Henri Peña-Ruiz : « L’intégrisme religieux n’est pas seulement islamiste »

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« La religion n’engage et ne doit engager que les croyants. »
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Henri Peña-Ruiz. Le philosophe spécialiste de la laïcité est attendu ce soir aux Chapiteaux du livre à Sortie-Ouest à 21h. Le militant progressiste pour la tolérance rappelle quelques fondamentaux de la République.

Henri Peña-Ruiz est docteur en philosophie et agrégé de l’Université, maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris, ancien membre de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le sujet et vient de signer le Dictionnaire amoureux de la laïcité chez Plon.

Sans en dévoiler le contenu, pouvez-vous précisez les grands axes de votre intervention dont l’intitulé « Culture et laïcité, des principes d’émancipation » recouvre un vaste champ de réflexion…

Dans ce titre, culture et laïcité sont des termes essentiels  sur lesquels je reviendrai pour évoquer le lien entre la culture et la laïcité. Qu’est-ce que la culture ? On peut l’envisager telle qu’elle se définit aux contacts des ethnologues, sociologues, anthropologues, soucieux de la cohérence des entreprises humaines. Il s’agit dans ce cas d’un ensemble d’usages et coutumes d’un groupe humain à un moment de son histoire. Ce sens est statique. Si on approche la culture de manière dynamique, on peut constater par exemple, que la domination des femmes par l’homme en 2005 a reculé par rapport au siècle dernier. En 1905, la coupe transversale de la société à cette époque correspond à un ensemble systématisé de traditions et cent ans plus tard on constate qu’un certain nombre de choses ont changé. Cela fait émerger une autre notion de culture. La culture  comme un processus par lequel l’homme transforme la nature et se transforme lui-même pour s’adapter à son environnement.

Quelle approche entendez-vous souligner de la laïcité ?

L’idée que je veux développer de la laïcité n’est pas contre la religion. Elle est favorable à la séparation de la religion et de la loi pour tous.

La religion n’engage et ne doit engager que les croyants mais dans un Etat qui doit faire vivre agnostiques, athées, et croyants la loi ne peut être la loi de toutes ses personnes si elle n’est pas indépendante de toute loi religieuse. Il n’y a là aucune hostilité à la religion. Les principes de la laïcité ne sont du reste pas seulement promues par des athées. Victor Hugo qui était chrétien et laïque disait : « Je veux l’Etat chez lui et l’église chez elle.» Je n’évoquerai pas la liberté de religion mais la liberté de conviction puisque la moitié de la société française déclare ne pas être adepte d’une religion et doit pouvoir jouir des mêmes droits. Marianne n’est ni croyante ni athée, elle n’a pas à dicter ce qui est la bonne spiritualité.

En se référant à une approche dynamique de la culture, on se dit que les principes de laïcité étaient plus prégnants dans l’esprit des hommes politiques de la IIIe République que dans ceux d’aujourd’hui…

A cette époque, la conquête était plus fraîche. Elle irriguait tous les esprits après les réformes successives ayant fait passer l’enseignement des mains des catholiques à la responsabilité de l’Etat et la loi de 1905. Ces principes souffrent aujourd’hui du clientélisme électoral et de l’ignorance. Beaucoup d’élus se réclament abstraitement de la laïcité sans en appliquer les principes.

N’existe-t-il pas une carence en matière d’éducation et de formation des enseignants ?

Avec un bac plus quatre ou cinq je suppose qu’ils le sont suffisamment. Il faudrait que la déontologie laïque leur soit rappelée mais comment voulez-vous que les choses se passent lorsqu’on viole la neutralité républicaine au plus haut niveau de l’Etat ?

Nicolas Sarkozy et Manuel Valls vous ont tous deux fait sortir de vos gonds…

Lors de son discours de Latran Nicolas Sarkozy bafoue la loi avec sa réflexion profondément régressive « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Manuel Valls fait de même lorsqu’il assiste officiellement au Vatican à la canonisation de deux papes. C’est scandaleux. Prétexter,  comme il l’a fait, que le Vatican est un Etat et qu’il agissait dans le cadre de relations diplomatiques est une plaisanterie. Le Vatican n’est pas un Etat comme les autres et l’événement auquel il a assisté était purement religieux. Il aurait bien sûr pu le faire librement à titre strictement privé. Il est par ailleurs très inconséquent vis à vis de G. Clémenceau qu’il dit admirer et qui prit une décision laïque exemplaire en 1918, alors qu’il était président du Conseil en refusant d’assister au Te Deum prévu en hommage à tous les morts de la guerre. Clemenceau dissuade le président Poincaré, de s’y rendre, et répond par un communiqué officiel qui fait date et devrait faire jurisprudence?: « Suite à la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le gouvernement n’assistera pas au Te Deum donné à Notre-Dame. »

Qu’en est-il lorsque que le maire de Béziers Robert Ménard invite le peuple biterrois à ouvrir la Feria par une messe au sein des arènes privées ?

Même si les arènes sont privées, agissant en tant qu’élu, M. Ménard viole la laïcité. Ce qui montre que lorsque les gens du FN ou apparentés brandissent les principes de la laïcité pour donner du poids à leur idéologie, ils ne défendent pas la laïcité. Parce que sous ce titre, ils visent une certaine partie de la population. C’est une discrimination drapée dans le principe de l’égalité républicaine. De la même façon, la volonté des personnes souhaitant que l’on continue à privilégier le mariage hétérosexuel n’est pas universelle. Elles ont le droit de le pratiquer dans leur vie mais pas de l’imposer à tous. Cette confusion est aussi le fait des colons israéliens qui brandissent en Palestine la Bible comme un titre de propriété d’ordre divin. L’intégrisme religieux n’est pas seulement le fait de l’islamisme. Il est présent dans les trois religions monothéistes.

