29e Rencontres de Pétrarque. La difficile réinvention du progrès en débat

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Thomas Piketty animera la séance inaugurale ce soir au rectorat. Photo DR

Festival de Radio France. L’hypothèse joyeuse combat le discours de la déploration aux 29e Rencontres de Pétrarque qui débutent ce soir au Rectorat et se poursuivront jusqu’au 18 juillet.

Dans le cadre du festival Radio France, les 29e Rencontres de Pétrarque* débutent aujourd’hui à Montpellier. Elles se tiendront jusqu’au 18 juillet sur le thème  « De beaux Lendemains ? Ensemble, repensons le progrès ».

Lundi, Thomas Piketty ouvrira le bal des neurones au rectorat avec une attendue leçon inaugurale. L’économiste est cette année le lauréat du Prix Pétrarque de l’Essai France Culture Le Monde pour son livre Le Capital au XXIème siècle paru au Seuil. Un ouvrage  qui porte sur le retour en force des inégalités dans lequel Thomas Piketty émet l’idée que supprimer la catégorie des rentiers, peu active économiquement, mais dominant pourtant la hiérarchie, permettrait de dynamiser la croissance économique.

Ces rencontres interrogeront la notion de progrès sous l’angle du politique. La soirée du mardi 15 juillet a pour thème « La politique peut-elle se passer de l’idée de progrès » ou en d’autres termes l’idée répandue d’un peuple de gauche progressiste dans l’âme et d’un peuple de droite conservateur par nature ayant vécu, comment mobiliser l’imaginaire collectif ?

Elle réunira Cécile Duflot et la philosophe Blandine Kriegel, ex députée communiste devenue conseillère de Jacques Chirac et ex membre du Comité consultatif national d’éthique. Les lumières du physicien Etienne Klein spécialiste de la physique quantique seront peut être utiles à ce débat.

Mercredi les Rencontres se proposent de répondre à la question
« La révolution technologique nous promet-elle un monde meilleur ? »

Jeudi, il s’agira du déclin de l’occident et de la ré-émergence du progrès en provenance d’autres latitudes, l’Inde, la Chine, l’Afrique. Mais il sera vraisemblablement difficile de contourner l’ethnocentrisme vu que trois des quatre invités sont des intellectuels français reconnus.

Retour à la finance vendredi 18 avec un débat sur le thème : « Peut-on remettre l’économie au service du progrès ? » où l’on guettera l’intervention de l’économiste Gérard Dumenil, auteur de La Grande bifurcation (La Découverte) dans lequel il défend l’idée d’une structure de classes tripolaire comprenant capitalistes, cadres et classes populaires, et conçoit la réouverture des voies du progrès dans de nouvelles coalitions.

Jean-Marie Dinh

* Du 14 au 18 juillet de 17h30 à 19h30 Rectorat, rue de l’université à Montpellier.

 

 

Entretien avec Sandrine Treiner, directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial.

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Sandrine Treiner. Photo France Culture

« De beaux Lendemains ? » « Ensemble, repensons le progrès ». Comment décrypter cette thématique à tiroir ?

Depuis plusieurs années nous nous étions positionnés sur des thématiques un peu pessimistes comme La crise démocratique ou Guerre et Paix l’année dernière, quand nous avions été rattrapés par l’actu. En préparant cette édition, nous nous sommes dit que nous nous laissions un peu porter par l’état d’esprit de la France et qu’il serait temps de proposer à nos invités de faire l’effort d’envisager l’avenir de manière positive et dynamique.

La notion de progrès porte interrogation. Elle nous renvoie une dimension idéologique qui est aujourd’hui totalement bouleversée…

Le terme progrès est en effet porteur d’une idéologie qui semble en panne. Sur ce point la question se pose à droite comme à gauche. Nous allons tenter de travailler ce que veut dire l’idée de progrès aujourd’hui en déclinant notre sujet à partir de grands thèmes qui remettent en cause l’idée de l’avenir comme la révolution technologique, le déclin de l’occident, l’orientation des politiques économiques…

Comment se porte France Culture ?

