Directive « Secret d’Affaires » le vote des eurodéputés français,

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Perdre la raison face aux barbelés

Distribution de nourriture (AFP / Bulent Kilic)

Distribution de nourriture (AFP / Bulent Kilic)

IDOMENI (Grèce), 18 avril 2016 – Une des choses qui me frappe le plus chez tous ces réfugiés bloqués depuis des mois à la frontière gréco-macédonienne c’est de les voir, lentement, perdre la raison.

Voilà des années que je couvre cette crise de réfugiés. Je suis allé dans un grand nombre d’endroits et à chaque fois la situation est différente. J’ai vu des Syriens franchir en masse la clôture barbelée à la frontière turque pour échapper aux combats qui faisaient rage chez eux, à quelques centaines de mètres. J’en ai vu d’autres débarquer sur les côtes de Lesbos après une dangereuse traversée depuis la Turquie. Et maintenant me voici un peu plus loin sur la route des Balkans, à Idomeni. Ce village grec à la frontière macédonienne est devenu un cul-de-sac depuis que plusieurs pays européens ont fermé leurs frontières, en espérant mettre un terme à l’afflux de migrants. Environ onze mille personnes s’entassent ici.

Le camp d'Idomeni, le 1er avril 2016 (AFP / Bulent Kilic)

Le camp d’Idomeni, le 1er avril 2016 (AFP / Bulent Kilic)

Ce qu’il y a de particulier ici, c’est le désespoir extrême, absolu. Ces gens ont quitté des pays dévastés par la guerre. Ils ont accompli un dangereux voyage, souvent avec leurs enfants sur les épaules. Et les voici maintenant bloqués dans une mare de boue face aux portes fermées de l’Europe, obligés de vivre dans des conditions aussi déplorables que chez eux, sans avoir la moindre idée de ce qui va leur arriver ensuite. Certains végètent ici depuis deux ou trois mois. Ils n’ont rien d’autre à faire qu’attendre, dans l’incertitude totale. Pourront-ils rejoindre l’Europe de l’Ouest comme l’ont fait des centaines de milliers de réfugiés avant eux ? Seront-ils reconduits de force en Turquie ? Devront-ils, au final, rentrer chez eux ?

Alors ils perdent la raison. Ce n’est pas étonnant. Vous aussi vous deviendriez fou à leur place. Jour après jour, leur comportement change. Et même moi qui ai couvert d’innombrables situations de ce genre, qui suis ici pour faire mon travail, qui sais qu’au bout de deux semaines je retrouverai ma maison et ma famille, je me sens de plus en plus déprimé, de plus en plus agressif au fur et à mesure que le temps passe. Je ne fais pas que sentir l’ambiance. Je la sens qui pèse sur moi, de tout son poids.

Et il y a les conditions matérielles dans lesquelles tous ces gens vivent. Une horreur. Je n’ai pas de mots pour les décrire. A Idomeni, on trouve exactement la même chose que dans les camps de personnes déplacées en Syrie, un pays en guerre depuis cinq ans…

La première chose qui vous frappe ici, c’est l’odeur. Des effluves de toilettes mêlées à de puissantes odeurs corporelles. Les gens vivent, dorment et mangent près des toilettes, au milieu de leurs excréments. Que pourrais-je dire de plus ? Il n’y a pas assez de douches, pas assez d’endroits pour se laver les mains, pas assez d’eau. Les conditions d’hygiène sont tout simplement effroyables. La pestilence est omniprésente. Des enfants tombent malades. J’ai déjà vu des choses pareilles dans des zones de guerre. Mais ici nous sommes en Grèce, un pays en paix dans l’Union européenne, et des gens y vivent exactement comme s’ils étaient restés au cœur de la Syrie ! Cet endroit, c’est vraiment la honte de l’Europe.

