Montpellier : Danse radicale avec Charmatz et Chaignaud

«?Radio Vinci Park?» un coefficient élevé de beau et de bizarre. Photo JMDI

«?Radio Vinci Park?» un coefficient élevé de beau et de bizarre. Photo JMDI

Deux spectacles et deux chorégraphes pour une soirée de feu proposée par hTh. Boris Charmatz reprend (sans titre) (2000) de Tino Sehgal et François Chaignaud se livre à un rituel motomachique dans un parking souterrain.

Soirée danse à vif, contestataire et transgressive comme on les aime, avec deux propositions à l’image d’artistes aux oeuvres significatives par leur sincérité et leur intensité. C’est Boris Charmatz qui ouvre le bal sur la scène du CDN avec une reprise de la création de Tino Sehgal. Il est nu sur la scène vide et exécute en solo les figures majeures de l’histoire de la danse contemporaine, sans musique dans une salle éclairée. Et voilà que la magie de la scène qui habituellement prend vie quand les lumières s’éteignent, s’inverse. Voilà que la nudité rapproche, que la neutralité du corps devient la page blanche où s’inscrit le poème. Mais cette neutralité reste toute relative car les mouvements de Nijinski, Cunningham, Bausch, Brown et bien d’autres, prennent vie dans l’espace et le temps à travers la pulsion d’énergie propre à chaque danseur. Cerise sur le gâteau, de brèves interactions avec le public s’opèrent selon une pensée situationniste empruntée à Guy Debord.

Changement de lieu et de situation opéré par les bus de la Tam -?une première pour le Théâtre Grammont?-, qui transportent les spectateurs vers l’inconnu. Ceux-ci s’engouffrent dans l’obscurité d’un parking pour suivre Radio Vinci Park. Première pose dans le sombre couloir de béton pour écouter Vivaldi, Mozart, Haendel, interprétés au clavecin par Marie-Pierre Mercier. On s’enfonce ensuite un peu plus loin sous la terre pour assister à une fascinante scène de séduction entre un motard casqué et une créature blonde juchée sur des talons aiguilles à toute épreuve. Dans cet environnement singulier, la prouesse corporelle et mécanique prend du relief. François Chaignaud convoque à la fois l’esthétique et la voix du bel canto pour parvenir à ses fins et le monstre se réveille.

JMDH

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Simon Leys, le fléau des idéologues

L'écrivain Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, photographié dans sa maison de Canberra. (AFP/ William WEST)

L’écrivain Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, photographié dans sa maison de Canberra. (AFP/ William WEST)

Le philosophe Jean-Claude Michéa s’exprime pour la première fois depuis la mort de Simon Leys, l’auteur des « Habits neufs du président Mao ». Entretien.

Le philosophe Jean-Claude Michéa, auteur d’«Impasse Adam Smith», s’exprime pour la première fois après la mort de Simon Leys, survenue le 11 août dernier. A ses yeux, celui-ci restera comme «le plus grand essayiste de langue française des cinquante dernières années», d’une importance intellectuelle et politique égale à celle d’Orwell et Pasolini. Entretien exclusif pour «le Nouvel Observateur».

Le Nouvel Observateur L’œuvre de Simon Leys fut l’une de vos grandes sources d’inspiration. En quelle année et avec quel livre l’avez-vous découvert?

Jean-Claude Michéa J’ai lu «Les Habits neufs du président Mao» en 1975, autrement dit au moment précis où je commençais à m’immerger dans les écrits de Guy Debord et de l’Internationale  situationniste. On oublie trop souvent, en effet, que cet ouvrage iconoclaste a d’abord été publié en 1971 dans le cadre de la Bibliothèque asiatique de René Viénet (ce dernier – l’une des figures les plus fascinantes de l’IS – ayant lui-même été expulsé de Chine maoïste quelques années auparavant). Il se présentait donc surtout, à l’origine, comme une confirmation empirique des remarquables intuitions  formulées par Guy Debord, dès 1967, dans «Le Point d’explosion de l’idéologie en Chine».