Le terme de laïcité n’est jamais utilisé par l’Union européenne au sein de laquelle de nombreux Etats ne le considèrent pas comme un principe fondateur. Certains pays ont milité en revanche pour intégrer les racines chrétiennes au sein de la Constitution…

Certains pays de l’Union européenne accordent des privilèges publics aux religions, comme les Britanniques ou les Polonais, et tous les pays n’entendent pas séparer l’Etat et l’église. La Suède a prononcé la séparation, l’Espagne a modifié l’article 16 de sa Constitution dans ce sens. Les mentalités évoluent sur cette question. La France a refusé que l’on intègre la notion de racines chrétiennes aux prétexte que ce n’est pas la seule mais une des racines qui pouvait être prise en compte. Si on écrit l’Histoire on ne peut pas mettre en avant un seul chapitre. Nous pourrions aussi évoquer la civilisation romaine sur laquelle se fonde notre justice, où la pensée libre et critique de Socrate et des philosophes grecs.

Quels effets bénéfiques nous apporte l’émancipation laïque ?

Le principe de paix entre les religions et entre les religions et l’athéisme. L’égalité des droits, le choix d’éthique de vie, de liberté sexuelle, elle permet de sortir de certains systèmes de dépendance.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Société, Religion, rubrique Politique, Pour une République qui n’a pas besoin de supplément d’âme, Aubry s’étonne, rubrique Science, Science politique, rubrique RencontreEntretien avec Daniel Bensaïd, Rubrique Livres, Essai,

Simon Leys, le fléau des idéologues

L'écrivain Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, photographié dans sa maison de Canberra. (AFP/ William WEST)

L’écrivain Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, photographié dans sa maison de Canberra. (AFP/ William WEST)

Le philosophe Jean-Claude Michéa s’exprime pour la première fois depuis la mort de Simon Leys, l’auteur des « Habits neufs du président Mao ». Entretien.

Le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur d’«Impasse Adam Smith», s’exprime pour la première fois après la mort de Simon Leys, survenue le 11 août dernier. A ses yeux, celui-ci restera comme «le plus grand essayiste de langue française des cinquante dernières années», d’une importance intellectuelle et politique égale à celle d’Orwell et Pasolini. Entretien exclusif pour «le Nouvel Observateur».

Le Nouvel Observateur L’œuvre de Simon Leys fut l’une de vos grandes sources d’inspiration. En quelle année et avec quel livre l’avez-vous découvert?

Jean-Claude Michéa J’ai lu «Les Habits neufs du président Mao» en 1975, autrement dit au moment précis où je commençais à m’immerger dans les écrits de Guy Debord et de l’Internationale  situationniste. On oublie trop souvent, en effet, que cet ouvrage iconoclaste a d’abord été publié en 1971 dans le cadre de la Bibliothèque asiatique de René Viénet (ce dernier – l’une des figures les plus fascinantes de l’IS – ayant lui-même été expulsé de Chine maoïste quelques années auparavant). Il se présentait donc surtout, à l’origine, comme une confirmation empirique des remarquables intuitions  formulées par Guy Debord, dès 1967, dans «Le Point d’explosion de l’idéologie en Chine».

Simon Leys a, du reste, toujours tenu à reconnaître le rôle décisif que René Viénet avait ainsi joué dans son propre parcours intellectuel. «Sans lui, écrivait-il par exemple dans une lettre de 2003 à Pierre Boncenne, je n’aurais probablement jamais rien publié ; on pourrait dire assez littéralement que c’est Viénet qui m’a inventé.» Notons, au passage, que cette  décision de démystifier la «Grande Révolution Culturelle Prolétarienne» – alors même que le culte de Mao battait son plein dans la presse française officielle de l’époque – ne devait absolument rien, chez Simon Leys, aux contraintes universitaires du Publish or Perish. Elle s’était en réalité imposée à lui, un jour de 1967, lorsqu’il avait découvert avec effroi un journaliste chinois en train d’agoniser devant sa porte (lui-même résidait alors à Hong-Kong) après avoir été atrocement torturé par les nervis de Mao.

Depuis lors, je n’ai évidemment jamais cessé de lire avec passion, ouvrage après ouvrage, celui que je considère toujours comme le plus grand essayiste de langue française de ces cinquante dernières années. Par son indépendance d’esprit et son intransigeance morale absolue (sans même parler de sa connaissance inégalée de l’histoire et de la culture chinoises), l’œuvre de Simon Leys se situe clairement, en effet, au même niveau d’importance philosophique et politique que celle d’un Pasolini, d’un Orwell ou d’un Liu Xiaobo.

Le problème, c’est qu’il s’agit là de qualités morales et intellectuelles que le clergé médiatique et universitaire moderne – particulièrement en France – n’est guère enclin à pardonner (et quand, d’aventure, il les pardonne, c’est généralement à titre posthume). De là cette incroyable chasse à  l’homme – la même chose était arrivée à Orwell après la publication de son témoignage sur la guerre civile espagnole – dont Simon Leys allait logiquement se retrouver la cible dès la sortie de son livre. Une certaine Michelle Loi – pseudo-sinologue qui enseignait, on s’en serait douté, au «Centre expérimental de Vincennes» – allant même, en 1975, jusqu’à révéler sa véritable identité – Pierre Ryckmans, citoyen belge – à la sinistre Gestapo maoïste.