Un jour de pluie dans le camp de fortune (AFP / Bulent Kilic)

Un jour de pluie dans le camp de fortune (AFP / Bulent Kilic)

Et puis que dire de la vie quotidienne ? Peut-on vraiment appeler ça une vie quotidienne ? Les habitants du camp passent leur temps à faire la queue pour recevoir de quoi manger auprès des organisations non gouvernementales. Il n’y a rien à faire ici, à part satisfaire ses besoins primaires et attendre. Pouvez-vous imaginer ça ? Passer ses journées à voir vos rêves et vos espoirs mourir à petit feu, le tout sans savoir de quoi votre avenir sera fait ?

Les réfugiés ne vont pas rentrer pas chez eux. Premièrement parce chez eux, il n’y a plus rien. Et deuxièmement, parce qu’ils n’ont pas dépensé toutes leurs économies et pris des risques insensés pour se laisser bloquer aux portes de la Macédoine par quelques rangées de barbelés. Cette idée leur est insupportable.

C’est parfois difficile d’être un journaliste ici, parce que les gens ont tendance à vous prendre pour une sorte de sauveur. Tous les jours, des gens me posent des questions du genre : « quand est-ce qu’ils vont ouvrir la barrière ? » ou encore : « que va-t-il nous arriver ? » Et moi je n’en ai pas la moindre idée.

A Idomeni, je suis devenu ami avec une Kurde de Syrie, dont le mari est parti le premier pour l’Allemagne il y a six mois. Elle essaye de le rejoindre avec leurs deux enfants. Et cela fait deux mois qu’elle est bloquée à la frontière. Tous les jours elle fait la queue pour recevoir de la nourriture. Les gens deviennent fous. Ils se bousculent, se battent pour être servis les premiers. « De ma vie je n’ai jamais frappé personne », me dit-elle. « Comment pourrais-je le faire maintenant, pour de la nourriture ? Même ici, je ne peux pas, c’est impossible ». Alors il y a des jours où elle et ses enfants ne mangent rien.

Les enfants, c’est le pire, dans cette histoire. Ce sont les images d’enfants qui vous restent à jamais gravés dans la tête une fois que vous êtes rentré chez vous, surtout si vous avez des enfants vous-même. Leurs visages reviennent vous hanter, encore et encore. Bien sûr ils ne vont pas à l’école. Et vous savez ce qui se passe quand un enfant ne va pas à l’école ? Son comportement change. Son cerveau change.

Autour d'un feu dans le camp de réfugiés d'Idomeni (AFP / Bulent Kilic)

Autour d’un feu dans le camp de réfugiés d’Idomeni (AFP / Bulent Kilic)

Les enfants, ici, passent leurs journées à jouer dans la boue, ou sur la voie ferrée. Ils viennent vers vous, vous poussent, vous crient dessus. Eux aussi deviennent fous. Mon amie kurde de Syrie a un garçon de huit ans et une fille de quatorze ans. Cela fait trois ans qu’ils n’ont pas mis les pieds à l’école, à cause de la guerre. Elle est vraiment inquiète pour eux. Ils n’apprennent rien. Que vont-ils devenir ?

Et pour couronner le tout il y a eu ces incidents il y a quelques jours. Un groupe d’individus a essayé d’entrer en Macédoine par la force, et les soldats les ont repoussés avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Plusieurs dizaines de personnes ont été blessées, elles ont été soignées par les ONG.

Pouvez-vous imaginer ? Vous avez vécu l’enfer de la guerre, vous avez fui pour vous retrouver dans un autre enfer, vous n’avez aucune idée de ce qui va vous arriver et des soldats vous aspergent de gaz lacrymogènes. C’est juste complètement fou. Dans ces circonstances, qui ne perdrait pas la raison ?

(Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson)

Un nouveau droit à l’opacité pour les multinationales. La réponse de l’Europe aux Panama Papers ?