Simon Leys a, du reste, toujours tenu à reconnaître le rôle décisif que René Viénet avait ainsi joué dans son propre parcours intellectuel. «Sans lui, écrivait-il par exemple dans une lettre de 2003 à Pierre Boncenne, je n’aurais probablement jamais rien publié ; on pourrait dire assez littéralement que c’est Viénet qui m’a inventé.» Notons, au passage, que cette  décision de démystifier la «Grande Révolution Culturelle Prolétarienne» – alors même que le culte de Mao battait son plein dans la presse française officielle de l’époque – ne devait absolument rien, chez Simon Leys, aux contraintes universitaires du Publish or Perish. Elle s’était en réalité imposée à lui, un jour de 1967, lorsqu’il avait découvert avec effroi un journaliste chinois en train d’agoniser devant sa porte (lui-même résidait alors à Hong-Kong) après avoir été atrocement torturé par les nervis de Mao.

Depuis lors, je n’ai évidemment jamais cessé de lire avec passion, ouvrage après ouvrage, celui que je considère toujours comme le plus grand essayiste de langue française de ces cinquante dernières années. Par son indépendance d’esprit et son intransigeance morale absolue (sans même parler de sa connaissance inégalée de l’histoire et de la culture chinoises), l’œuvre de Simon Leys se situe clairement, en effet, au même niveau d’importance philosophique et politique que celle d’un Pasolini, d’un Orwell ou d’un Liu Xiaobo.

Le problème, c’est qu’il s’agit là de qualités morales et intellectuelles que le clergé médiatique et universitaire moderne – particulièrement en France – n’est guère enclin à pardonner (et quand, d’aventure, il les pardonne, c’est généralement à titre posthume). De là cette incroyable chasse à  l’homme – la même chose était arrivée à Orwell après la publication de son témoignage sur la guerre civile espagnole – dont Simon Leys allait logiquement se retrouver la cible dès la sortie de son livre. Une certaine Michelle Loi – pseudo-sinologue qui enseignait, on s’en serait douté, au «Centre expérimental de Vincennes» – allant même, en 1975, jusqu’à révéler sa véritable identité – Pierre Ryckmans, citoyen belge – à la sinistre Gestapo maoïste.

Dans son essai publié en 1984, «Orwell ou l’horreur de la politique», qu’est-ce que Simon Leys vous a fait comprendre de spécifiquement important au sujet du penseur anglais?

Rappelons d’abord que ce petit essai (dont on complétera la lecture par celle du chapitre consacré à Orwell dans «Le Studio de l’inutilité») constitue à coup sûr – si on met à part la remarquable biographie de Bernard Crick – le meilleur texte jamais écrit sur l’auteur de 1984. Ce qui prouve, au passage, que la valeur d’un livre ne dépend pas nécessairement du nombre de pages qu’il contient. Quant à l’influence de cet essai sur ma lecture personnelle d’Orwell elle a, bien sûr, été  déterminante.

D’une part, parce qu’il confirmait que la critique par Orwell du totalitarisme soviétique – critique qui lui avait  aussitôt valu, dans la presse de gauche de l’époque, l’accusation de «réactionnaire» et d’agent du gouvernement américain – ne pouvait être entièrement comprise qu’une fois replacée dans le cadre de sa critique parallèle du système capitaliste (on ne saurait donc la confondre, de ce point de vue, avec l’antitotalitarisme libéral d’un Bernard-Henri Levy, d’un Jean-François Revel ou d’un Michel Foucault).

De l’autre, parce que cet essai établissait clairement que le socialisme d’Orwell – loin de puiser sa source dans les différentes mythologies  positivistes du «sens de l’Histoire» et de l’«Homme nouveau» – trouvait, au contraire, sa véritable originalité dans son appel constant aux vertus morales et intellectuelles présumées des «gens ordinaires». Et, en premier lieu, à leur common sense et à leur common decency («Vous devez faire partie de l’intelligentsia pour écrire des choses pareilles; nul homme ordinaire ne saurait être aussi stupide»: cette réplique d’Orwell enchantait tout particulièrement Simon Leys).

C’est, bien entendu, cette insistance d’Orwell sur les fondements «ordinaires» et quotidiens du socialisme («Le socialisme est si conforme au bon sens le plus élémentaire, disait-il, que je m’étonne parfois qu’il n’ait pas déjà triomphé») qui m’a progressivement conduit à accorder une place décisive au concept de «décence commune» dans ma propre critique de la dynamique aveugle du capitalisme moderne. Et tout autant, cela va de soi, les encouragements à travailler dans cette direction philosophique que Simon Leys, avec sa  générosité coutumière, avait bien voulu me prodiguer dès le départ.

Cette sensibilité d’Orwell aux ressources et aux charmes du monde «ordinaire» me semblait d’ailleurs d’autant plus stimulante qu’elle l’avait progressivement conduit à développer une conception de la politique très éloignée de l’idéal puritain et sacrificiel de la plupart des intellectuels de gauche (songeons à leur répulsion fréquente pour le sport et les distractions populaires).