Dans son essai publié en 1984, «Orwell ou l’horreur de la politique», qu’est-ce que Simon Leys vous a fait comprendre de spécifiquement important au sujet du penseur anglais?

Rappelons d’abord que ce petit essai (dont on complétera la lecture par celle du chapitre consacré à Orwell dans «Le Studio de l’inutilité») constitue à coup sûr – si on met à part la remarquable biographie de Bernard Crick – le meilleur texte jamais écrit sur l’auteur de 1984. Ce qui prouve, au passage, que la valeur d’un livre ne dépend pas nécessairement du nombre de pages qu’il contient. Quant à l’influence de cet essai sur ma lecture personnelle d’Orwell elle a, bien sûr, été  déterminante.

D’une part, parce qu’il confirmait que la critique par Orwell du totalitarisme soviétique – critique qui lui avait  aussitôt valu, dans la presse de gauche de l’époque, l’accusation de «réactionnaire» et d’agent du gouvernement américain – ne pouvait être entièrement comprise qu’une fois replacée dans le cadre de sa critique parallèle du système capitaliste (on ne saurait donc la confondre, de ce point de vue, avec l’antitotalitarisme libéral d’un Bernard-Henri Levy, d’un Jean-François Revel ou d’un Michel Foucault).

De l’autre, parce que cet essai établissait clairement que le socialisme d’Orwell – loin de puiser sa source dans les différentes mythologies  positivistes du «sens de l’Histoire» et de l’«Homme nouveau» – trouvait, au contraire, sa véritable originalité dans son appel constant aux vertus morales et intellectuelles présumées des «gens ordinaires». Et, en premier lieu, à leur common sense et à leur common decency («Vous devez faire partie de l’intelligentsia pour écrire des choses pareilles; nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide»: cette réplique d’Orwell enchantait tout particulièrement Simon Leys).

C’est, bien entendu, cette insistance d’Orwell sur les fondements «ordinaires» et quotidiens du socialisme («Le socialisme est si conforme au bon sens le plus élémentaire, disait-il, que je m’étonne parfois qu’il n’ait pas déjà triomphé») qui m’a progressivement conduit à accorder une place décisive au concept de «décence commune» dans ma propre critique de la dynamique aveugle du capitalisme moderne. Et tout autant, cela va de soi, les encouragements à travailler dans cette direction philosophique que Simon Leys, avec sa  générosité coutumière, avait bien voulu me prodiguer dès le départ.

Cette sensibilité d’Orwell aux ressources et aux charmes du monde «ordinaire» me semblait d’ailleurs d’autant plus stimulante qu’elle l’avait progressivement conduit à développer une conception de la politique très éloignée de l’idéal puritain et sacrificiel de la plupart des intellectuels de gauche (songeons à leur répulsion fréquente pour le sport et les distractions populaires).

« Je pense que c’est en conservant notre amour enfantin pour les arbres, les poissons, les papillons, les crapauds etc., écrivait-il par exemple dans ses « Réflexions sur le crapaud ordinaire » (imaginez la stupeur des lecteurs de gauche découvrant cet article en 1945 !), que l’on rend un peu plus probable la possibilité d’un avenir paisible et décent.» Sentiment philosophique et poétique dont il ne se départira jamais (les dernières années de sa vie, sur l’île de Jura, en témoignent particulièrement) et que Simon Leys résumait admirablement en rappelant que pour Orwell, «dans l’ordre normal des priorités, il faudrait quand même que le frivole et l’éternel passent avant le politique.»

J’ajoute que nous tenons probablement ici l’une des raisons majeures de la méfiance persistante des intellectuels de gauche – voire, pour reprendre l’expression d’Orwell, de leur «rire sarcastique» – dès qu’on s’aventure à  célébrer devant eux l’idée de common decency. Car si rien d’essentiel ne doit s’opposer à ce que l’émancipation concrète des travailleurs puisse être l’œuvre de ces travailleurs eux-mêmes (si, en d’autres termes, les gens ordinaires disposent, en droit, de toutes les ressources morales et intellectuelles nécessaires pour se gouverner eux-mêmes), il est clair que cela revient à lancer une sacrée pierre dans le jardin de tous ces «bienveillants tuteurs» (Kant) qui prétendent que seul leur savoir «scientifique» (que ce soit celui des «économistes», celui des «sociologues», ou même, désormais, celui des généticiens) pourrait guider la pauvre  humanité ordinaire sur le chemin de l’Avenir Radieux et de la «mondialisation heureuse».

Quelles sont les ressources de pensée, ou de caractère, qui permirent selon vous à Leys de voir que le roi était nu, qui lui donnèrent la force de résister à l’attraction du maoïsme, alors que la majorité des intellectuels parisiens célébraient la Révolution Culturelle?

La réponse me paraît aller de soi. Simon Leys appartenait à cette espèce intellectuelle, aujourd’hui menacée d’extinction, que Nietzsche appelait les «esprits libres» (ce n’est certainement pas un hasard si le remarquable  ouvrage que Jean Bernard-Maugiron a consacré à l’œuvre de Leys porte en sous-titre «Le feu sacré d’un esprit libre»). On comprendra d’ailleurs mieux les conditions morales de cette liberté d’esprit – car il s’agit bien, avant tout, de conditions morales – si on se reporte au célèbre conte d’Andersen, «Les habits neufs de l’Empereur» (c’est, bien sûr, à ce conte –  écrit en 1837 – que Simon Leys avait emprunté le titre de son premier livre).