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Le parlement européen a adopté aujourd’hui, jeudi 14 avril, la directive sur le secret des affaires. Cette directive a été élaboré en toute opacité, à la demande de quelques multinationales françaises et américaines. Elle introduit une nouvelle définition, le secret des affaires, aux contours tellement larges que toute information interne à l’entreprise peut potentiellement en faire partie. Surtout, la directive permet aux entreprises de poursuivre tous ceux, journalistes, syndicalistes, lanceurs d’alertes ou salariés utilisant les informations acquises sur leur lieu de travail, qui révéleraient un secret d’affaire. Les exceptions supposées protéger les libertés sont trés insuffisantes : leur transcription variera en fonction des Etats, et il reviendra au juge de faire la part des choses entre la protection de ces libertés d’une part, et la défense des intérêts économiques d’autre part. La charge de la preuve est inversée : Ce n’est plus aux entreprises de prouver qu’elles n’ont pas enfreint la loi ou l’intérêt général, mais aux citoyens de prouver qu’ils ont bien agi selon l’intérét général.

Plus de 250 000 citoyens avaient pourtant appelé les eurodéputés à rejeter cette directive en deux semaines dans une pétition1, ainsi qu’une coalition européenne de 54 ONG et organisations syndicales.

Au lendemain de l’affaire Panama Papers, et à la veille du procès d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin au Luxembourg, c’est un texte protégeant les lanceurs d’alertes et imposant la transparence aux multinationales que le parlement européen aurait dû adopter. Au contraire, avec cette directive, le parlement européen a l’inconscience de créer un nouveau droit à l’opacité pour les multinationales et fragilise encore les contre- pouvoirs.

Manifestement, les eurodéputés n’ont pas compris les enjeux et les dangers du texte qui leur était soumis. Ce vote, intervenu au pas de charge le lendemain d’un débat expédié en moins d’une heure dans un hémicycle quasi vide, interroge le fonctionnement démocratique de l’Europe et la capacité de ses institutions à défendre l’intérêt général. C’est un triste jour pour ce qu’on pouvait encore espérer de la démocratie européenne. Il y a urgence à ce que les citoyens européens reprennent le pouvoir qui leur est confisqué. Gageons que si ces institutions européennes-là ne les défendent pas, ils leur reprendront bientôt cette prérogative. Ce vote fait reculer les libertés mais notre combat ne s’arrête pas. Nous continuerons à mener campagne à tous les niveaux contre cette directive. Dans le cadre de sa transcription par les Etats membres, comme dans celui de la jurisprudence européenne. Ce que les institutions européennes ont fait, elles peuvent le défaire, et comme dit l’adage populaire, « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ».

Contacts presse : Martin Pigeon, Corporate Europe Observatory, 00 32 484 67 19 09 Sophie Binet, UGICT – CGT – Secrétaire Générale Adjointe, 06 86 87 68 45

Liste des membres de la coalition européenne

Anticor, Association Européenne pour la Défense des droits de l’Homme, ATTAC Spain, ATTAC France, Asociacion Libre de Abogadas y Abogados, Centre national de coopération au développement CNCD-11.11.11, Correctiv.org, Germany, BUKO Pharma-Kampagne, CCFD-Terre Solidaire, CFDT Journalistes, CGT Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT), Collectif Europe et Médicament, Collectif de journalistes “Informer n’est pas un délit”, Comité de soutien à Antoine Deltour, Commons Network, Corporate Europe Observatory, Courage Foundation, Deutsche Gewerkschaftsbund (DGB, Confédération des Syndicats allemands), Ecologistas en Accion, EcoNexus, European Network of Scientists for Social and Environmental Responsibility (ENSSER), European Public Health Alliance, Fédération Syndicale Unitaire (FSU), Fondation Sciences Citoyennes, Force Ouvrière-Cadres, Genewatch, GMWatch, Health Action International, Health and Trade Network, Inf’OGM, Institut Veblen, International Society of Drug Bulletins, La Quadrature du Net, Les économistes atterrés, Ligue des Droits de l’Homme, Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière Internationale (OCTFI), OGM Dangers, Peuples Solidaires, Nordic Cochrane Centre, Pesticides Action Network Europe (PAN-Europe), Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, Public Concern At Work, Solidaires, SumOfUs, Syndicat des Avocats de France (SAF), Syndicat National des Chercheurs Scientifiques (SNCS – FSU), Syndicat National des Journalistes (SNJ), Syndicat National des Journalistes CGT (SNJ-CGT), Syndicat des journalistes CFDT, Syndicat de la Magistrature, Tax Justice Network, Transparency International France, WeMove.eu, Whistleblower-Netzwerk e.V., Germany, Xnet

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Le travail historique et mémoriel sur l’esclavage est une affaire sérieuse !

