Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.
Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».
Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.
« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.
« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »
Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.
Plus de fonds pour les dissidents
Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.
Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »
Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.
Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».
Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.
« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.
« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »
Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.
« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.
« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »
Ghost Dog samedi 29 août pour la Nuit des Gangsters. Photo D.R.
Domaine d’O. Seconde semaine des Nuits d’O qui se poursuivent ce soir avec la nuit Sénégal et African jazz roots.
Après une première semaine très suivie, la deuxième vague des Nuits d’O, rencontres thématiques de la musique et du cinéma, se poursuivent au Domaine d’O à Montpellier avec trois rendez-vous de choix. Dans le cadre de la soirée Sénégal France : dès 20h on retrouve ce soir le groupe African Jazz roots, un quartet associant le jazz et la musique traditionnelle sénégalaise.
Malgré d’évidents liens historiques entre le jazz et la musique traditionnelle africaine peu de projets réunissant des musiciens occidentaux de jazz et des musiciens traditionnels africains réussissent la fusion de ces musiques… A 21h30 ce sera l’heure de Afrik’aïoli, un long-métrage de Christian Philibert présentée en 2013 au Cinemed et sorti en salles en France l’année suivante. Jean-Marc est un « jeune retraité » : il vient tout juste de vendre son bar. Son ami Momo le convainc de partir avec lui en vacances au Sénégal. Un séjour « haut en couleur » avec partie de pêche, marabout et belles « gazelles ».
Demain même endroit même heure pour la nuit Harmonica avec Jean-Jacques Milteau’Bluezz gang’ quintet. L’harmoniciste virtuose invite quelques honorables confrères à célébrer le blues et le jazz. Sans le blues, le jazz aurait raté son entrée et sans le jazz, le blues serait resté ignoré. Le film de la soirée Le Petit Fugitif réalisé par Ray Ashley et Morris Engel, est sorti en 1953. Il raconte l’errance d’un enfant seul au milieu de la foule. Le groupe Sväng qui clôture s’approprie le répertoire finlandais qui donne un souffle nouveau à l’harmonica.
Conclusion samedi avec la Nuit des gangsters et les 17 musiciens de Amazing Keystone big band, bouillonnants spécialistes de la musique de film, l’incontournable Ghost Dog de Jarmusch et les Lyre. Un temps qui mêle swing, jazz, hip hop et electro. Le rattrapage de sommeil peu attendre un peu, non ?
Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète
Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.
Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.
Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?
Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.
La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…
Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.
En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.
Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?
Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…
Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?
Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde. Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.
N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?
On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.
Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?
A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.
Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?
Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.
Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?
Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…
Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.
On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud
En déstabilisant des régions entières par des interventions militaires, un soutien à des despotes locaux, ou tout simplement en coupant dans les subsides au développement, les dirigeants européens contribuent à nourrir les flux de migrants.
Ils étaient 700, mercredi, amassés sur un bateau de pêche en quête d’un refuge sur le continent européen. Seuls 367 d’entre eux ont finalement réchappé du naufrage. Les autres ont rejoint les 25?000 chercheurs d’asile morts en Méditerranée depuis vingt ans. Les survivants iront dans un des centres italiens d’accueil ou d’identification, à moins que ce soit un récif mentonnais ou un bidonville rebaptisé «jungle» du côté de Calais.
De janvier à juin, 2 865 de nos semblables, fuyant les guerres et la pauvreté, sont morts sur le chemin de leur exil. D’autres peuplent par millions d’autres bidonvilles et camps de réfugiés sur toute la planète. À une implacable majorité, c’est essentiellement dans les pays du Sud qu’ils trouvent asile. On voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène inexorable, presque naturel, dont les pays occidentaux ont à se protéger. C’est une manipulation guidée par la peur et une supposée prédominance des idées d’extrême droite dans les opinions publiques. Une manipulation qui veut surtout cacher les responsabilités. Les migrants fuient la pauvreté en Afrique, les bombardements en Afghanistan, la guerre civile en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée… Autant de guerres directement ou indirectement déclenchées, au nom de la lutte contre le terrorisme, par les pays membres de l’Union européenne et leurs alliés atlantistes. Autant de situations politiques, économiques et sociales désastreuses entretenues par une dette immonde et la réduction des efforts d’aide au développement auxquels ces mêmes pays s’étaient engagés.
