présente au Domaine d’O Lost in the same woods. avec un regard autocritique sur une génération qui tente de «réconforter son besoin d’être autre chose que des solitudes.» Le festival de théâtre novateur Hybrides, se voit couper les vivres par la mairie de Montpellier. Il organise sa soirée d’annulation qui donne matière à un débat sur la place des artistes dans la société. Piqué par la mouche des petits roitelets, Noël Ségura, le maire (Dvg) de Villeneuve-lès-Maguelone illustre sa détermination à faire disparaître la scène nationale jeune public qui rayonne depuis vingt-deux ans sur sa commune. Et y parvient au grand dépit de la région et de la Drac qui soutiennent le financement du projet.

Horizon du Texte. Béla Czuppon

Horizons du Texte. Béla Czuppon

Avril. Invité du festival de cinéma social de la CGT, le réalisateur Patrice Chagnard vient débattre de son film Les règles du jeu qui pointe les principales clés pour réussir dans le nouveau monde professionnel.

Festival Arabesques

Festival Arabesques

Mai. Au Domaine d’O, Arabesques, le festival des arts arabes célèbre sa dixième année d’existence dans une clairvoyante chaleur humaine. La thématique des littératures ibériques  de la Comédie du livre, offre l’occasion d’ouvrir le débat sur les drames ayant traversés l’histoire de l’Espagne et du Portugal au XXe. Douleurs d’un passé largement revisité par les auteurs contemporains portugais et espagnols. On y croise aussi de grands auteurs français, Lydie Salvayre, Jérôme Ferrari Antoine Volodine… L’édition 2015 est une réussite mais l’édition 2016 se fera sans l’association des libraires Coeurs de livres qui perd son financement municipal.

Jérôme Ferrari et Lydie Salvayre

Jérôme Ferrari et Lydie Salvayre

Au Diagonal, Daniel Mermet passe présenter le premier volet du film Howard Zinn Une histoire populaire américaine, coréalisé avec Olivier Azam. A Sète, le Musée Paul-Valéry revient au source de la Figuration libre. Trois jours durant, le CDN hTh ouvre ses portes à tous vents à l’expression plurielle du sexuel. La Cie « A contre poil du sens » du chorégraphe Matthieu Hocquemiller assure la programmation du Festival Explicit. Les Amis de RKK dont l’équipe de Fiest’A Sète et de Nova, témoignent d’une perte énorme après la disparition de l’artiste attendu dans la région.

Go down Moses. Castellucci au Printemps des comédiens,

Go down Moses. Castellucci au Printemps des comédiens,

Juin. Pour sa 18e édition, le Firn convoque le monde à la grande table du noir à Frontignan sur le thème Etrange étrangers. Il édite  un recueil de quatorze nouvelles noires sur ce thème en partenariat avec la Cimade. Le monde contemporain se croise pour dresser un état de la scène chorégraphique au 35e Festival Montpellier Danse. Après l’année blanche et sociale de 2014, Jean Varéla et son équipe passent brillamment la barre de la 29e édition du Printemps des Comédiens en gardant l’esprit d’un festival ouvert sur le monde

Jean-Marie Dinh

A suivre

Voir aussi ; Culture Hérault 2015 Rétrospective #2  Rubrique Théâtre, rubrique Festival, rubrique Cinéma, rubrique Artrubrique Photo, rubrique Danse, rubrique Exposition, rubrique Livres, Littératures, rubrique Musique, rubrique Politique culturelle

Hérault rétrospective 2 : les grands rendez-vous culturels du second semestre 2015

Massino Stanzione Suzane et les veillards. photo DR

Musée Fabre : Massino Stanzione Suzane et les veillards. photo DR

La création s’émancipe de la morosité

Hérault rétrospective 2 : les grands rendez-vous culturels du second semestre 2015 ont fleuri aux quatre coins du département malgré une situation artistique de plus en plus tendue.

Nous poursuivons notre voyage rétrospectif en revenant sur les événements culturels du second semestre 2015. La richesse de ces initiatives artistiques comporte bien des graines à faire germer cette année car notre territoire a plus que jamais besoin d’ouverture, de curiosité et de rêves !

Marcus Miller Jazz à Sète

Marcus Miller Jazz à Sète

Juillet. Le 35e festival de Montpellier Danse se poursuit. La Marocaine Bouchra Ouizguen et ses quatre Aïtas se distinguent par leur liberté dans la création Ottof. Maguy Marin conclut l’édition avec sa pièce BiT qui ausculte l’idée du lien avec le sens de l’affrontement qu’on lui connaît. En matière de politique culturelle, le festival ouvre ses portes à l’association HF L-R qui convoque les acteurs culturels pour plancher sur les inégalités hommes/femmes dans le secteur culturel. Le festival Jazz à Sète concocte une édition de choix qui culmine avec le concert du bassiste Marcus Miller sur les traces des racines de la musique noire.

