Il est grand temps d’abandonner le franc CFA, cet héritage de la colonisation française qui entrave le développement de l’Afrique, estime l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Dans le cadre d’un débat démocratique, les adversaires doivent se vouer un respect mutuel et l’objectif devrait être d’éclairer les citoyens ordinaires, les décideurs publics, etc. Les meilleurs arguments doivent triompher des intérêts partisans. Autant nous devons nous réjouir de l’émergence d’un débat public sur le franc CFA partout dans l’espace francophone, autant nous devons déplorer le manque de courtoisie et d’honnêteté intellectuelle de nombre de partisans du franc CFA.
Lorsque l’on se limite aux faits, et uniquement aux faits, il est impossible de souhaiter le maintien du système franc CFA.
remier fait irréfutable : le franc CFA n’a pas favorisé le développement économique des pays qui l’ont en partage. L’appartenance à l’espace FCFA (par ce raccourci commode il est fait référence aux deux blocs monétaires que sont l’Uémoa [Union économique et monétaire ouest-africaine] et la Cémac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale]?; la zone franc en Afrique, c’est l’espace FCFA + les Comores) est corrélée avec le sous-développement et la pauvreté.
Le Guardian a mené une investigation au cœur de la machine à modérer du plus grand réseau social du monde, Facebook. Le quotidien britannique dévoile avec l’aide de Facebook des dizaines de règles auparavant secrètes appliquées par le géant, laissant apparaître les contours de la modération du réseau souvent décriée.
Si Facebook est un royaume, il est délimité par une frontière juridique, qui ne se fond ni dans la common law, ni dans nos système judiciaires. Loin de tous tribunaux, dominant la planète en y étendant son espace sans loi aux quatre coins du monde, Facebook représente un système juridique à lui-même.
Les sanctions comme les gratifications qui existent dans ce pays des likes n’ont rien de comparables à celles pratiquées dans nos tribunaux, et les individus ne sont pas tout à fait soumis aux mêmes règles, qu’ils viennent d’un pays à un autre. Dans cet espace juridique parallèle, le géant du réseau social a érigé ses propres tables des lois sans jamais les dévoiler.
Les décisions prises par les modérateurs et administrateurs du réseau sont évidemment régis sous la contrainte de la logique et de la règle, mais dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi. Cette asymétrie permet au géant de se justifier de tout et de de botter en touche dès que sa responsabilité est mise en avant. Toutefois, cette somme de règles ne constitue pas en soit une réglementation qui viendrait se substituer à loi nationale, elle s’ajoute au contraire à celle-ci, comme un socle commun international des bons comportements exclusif au réseau.
Il y a donc deux milliards de personnes qui vivent dans cet espace juridique flou, tributaire des aléas d’une charte inconnue des utilisateurs, pour laquelle ils auraient légitimement un droit de regard.
C’est l’idée défendue par le Guardian, qui ce dimanche a dévoilé grâce à Facebook certaines lignes de conduite au cœur du système de modération du réseau qui a bien voulu éclaircir certaines de ses règles.
Des règles souvent tues pour leur caractère parfois dérangeant, parfois cynique et rarement justes. La première appréciation que nous pouvons avoir de ce corpus de règles laisse indubitablement penser que Facebook a créé une réglementation dont l’objectif premier est de se dégager de toute responsabilité dans le vrai monde.
Sous le feu des critiques européennes comme américaines, ces guidelines, ou cette charte secrète, dévoile un système surmené, croulant sous les plaintes et qui arbitre autant le revenge porn que le cannibalisme en dix secondes chrono.
Facebook a souhaité précisé à Numerama la réaction suivante, rédigée par Monika Bickert, à la tête des politiques de règlements internationaux de l’entreprise : « Notre priorité est de garantir la sécurité des personnes sur Facebook. Cela requiert beaucoup de réflexion autour de questions pointues et difficiles, et nous prenons très au sérieux le fait de le faire correctement. Mark Zuckerberg a récemment annoncé que nous allons ajouter 3 000 personnes à nos équipes de modération – qui s’ajoutent aux 4 500 personnes qui composent cette équipe aujourd’hui – pour examiner les millions de signalements que nous recevons chaque semaine, et pour améliorer le mode opératoire pour agir le plus rapidement possible. »
L’entreprise considère par ailleurs que contrairement à ce qu’elle a pu laisser penser en gardant secrètes sa charte, elle n’a rien à cacher concernant sa politique de modération. Toutefois, la considérant propre à évoluer au fil des cas, le réseau préfère garder de la souplesse en taisant ses règles. Enfin, le groupe américain précise que cet ensemble de standards est soumis aux lois nationales du régulateur qui prévalent sur les règles communautaires.