Par Myriam Cottias*

Myriam CottiaLa mémoire et l’histoire de l’esclavage sont des affaires sérieuses ! S’il faut encore le rappeler de façon si péremptoire, c’est que la vigilance doit être soutenue, encore et toujours, pour que les luttes des esclaves qui ont participés à la construction de la République et des valeurs qui nous rassemblent, ne disparaissent pas sous l’effet du souffle de la méconnaissance ou de l’idéologie nocive sur l’inégalité des acteurs de l’Histoire. La loi du 21 mai 2001, première loi Taubira, a déclaré l’esclavage et la traite dans l’Atlantique et l’Océan Indien comme crime comme l’humanité et aussi inscrit dans son article 2, que leur enseignement était obligatoire. Les programmes en ont tenu compte … sept ans plus tard, en 2008, pour le collège et le lycée mais il a fallut toute la ténacité du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage pour que la question ne disparaisse pas des nouveaux programmes du primaire et du collège. Les contempteurs de cette histoire arguent que finalement ce phénomène historique n’était pas si important ni au niveau de la France, ni au niveau du monde, simplement treize millions de personnes africaines déportées vers les Amériques et un million vers l’Océan Indien.

Outre le mépris que ce jugement manifeste vis-à-vis de ces personnes, ces chiffres ne disent rien de l’importance de l’histoire de l’esclavage dans l’histoire de France, surtout dans ce moment fondateur du récit national qu’est la Révolution française. La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et surtout Saint-Domingue (futur Haïti) ont cru pleinement au combat pour les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité et l’ont porté si haut que la Convention nationale a aboli l’esclavage pour la première fois, le 4 février 1794 dans l’ensemble des colonies françaises de l’époque. Pendant la bataille de La-Crête-à-Pierrot menée lors de la tentative de rétablissement de l’esclavage par Napoléon, autant les esclaves de Saint-Domingue que les troupes françaises qui s’affrontaient, chantaient la Marseillaise ! Plus de cinquante ans plus tard, le 27 avril 1848, la deuxième République abolissait pour la seconde fois l’esclavage, cette fois-ci définitivement pour les colonies de l’Atlantique et de l’Océan Indien. La France célèbre chaque 10 mai la « Journée nationale des mémoires des traites, de l’esclavage et de leur abolitions » en hommage aux esclaves et aux abolitionnistes.

En effet, les esclaves qui s’étaient révoltés continuellement depuis le XVe siècle mais encore plus depuis la fin du XVIIIe siècle et qui, par leurs soulèvements contre le pouvoir colonial, avaient nourri la réflexion abolitionniste sur l’égalité du genre humain, ont accueilli l’émancipation légale au cris de « Vive la République ». Les esclaves n’avaient jamais renoncé à leur humanité, même au sein du cadre contraint et violent de l’esclavage. Ils l’ont imposée par la force ou par la résistance quotidienne. Ils croyaient à l’égalité, ils la réclamaient, et ce d’autant plus qu’au sein des sociétés coloniales esclavagistes de l’Atlantique se sont construites ces équivalences de termes entre noirs/esclaves et blancs/maîtres. Avant cette expérience, il n’y avait pas de « Blanc » (ce qualificatif utilisé dans les colonies atlantiques devait être expliqué au public européen) et pas de hiérarchies socio/raciales en Europe. C’est bien dans ces colonies de sucre, de café et de coton que la « race » n’a plus été le marqueur d’une appartenance familiale ou lignagère mais s’est transmuée en élément biologique qui, par le sang, transmettait un statut.