Très bien, je pense que les gens sont de plus en plus demandeurs de sens et que nous répondons à notre mission qui est à la fois de réinventer et d’éclairer le monde sur une base d’ouverture et de connaissances. En quatre ans notre audience a évolué de 22% passant de 1,6 à 2,1%. Nous avons passé la barre d’un million d’auditeurs/jour. En conservant notre public d’aficionados et en élargissant notre audience à des personnes qui ne pensaient pas que France Culture pouvait s’adresser à elles.

Quelle seront les innovations de la grille de rentrée ?

La grille sera assez stable dans l’ensemble. Il n’y aura pas de grand changement dans les fondamentaux, parce que ça marche bien et que nous avons déjà opéré beaucoup  de modifications depuis quatre ans. Denis Podalydès, sera une nouvelle voix quotidienne pour la littérature.

Quels ont été les grands axes du changement depuis l’arrivée d’Olivier Poivre d’Arvor ?

Le changement le plus important n’est pas forcément visible. Il a consisté à rendre la grille lisible. Nous avions beaucoup d’émissions thématiques éparpillées. Nous avons reclassé un peu comme on reclasse sa bibliothèque. Nous avons aussi rajeuni et féminisé l’équipe. Enfin on a réchauffé l’actu en proposant beaucoup plus de directs.

Craignez-vous des réductions budgétaires ?

Nous en avons déjà connu l’an dernier et sommes parvenus à faire des économies en évitant d’impacter les productions. Pour cette année notre budget ne sera pas en augmentation mais rien ne dit qu’il sera une nouvelle fois revu à la baisse.

Recueilli par JMDH

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Hooman Sharifi. Souffle hypnotique d’un sacrifice libérateur

HOOMAN_SHARIFI_EVERY_ORDER_EVENTUALLY_LOOSES_ITS_TERROR_(C)_IMPURE_COMPANY_HOOMAN_SHARIFICréation. Every order enventually looses its terror de Hooman Sharifi. Le fil ondoyant d’une transcendance de la libération de l’individu à l’amour…

A travers les gouttes qui tombent par intermittence, entre les larmes des hommes et des femmes se donne la performance de Hooman Sharifi Every order enventually looses its terror ( tout ordre perd finalement de sa terreur) une création concoctée en résidence à l’Agora cet hiver. La pièce aborde les thèmes du sacrifice de soi, des rituels de deuil et de l’amour.

 » Ce n’est pas la première fois que je travaille sur le sacrifice , explique le chorégraphe d’origine iranienne qui vit à Oslo, avec ce travail nous avons approchés la notion des rituels mais nous nous sommes très vite aperçus que cela serait très long, alors nous avons opté pour une appropriation. Avec cette pièce, nous créons en quelque sorte notre propre rituel. »

Sur le plateau, les quatre danseurs sont accompagnés de deux musiciens, percussions et tanbûr iraniens. La pièce démarre dans un noir rythmé qui converge vers le corps des quatre danseurs. Individus singuliers en action, comme en lutte avec leur propre souffrance et pris dans le mouvement centrifuge d’un grand tout.

Ici le rite s’émancipe des représentations du progrès  qui le relaie un peu rapidement aux pratiques d’un autre âge. Le rite nous relie à notre humaine condition, autrement dit à  la liberté. C’est la voie qui nous permet d’y parvenir que semble nous indiquer Hooman Sharifi. Son travail ne s’inscrit pas dans une critique directe de l’ordre social, politique ou religieux. Il prend la distance nécessaire avec les systèmes et du même coup redonne du pouvoir à l’humain, notamment celui d’entrer en relation avec l’autre.

Le rituel du deuil iranien appelé Ashura, jour où les chiites commémorent le martyre du petit-fils du prophète, a servi d’inspiration à la performance qui transcende la dimension religieuse en conservant le caractère collectif.  » Ce rituel étonnant a marqué mon enfance, C’est ma première performance, si nous pouvions mettre la religion en dehors de ça, ce serait une superbe activité pour la société, veiller et faire publiquement un deuil ensemble.« 

Dans la pièce les danseurs se faufilent. Entre le tapis d’or et la rudesse des pierres. le rapport à l’espace se joue dans une conscience corporelle personnelle et collective aigüe. Il agissent, souffrent et vivent. Traversent le sacrifice et le deuil pour aborder la notion d’amour.