Appels aux meurtres, suicides et violences
Parmi les centaines de documents édités par le réseau social qu’a pu consulter le quotidien anglais, on trouve de nombreuses références aux menaces de mort et aux menaces en général. L’un de cas les plus ambigus à modérer pour le réseau qui demande à ses modérateurs de distinguer la crédibilité d’une menace en fonction de son ton.
Ainsi, on apprend que menacer de mort Donald Trump est tout à fait censuré puisqu’il représente un État ; toutefois, expliquer comment tuer une femme ou insulter quelqu’un — aussi longtemps qu’il n’est pas d’intérêt public — et lui souhaiter de mourir est accepté. Facebook considère que ces dernières menaces ne poursuivent pas une intention franche de tuer. Dans les exemples de Facebook, on peut lire que « frapper un roux » et « allons tabasser les gros » est aussi toléré, toutefois « Poignardons et devenons la cauchemar des sionistes » ne l’est pas.
La crédibilité d’une menace se joue souvent sur le choix de la victime : Facebook aura tendance à prendre au sérieux les appels au meurtre concernant des minorités ethniques ou des personnalités publiques. Un utilisateur lambda n’aura, lui, pas le même égard.
Plus délicate encore, la question des vidéos de morts violentes partagées sur le réseau social est réglée avec pragmatisme par Facebook. En effet les modérateurs vont rendre sensible le contenu sans toutefois le supprimer, considérant qu’il sensibilise l’entourage de la personne à un malaise psychologique. Nous avions déjà pu découvrir cette règle qui a sauvé une jeune fille qui tentait de se suicider en direct sur Facebook.
Le réseau social compte par ailleurs aller plus loin sur cette question en laissant les publications, de manière officielle, de toute personne souhaitant se blesser en direct sur Facebook Live. L’entreprise explique « ne pas vouloir censurer ou punir des personnes en détresse. » Sans toutefois assurer que le réseau prendra ses dispositions pour aider, voire sauver la personne. En France, des interventions d’urgence sont assurées par SOS Amitié, partenaire de l’entreprise.
Certains actes de violence sont également acceptés : les photos d’agression physiques, de harcèlement, notamment des enfants, n’ont pas à être supprimées pour le réseau social… à moins qu’elles ne révèlent un comportement sadique. Une nuance que les modérateurs doivent trancher en quelques secondes, au risque de censurer un programme de sensibilisation aux violences ou de laisser passer du cyber-bullying.
Notons que les animaux peuvent être battus, attaqués et tués en direct. Facebook a décidé de n’avoir aucun regard sur les violences faites aux animaux, les modérateurs sont seulement appelés à assigner le drapeau contenu sensible lorsque les images sont extrêmement dérangeantes.
Pour l’entreprise, son laxisme est à même de créer, comme pour les suicides, une sensibilisation. Le réseau note aussi qu’il doit souvent juger ce qui est de l’ordre du message politique de sensibilisation et ce qui est un abus. Par exemple, certaines organisations de défense des animaux étant passées expertes dans la production et la diffusion d’images des horreurs vécues par les animaux dans les abattoirs, toute censure serait vue comme politique.
Sexualité revench-porn cannibalisme
La pudibonderie de Facebook est souvent dénoncée. Le réseau étant coutumier d’une censure systématique de la nudité, sous toutes ses formes, les lignes dédiées aux nudités méritent notre attention. On apprend par exemple que les « œuvres d’art » réalisées à la main — ou au pinceau on imagine — montrant la nudité et/ou une activité sexuelle sont acceptées.
Le même motif, représenté grâce aux arts numériques, serait immédiatement censuré. Pour le réseau social, la technique de représentation permet de déminer l’intention présumée d’une œuvre : une peinture érotique aura tendance à être plus acceptable et attendue sur le réseau qu’un montage.
L’épisode de censure de la célèbre photo vietnamienne a également poussé l’entreprise à nuancer son approche de la nudité qui est désormais acceptée dans le cadre de la dénonciation de la guerre et de l’Holocauste.