Le festival de Radio France déploie en 16 jours 212 manifestations dont 175 gratuites et 63 concerts en région. L’édition 2015 permet de découvrir trois opéras inconnus : Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, Fantasio d’Offenbach et La Jacquerie de Lalo. Côté électro, Tohu Bohu retrouve l’air libre. Durant trois jours le programmateur Pascal Maurin fait pulser le parvis de la Mairie  entre 19h et 22h. La jeunesse suit mais demande la permission de minuit. Au Domaine D’O, Pascal Rozat concocte un volet jazz sensible et équilibré en jouant la carte de la qualité. Sous la houlette de son directeur Jean-Pierre Rousseau, la 30e édition du Festival des radios publiques se clôt avec de solides perspectives. Ce qui n’était pas gagné.

Kintsugi Abbaye St Félix de Monceau

Kintsugi Abbaye St Félix de Monceau

Sur le massif de la Gardiole, l’Abbaye St Félix de Monceau accueille un trio exceptionnel avec la création Kintsugi, produite par Le Silo, dédiée aux musiques du monde. La Fabrique Coopérative donne également du corps au festival de Thau qui ouvre le territoire à la diversité musicale et au développement durable.

Août. A Sète, le festival Voix Vives célèbre les plus grands poètes libanais Salah Stétié, Vénus Khoury-Ghata, Adonis et les voix émergentes de la poésie méditerranéenne qui embrasent la ville de mots et d’humanité. L’exigence artistique et culturelle qui a fait la réputation du festival Fiest’A Sète se confirme lors de sa 19e édition. Avec une semaine de concerts gratuits et une semaine où les légendes de la musique se succèdent  au Théâtre de la mer. Salif Keita y reforme le groupe mythique malien Les Ambassadeurs. Dans le Biterrois, la 15ème édition du festival des Nuits de la Terrasse mêle avec un bonheur certain musique,  théâtre et poésie dans La Communauté de communes Orb et Taurou.

Catherine Corsini au Diagonal

Catherine Corsini au Diagonal

La meilleure veine rock de Seattle débarque à Montpellier avec un concert de Mark Lanegan ex-complice de Kurt Cobain au Rockstore. Au Diagonal, Catherine Corsini présente son dernier film La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes en pleine éclosion du féminisme.

Tuggener au Pavillon Populaire

Tuggener au Pavillon Populaire

Septembre. La grande exposition d’été du Musée Fabre révèle l’Âge d’Or de la peinture à Naples, mettant en lumière un foyer artistique majeur au XVIIe siècle. Au Pavillon Populaire, on touche la réalité des ouvriers avec Fabrik : une épopée industrielle 1933/1953, l’exposition consacrée au photographe Jakob Tuggener. Invité par la librairie Sauramps, Boualem Sansal présente son roman 2084 la fin du monde. A Sérignan, Le Musée d’art contemporain propose un nouvel accrochage de sa collection et se prépare à son extension.

Octobre. Lors des Nuits Zébrées de Radio Nova, Ebony Bones enflamme le Zénith. Didier Castino présente Après le silence, futur Prix du 1er roman à la librairie Le Grain des mots. Mis en scène par Thom Luz When I Die, ouvre la saison du théâtre de La Vignette. Le Domaine d’O programme L’art du Théâtre de Pascal Rambert mis en scène par Julien Bouffier. Philippe Saurel présente sa politique culturelle dans les murs en chantier du futur Centre d’art contemporain.

When I Die Mms en scène par Thom Luz Théâtre  La vignette

When I Die Mms en scène par Thom Luz Théâtre La vignette

Novembre. En résidence à Sortie Ouest, Charles Tordjman adapte Le Monologue du Nous d’après Bernard Noël. L’opéra Comédie rend hommage aux musiques interdites. La scène nationale de Sète présente la création de Yan Lauwers, Le poète aveugle. Rodrigo Garcia livre sa première création au CDN, élabore un langage scénique singulier et radical, Le festival Dernier cri dresse un état de la culture techno à Montpellier. Le grand poète et passeur Jean Joubert tire sa révérence.

Ad noctum, de Christian Rizzo

Ad noctum, de Christian Rizzo

Décembre. Jacques Allaire adapte Le dernier contingent au Théâtre de Sète. On plonge en eau profonde dans un spectacle parlant et silencieux. Ad Noctum, second volet du triptyque chorégraphique de Christian Rizzo nous convie à traverser le temps avec un duo mémorable.

A n’en pas douter, la valeur des pratiques culturelles ne cessera de susciter débat et controverse dans le monde brûlant de 2016.

JMDH

Source La Marseillaise

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1. M. Stanzione au Musée Fabre. 2. Jean Joubert. 3. Salif Keita à Fiest’A Sète 4. Ad Noctum de C Rizzo. dr

 

BD Fabcaro. Narrer l’absurdité de la norme

BD. Zaï Zaï Zaï Zaï, de Fabcaro, vient d’obtenir le grand prix de la critique ACBD 2016 aux éditions 6 pieds sous terre.