«  Il n’y a pas une grande différence entre la politique et l’amour, souligne Hooman Sharifi, ni entre l’art et la politique. Avec cette pièce, on fait de la politique interne. On réduit la hiérarchie pour reconstruire. » C’est dire si  cette pièce nous libère.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise le 27/06/2014

(A sa parution cet article a subi des coupes malheureuses)

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Grégoire Korganow « La photo aime le drame »

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Grégoire Korganow. Le photographe invité ose le corps-à-corps avec la danse et les danseurs. Il est le passeur de la 34e édition de Montpellier Danse.

Le photographe Grégoire Korganow travaille sur un projet de création photographique autour de la danse. Tout au long du festival, il installera son studio photo à l’Agora cité internationale de la danse et prendra des clichés des danseurs en sortie de scène. Il exposera chaque jour son butin en images dans tous les espaces de l’Agora. Rencontre

Comment photographier le mouvement ?

La danse immobile m’intéresse plus que la danse. Avec ce projet, je souhaite suggérer ce qui s’est passé à travers les stigmates, l’énergie, l’émotion laissés sur le corps… Je veux proposer une exploration de la photographie en creux.

C’est une approche singulière vous visez à montrer l’invisible ?

L’invisible et l’indicible oui. Aujourd’hui on peut tout montrer. Nous vivons les conflits mondiaux en direct. Je trouve intéressant de dématérialiser. Ce qui m’intéresse c’est ce qui se passe avant et après le drame. Je pense que la part de l’imaginaire devient plus importante que l’image en elle-même. L’image n’est qu’un résumé, une invitation à raconter. Je me sens plus passeur que témoin.

Pourquoi capter les danseurs à la sortie du plateau ?

Cela aurait pu aussi être l’avant scène. Quand je faisais des paysages, je travaillais toujours à l’aurore ou au crépuscule. Au moment où la lumière jaillit ou quand l’obscurité l’éteint, aux moments où tout est possible. La photographie aime bien le drame. Les danseurs seront les acteurs d’une fiction. Ils seront mes héros. Je pourrai plus facilement me les approprier dans un espace qui peut évoluer.

Vous jubilez déjà …

Le métier de photographe oscille entre le don et l’appropriation. C’est un jeu de tension permanent que je trouve sublime car au final l’image est évidente.

Quel rapport avez-vous avec le milieu de la danse ?

J’ai eu un grave accident de moto qui m’a cloué un certain temps au lit. Un chorégraphe intervenait à l’hôpital. J’ai saisi comment son métier le mettait en danger. Je me suis ouvert à ce monde à cette occasion. Cela ne m’a pas donné envie de faire des photos de danse mais de mêler l’écriture chorégraphique et photographique.

Ces deux langages vous semblent-ils proches ?

Je suis fasciné par la très grande liberté d’expression de la chorégraphie. C’est un monde non cloisonné où tout est possible. Il n’y a pas d’académisme. La danse contemporaine peut se nourrir de tout. Elle est comme une caisse de résonance de la société, de sa violence, de sa poésie. On met un pied dans le réel et la légèreté t’emmène… J’envisage mon travail de photographe de la même manière.

Mais le rapport au temps diffère…

Le temps de création chorégraphique est un temps long, puis vient le spectacle vivant avec tout ce qui se passe sur le plateau. Pour la photographie, il y a un travail de rétention. On se remplit et à un moment on lâche. C’est un temps court. Je suis passé au film parce que j’avais besoin d’un temps long.

Comment appréhendez-vous l’art numérique ?

Je regarde la génération du numérique avec envie et crainte. Le champ est immense. Je pense que la création ne fait que réinventer ce qui s’est déjà fait. Le numérique démocratise le côté bourgeois qu’avait la photo. Aujourd’hui l’image a pris le pouvoir. L’acte photo a perdu.

Vous proposez une proximité entre public et danseur ?

Je souhaite favoriser l’immédiateté et l’immersion dans la création. Par ailleurs je propose une installation sur la base d’une inversion où le public en mouvement ira vers le danseur à l’arrêt. L’oeuvre écrase trop souvent le spectateur.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 21/06/2014

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Alain Hayot : « La lutte contre le FN passe par un débat politique sur l’avenir »

 

 069eb6a936d2800ecb84ed3444678d7d_LALAIN HAYOT. L’homme de culture appelle dans son essai « Face au FN, la contre offensive » à une reprise en main du politique face à la consolidation de la droite extrême dans le paysage français.