J’en rappelle brièvement l’intrigue. Deux artisans tailleurs proposent à l’Empereur de lui confectionner les habits les plus somptueux qui soient – habits qui auraient, de surcroît, le pouvoir miraculeux de demeurer  invisibles aux yeux de quiconque se révèlerait être un mauvais sujet (ou, si on préfère une  formulation plus moderne, aux yeux de quiconque manifesterait des tendances «réactionnaires» et «politiquement incorrectes»). Comme on s’en doute, ces deux tailleurs sont, en réalité, de simples charlatans et les magnifiques habits qu’ils font semblant d’avoir tissés sont dépourvus de toute existence réelle.

On connaît la suite. Lors du défilé destiné à présenter au peuple ces magnifiques habits neufs, tous les sujets de l’Empire vont donc se trouver confrontés à une situation à la fois paradoxale et très délicate pour eux. Chacun peut en effet voir par lui-même que le roi est nu, mais – du fait du dispositif idéologique habilement mis en place  par les deux tailleurs – c’est en croyant simultanément qu’il est le seul à le voir. Chacun est donc contraint – si du moins il ne veut pas courir le risque de passer pour un dissident potentiel – de prétendre officiellement qu’il voit  autre chose que ce qu’il voit réellement (c’est là, vous le reconnaîtrez, la meilleure définition  possible d’un idéologue en mission, qu’il s’agisse pour lui de «démontrer» que le niveau des élèves monte ou que celui de la délinquance baisse).

La morale cachée de ce petit conte – dont le rebondissement final nous rappelle qu’on ne saurait «tromper tout le monde tout le temps» –  c’est donc que le désir de combattre pour la vérité («le roi est nu», «Dreyfus est innocent», «le Goulag existe» etc.) suppose toujours, chez ceux qu’il anime, au moins deux vertus indissolublement liées.

La première, c’est la capacité psychologique d’accepter la vérité telle qu’elle est chaque fois que nous l’avons effectivement sous les yeux; et cela quand bien même cette vérité serait de nature à déranger nos certitudes les plus confortables, jusqu’à nous conduire à vouloir en organiser le déni («Il ment comme un témoin oculaire» aimaient plaisanter les Soviétiques pour décrire ce principe de fonctionnement de toute pensée idéologique).

La seconde, c’est d’avoir le courage moral (et parfois physique) d’affronter publiquement – alors qu’il serait pourtant si simple de faire comme si de rien n’était et de continuer à vivre tranquillement – la haine envieuse de tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont un intérêt  personnel à nier telle ou telle vérité (ne serait-ce, par exemple, que pour continuer à jouir de leurs privilèges médiatiques ou universitaires). Inutile de préciser que Simon Leys – tout comme, avant lui, Pasolini et George Orwell – possédait au plus haut point ces deux vertus fondamentales (ce sont celles, en somme, qui rendent quotidiennement possible ce que Liu Xiaobo appelle la «vie dans la vérité»).

On ne doit pas chercher plus loin les raisons qui ont conduit la police de la pensée de l’époque – elle se renouvelle malheureusement de génération en génération – à lui faire si chèrement payer le prix de cette indomptable liberté d’esprit. Pour autant, la certitude déprimante qu’un esprit libre devra toujours affronter, tôt ou tard, les calomnies et les manœuvres de tous les partisans de «ces petites idéologies malodorantes qui rivalisent maintenant pour le contrôle de notre âme» (Orwell) ne devrait dissuader personne de servir honnêtement la vérité. Après tout, qui se souvient  encore, aujourd’hui, des Alain Bouc ou des Michelle Loi? Pas même leurs innombrables clones devenus pourtant plus  puissants que jamais.

Propos recueillis par Aude Lancelin – Le Nouvel Observateur

Source L’OBS 31-08-2014

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Alexandre Sokourov : « Le cinéma, c’est le royaume des fainéants »

Photo Sandro Bäbler.

Photo Sandro Bäbler.

Une leçon de cinéma avec un professeur nommé Alexandre Sokourov

Sa présence à Locarno aurait presque pu passer inaperçue : mais dans la sympathique ambiance cinéphile du festival suisse, le russe Alexandre Sokourov fait partie des auteurs exigeants et ambitieux qui sont tout de suite parfaitement dans le ton. Le ton, il l’a pourtant haussé. Invité à donner une masterclass, le réalisateur de Faust (2011) semblait devoir aborder l’exercice en simple maître d’école : depuis quatre ans, il est responsable d’un département d’études cinématographiques que lui a proposé de créer l’université de Nalchik, capitale de la République de Kabardino-Balkarie, dans le Caucase du Nord. Quelques films d’étudiants étaient projetés à Locarno, avant l’intervention du professeur. Sokourov a fait de cette prise de parole un moment aussi intense et passionnant que peu consensuel, livrant une analyse radicale des maux du cinéma et des moyens qu’il reste, selon lui, à la fois pour l’enseigner et le sauver du chaos.

Ce chaos, tant esthétique que moral, le cinéaste le voit à la télévision, partout dans le monde, et surtout dans les images de violence devenues spectacle sur les grands écrans. Vieux débat, considéré plus ou moins clos, pourrait-on se dire. C’est à cela que s’en prend Sokourov : comment nous-sommes habitués à cette violence  ? Comment avons-nous pu laisser ces images prendre le pouvoir ? Et, autre question, pas subsidiaire pour le « professeur de cinéma honnête et moral » qu’il entend être : comment enseigner l’art de réaliser des films à des jeunes gens déjà hypnotisés par le pouvoir d’attraction de la violence, déjà englués dans le chaos des images ? L’apprentissage de la technique est un aspect presque négligeable de l’éducation ou rééducation que Sokourov juge nécessaire. « Les outils de prise de vue sont devenus si simple et performants qu’il suffit d’un an et demi pour tout maîtriser, dit-il. De ce point de vue, n’importe qui peut devenir cinéaste, même un enfant. Mais nous n’avons pas besoin de n’importe quel cinéaste. Nous avons besoin d’auteurs ». Que faire alors pour que de nouveaux cinéastes artistes naissent ? Tout reprendre depuis le commencement et se tourner vers… la littérature.