Pour la nudité, il faut donc que soit associé des éléments de contextes déterminants précisés par l’entreprise : une extrême maigreur, des soldats de la seconde guerre, des uniformes de camps de la mort, ou des images prises dans les camps.
Pour juger le revenge porn, l’entreprise a établi une liste des éléments qui aideront le modérateur à comprendre la nature du contenu et du consentement de l’éventuelle victime. Premièrement, il faut que l’image soit produite dans l’intimité, qu’une personne soit nue, presque nue ou sexuellement active et enfin que son consentement puisse être mis en doute grâce à un commentaire revanchard ou cruel sur les contenus — ou qu’un média ait couvert l’affaire.
L’intérêt de Facebook pour le revenge porn souligne l’incroyable diversité des cas à juger par les modérateurs du réseau. Ces derniers, surmenés par des milliers de cas quotidiens, doivent arbitrer l’inhumain et l’ignoble toutes les heures, à un rythme effréné. Lorsqu’il va du cannibalisme, plus difficile à juger que vous ne le croyez, dix secondes ne suffisent rarement pas à définir le contenu vu.
Mais dans ce cas de figure, la censure est-elle plus facile que le laisser-faire ? Les rapports de force qui s’établissent alors appartiennent aux quelques minutes que passera le modérateur sur un signalement.
On apprend enfin, en parlant de rapport de force, que chaque utilisateur disposant de plus de 100 000 followers va disposer d’un statut étrange de personne publique qui peut tout à fait jouer en sa défaveur puisque Facebook se montera plus tendre avec leurs agresseurs. Leur figure publique est considérée comme plus naturellement attaquable par des individus sans intention.
Le réseau, dans les documents révélés, ne cache pas ses analyses psychologiques qui fondent une partie des décisions prises. Un document explique ainsi que Facebook reconnait que « les personnes utilisent un langage plus violent en ligne pour exprimer une frustration, et qu’ils se sentent en sécurité sur le site pour s’exprimer de cette manière. Les utilisateurs pensent qu’ils peuvent menacer quelqu’un sans conséquence, ils sont indifférents envers les personnes qu’ils menacent à cause du manque d’empathie créé par une communication entre écrans interposés. »
L’air de rien, les modérateurs du réseau social admettent arbitrer l’un des pires endroits sur Terre où les plus pitoyables vicissitudes deviennent des publications, des menaces, des photos scandaleuses à gérer chaque minute… dans une urgence délétère.
La qualification pour le second tour d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen a mis en exergue la défiance de plus en plus forte des Français vis-à-vis de la politique et des partis traditionnels. Pour éviter l’arrivée au pouvoir de partis populistes, les élites politiques, intellectuelles et médiatiques seraient bien inspirées de se reconnecter avec les classes populaires.
Le premier tour de l’élection Présidentielle a permis à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen d’être qualifiés pour le second tour. Sur le temps long, comment juger un tel bouleversement politique ? En quoi la qualification promise de Marine Le Pen dans les sondages a-t-elle pu participer à l’émergence du mouvement en Marche ! ?
Ce qui est intéressant, c’est que les deux candidats sont ceux qui se positionnent en dehors du clivage gauche-droite. Ceux qui ont été identifiés à droite et à gauche, issus des primaires, ne sont pas au second tour. La structure n’est plus le clivage gauche / droite. Le clivage qui émerge est lié complètement au temps long, c’est-à-dire à l’adaptation de l’économie française à l’économie monde. Dès 1992, avec Maastricht, ce clivage était apparu, avec la contestation d’un modèle mondialisé. Si on veut remonter plus loin, les causes sont à chercher dans le virage libéral, qui est le basculement des sociétés occidentales dans le néolibéralisme.
C’est une logique ou les sociétés vont se désindustrialiser au profit de la Chine ou de l’Inde par exemple. Cela est aussi vrai avec Donald Trump ou le Brexit, qui nait de la financiarisation de l’économie américaine sous Clinton et du thatchérisme.