Docteur en sociologie et anthropologie, professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, délégué national à la culture au PCF, conseiller régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur (groupe Front de Gauche), ancien vice-président de la Région Paca délégué à la Culture et à la Recherche (1998 – 2010), Alain Hayot a été un acteur important du combat victorieux contre le couple Mégret à Vitrolles.

On assiste au retour de l’extrême droite qui, bien que n’ayant jamais disparue du paysage hexagonal, resurgit avec vigueur. A quoi doit on attribuer cette réémergence ?

La droite française a toujours était marquée par une radicalité sur son aile droite qui revient à différentes époques de son parcours, le boulangisme à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus, les années 30, la période de Vichy ou encore le poujadisme sont là pour le rappeler. C’est pourquoi je soutiens que la réémergence que vous évoquez est un peu facilement attribuée au contexte de crise que nous traversons. Si celle-ci touche une partie croissante de la population avec la peur du déclassement qui l’accompagne et nourrit les rangs de l’électorat frontiste, je pense que la réémergence de l’extrême droite ne relève pas seulement de la crise socio-économique. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une véritable crise de civilisation, une crise du sens qui concerne le devenir même de la société humaine. L’extrême droite s’engouffre dans cette crise du sens. Voter FN n’est pas un simple moyen d’exprimer son mécontentement. L’extrême droite se construit comme une alternative à la société, d’autant mieux que la sociale démocratie démontre son impuissance à incarner une alternative au néolibéralisme. La droite nationaliste est engagée dans la reconquête idéologique et culturelle. Elle est en capacité de s’inscrire durablement dans le paysage français.

Elle bénéficie pour cela d’un certain nombre d’éléments politiques et médiatiques qui assurent sa légitimation…

En effet, le processus de reconquête se voit légitimé par une forme d’hégémonie culturelle. Très vite une partie de la droite s’est mise à courir après les thèses de la droite extrême : Sarkozy, Copé, Fillon ont vu là un facteur de recomposition pour l’UMP en crise. A droite, on a assisté à une convergence idéologique qui a trouvé sa traduction électorale dans les urnes lors des dernières municipales. A gauche, depuis l’attitude purement tactique de Mitterrand qui prenait en compte la notion de « seuil de tolérance », le boomerang nous est revenu. On voit aujourd’hui que le FN ne divise plus la droite. Au PS, il y a eu aussi : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde » de Rocard, « Le FN pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses », de Fabius, Valls et les Roms… Je montre dans ce livre que le FN ne pose ni les bonnes questions ni n’apporte les bonnes réponses.

La diabolisation du FN ou le sempiternel pacte républicain comptent à vos yeux parmi les pièges à éviter pour combattre le FN…

La diabolisation est une pratique qui renoue exclusivement l’extrême droite au passé. Il faut garder l’histoire en mémoire, mais cela ne suffit pas parce que le FN a mis à jour sa pensée. L’extrême droite n’est plus une réplique du passé, elle tente de répondre aux enjeux actuels. Le national socialisme parle aux Français d’aujourd’hui et prétend apporter des solutions. Dans le cas du débat sur les Européennes, on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les libéraux et de l’autre les nationaux populistes anti-européens. Dans ce schéma simpliste, le FN apparaît comme une alternative crédible. Il prône le retour à un capitalisme national, protectionniste, chrétien et identitaire, ce qui s’avérerait dans les faits, un projet politique barbare. C’est une escroquerie intellectuelle qu’il faut dénoncer en expliquant vraiment de quoi il retourne.