C’est là, dans les romans, dans le travail des écrivains, que les étudiants en cinéma, sommés de voir moins de films, pourront commencer à comprendre les valeurs de l’art et de la vie. Comprendre aussi ce qu’est un créateur qui s’affronte à l’oeuvre qu’il veut accomplir. Une vérité fondamentale qui a tendance, au cinéma, à disparaître dans le travail d’équipe, estime Sokourov : « Moi, cinéaste, je suis déconcentré par tous ceux qui voyagent avec moi à bord du vaisseau cinéma. Nous sommes trop nombreux et tout devient un fardeau. L’écrivain, lui, est comme l’oiseau qui peut voler seul. Le cinéaste n’en est pas capable. Il faut revenir aux écrivains car ils ont été les premiers cinéastes. Tolstoï ou Lope de Vega ont écrit comme s’ils filmaient. Si un écrivain ne peut pas décider de faire un plan large ou un plan rapproché sur ses personnages, il ne pourra jamais écrire une seule page. Il faut croire aux écrivains car ils sont les alliés des cinéastes et sont prêts à tout leur donner. Alors que les cinéastes se comportent, eux, trop souvent comme des voyous avec les écrivains, ne cherchant qu’à les voler ». Plus que de réhabiliter un cinéma des scénaristes, il s’agit de retrouver dans l’âme littéraire une densité, une intensité pour le cinéma. Et une intelligence du monde. Un discours qui s’est traduit en mesures concrètes à la Kabardino-Balkarian State University : « Nous avons créé des cours de littérature et de philosophie. Nos étudiants ont été forcés de travailler très sérieusement ces matières ».

Sans crainte d’apparaître comme un homme de la vieille école, Sokourov a prôné le travail et les efforts comme la seule voie possible pour se forger un talent et un destin de cinéaste. Mais craignant peut-être, en revanche, qu’on l’accuse de vouloir façonner ses élèves à son image, il a devancé cette critique : « J’aime l’indépendance de mes étudiants et je ne tiens pas à détruire leur personnalité. Je sais qu’ils n’auraient sans doute jamais vu mes films si je n’avais pas été leur professeur et je sais qu’ils n’auraient pas aimé mes films s’ils les avaient vus par hasard. On n’a pas besoin de multiplier les Sokourov. Mais l’indépendance, on la conquiert par la discipline et la compréhension de la responsabilité qui nous revient. Mes étudiants doivent réaliser qu’ils ont choisi un métier difficile et très exigeant ».

Un métier auquel il est temps de redonner sa vraie dimension, tant il a été dévalué, selon Sokourov, qui le pointe d’une formule cinglante : « Le cinéma c’est, à 70%, le royaume des fainéants. Y compris du côté des spectateurs ». La création serait donc, d’abord, affaire de volonté et de discipline. Le maître russe n’a pas caché que sa vision a fait grincer des dents parmi les étudiants de Nalchik : « Le plus difficile pour les jeunes d’aujourd’hui est d’abord de comprendre qu’il n’y a pas de liberté dans l’art. C’est une illusion à combattre » . Car la liberté de montrer tout et n’importe quoi, n’importe comment, ce n’est plus le cinéma.

Sokourov a donc proposé à ses étudiants un accord : ne pas faire des images violentes ou montrant la violence. Et un objectif : parler de la possibilité de s’aimer les uns les autres ou de la difficulté à s’aimer les uns les autres. En voyant les films réalisés, on ne peut que constater, par-delà les maladresses ou les faiblesses inévitables, une force réelle dans les regards posés sur les personnages, une attention particulièrement belle, et inhabituelle. Ce qui pourrait donner raison à la thèse pourtant audacieuse du réalisateur russe : c’est parce que la notion d’amour du prochain disparaît dans nos sociétés que le vrai cinéma d’auteur peine à survivre et à se renouveler. Pour lui, le métier de cinéaste n’a qu’une finalité : comprendre les souffrances de l’être humain. Etre cinéaste, c’est, dit-il, être comme le médecin de campagne qui doit ouvrir sa porte à tous ceux qui frappent et comprendre ce dont ils souffrent, sans jamais les juger.

A cette profession de foi, un auditeur de la masterclass a réagi en posant à Sokourov une question toute simple, et qui semblait sans malice : « Mais alors, que pensez-vous d’un cinéaste comme Tarantino ? ». La réponse fut une grande réflexion sur les abus commis par les plus grands réalisateurs, qui utilisèrent la violence pour les besoins de leurs films : Eisenstein acceptant qu’un enfant soit maltraité dans La Grève (1925), Tarkovski sacrifiant des chevaux pour Andreï Roublev (1966). Sokourov s’avoua lui-même coupable d’avoir, un jour, mis en danger la vie de son équipe pour une scène qu’il jeta ensuite au montage, avec le sentiment d’avoir cédé au spectaculaire. Se tournant alors vers l’auditeur qui attendait le jugement de Tarantino, il dit de sa voix grave et solennelle : « Je ne suis pas juge, mais les cinéastes doivent contrôler ce qu’ils font ! Je m’adresse aux hommes, car les femmes cinéastes n’ont pas ce problème : prenez soin de votre santé mentale ! Beaucoup de cinéastes auraient besoin de consulter un psychiatre. Tout particulièrement celui dont vous avez prononcé le nom, qui aurait dû se faire soigner il y a déjà longtemps ».