L’origine de l’idéologie raciale et du racisme

Ce récit sur les sociétés esclavagistes n’est pas simple détour, il souligne l’origine de l’idéologie raciale et du racisme. Les mémoires -définies comme expériences sociales du passé dans le contemporain- se sont précisément opposées – parfois, souvent – à la jauge de l’expérience du racisme produite par les événements de violence extrême de l’histoire. Alors que faire ? Si l’urgence actuelle de créer du collectif dans l’égalité des droits et des devoirs est bien réelle, les conditions doivent en être posées. Elles ne passent pas, me semble-t-il, par des combats auto-déclarés comme « anti-racistes » -dont le pluriel est suspect et qui sont parfois aporétiques- mais bien par la reconnaissance mutuelle des phénomènes historiques qui ont engendré des faits de racisme (mise en discours, idéologie, de l’exclusion et de la dépréciation de l’autre). Les mémoires ne doivent pas se croiser mais faire « causes communes » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicole Lapierre ou mieux encore « Histoire commune ». Peut-être alors pourrait-on sortir de la « race » comme totalitarisme c’est-à-dire d’un système où la « race » et conséquemment le racisme ne peuvent être dénoncés et combattus qu’en utilisant les propres catégories qui les créent. C’est faire ici le pari de la connaissance et de l’enseignement, de la recherche universitaire, d’une certaine exigence de la pensée qui se partage.

C’est aussi celui que font de nombreuses associations de citoyens qui souhaitent fermement dépasser la mémoire pour aller vers l’histoire. Quoiqu’on cherche à la leur imposer, certaines d’entre elles ne se reconnaissent pas dans des identités sans espoir comme celle de « victimes de l’esclavage colonial ». Elles veulent avoir leur place dans le monde, à égalité…

* Myriam Cottias est directrice de recherche au CNRS, présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage

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Les Pays-Bas vers le «Nederxit» ?

 Référendum


Référendum 61% de Non

Plus de 12 millions de Néerlandais votaient mercredi sur l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine. Le «non» massif a des allures de coup de tonnerre…

Après le «Grexit», évité de justesse en juillet 2015, et le possible «Brexit» à venir (le 23 juin), le «Nederxit» ? En effet, selon les sondages de sortie des urnes, les citoyens néerlandais ont voté, ce mercredi, par 64 % contre 36 % contre la ratification de l’accord d’association entre l’Europe et l’Ukraine. Même si la consultation ne portait pas directement sur l’appartenance à l’Union des Pays-Bas, l’un des six membres fondateurs de la construction communautaire, c’était bien la question qui était posée en filigrane. Cette réponse négative pourrait ouvrir une nouvelle crise européenne, une de plus, «à l’échelle continentale», selon l’expression de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, si le taux de participation dépasse les 30 % requis pour que le référendum soit validé (l’estimation à 21 heures se situait entre 29 et 32 %).

Cette consultation d’initiative populaire, une première, ce droit ayant été seulement reconnu en juillet 2015, a été lancée par le collectif GeenPeil («pas de sondage») qui rassemble deux think tanks eurosceptiques et le site GeenStijl.nl, afin d’obtenir l’annulation de la loi néerlandaise autorisant la ratification de l’accord d’association. Il fallait, pour l’organiser, réunir 300?000 signatures, objectif largement atteint avec 428?000 paraphes obtenus en six semaines seulement. L’extrême droite (PVV de Geert Wilders qui est en tête des intentions de vote dans les sondages), la gauche radicale (SP) et le «Parti pour les animaux» (PvdD), en bref tout ce que ce pays compte comme partis europhobes, se sont joints à cette campagne. Car, même si ce référendum est en théorie consultatif, le Parlement néerlandais sera politiquement obligé d’en tenir compte si, au final, la participation dépasse bien les 30 %.