Les gouvernants de l’Europe se sont révélés d’autant plus incapables, en juin, de se mettre d’accord sur l’ouverture de voies légales pour l’accueil des réfugiés ou encore sur une répartition de ces derniers entre pays membres. Chacun campe sur un égoïsme teinté de xénophobie. Les pays dits de première ligne, ceux qui ont des frontières extérieures à l’UE, ne cessent de demander la fin de la réglementation de Dublin qui contraint les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Les autres s’y refusent, France et Angleterre en tête. Au lieu de cela, l’Europe externalise sa gestion de l’asile, se barricade et militarise ses frontières, dans un criminel et vain déni de responsabilité.
1 Les guerres impérialistes déstabilisent des pays entiers
Octobre 2014, Lampedusa. L’ancienne porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini, tient l’un des propos les plus consternants sur les drames de l’immigration aux portes de l’Europe, en déclarant qu’il s’agit là d’« une guerre entre les personnes et la mer ». Poséidon plus coupable que les interventions militaires, en somme. Les Vingt-Huit portent pourtant une lourde responsabilité directe dans les flux migratoires. S’il n’existe pas de diplomatie européenne en tant que telle, l’engagement des États membres dans des conflits meurtriers au Moyen-Orient ou encore en Afghanistan depuis 2001 a ébranlé des régions entières. L’existence de régimes dictatoriaux épouvantables a servi de prétexte plus que d’argument, comme en témoigne la montée en puissance de l’« État islamique » en Syrie, ou encore en Libye où un chaos sans nom s’est substitué au despotisme de Kadhafi. Les Irakiens ne sont pas non plus épargnés.
Septembre?2001, Afghanistan. Au lendemain des attaques contre le World Trade Center, les États-Unis partent en guerre contre les talibans. Flanqués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, ils claironnent qu’ils en finiront avec ces « fous de Dieu » qui sévissent dans cette région déjà tendue de l’Asie centrale. Après quatorze ans d’occupation militaire, c’est l’impasse. Al-Qaida souffre certes de dissensions internes, mais les fondamentalistes tirent toujours les ficelles. En revanche, entre 4 et 5 millions d’Afghans ont quitté leur pays sous la menace des armes : 2,7 millions se trouvent en situation régulière au Pakistan et en Iran. Loin des 41?000 demandes à l’UE en 2014… La coalition belliciste qui s’est mise en marche, sans mandat onusien, contre Saddam Hussein en 2003, au nom d’objectifs géostratégiques et économiques autrement moins altruistes que le combat contre le despote de Bagdad, ne peut elle non plus se laver les mains. La guerre a fait près d’un demi-million de morts et les fondamentalistes sont désormais aux portes du pouvoir.
Autre exemple : la Libye. Le colonel Kadhafi, à qui l’UE avait confié l’externalisation de ses centres de rétention, est devenu l’homme à abattre. En 2011, la France s’engage aux côtés de l’Otan dans un conflit sans fond. Quatre ans plus tard, de l’avis même de Laurent Fabius, le pays est « une poudrière terroriste » qui menace toute la bande sahélo-saharienne. Deux gouvernements se déchirent le contrôle du pétrole. Impensable, mais cette zone de non-droit est l’une des principales routes de l’immigration en direction de l’Europe. Enfin, l’illustration la plus pathétique est la Syrie. Non seulement Bachar Al Assad est toujours au pouvoir, mais la coopération des démocraties européennes, à commencer par Paris, avec l’opposition syrienne, a servi les desseins des djihadistes de l’« État islamique ». Sur le plan humanitaire, c’est un désastre. Quatre ans plus tard, 4 millions de Syriens ont fui leur pays. La Jordanie en accueille un demi-million, faisant de cette présence une pression sur les ressources naturelles et énergétiques. Au Liban, le nombre d’exilés syriens représente désormais 25?% de la population.
2 Une politique de coopération en berne
Alors que les conflits, les pouvoirs autoritaires, les épidémies… contraignent les peuples de nombreux pays du continent africain et du Moyen-Orient à des conditions de vie à la limite du supportable et à l’exil, le niveau des aides financières internationales pouvant aider notamment à des redynamisations économiques est souvent en déclin. La France, en dépit du vote par le Parlement le 24 juin 2014 d’une première loi dite « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », est loin de ses engagements. Loin du rôle qu’elle pourrait jouer alors que d’autres nations européennes comme le Luxembourg, la Norvège, la Suède ou le Royaume-Uni se conforment aux préconisations de l’ONU pour verser l’équivalent de 0,7 % de leur revenu brut national.