« Je pense que c’est en conservant notre amour enfantin pour les arbres, les poissons, les papillons, les crapauds etc., écrivait-il par exemple dans ses « Réflexions sur le crapaud ordinaire » (imaginez la stupeur des lecteurs de gauche découvrant cet article en 1945 !), que l’on rend un peu plus probable la possibilité d’un avenir paisible et décent.» Sentiment philosophique et poétique dont il ne se départira jamais (les dernières années de sa vie, sur l’île de Jura, en témoignent particulièrement) et que Simon Leys résumait admirablement en rappelant que pour Orwell, «dans l’ordre normal des priorités, il faudrait quand même que le frivole et l’éternel passent avant le politique.»

J’ajoute que nous tenons probablement ici l’une des raisons majeures de la méfiance persistante des intellectuels de gauche – voire, pour reprendre l’expression d’Orwell, de leur «rire sarcastique» – dès qu’on s’aventure à  célébrer devant eux l’idée de common decency. Car si rien d’essentiel ne doit s’opposer à ce que l’émancipation concrète des travailleurs puisse être l’œuvre de ces travailleurs eux-mêmes (si, en d’autres termes, les gens ordinaires disposent, en droit, de toutes les ressources morales et intellectuelles nécessaires pour se gouverner eux-mêmes), il est clair que cela revient à lancer une sacrée pierre dans le jardin de tous ces «bienveillants tuteurs» (Kant) qui prétendent que seul leur savoir «scientifique» (que ce soit celui des «économistes», celui des «sociologues», ou même, désormais, celui des généticiens) pourrait guider la pauvre  humanité ordinaire sur le chemin de l’Avenir Radieux et de la «mondialisation heureuse».

Quelles sont les ressources de pensée, ou de caractère, qui permirent selon vous à Leys de voir que le roi était nu, qui lui donnèrent la force de résister à l’attraction du maoïsme, alors que la majorité des intellectuels parisiens célébraient la Révolution Culturelle?

La réponse me paraît aller de soi. Simon Leys appartenait à cette espèce intellectuelle, aujourd’hui menacée d’extinction, que Nietzsche appelait les «esprits libres» (ce n’est certainement pas un hasard si le remarquable  ouvrage que Jean Bernard-Maugiron a consacré à l’œuvre de Leys porte en sous-titre «Le feu sacré d’un esprit libre»). On comprendra d’ailleurs mieux les conditions morales de cette liberté d’esprit – car il s’agit bien, avant tout, de conditions morales – si on se reporte au célèbre conte d’Andersen, «Les habits neufs de l’Empereur» (c’est, bien sûr, à ce conte –  écrit en 1837 – que Simon Leys avait emprunté le titre de son premier livre).

J’en rappelle brièvement l’intrigue. Deux artisans tailleurs proposent à l’Empereur de lui confectionner les habits les plus somptueux qui soient – habits qui auraient, de surcroît, le pouvoir miraculeux de demeurer  invisibles aux yeux de quiconque se révèlerait être un mauvais sujet (ou, si on préfère une  formulation plus moderne, aux yeux de quiconque manifesterait des tendances «réactionnaires» et «politiquement incorrectes»). Comme on s’en doute, ces deux tailleurs sont, en réalité, de simples charlatans et les magnifiques habits qu’ils font semblant d’avoir tissés sont dépourvus de toute existence réelle.

On connaît la suite. Lors du défilé destiné à présenter au peuple ces magnifiques habits neufs, tous les sujets de l’Empire vont donc se trouver confrontés à une situation à la fois paradoxale et très délicate pour eux. Chacun peut en effet voir par lui-même que le roi est nu, mais – du fait du dispositif idéologique habilement mis en place  par les deux tailleurs – c’est en croyant simultanément qu’il est le seul à le voir. Chacun est donc contraint – si du moins il ne veut pas courir le risque de passer pour un dissident potentiel – de prétendre officiellement qu’il voit  autre chose que ce qu’il voit réellement (c’est là, vous le reconnaîtrez, la meilleure définition  possible d’un idéologue en mission, qu’il s’agisse pour lui de «démontrer» que le niveau des élèves monte ou que celui de la délinquance baisse).