Ce sont des dynamiques de temps long qui vont avoir un impact d’abord sur les catégories qui sont concernées par ce grand plan social de l’histoire : celui des classes moyennes. Tout cela se fait au rythme de la sortie de la classe moyenne. Logiquement, ce sont d’abord les ouvriers, qui subissent ce processus de désaffiliation politique et culturelle, qui sont les premiers à grossir le nombre des abstentionnistes et à rejoindre les mouvements populistes. Puis, ce sont les employés, les agriculteurs, qui suivent ce mouvement. La désaffiliation aux appartenances s’accentue. Les ouvriers qui votaient à gauche se retrouvent dans l’abstention ou dans le vote Front national, c’est également le cas aujourd’hui du monde rural qui votait à droite.
Ce que l’on constate, c’est que l’effet majeur de la disparition des classes moyennes est de mettre hors-jeu les partis traditionnels. Parce que le Parti socialiste ou Les Républicains ont été conçus pour et par la classe moyenne. Or, ces partis continuent de s’adresser à une classe moyenne qui n’existe plus, qui est mythique. Il ne reste plus que les retraités, cela a d’ailleurs été le problème de François Fillon, qui a perdu par son incapacité à capter le vote de la France périphérique, ces gens qui sont au front de la mondialisation. Il ne capte que ceux qui sont protégés de la mondialisation ; les retraités. C’est le même constat à gauche, dont le socle électoral reste la fonction publique, qui est aussi plus ou moins protégée de la mondialisation. Nous parlons d’électorats qui se réduisent d’année en année, ce n’est donc pas un hasard que les partis qui s’adressent à eux ne parviennent plus à franchir le premier tour.
C’est aussi ce qui passe en Europe, ou aux États Unis. Les territoires populistes sont toujours les mêmes, l’Amérique périphérique, l’Europe périphérique. Ce sont toujours ces territoires où l’on créé le moins d’emplois qui produisent ces résultats : les petites villes, les villes moyennes désindustrialisées et les zones rurales
La difficulté est intellectuelle pour ce monde d’en haut ; les politiques, les journalistes, les universitaires etc… Il faut penser deux choses à la fois. Objectivement, nous avons une économie qui créée de la richesse, mais ce modèle fonctionne sur un marché de l’emploi très polarisé, et qui intègre de moins en moins et créé toujours plus d’inégalités sociales et territoriales C’est ce qui a fait exploser ce clivage droite gauche qui était parfait, aussi longtemps que 2 Français sur 3 faisaient partie de la classe moyenne. Si on n’intègre pas les gens économiquement, ils se désaffilient politiquement.
Dès lors, peut-on parler de système « réflexif » ? Entre un Front national qui a pu émerger dans les années 80, aussi bien sur la base du « surgissement » du chômage de masse que sur les questions migratoires, jusqu’à la présence de Jean Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002, et l’émergence d’un mouvement cherchant à dépasser le clivage droite gauche au travers d’Emmanuel Macron ?
C’est son modèle inversé. Emmanuel Macron comme Marine Le Pen ont fait le constat que cela ne se jouait plus autour du clivage gauche / droite. Ils ont pris en compte la polarisation de l’économie, entre un haut et un bas, et sans classes moyennes. Dans ce sens-là, l’un est la réponse de l’autre.
Géographiquement, et sociologiquement, en quoi le mouvement En Marche ! se définit il en miroir du Front National ?
Géographiquement, c’est l’opposition entre la France des métropoles et la France périphérique qui structure le match Emmanuel Macron/ Marine Le Pen. On a déjà pu voir quelques cartes sur l’opposition est ouest, mais ce clivage est ancien, hérité, il ne dit rien des dynamiques en cours. Lorsque j’étais étudiant ces cartes est ouest existaient déjà, elles expriment l’héritage de l’industrie, et donc de la désindustrialisation. C’est là où il y a le plus de chômage, de pauvreté, d’ouvriers, et le plus de gens qui votent FN. Ce qui est intéressant, c’est de voir les dynamiques. C’est en zoomant à partir des territoires qui créent le plus d’emplois et ceux qui en créent le moins. Par exemple, en Bretagne, ou Marine Le Pen fait 6% à Rennes, et 20% dans les zones rurales. C’est toujours un distinguo entre les dynamiques économiques. Aujourd’hui les classes populaires ne vivent plus aux endroits où se créent les emplois et la richesse.