Et en ce qui concerne la base d’un front républicain…

Je suis contre la mise en place d’un cordon sanitaire autour du FN. F comme fasciste, N comme nazi, ça fait trente ans que l’on entend ces thèmes. Le FN porte un projet qui s’inscrit dans l’histoire de la droite, pas en dehors du système capitaliste, il adopte une autre position que celle du libéralisme mondialisé qu’il faut combattre sur le terrain politique. Laisser penser que le FN est hors système permet au PS d’évacuer le débat de fond. Par ailleurs, il paraît difficile d’évoquer un pacte républicain dans une société qui exclut le peuple du champ de la politique. La réponse à la crise démocratique passe selon moi par la refondation d’un projet politique émancipateur du peuple et de l’individu. Aujourd’hui le pouvoir dépossède les citoyens de la décision. C’est la grande question posée au projet communiste qui a été porteur d’une émancipation collective mais pas individuelle. Le coeur du projet émancipateur aujourd’hui c’est la question de la démocratie, lieu d’émancipation collective et individuelle.

Sur quel terrain le combat doit-il se mener ?

L’extrême droite se réclame du peuple mais l’entraîne dans des voies contraires à ses intérêts. La contre offensive doit se mener sur le terrain social. Il faut relier, reconstruire des liens de solidarité entre les générations, entreprendre une reconquête idéologique et culturelle, rappeler que la nation est une construction historique qui ne se base pas sur l’exclusion, refonder la République laïque, penser l’exercice de la citoyenneté. Bref il faut oser la politique. Marine Le Pen, le PS et l’UMP gèrent le pays avec une boîte à outils, on gère un pays avec des idées, des valeurs.

Ces perspectives sont-elles applicables à l’ensemble de l’UE qui disposera très vraisemblablement d’un groupe d’extrême droite au sein de son Parlement ?

Ce qui se passe en Europe confirme globalement mon analyse. On assiste à une montée impressionnante des populismes qui sont déjà au pouvoir dans certain pays. En France, dans le grand Sud-Est, le Marinisme a de sérieuses chances d’arriver en tête. Il faudra bien se poser les questions que je pose dans mon bouquin…

Propos recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 19/05/2014

Voir aussi  : Rubrique Politique, rubrique Rencontre, rubrique UE,

Fred Vargas « Respect, tendresse et compréhension tacite… »

 

Photo David Maugendre

Photo David Maugendre

Fred Vargas. La reine du polar français assiste ce soir à la soirée hommage à Michel Gueorguieff organisée par Soleil noir, l’Herault du Jour et Cœur de Livres ce soir à 21h au Centre Rabelais..

On vous voit rarement dans les salons ou manifestations consacrés aux livres…
C’est vrai, et cela ne veut pas dire que je les snobe ! Mais ces manifestations me mettent trop « en visibilité » et je suis quelqu’un de discret.

Dans le cadre de l’hommage rendu à Michel Gueorguieff vous venez pour la 1ère fois à la Comédie du livre, à quoi tient votre motivation ?
Mais c’est tout simple : à Michel Gueorguieff ! Et au désir d’expliquer encore le « cas Battisti », que Michel a tant défendu. Mon attachement pour lui se compose d’admiration, respect, tendresse, compréhension tacite… c’est bien difficile à expliciter !

Outre le goût pour la littérature, vous partagiez celui de l’authentique et de l’implication…
Oui et oui, aux deux termes. Michel était toujours lui-même, sans faux semblant ni rôle, si bien que vous étiez assuré de pouvoir prendre pour argent comptant ce qu’il vous disait. Et il était toujours au front, de manière tenace. Il n’était pas dans d’éphémères batailles. Pour Battisti par exemple, alors que l’oubli s’installait fatalement avec les années, Michel n’était pas homme à accepter l’insouciance que génèrent le temps et l’éloignement. Il demeurait intensément présent et attentif.

A quoi tient votre engagement total pour Cesare Battisti ?
Pour le dire vite, parce que la machine judiciaire italienne a sciemment condamné cet homme en son absence, sans une preuve ni un témoin. Et que les justices française, européenne et brésilienne ont emboîté le pas et fermé les yeux pour des motifs strictement politiques. Face à de tels mensonges, c’est un devoir d’élever la voix, tout au moins si l’on rêve encore d’une « vraie justice ».

Vous venez de préfacer le livre « Cesare Battisti Les coulisses obscures » qui trouve très peu d’échos en France…
En effet. Seuls Le Point et l’Humanité ont publié un article. Le silence autour de ce livre est assourdissant et anormal. Ce qui invite évidemment à s’interroger : pour quelles raisons ce texte doit-il absolument rester caché ? Pour quelles raisons le public ne doit-il pas savoir ?