La morale cachée de ce petit conte – dont le rebondissement final nous rappelle qu’on ne saurait «tromper tout le monde tout le temps» –  c’est donc que le désir de combattre pour la vérité («le roi est nu», «Dreyfus est innocent», «le Goulag existe» etc.) suppose toujours, chez ceux qu’il anime, au moins deux vertus indissolublement liées.

La première, c’est la capacité psychologique d’accepter la vérité telle qu’elle est chaque fois que nous l’avons effectivement sous les yeux; et cela quand bien même cette vérité serait de nature à déranger nos certitudes les plus confortables, jusqu’à nous conduire à vouloir en organiser le déni («Il ment comme un témoin oculaire» aimaient plaisanter les Soviétiques pour décrire ce principe de fonctionnement de toute pensée idéologique).

La seconde, c’est d’avoir le courage moral (et parfois physique) d’affronter publiquement – alors qu’il serait pourtant si simple de faire comme si de rien n’était et de continuer à vivre tranquillement – la haine envieuse de tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont un intérêt  personnel à nier telle ou telle vérité (ne serait-ce, par exemple, que pour continuer à jouir de leurs privilèges médiatiques ou universitaires). Inutile de préciser que Simon Leys – tout comme, avant lui, Pasolini et George Orwell – possédait au plus haut point ces deux vertus fondamentales (ce sont celles, en somme, qui rendent quotidiennement possible ce que Liu Xiaobo appelle la «vie dans la vérité»).

On ne doit pas chercher plus loin les raisons qui ont conduit la police de la pensée de l’époque – elle se renouvelle malheureusement de génération en génération – à lui faire si chèrement payer le prix de cette indomptable liberté d’esprit. Pour autant, la certitude déprimante qu’un esprit libre devra toujours affronter, tôt ou tard, les calomnies et les manœuvres de tous les partisans de «ces petites idéologies malodorantes qui rivalisent maintenant pour le contrôle de notre âme» (Orwell) ne devrait dissuader personne de servir honnêtement la vérité. Après tout, qui se souvient  encore, aujourd’hui, des Alain Bouc ou des Michelle Loi? Pas même leurs innombrables clones devenus pourtant plus  puissants que jamais.

Propos recueillis par Aude Lancelin – Le Nouvel Observateur

Source L’OBS 31-08-2014

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Alain Badiou signe sa petite histoire du cinéma en ouvrant des voies.

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Au carrefour entre regard et interprétation, Alain Badiou évoque le cinéma dans un recueil de textes qui vient d’être publié chez Nova éditions*.

« Le cinéma est une pensée dont les œuvres sont le réel. » Fidèle à ce précepte, Alain Badiou aborde le cinéma en tant qu’art de vivre et de penser. Il existe selon l’auteur, « un témoignage sur le monde propre au cinéma ». Le philosophe revient sur son approche personnelle du 7ème art à travers la compilation d’une trentaine de textes qu’il a consacrés au cinéma.

L’ouvrage présenté par Antoine de Baecque, permet une approche particulière et spécifique, assez caractéristique de la pensée de Badiou. Les textes proposent un parcours varié dans le cinéma de ces cinquante dernières années, des cinéastes de la modernité (Murnau, Rossellini, Oliveira, Antonioni, Godard) à certains films de l’Amérique contemporaine (Matrix, Magnolia), en passant par des expériences singulières (Guy Debord, le cinéma de 68…).

De film en film, par effet de ricochet, le livre nous invite à définir ou à redéfinir notre propre rapport au cinéma, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. De quoi nous donner du cœur à l’ouvrage pour tirer certains films du flou et de l’oubli. Ainsi qu’un peu d’exigence pour que notre interprétation révèle quelques bribes de vérité contemporaine.

Alain Badiou, comme d’assez nombreux penseurs de sa génération a été nourri jeune par le cinéma. Pour lui, parler d’un film procède d’un cheminement entre la perception et le trajet de l’idée qui l’accompagne. Ce passage de la cinéphilie à l’écriture s’est opéré chez Badiou avant l’engagement qu’on lui connaît pour la philosophie politique. Ce n’est pourtant pas un simple retour aux sources car l’auteur n’a jamais cessé de traquer les registres de sens qui traversent nos idées. En somme Badiou poursuit son travail critique.

Jean-Marie Dinh

* Alain Badiou, Cinéma, Nova éditions, 366 p, 26 euros.

Voir aussi Rencontre Alain Badiou , Rubrique livre, Mai 68 en surchauffe, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Jean-Claude Milner, Michela Marzano, Daniel Bensaïd,