Frédéric Strauss

Source : Télérama, 15/08/2014

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Thomas Piketty : Un capital moderne

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Essai. Remettre en question la répartition au cœur de l’analyse économique.

Retour sur un essai qui fait couler beaucoup d’encre :  Le Capital au XXIème  siècle (Le Seuil) de Thomas Piketty * qui a prononcé  la leçon inaugurale des Rencontres Pétrarques à Montpellier en juillet . Une des idées centrales de ce chercheur en sciences-sociales, est que la question de la répartition des richesses, qui intéresse et concerne tout le monde, est trop importante pour être laissé aux mains des seules économistes.

Thomas Piketty s’intéresse à l’évolution de l’accumulation du capital privé en se gardant des préjugés idéologiques qui ne manquent pas sur le sujet. Pour se faire il a rassemblé des données historiques et comparatives portant sur trois siècles et vingt pays.

Best-seller aux Etats-Unis

Son travail établit patiemment des faits, et des régularités, et analyse les mécanismes, économiques, sociaux, politiques susceptibles d’en rendre compte. Une vaste entreprise d’enquête, en partie partagée par des chercheurs britanniques et américains, qui renouvelle le cadre théorique pour se baser sur les mécaniques actuellement à l’oeuvre. La démarche reconnue internationalement éclaire le débat démocratique sur la question des inégalités et contribue à redéfinir le débat. Le livre a rencontré un immense succès dans le monde anglo-saxon où il s’est vendu à 450 000 exemplaires contre 150 000 pour la version francophone (chiffres en juin 2014). Avec l’écho  rencontré, l’ouvrage fait l’objet de nombreuses controverses auxquelles l’auteur répond point par point. «Dès lors que Le taux de rendement du capital dépasse durablement le taux de croissance de la production et du revenu, le capitalisme produit mécaniquement, des inégalités insoutenables, arbitraire, remettant radicalement en cause  les valeurs méritocratiques sur lesquels se fondent notre société démocratique», souligne l’auteur qui revisite les théories généralement admises sans approfondissement par les économistes.

Les grandes théories revisitées

L’approche transversale, notamment historique et spaciale, de la démarche permet à Piketty de recontextualiser le débat. Ainsi à propos de L’essai sur le principe de population de l’économiste Thomas Malthus publié en 1798, il commente : «Tout n’est pas faux mais Malthus était très inquiet des nouvelles politiques et persuadé que la France courait à sa perte en acceptant de faire siéger le Tiers état au Parlement.» De même il souligne à propos de Marx : « Il écrivait dans un climat de grande exaltation politique (…) Il ne s’est guère posé la question de l’organisation politique et économique d’une société où la propriété privée du capital aurait été entièrement abolie.» Tout en reconnaissant : il conserve sur plusieurs points une certaine pertinence. Il part d’une vraie  question, celle de l’invraisemblable concentration des richesses pendant la révolution industrielle, une démarche dont les économistes d’aujourd’hui ferait bien de s’inspirer. Le principe de l’accumulation infinie qu’il défend contient une intuition fondamentale pour l’analyse du XXI.»  Et Piketty démontre l’ampleur du déséquilibre avec la très forte hausse de la valeur totale des patrimoines privés, mesurés en années de revenu national depuis les années 70 dans l’ensemble des pays riches.

Kuznets et la guerre froide

Plus proche de nous, l’auteur revient sur la théorie de Kuznets proposée en 1955, selon laquelle les inégalités de revenus sont spontanément appelées à diminuer dans les phases avancées du développement capitaliste, quelles que soient les politiques suivies  ou les caractéristiques du pays, puis à se stabiliser à un niveau acceptable. S’il s’inspire du travail statistique approfondie de Kuznets, Piketty élargie l’étude des revenus dans le temps et l’espace et montre que la réduction des inégalités de revenus observée entre 1914 et 1945 est avant tout le produit des guerres mondiales et des chocs économiques et politiques qu’elles ont entraînés.

Dans sa dernière partie il tente de faire des propositions, comme l’impôt progressif sur le patrimoine privé, l’imposition des multinationales,  ou des sanctions contre les paradis fiscaux… pour que la démocratie et l’intérêt général parviennent à reprendre le contrôle du capitalisme et des intérêts privés. «Trop lourd». C’est dans ces mots que Michel Sapin, ministre du Travail, a justifié son refus de lire le livre de Thomas Piketty

Jean-Marie Dinh

* Directeur d’études à l’EHESS il a publié Les Hauts Revenus en France au XXe siècle (Grasset), Pour une révolution fiscale (Seuil)

Source : La Marseillaise 08/08/14

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Metro de Gaza par Uri Avnery

Uri Avnery* commence à réfléchir sur les conséquences de cette guerre en Israël. Et cela fait froid dans le dos. Alors que j’avais toujours été admirative de la totale liberté d’expression régnant en Israël  il semblerait qu’il commence à y avoir des limites. et cela fait très peur.

Aline Baldinger

Metro de Gaza

 

220px-UriAvneryIl n’y a pas de metro à Tel Aviv. On en a discuté pendant des années. Tous les maires l’ont promis. Hélas il n’y a toujours pas de métro

Lorsque l’armée Israélienne est entrée dans la bande de Gaza et a trouvé un extaordinaire réseau de tunnels, une idée a germé. Pourquoi ne pas inviter le Hamas à creuser le métro de Tel Aviv ? Ils possèdent l’expertise, la technologie, les plans et la main d’œuvre.