La France, pointe l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui compte 34 pays membres et que l’on ne peut guère suspecter de s’opposer au libéralisme économique ambiant, note que le pays des droits de l’homme atteint à peine 0,36 %, en recul de 9?% d’une année sur l’autre. Ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’État en charge du développement, Annick Girardin, d’affirmer qu’avec ce nouvel arsenal législatif « la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIe siècle et promouvoir un développement durable et solidaire… ».
Ce qui pour le moins n’a pas convaincu Christian Reboul, de l’ONG Oxfam, pour qui « depuis quelques années, le gouvernement et le président de la République ont une fâcheuse tendance à annoncer des contributions importantes pour répondre aux crises, comme par exemple la crise syrienne, sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits, dont on pourrait voir la trace dans les lois de finances : les chiffres de l’aide française deviennent ainsi virtuels et incantatoires ». Oxfam s’est indignée publiquement à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, estimant que « le gouvernement trace une trajectoire déclinante de l’APD (aide publique au développement) jusqu’à la fin du mandat présidentiel en 2017 ».
Friederike Röder, directrice pour la France de l’ONG One, évoque pour sa part « une aide en baisse pour la cinquième année consécutive », et note que « l’aide aux pays les plus pauvres représente à peine un quart de l’aide totale ». Et One de pointer que dans le budget 2015 l’APD ne représente, « en dons d’argent pur et simple », que 533 millions d’euros, « un chiffre en baisse de 9 % par rapport à l’année dernière ». Le constat est hélas unanime. La France est loin d’être à la hauteur des enjeux financiers et humains…
3 L’externalisation de l’asile légitime les dictatures
Sur les 16,7 millions de réfugiés dans le monde, seulement 15 % sont accueillis dans les pays riches, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Les autres sont abrités dans les pays du Sud. Pour les 28 pays membres de l’UE, ce déséquilibre ne doit pas être remis en cause, mais ils sont tous signataires de la convention de Genève, qui impose le principe de non-refoulement. Pour y pallier, ils ont opté, depuis les années 2000, pour « une approche internationale » du traitement des flux migratoires, introduisant le principe « d’externalisation des demandes d’asile » quitte, parfois, à collaborer avec des pays pour le moins douteux du point de vue du respect des droits de l’homme. Dès 2004, l’agence Frontex a commencé à collaborer tous azimuts pour l’identification et le contrôle des migrants. En septembre 2005, l’idée est officiellement avancée par la Commission européenne de créer des « zones régionales de protection » à proximité des lieux de départ des exilés, prétextant que cela « semble moins coûteux que l’accueil dans des centres de réfugiés installés dans des pays membres de l’UE ». Puis, en 2006, s’enclenche le « processus de Rabat », qui impose aux pays nord-africains, notamment le Maroc, de faire la police aux frontières de l’UE en empêchant les migrants de quitter leur territoire.
Les Vingt-Huit sont allés encore plus loin, en novembre 2014, en signant les accords de Khartoum, se souciant peu des dictateurs et des régimes collaborant aux trafics d’êtres humains. Il a été ratifié avec Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud Soudan et l’Érythrée et prévoit « de mettre en place une coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Peu avant, au mois d’avril, le 11e fonds européen pour le développement décidait d’accorder, pour six ans, 312 millions d’euros à l’Érythrée pour endiguer la fuite de ses habitants. « Que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons », avait alors tenté de se justifier Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de suivre le processus de Khartoum. À la suite de la disparition de 700 personnes lors du naufrage d’avril dernier, la Commission européenne a, par ailleurs, repris, le 13 mai, une idée avancée plus tôt dans le cadre des discussions sur ces mêmes accords. On ouvrira donc, avant la fin de l’année, un « centre multifonction », au Niger, pour identifier et trier les migrants. Des personnes interceptées dans les eaux libyennes pourraient directement y être conduites. De nombreuses voix ont immédiatement dénoncé la création de centres de concentration au cœur de l’Afrique, sans garantie de respect de la dignité et des droits humains.