Le marché de l’immobilier s’est chargé, non pas dans une logique de complot, évidemment, mais dans une simple logique de marché, de chasser les catégories dont le marché de l’emploi n’avait pas besoin. Ces gens se trouvent déportés vers les territoires où il ne se passe rien. Or, les élites n’ont de cesse de parier sur la métropolisation, il est donc nécessaire que s’opère une révolution intellectuelle. Il serait peut-être temps de penser aux gens qui ne bénéficient pas de ces dynamiques, si on ne veut pas finir avec un parti populiste en 2022.
En perdant une partie de leurs bases, la gauche avec les ouvriers, la droite avec les agriculteurs, les partis de gouvernement semblent s’être détournés des classes populaires. Quelles sont les conditions permettant une « normalisation » de la situation, dont l’objectif serait de récréer des partis de masse ?
Tout le bas ne peut pas être représenté que par le Front national. Il faut que les partis aillent sur ces thématiques. Il y a toujours eu un haut et un bas, et des inégalités, la question est qu’il faut que le haut soit exemplaire pour le bas, et qu’il puisse se connecter avec le bas. Il faut que le « haut » intègre les problématiques du « bas » de façon sincère. C’est exactement ce qui s’était passé avec le parti communiste, qui était composé d’une base ouvrière, mais aussi avec des intellectuels, des gens qui parlaient « au nom de ». Aujourd’hui c’est la grande différence, il n’y a pas de haut qui est exemplaire pour le bas. La conséquence se lit dans le processus de désaffiliation et de défiance des milieux populaires dans la France périphérique mais aussi en banlieues.
Plus personne n’y croit et c’est cela l’immense problème de la classe politique, des journalistes etc. et plus généralement de la France d’en haut. Ces gens-là considèrent que le diagnostic des gens d’en bas n’est pas légitime. Ce qui est appelé « populisme ». Et cela est hyper fort dans les milieux académiques, et cela pèse énormément. On ne prend pas au sérieux ce que disent les gens. Et là, toute la machinerie se met en place. Parce que l’aveuglement face aux revendications des classes populaires se double d’une volonté de se protéger en ostracisant ces mêmes classes populaires. La posture de supériorité morale de la France d’en haut permet en réalité de disqualifier tout diagnostic social. La nouvelle bourgeoisie protège ainsi efficacement son modèle grâce à la posture antifasciste et antiraciste. L’antifascisme est devenu une arme de classe, car elle permet de dire que ce racontent les gens n’est de toute façon pas légitime puisque fasciste, puisque raciste. La bien-pensance est vraiment devenue une arme de classe. Notons à ce titre que dans les milieux populaires, dans la vie réelle les gens, quels que soient leurs origines ne se parlent pas de fascisme ou d’antifascistes, ça, ce n’est qu’un truc de la bourgeoisie. Dans la vie, les gens savent que tout est compliqué, et les gens sont en réalité d’une hyper subtilité et cherchent depuis des décennies à préserver leur capital social et culturel sans recourir à la violence. Le niveau de violence raciste en France reste très bas par rapport à la situation aux États Unis ou au Royaume Uni.
Cette posture antifasciste, à la fin, c’est un assèchement complet de la pensée. Plus personne ne pense la question sociale, la question des flux migratoires, la question de l’insécurité culturelle, celle du modèle économique et territorial. Mais le haut ne pourra se régénérer et survivre que s’il parvient à parler et à se connecter avec le bas. Ce que j’espère, c’est que ce clivage Macron Le Pen, plutôt que de se régler par la violence, se règle par la politique. Cela implique que les partis intègrent toutes ces questions ; mondialisation, protectionnisme, identité, migrations etc… On ne peut pas traiter ces questions derrière le masque du fascisme ou de l’antifascisme.
Christophe Guilluy est géographe. Il est l’auteur, avec Christophe Noyé, de « L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France » (Autrement, 2004) et d’un essai remarqué, « Fractures françaises » (Champs-Flammarion, 2013). Il a publié en 2014 « La France périphérique » aux éditions Flammarion.
Auréolée par le succès de l’autofiction burlesque aux accents satiriques, Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro dont le grand public a découvert l’humour incisif à travers l’expo que lui consacrait cette année La Comédie du livre, la rencontre proposée avec 6 Pieds Sous Terre était hier une bonne occasion de vérifier si l’équipe auteurs/éditeurs n’avait pas lâché la rampe et avec elle, l’esprit alternatif qui l’anime depuis des lustres.