Le livre apporte-t-il des éléments nouveaux ?
Beaucoup. J’en citerai un, majeur : y sont reproduits les faux mandats fabriqués par la cour italienne pour pouvoir condamner Battisti. Faux mandats sciemment déclarés comme « authentiques » par les cours française, européenne et brésilienne ! Je les ai découverts en 2005, et en neuf ans d’efforts, je n’ai jamais pu les faire publier dans un journal ! Cette fois-ci, ils sont enfin à la disposition de tous. Ce qui explique le silence autour du livre : il est bien gênant en effet de faire savoir que la Cour d’appel de Paris et la Cour européenne des Droits de l’homme se sont appuyées sur des faux – qu’elles savaient faux – pour pouvoir extrader Battisti ! Ca « fait désordre », comme on dit…

Qu’elle est la situation de Battisti aujourd’hui ?
Précaire, alors que chacun croit l’affaire terminée. C’est loin d’être le cas. Il ne doit en effet sa liberté qu’à une décision présidentielle, celle de Lula, et non une décision de justice. D’autre part, sa situation de « résident » au Brésil, et non de réfugié, ne lui permet de voyager que dans les pays limitrophes du Brésil. Il ne pourrait poser un pied en France sans être aussitôt extradé vers l’Italie, en prison à vie.

Trouvez-vous de la disponibilité pour écrire ?
C’est vrai que cet engagement a pris beaucoup de temps, tant pour effectuer les recherches que pour voyager au Brésil. Mais j’ai publié quatre livres durant cette période. Le prochain roman est presque achevé.

Recueilli pas Jean-Marie Dinh

A l’issue de la soirée Fred Vargas dédicacera ce soir C Rabelais. DM

Un procès politique

0524 page18 104d P2 battisti« Un livre total qui expose enfin la masse des vérités enfouies sur cette terrible affaire », soutient Fred Vargas dans la préface. Le livre restitue notamment le contexte politique italien des années de plomb concentré sur les années 1970 marquées par la violence de l’activisme politique. Pour saisir l’affaire Battisti il est primordial de l’inscrire dans le contexte des années de Plomb en Italie. Cette période qui couvre les année 70 prolonge le mai 68 italien qui s’étire sur deux ans, entre 1967 et 1969. L’amplitude de ces protestations, s’explique par la conjonction entre la révolte étudiante et la révolte ouvrière. La dernière est constituée par la radicalisation de certains groupes d’extrême gauche qui, dans une situation extrêmement tendue, s’orientent vers la lutte armée clandestine. Dans la première partie du livre, Carlo A Lungarzo revient utilement sur le climat de guerre froide et le terrorisme d’Etat. L’Italie d’après-guerre n’a pas liquidé son héritage mussolinien. Malgré leurs différences, l’Etat, l’Eglise, les fascistes et le parti communiste italiens étaient unis contre le mouvement social étudiant et ouvrier. Les Etats-Unis œuvrent en sous-main via les stay-behind armies, réseaux clandestins coordonnés par l’OTAN. Le plus célébre d’entre eux, le Gladio, mis en place sous l’égide de la CIA et du MI6, est financé par des hommes d’affaires et industriels italiens, soutenu par le Vatican, la magistrature et l’Etat. Avec l’aide de la loge clandestine P2, dirigée par Licio Gelli dont Silvio Berlusconi a été membre. Les années de Plomb débutent en 1969 par un attentat à la bombe qui tue 16 personnes et en blesse 88 à la Piazza Fontana, à Milan. Un acte terroriste commis par des activistes néofascistes, qui frappent la foule à l’aveugle puis diffusent de faux tracts au nom de l’ultragauche autonome. On compte plus de 600 attentats qui font prés de 400 morts et des centaines de blessés. Quatre sur cinq sont le fait d’organisations clandestines d’extrême droite. Alors que la terreur fasciste reste impunie, l’Etat italien promulgue des « lois spéciales », réactivant notamment des lois mussoliniennes, pour arrêter et juger les militants de gauche.

Livre Carlos A. Lungarzo « Cesare Battisti  Les Coulisses obscures » éditions Viviane Hamy