 Mais la guerre n’est pas une plaisanterie c’est une terrible tragédie. Après 29 jours de combat (jusqu’à ce jour) qui a gagné?

 

Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions définitives.  Le cessez le feu n’a pas duré. Cela prendra des années pour tirer toutes les conséquences. Mais la sagesse populaire des Israéliens  a déjà tiré ses propres conclusions: Il y a match nul.

Cette conclusion est en elle-même une sorte de miracle. Pendant un mois entier les citoyens Israéliens ont été bombardés  par un intense tir de barrage de propagande. Jour après jour, heure après heure ils ont été soumis à un courant ininterrompu de lavage de cerveau.

Les dirigeants politiques et militaires distillaient une image de la victoire. Les chars et les soldats sortant de Gaza ont reçu l’ordre d’agiter de grands drapeaux. Toutes les photos montraient des soldats quittant la bande de Gaza en souriant de toutes leur dents. ( Mon imagination me montre ces troupes s’entrainant à la sortie avec le sergent major criant : » Soldat Cohen un peu plus convaincu le sourire ! »  

Si on en croit les paroles officielles notre glorieuse armée a rempli tous ses buts. Mission accomplie. Le Hamas est battu. Si l’on en croit un de ces correspondants militaires “aux ordres”: “ Le Hamas rampe à quatre pattes pour obtenir le cessez le feu”.

Cela a donc été une grande surprise que lors du premier sondage , 51% des Israéliens Juifs répondent que cette guerre s’est terminée par un match nul

Seulement 36% répondirent que nous avions gagné et 6% conclurent à une victoire du Hamas.

Lorsqu’une guerilla dirigeant au plus 10 000 combattants fait match nul avec une des plus puissantes armées du monde équipée des armes les plus modernes cela peut être considéré comme une sorte de victoire.

Le Hamas n’a pas seulement montré un grand courage pendant les combats mais aussi beaucoup d’intelligence dans la préparation de cette campagne. Et il est toujours debout.

L’armée Israélienne quant à elle a fait montre de très peu d’imagination. Elle n’était  pas du tout préparée aux tunnels labyrinthiques. Le “dôme de fer » qui a obtenu de grands succès  dans la défense contre les rockets a été installé il y a huit ans par un Ministre de la défense qui était un civil, contre l’avis express de l’armée. Sans cette défense la guerre aurait été bien différente. .

De fait, ainsi que ‘un commentateur a osé l’écrire l’armée est devenue une machine encombrante et conservatrice. Elle suit sa routine sans mettre en jeu des forces spéciales. Fondamentalement sa doctrine était de pousser la population civile à la soumission en faisant le plus de morts et destruction possibles  afin de décourager toute résistance  le plus possible et le plus longtemps possible. En Israël les terribles images de mort et de destruction n’ont provoqué aucune compassion. Au contraire. Les gens en étaient fiers.  

A la fin les deux côtés étaient totalement épuisés. Pourtant pendant les négociations de cessez le feu du Caire, le Hamas ne s’est pas rendu.

Pour les dirigeants Israéliens l’alternative au retrait était la conquête de la totalité de la bande de Gaza. Cela aurait permis d’exterminer le Hamas et de démanteler toutes ses infrastructures. Mais l’armée contesta vigoureusement cette option et parvint à convaincre les politiques. Il y aurait eu au moins un millier de soldats morts et la bande de Gaza toute entière aurait été réduite en ruines.

32 ans auparavant le duo Begin-Sharon avait rencontré la même problématique. La conquête de Beyrout ouest aurait couté la vie à au moins 800  soldats Israéliens. Ils avaient renoncé tout comme le duo Netanyahu-Ya’alon venait lui aussi de renoncer.

La société Israélienne n’a pas la force d’affronter de si nombreux morts. Et les protestations internationales contre le carnage de civils aurait été trop important.

Et donc Netanyahou a fait ce qu’il avait juré de ne jamais, au grand jamais  faire: il a commence des négociations avec  une organisation terroriste méprisable- le Hamas

Il existe une maladie mentale appellee Paranio Vera. Elle a pour symptôme principal que le malade adhère à une affirmation folle ( la terre est plate, kennedy a été tué par un extraterrestre, les Juifs conduisent le monde) et reconstruisent toute un système logique à partir de cette affirmation. Plus le système est logique plus le patient est fou.

La paranoïa d’Israel concerne le Hamas. C’est l’affirmation que e Hamas est une organisation terroriste diabolique toute entière tournée sur l’annihilation d’Israël. Ainsi que l’écrivait un journaliste cette semaine «  un gang de psychopathes ».  

Toute la politique Israélienne est fondée sur cette affirmation. La guerre reposait elle aussi sur cette affirmation.

On ne peut pas parler avec le Hamas. On ne peut pas faire la paix avec el Hamas. Il faut juste le supprimer.

Ce tableau démoniaque n’a aucun rapport avec la réalité.

Je n’aime pas le Hamas. Je n’aime pas les partis religieux en général, ni en Israël, ni dans le monde Arabe, nulle part. Je ne voterais jamais mais pour un parti religieux.

Mais le Hamas fait partie intégrante de la société Palestinienne. Lors des dernières élections Palestiniennes, -supervisées par des instances internationales le Hamas a obtenu la majorité. Il a ensuite, c’est vrai, pris le pouvoir dans la bande de Gaza par la Force mais après avoir gagné une majorité dans la bande de Gaza.