On souffle, on respire, car il n’en n’est rien. Précisons d’emblé qu’il n’est pas ici question de discuter de l’utilité de cette rampe, mesure élémentaire de sécurité après les brainstorming arrosées, (base formalisée de résolution créative de problème généralement orchestrée par un dessinateur) mais bien de connaître les nouvelles ambitions de la maison montpelliéraine abritant un des grands espoir de tout l’univers..?
La réponse est claire et elle fut spontanée : « Maintenant c’est Fab qui paye l’apéro.» Devant cette lourde tâche, tâche, tâche, tâche, le nouveau responsable confie qu’il préférait son ancien statut, parce que désormais il a le sentiment d’être attendu. Ce qui peut provoquer des crises d’angoisse. On le croit sur parole.
Pour échapper aux travaux forcés, il a décidé de se remettre au travail. Outre la couverture inédite de notre n° spécial Comédie du livre qu’il a griffonné en trois jours et pour laquelle nous lui sommes infiniment redevables, il prépare la sortie de plusieurs albums dont «Titre interdit» qui nous plongera dès novembre dans les affres de la célébrité après le succès de son dernier livre. Un vrai cauchemar.
Quand au boss Miquel, il pense que cette notoriété est une bonne occasion pour éditer moins de livre et accompagner ses auteurs. Bref, pour faire plus la fête !
JMDH
Manuela Carmena , maire de Madrid , une femme politique occasionnelle et exceptionnelle Crédit Photo jmdi
Un digne hommage à Stéphane Hessel
Rencontre
En tant que vecteur de pensée la littérature livre chaque année matière à réflexion sur la manière d’appréhender le monde et la politique. La rencontre en hommage à Stéphane Hessel, qui aurait eu 100 ans, fut en ce sens un moment fort de l’édition 2017. Cette rencontre animé par l’auteur et éditeur Jean-Pierre Barou, réunissait Isabel Alba, Sylvie Crossmann, et la maire de Madrid Manuela Carmena.
Un lien de conscience commun et complice s’est tissé naturellement entre les invités. Isabel Alba dont le roman La véritable histoire de Matías Bran, évoque une chronique minutieusement documentée sur le mouvement révolutionnaire mondial autours de la Révolution hongroise de 1919. Sylvie Crossmann qui a su rappeler la personnalité hors norme du résistant humaniste Stéphane Hessel en passant d’Aristote à Apollinaire, et le témoignage vivant qu’il est possible de faire de la politique autrement incarné par Manuela Carmena.
A mi-mandat, la maire de Madrid, qui vient de publier Parce que les choses peuvent être différentes chez Indigène Editions, a captivé le public venu l’écouter. Après avoir remercié les spectateurs « merci de réfléchir, merci d’aimer penser…» elle est revenue sur sa décision de partir en campagne pour la mairie de Madrid alors qu’elle ne le souhaitait pas. « J’étais en retraite… J’ai finalement accepté parce que je me suis dit que j’avais lutté toute ma vie pour la démocratie. Je me suis dit qu’il y avait un moyen de changer la façon de faire de la politique,» explique-t-elle.
Ce à quoi elle s’emploie : « nous devons apprendre à penser notre autonomie». étayant ses dires d’exemples puisés dans la vie quotidienne celle, du couple, de la vie des femmes… » Nous devons faire tout notre possible pour augmenter la sensibilité sociale parce que cela conduit à la solidarité sociale.»
JMDH
Editions
Françoise Nyssen sur la sellette
Sans inconfort…. Il eut été bien improbable en effet que se trouvant au milieu d’un parterre d’éditeurs lors de la comédie du livre la nouvellement ministre de la culture s’y trouve désapprouvée. Françoise Nyssen, madame la Ministre, a fait de longue date et jusqu’à tout récemment fait partie du bâtiment. Elle en sait un bout, sortant du sérail, sur les tenants et aboutissants concrets et abstraits de tout ce qui tient un livre. Pour ne pas qu’il vous tombe des mains mais aussi pour qu’il fasse longue et riche route d’avenues en chemins de traverse. Il est toutefois bon d’aller entendre la parole de ceux qui, comme elle, savent lire entre les lignes, savent que les pages ne tiennent parfois qu’à un fil, à un arbre qui cache la forêt.