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Dans le dernier album de Fabcaro la narration joue du miroir. illustration Fabcaro

Comment devenir coupable d’avoir oublié sa carte du magasin ? En changeant bêtement de pantalon… certifie Fabcaro qui fait les questions et les réponses, un peu comme les journalistes se convainquent qu’être professionnel, c’est aider les personnes à répondre aux questions qu’on leur pose. La panacée, c’est de toujours croire qu’on va gagner quelque chose. Peu importe le besoin et peu importe ce que l’on gagne.

Qu’on se le dise, le dernier album de Fabcaro, qui vit dans la région et niche chez l’éditeur Six pieds sous terre, est génial. Zaï Zaï Zaï Zaï nous embarque dans un grand micro-trottoir de notre société. On ferme les yeux sur l’absurdité de la norme pour mieux pouvoir appeler de ses voeux la suivante et on rit franchement des dérives collectives qui nous tiennent lieu de règle. Bienvenue au pays de la consommation de masse. On ne vous demandera rien si vous avez votre carte du magasin.

Alors qu’il fait ses courses au supermarché, un père de famille  auteur de bande dessinée réalise soudain qu’il n’a pas sa carte de fidélité sur lui ! Alertée, la caissière appelle le vigile, mais quand celui-ci arrive, l’auteur le menace d’un poireau et parvient à s’enfuir malgré la tentative de roulade-arrière de l’agent de sécurité. Le système policier s’engage alors dans une traque sans merci : le fugitif traversant la région, en stop, battant la campagne, partagé entre remord et questions existentielles. Assez vite, les médias s’emparent de l’affaire et le pays est en émoi. L’histoire du fugitif est sur toutes les lèvres et divise la société, entre psychose et volonté d’engagement, entre compassion et idées fascisantes…

Un album critique et spirituel, un brun paranoïaque, inspiré de situations du quotidien où le schéma de narration joue du miroir pointant l’idéologie fallacieuse qui nous conduit nulle part.

JMDH

Source : La Marseillaise 24/12/2015

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Patrick Laupin : Hommage en poésie vivante

laupinRencontre Patrick Laupin, une soirée dédiée à Jean Joubert. 

Le contexte était grave et solidaire pour cette rencontre en rangs serrés début décembre à la Maison de la poésie de Montpellier. Un de ses pères, Jean Joubert venait humblement de tirer sa révérence. En ce moment, comme l’a souligné la directrice Annie Estève en maintenant cette rencontre de poésie vivante, le poète Patrick Laupin avait toute sa place.

Lui, et ses multiples tentatives de restitution des lieux de la mémoire et de leurs effets vécus en corps, était venu là pour donner lecture de poèmes extraits de son nouveau recueil Le dernier Avenir*.

Il était aussi là, pour être avec les autres. C’est-à-dire avec nous. Patrick Laupin est l’un des poètes dont la Maison de la poésie suit le parcours depuis de nombreuses années. Elle n’est pas la seule. La Société des Gens de Lettres lui a décerné le Grand prix SGDL de poésie pour l’ensemble de son œuvre en 2013.

Ses derniers poèmes sont admirables pour leur force d’éveil, simples, en gardant une haute tonalité de langue. On entend de la musique, le rythme d’une respiration, le flux d’un monologue intérieur. « Quand l’écriture arrive, je tente de la suivre en laissant parler l’enfant pour la première fois », dit Laupin.

« L’essentiel n’arrête pas de se perdre Mais rien de ce qui est vrai ne peut jamais disparaître. »

JMDH

Le dernier Avenir La rumeur libre Editions

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hTh. Fraîcheur au musée d’anatomie

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

hTh Lecture. «The End» de Vaeria Raimondi et Enrico Castellani.

Une temporalité singulière dans un lieu singulier, celui du conservatoire d’anatomie de la fac de Médecine de Montpellier. Endroit tout trouvé pour écouter The End, lâché dans le noir muni d’un casque sur les oreilles et d’une lampe torche.

Le texte de Valeria Raimondi et Enrico Castellani interroge la mécanique implacable et vaine de nos existences. Avec le sens de la dramaturgie que construit notre libre cheminement dans l’espace, on évacue d’emblée l’anecdotique pour en venir à notre propre histoire humaine et à son dénouement.

Le texte s’adresse à nous mais la distribution de casques nous isole face au miroir de nos considérations. La voix du lecteur qui se déplace résonne un peu comme une âme amie. Avec plus ou moins d’attention, nous l’écoutons une heure durant, en laissant aller nos pas dans les longues allées du musée où tous les éléments du corps humain (et de quelques animaux) se dévoilent sous vitrines.

En tant qu’oeuvre, la pièce qui se joue n’a rien d’un fait accompli. L’espace qui porte déjà les éléments de la mise en scène médicale, se redistribue selon le parcours physique et psychique du visiteur. Dans les vitrines, les scènes inspirées de récits scientifiques ne font plus vraiment référence. Notre parcours suspend les récits préalables, se soustrait à leurs lois, efface le texte. Il nous renvoie à l’ignorance de notre sort, et à la ténacité d’un «pas encore».

JMDH

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