La campagne du «non», comme celle qui a eu lieu en 2005 aux Pays-Bas sur le traité constitutionnel européen (non à 61,5%), a fait feu de tout bois et a été particulièrement virulente dans un pays travaillé par l’euroscepticisme et par la défiance à l’égard des partis politiques de gouvernement, à l’image de ce qui se passe ailleurs en Europe : crainte d’un possible élargissement de l’Union à l’Ukraine, peur d’être envahi par les travailleurs ukrainiens, dénonciation de la corruption endémique de ce pays (le président Petro Porochenko est impliqué dans le scandale des Panama papers), rappel de la catastrophe du Boeing MH-17 de la Malasya Airlines abattu en juillet 2014 au-dessus de l’Ukraine et qui transportait de nombreux Néerlandais, rejet l’euro, des migrants, des réfugiés, peur qu’un super-Etat européen raye de la carte le pays et bien sûr critique du bilan du gouvernement libéral-social-démocrate de Mark Rutte…

Une Union européenne ingouvernable ?

Cette addition des peurs et des mécontentements a finalement, comme on pouvait le craindre, débouché sur un non massif. D’autant que les partisans du «oui», essentiellement les partis de gouvernement, ont eu du mal à faire entendre leurs arguments sur un texte extrêmement technique qui vise à créer une zone de libre-échange entre Kiev et l’Union afin d’aider économiquement ce pays ravagé par la guerre. Surtout, après avoir eux-mêmes pratiqué la critique tous azimuts de l’Europe à des fins électorales, ils ont été pris à leur propre piège… Comment mobiliser un électorat que l’on a consciencieusement éloigné de l’Europe ? Ce n’est donc pas un hasard si les Néerlandais se sont massivement désintéressés de ce scrutin et si ce sont les partisans du «non» qui se sont mobilisés afin de le transformer en un vote de défiance à l’égard de l’Union, un argument autrement plus vendeur que l’accord d’association proprement dit. Un pari gagné.

Quelles seront les conséquences de ce refus populaire, si le seuil des 30 % est finalement atteint ? En bonne logique, le Parlement néerlandais devrait le dénoncer, ce qui rendrait ce texte caduc, puisque l’unanimité des États est requise dans ce domaine. Un «opt out» néerlandais, envisagé par certains responsables néerlandais, serait difficile à appliquer puisque le pays restant dans l’Union, les marchandises, les services, les capitaux et les hommes continueront à circuler librement. Techniquement, rétablir des contrôles aux frontières néerlandaises afin de bloquer tout ce qui provient d’Ukraine est impossible, car cela constituerait une violation des règles du marché intérieur et de Schengen. La seule option semble donc être la dénonciation de l’accord d’association, ce qui risque de déstabiliser davantage l’Ukraine…

En réalité, l’irruption de la démocratie directe dans le champ de la politique commerciale et des relations extérieures de l’Union va réduire à néant toutes ses marges de manœuvre, les traités internationaux pouvant désormais être remis en cause, à tout moment, par un seul pays. Le risque de contagion est énorme : les partis populistes d’autres pays auront beau jeu de réclamer les mêmes droits que les Néerlandais au nom de la démocratie. En clair, l’Union deviendrait imprévisible et partant ingouvernable. En outre, le vote négatif néerlandais va renforcer les partisans d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ceux-ci trouvant là à la fois un argument supplémentaire sur le refus des peuples de poursuivre l’aventure européenne et sur sa paralysie annoncée…

Enfin, à plus long terme, c’est la place des Pays-Bas au cœur de la construction communautaire qui est désormais posée : les europhobes néerlandais ne désespèrent pas de pouvoir organiser à terme un référendum sur une sortie de leur pays de l’Union, comme le souhaite le PVV qui caracole actuellement en tête des sondages, tout comme le FN en France, son parti frère. Or, un «Nederxit» serait autrement plus mortel pour l’Union qu’un «Brexit», le Royaume-Uni bénéficiant déjà de nombreuses dérogations à la différence des Pays-Bas. Dire qu’à Bruxelles on est inquiet est un euphémisme.

Jean Quatremer correspondant à Bruxelles

Source : Libération 06/08/2016
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