Pour les associations des droits de l’homme, les décisions prises par l’Union européenne, suite aux naufrages de migrants en Méditerranée, ne font que renforcer des logiques déjà existantes. Notamment celle à l’oeuvre dans le processus de Khartoum, qui permet à l’Europe de sous-traiter les demandes d’asile directement en Afrique, dans les pays de départ. L’Europe forteresse se boucle à double tour, et laisse des pays comme l’Erythrée, le Soudan ou la Libye, jouer les vigies.
Résoudre le problème à la source. C’est un peu l’esprit du processus de Khartoum, signé le 28 novembre 2014 entre l’Union européenne et une vingtaine de pays africains, du Soudan à la Libye. Un partenariat conclu pour lutter contre le trafic d’êtres humains dans la Corne de l’Afrique, mais aussi, et surtout, pour empêcher les migrants de rejoindre l’Europe par la mer, en les incitant à rester dans leur pays d’origine. D’un côté, l’UE finance des formations de surveillance, comme en encadrant des policiers marocains, et des projets de développement, en investissant par exemple en Tunisie. De l’autre, ces pays d’Afrique renforcent leurs patrouilles aux frontières et établissent des camps d’accueil pour les demandeurs d’asile. De nombreuses ONG, à l’image de l’Association européenne des droits de l’homme, y voient une tentative de l’Europe de sous-traiter les demandes des migrants, avant qu’ils ne prennent la mer. Sa vice-présidente, Catherine Teule, dénonce surtout des accords noués avec des pays peu scrupuleux des droits de l’homme.
Quelle est la position de l’Association européenne des droits de l’homme sur le processus de Khartoum ?
C’est un processus d’externalisation poussée à son maximum, qui vise à interrompre les flux de transit, à contrôler les frontières, et à installer des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile dans les pays d’Afrique et du Maghreb-Machrek. Auparavant, on transmettait aux pays tiers des missions de contrôle des frontières et des flux de migration, en amont. Là, il est aussi question de traiter les demandes d’asile, qui concernent, à 90 %, des Erythréens et des Soudanais.
C’est scandaleux que des pays européens se défaussent sur des pays qui n’ont pas les mêmes standards en matière de protection des droits de l’homme.
Une demande d’asile traitée dans ces pays tiers a-t-elle les mêmes chances d’aboutir que lorsqu’elle est formulée en Europe ?
Non, soyons clairs. Une grande partie de ces personnes restent parquées dans les camps. Il n’y a pas de demande d’asile avec une possibilité d’installation dans les pays européens, par exemple. Au Kenya, ce type de centre existe depuis longtemps : on en est à la troisième génération de personnes qui naissent dans le camp. Ce ne sera donc jamais le même traitement des demandes. En outre, c’est scandaleux que des pays européens se défaussent sur des pays qui n’ont pas les mêmes standards en matière de protection des droits de l’homme, ou qui n’ont pas ratifié la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. Des partenariats sont noués avec l’Egypte, un pays intermédiaire dans les flux de migrations, mais qui ne propose pas les mêmes garanties. C’est la même chose en Tunisie, un pays qui n’est pas équipé pour traiter ces demandes spécifiques. A l’origine, l’UE souhaitait également établir ce type de camp en Libye. Mais aujourd’hui, une telle décision provoquerait un tollé.
L’Europe peut-elle nouer des partenariats sur ces questions avec les pays tiers, comme l’Eryhtrée ou le Soudan ?
Absolument pas. On ne peut pas nouer de partenariats avec de tels pays. Ce qui se passe en Erythrée et au Soudan montre qu’ils ne sont pas fiables. C’est une véritable boucherie. Coopérer avec eux sur ces questions serait même indigne.
La grande majorité des migrants qui viennent en Europe ne sont pas « pauvres ». L’Union européenne a beau déclarer qu’elle ne peut pas accueillir toute la misère humaine : de fait, ce n’est pas le cas. »
La politique migratoire européenne s’oriente-t-elle vers un modèle australien ?