Le Hamas n’est pas “Jihadiste” au sens de al-Qaeda ou de  ISIS.Il ne se bat pas pour l’établissement mondial d’un califat. Le Hamas est un parti Palestinien entièrement dévoué à la cause Palestinienne. Il se donne à lui même le nom de résistance. Il n’a pas imposé la loi religieuses (sharia) à la population

Ah mais qu’en est il de la Charte du Hamas qui Demande la destruction de l’Etat d’Israel et comprend des affirmations antisémites virulentes ?  

Je dirais que cela ressemble à du “déjà vu”. L’For me, this is frustratingly deja vu. La charte de l’OLP demandait elle aussi la destruction de l’Etat d’Israel. La propagande Israélienne s’en servait sans cesse. Yehoshafat Harkabi professeur respecté et ancien responsable des services secrets, pendant des années , n’a parlé que de cela.  A respected professor and former army intelligence chief, , spoke for years about nothing else. Seulemetn après la signature des Accords d’Oslo entre Israel et l’OLP ces clauses furent tout simplement ôtées de la charte, en présence du Président Clinton.  

En raison de d’interdictions religieuses, le Hamas ne peut pas signer lui même un accord de paix. Mais à l’instar de tous les peuples religieux du monde ( surtout les Juifs et les Chrétiens d’ailleurs) il a trouvé comment contourner les interdits divins. Le fondateur du Hamas le Sheik Ahmad Yassin (qui a écrit la charte et fut assassiné par Israel) avait proposé une Hudna de trente ans. Une Hudna est une trêve sanctifiée par Dieu et qui peut être renouvelée jusqu’au jugement dernier.

Gush Shalom, Le mouvement pour la paix auquel j’appartiens a demandé il y a hui tans que notre gouvernement commence à discuter avec le Hamas. Nous mêmes nous avons eu à plusieurs reprises des discussions amicales avec plusieurs leaders du Hamas. La ligne officilel actuelle du Hamas est  que si Mahmoud Abbas parvient à un accord de paix avec Israel, le Hamas l’accepterait, après qu’il eut été ratifié par un referendum.

Malheureusement il y a peu d’espoir qu’Israel guérisse bientôt de sa paranoïa

 

En supposant que cette guerre finisse bientôt, que restera t il?

L’hystérie guerrière qui a submerge Israel pendant cette guerre a apporté une odieuse vague de fascisme. Il y eut des mouvements de lynchage  d’Arabes à Jérusalem.

Des journalistes comme Gideon levy ont du être protégé par des gardes du corps, des professeurs d’Université ayant osé defendre la paix ont été censuré (provoquant un boycott universitaire dans le monde entier) et des artistes ayant osé avoir une opinion divergente ont été licenciés.

Certains pensent que c’est un évènement marquant dans la décadence de la démocratie israélienne. J’ose espérer que cette vague horrible va refluer. Mais quelque chose restera. Le fascisme a d’une certaine façon été approuvé dans le discours dominant.

L’un des symptômes du fascisme est l’histoire du “couteau dans le dos”. Adolf Hitler, l’a utilisé pendant toute son ascension au pouvoir : Notre glorieuse armée était proche de la victoire quand un complot de politiciens ( Juifs) lui a planté un couteau dans le dos.

On entend déjà dans les rue d’Israël : «  Nos braves soldats auraient pu conquérir toute la bande de Gaza si Netanyahou et ses larbins – le ministre de la défense et son chef de cabinet- n’avaient pas donné l’ordre ignominieux d’une retraite honteuse.

A l’heure actuelle Netanyaou est au sommet de sa popularité . Un sondage lui accorde le soutien de  plus de 77 % des citoyens Juifs sur sa conduite de la guerre.  Mais cela peut changer en un jour. Les critiques murmurées aujourd’hui à voix basse, y compris au sein de son propre gouvernement peuvent  devenir majoritaires et être dites à voix haute.

A la fin Netanyahu peut être dévoré par le feu de super patriotism qu’il a lui même allumé.

Les images de mort et de destruction venant de Gaza ont fait profondément impression à l’étranger. Ces images ne pourront pas être éffacées d’un coup de gomme. Le sentiment anti Israélien restera,  parfois mêlé à un veritable antisémitisme. The awful pictures of devastation and death coming out of Gaza have made a profound impression abroad. They cannot be simply erased.  Anti-Israeli sentiment will remain, some of it tinged with outright anti-Semitism. L’affirmation ( fausse) d’Israel voulant être reconnue comme “l’Etat nation du peuple Juif” et l’identification presque totale des Juifs de la diaspora avec Israel, conduira inévitablement à reprocher à tous les Juifs les exactions d’ Israel.  

L’influence de cette guerre sera encore bien plus importante dans le monde Arabe. Pour chaque enfant tué, pour chaque maison détruite naitra un nouveau « terroriste ».

Peut-être y a t il quand meme des conséquences  positives.

Ette guerre a créer, temporairement une alliance improbable en Israel, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et l’AUtorité Palestinienne.

Il y a deux mois Abbas était le souffre douleur de Netanyahou. Maintenant il est le favori de Netanyahou et de l’opinion publique Israélienne. En Même temps, parodoxalement, Abbas et le Hams n’ont jamais été si proches.

 Cela pourrait constituer une opportunité unique pour commencer sérieusement un processus de paix à la suite d’une solution au problème de la bande de Gaza.

Si…

Uri Avnery

* Uri Avnery est un écrivain et journaliste israélien né le 10 septembre 1923 à Beckum. Surtout connu pour être un militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu 

Source : Blog de Aline Baldinger 09/08/14