A la question essentiellement cuisante : la culture et l’économie peuvent elles faire bon ménage sinon pragmatique alliance, la réponse tombe plus ou moins radicale : « on ne peut être un bon éditeur culturel sans être inscrit dans le monde économique. » C’est dit de «la baraque noire» par le biais de «je t’écris au Gévaudan ma Lozère. Les éditions 2eme époque sis à Montpellier et l’Entre temps sont plus dithyrambiques encore : « Pour nous elle est une confrère exemplaire. C’est un choix plutôt heureux et rassurant car elle a les compétences requises dans le domaine. Elle a aussi acté la décentralisation dans un secteur très parisien ». Les éditions au diable Vauvert aussi fémininement conduites en font partie.
Les éditions Sansouire soulignent que la culture est un ministère énorme. Il y a le livre mais aussi le cinéma, grosse industrie, la musique Aude Courtiel auteure de La femme à la mer et La folle amarante souligne comme son éditeur qu’il y a toujours des questions et des attentes dans une nomination de cet ordre, qu’il vaut mieux ne pas simplifier.Pour Indigène éditions : » Françoise Nyssen est taillée pour l’emploi. Elle a un grand sens du pouvoir. C’est une femme qui met en acte ce vers quoi la destinée l’orientait. Elle était sur les bons rails. Il faudrait qu’elle défende les intérêts de la profession. dans sa nouvelle fonction espérons qu’elle ne donnera pas la voix qu’à des best sellers. Il faut soigner la culture. On va la juger à ces soins là. Elles a rendu visible les nobelisés. Il faut rendre lisibles ceux qui n’ont pas encore eu droit au Chapitre ! »
Robert Lobert à la tête d’une petite maison (les éditions la Margeride) se réjouit car « elle est ouverte aux art s». André Gardies, auteur justifie la cohérence du choix, « l’ouverture sur le monde tout en remettant le livre au coeur de la culture car il est noyau décisif.
Reste que malgré la bonne augure, le secteur porte dans son coeur les problèmes ainsi que les vit la société. Le livre produit culturel d’une optique toujours plus marchande (cf amazone) est lié à l’univers de l’industrie ce qui plonge l’affaire dans des contraintes poussant hélas jusqu’à la quête de survie
Débat sur le thème des voix invisibles avec Alfons Cervera, Isabel Alba et Sophie G.Lucas.
Alfons Cervera, Isabel Alba et Sophie G. Lucas, trois auteurs publiés par Les Editions La Contre Allée, évoquent le goût et la nécessité d’écrire sur ceux que l’on oublie, les vaincus et les pauvres.
La forme peut être poétique, politique, ou romanesque, elle a pour point commun une volonté chevillée, celle de restituer la parole cachée. Comme si les trois auteurs présents vendredi sur le plateau de Espace Rencontre Comédie convenaient que la littérature transmet le plus souvent un récit hégémonique. Pour la romancière et scénariste Isabelle Alba qui met en scène dans Baby Spot Madrid, ses quartiers périphériques et ses vies déréglées : « il faut mettre en lumière d’autres récits comme outils de transformation.»
Alfons Cervera raconte tous les dégâts de la guerre d’Espagne à partir du village peuplé de 200 âmes où il vit. Il évoque les pays ayant traversé une période dramatique. « Après-guerre, la France s’est inventée un récit. S’il y avait eu tant de résistants, il n’y aurait pas eu d’occupation. En Espagne, ce sont les bons qui ont perdu. Le récit est celui des méchants. Il y a beaucoup de manières d’écrire sur la mémoire, on peut parler de la guerre d’un point de vue sentimental, on peut mettre en relief la partie humaine de l’horreur, moi je revendique une écriture politique et idéologique de la mémoire. »
Sophie G. Lucas s’emploie à travailler sur l’humain. Avec Moujik Moujik elle s’intéressait à la figure des sans abris. Dans Témoin, son dernier roman, elle porte la voix de ceux qui n’en ont pas après avoir suivi plusieurs années les audiences du Tribunal correctionnel. « L’écriture est un moyen de lutter contre le silence. Rendre la voix aux gens est une manière de lutter contre le cynisme. »
La défaite n’a pas de récit pas plus que les pauvres n’ont de place dans le récit des riches. Le constat est là. Il est partagé par ses trois auteurs venus de différents horizons. « Ecrire sur ces thèmes est non seulement une nécessité mais une façon de survivre » pense Isabelle Alba. JMDH