Oui, d’une certaine façon, sauf que l’Australie vend ses réfugiés à d’autres pays. Là nous ne payons pas pour retenir ces migrants dans les pays tiers, mais indirectement, c’est un peu le cas : c’est du donnant-donnant. Dans tous les partenariats avec les pays tiers, on leur donne quelques visas, en échange de renforcement des frontières. Mais les personnes qui obtiennent ces visas l’auraient obtenu de toute manière, ce sont surtout des cadres, qui se déplacent en Europe pour leur travail, jamais des familles, qui n’ont donc d’autre choix que de passer par des voies clandestines. Pour le reste, Frontex a par exemple formé des policiers marocains. L’UE déploie également des personnels européens dans les ports et les aéroports étrangers pour empêcher toute immigration illégale. Donc, au final, on utilise leurs locaux, on fait le boulot avec eux, on les forme. En Tunisie, après 2011, l’Europe a passé un partenariat pour la mobilité, en échange d’investissements européens. On tente de participer au développement de ces pays, en y voyant une façon de tarir l’immigration. C’est une grande erreur : la grande majorité des migrants qui viennent en Europe ne sont pas « pauvres », car il faut bien payer les passeurs qui, eux, sont très chers. L’Union européenne a beau déclarer qu’elle ne peut pas accueillir toute la misère humaine : de fait, ce n’est pas le cas, cette misère-là ne parvient même pas jusqu’aux portes de l’Europe. La vision de l’immigration est totalement faussée. Il s’agit d’assurer notre rôle international.
Les décisions prises à l’issue de ce sommet extraordinaire de l’Union européenne s’inscrivent-elles dans la droite ligne du processus de Khartoum ?
Oui, ce processus est d’ailleurs cité nommément dans le plan dévoilé par le Conseil européen cette semaine. Il réaffirme sa volonté de développer des rapports avec les pays tiers. Les conclusions du Conseil européen vont même plus loin que celles du Conseil des ministres : il préconise un doublement des sommes attribuées à Frontex, précise le nombre de réinstallations – 5 000 pour les réfugiés syriens, ce qui est ridicule par rapport aux besoins. Dans notre appel, nous citons le processus de Tampere. C’est un engagement du Conseil européen pris il y a 15 ans, et qui n’est plus suivi aujourd’hui.
Entendez-vous des voix dissonantes au sein des institutions, face à cette volonté de renforcer « l’Europe forteresse » ?
Le Parlement européen a été quasiment taisant et a accepté ce processus dans sa majorité, mais certains protestent un peu, même s’ils sont très peu nombreux. Le Comité économique et social européen a, lui, toujours marqué des réserves sur ce type de politique. Il s’était élevé contre l’utilisation des accords de Dublin. Cependant, dans le contexte actuel, à la suite des attentats de janvier, il y a une certaine frilosité sur la question. Personne ne veut être accusé d’avoir contribué à laisser entrer des terroristes sur le territoire européen.
Les possibilités existent, c’est une question de volonté.
Quelles alternatives préconisez-vous ?
Pour nous, la solution, c’est de transférer les moyens de Frontex à des missions de sauvetage, et de relancer l’opération Mare Nostrum, mais avec une plus grande envergure. Il faut également ouvrir des voies d’immigration légale. Le Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés, ou le Comité économique et social européen sont pour cette option qui permettrait de donner des visas d’asiles, des visas humanitaires pour aider ces personnes à venir en Europe sans prendre le risque de recourir à des passeurs. Les possibilités existent, c’est une question de volonté. Et la presse a un grand rôle à jouer : ce n’est pas ces quelques centaines de milliers de personnes qui vont nous envahir et nous ruiner. Certes, les images de migrants débarquant sur les plages italiennes peuvent être inquiétantes, mais il faut bien préciser que ce n’est rien, que ce nombre d’étrangers ne représente absolument aucun risque pour l’Europe. D’ailleurs, on a les moyens de les accueillir ! Au lieu de financer des armadas qui font la guerre à l’immigration, nous ferions mieux de financer des centres d’accueil.
En octobre 1999, une réunion du Conseil européen, réunissant les chefs d’Etats et de gouvernement, aboutit à un programme d’action sur cinq ans, sur le thème de la coopération politique et judiciaire des Etats membres, nommé « processus de Tampere ». Cet accord met l’accent sur les politiques d’asile et de migration, et porte l’idée que, pour réduire les tentations aux départs, il faut améliorer les conditions de vie des habitants dans leurs pays d’origine: lutter contre la pauvreté, favoriser la création d’emplois, soutenir les structures démocratiques. Un système d’asile commun, sur la base de la Convention de Genève, est également initié. De même, « le Conseil de Tampere souligne que la liberté, la sécurité et la justice dont jouissent les citoyens de l’UE doivent être accessibles à ceux qui, poussés par les circonstances, demandent légitimement accès au territoire de l’Union« . Des objectifs qui n’ont été que partiellement mis en œuvre.