Il ne s’agit pas de faire une foire d’art contemporain de plus

Olll, « Chinese Tatoo », présenté par la galeriste Sophie Julien ( Béziers). Photo JMDI

Olll, « Chinese Tatoo », présenté par la galeriste Sophie Julien ( Béziers). Photo JMDI

Ultime journée pour le premier Art Montpellier qui vous donne rendez-vous avec la création artistique contemporaine régionale nationale et internationale jusqu’à l’Arena.

Le premier salon d’art à Montpellier se veut un événement à la hauteur de la place qu’occupe l’art contemporain à Montpellier et sa région. Si la destination Montpellier culture est empruntée de longue date, la ville le doit à la vision de son maire historique Georges Frêche qui fut dès le début des années 80, l’un des premiers à saisir le rôle de la culture en terme d’attractivité et de développement économique.

Les Arts plastiques sont cependant restés longtemps la cinquième roue du carrosse loin derrière la danse, la musique et le théâtre. Mais les temps changent, et l’actuel locataire de la mairie, caresse de longue date l’idée de parfaire cet écrin culturel du sud de la France. Tout en maintenant et en développant les moyens du Musée Fabre, depuis son arrivée Philippe Saurel consolide un dispositif qualitatif via les salles d’expositions municipales, pour constituer un parcours urbain enrichi de propositions d’œuvres d’art, temporaires ou définitives, dans l’espace urbain.

La nomination de Nicolas Bourriaud à la tête d’un EPPC qui comprend la Panacée, et le futur Centre d’Art le MoKo en lien avec l’école des Beaux Arts constitue un autre axe de développement prometteur. Cette politique culturelle volontariste produit déjà des effets mesurables dans le secteur privé avec l’implantation récentes d’une vingtaine de galeries sur la ville. La Foire méditerranéenne des arts contemporains qui se tient actuellement à l’Arena apparaît comme une suite logique qui devrait confirmer la place de Montpellier sur la carte des grandes escales du sud en matière d’art contemporain.

Qualité de l’offre artistique

On mesure rapidement l’ambition en parcourant les allées de la première édition de Art Montpellier qui rassemble l’art contemporain, l’art brut, et la création émergente. La foire accueille des dizaines de galeries prestigieuses présentant les oeuvres de 200 artistes, avec un focus sur le mouvement Support Surface ( Dezeuze, Cane, Guyomard, Viallat,) présentés par la galerie Clémence Boisanté et la Figuration libre (Combas, Boisrond, Di rosa, Blanchard), sur le stand AD galerie. Sur une surface de 2 500 m2, elle confirme le savoir-faire de son directeur artistique Didier Vesse, fondateur d’ArtéNîm qui préside aujourd’hui à la destinée d’Art Up ! Lille.

L’implication des galeristes demeure prédominante surtout pour une première édition « L’interaction entre les oeuvres présentées est intéressante juge Eric Galéa entre deux dieux égyptiens en béton coloré signées Mathias Souverbie, c’est un vrai salon d’art contemporain. Cette lisibilité est importante, il arrive qu’on se retrouvent avec des productions artisanales ce qui brouille les esprits. Ici c’est clair. Nous ne sommes pas non plus envahis par le Street art, que j’apprécie, mais dont le côté très tendance est parfois hégémonique», confie l’habitué des salons d’art internationaux dont la galerie est implantée à L’isle sur la Sorgue.

« Il faut trois ans pour que le salon fasse ses preuves et monte en puissance», indique le galeriste Roger Castang, qui vient de Perpignan, le magnifique bronze du sculpteur catalan Guy Ferrer à ses côté ne semble pas le contredire. «Cette année nous sommes une quarantaine, il faudrait arriver à 70 exposants en conservant la qualité des propositions. Devant la singularité des offres nous ne nous trouvons pas en concurrence.»

A l’issue de cette première édition ce sera aux galeristes présents de se prononcer pour savoir si Art Montpellier répond aux exigences de son échelle et de ses perspectives. En reprenant un ticket pour la prochaine édition et par le biais du bouche à oreille. Mais en matière de richesse et de diversité des propositions les amateurs ont de quoi nourrir leur soif de curiosité, et d’y trouver l’occasion de faire des heureux.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 09/12/2017

 

Didier Vesse. Photo maxime Dufour

Didier Vesse. Photo maxime Dufour

C’est à l’Arena que s’ouvre aujourd’hui Art Montpellier*, la première édition de la Foire méditerranéenne des arts contemporains à découvrir jusqu’à dimanche. Entretien avec Didier Vesse son directeur artistique.

La première édition d’Art Montpellier porte l’ambition de devenir un lieu d’échange et de rencontre pour les professionnels, collectionneurs et amateurs du monde de l’art contemporain en Méditerranée. Un défi culturel et entrepreneurial soutenu par Cédric Fiolet, directeur de la structure Montpellier Events, et relevé par le créateur et directeur artistique d’ Art Up ! Lille Didier Vesse.

Comment s’est monté le projet ?

C’est une idée de longue date. J’ai été galeriste à Montpellier et dans la région et j’ai toujours pensé qu’une foire d’art contemporain devait voir le jour dans cette ville. Dans les années 90, j’avais proposé le projet à Georges Frêche. Le maire de l’époque n’ayant pas donné suite je m’étais alors tourné vers Nîmes, et nous avions mis en place ArtéNîm. Depuis, mon expérience s’est enrichie à Grenoble, Rouen, Lille. Je n’ai jamais abandonné l’idée de Montpellier. Cette nouvelle édition est ma 24e foire d’art contemporain. Je suis très heureux de relever ce défi ici.

Artistiquement comment s’articule votre proposition?

Dans l’intitulé Foire méditerranéenne des arts contemporains, c’est le « des » qui m’intéresse. Cette notion de pluriel reflète un propos, celui de casser les chapelles. C’est un salon où le Street art côtoie l’art brut, on y découvre des oeuvres d’artistes confirmés, de créateurs d’aujourd’hui, d’outsiders aussi, présentées par des galeristes professionnels. Si je vous demande ce que représente l’art contemporain aujourd’hui, il y a peu de chance que votre réponse corresponde à celle d’une autre personne. En la matière, chaque amateur porte lui-même ses représentations. L’important, pour moi, est de présenter ce que l’art est aujourd’hui. Il s’agit à la fois de faire place aux jeunes artistes sans oublier les valeurs plus anciennes qui donnent du poids.

Art Montpellier présente à ses visiteurs 7 pièces exceptionnelles de Georges Mathieu et beaucoup d’oeuvres d’artistes reconnus. Le salon s’attache notamment aux deux grands courants artistiques qui caractérisent cette région avec une sélection d’oeuvres des grands artistes de la Figuration libre et du mouvement Support surface. Outre la qualité, on peut lire dans la sélection des 40 galeries présentes un esprit d’ouverture assumée et une volonté de garantir un équilibre. Il ne s’agit pas de faire une foire d’art contemporain de plus.

Quels sont les facteurs clés de la réussite ?

Le lieu d’implantation est prédominant, on sent qu’une vraie énergie est en train d’émerger ici autour de l’art contemporain à laquelle Art Montpellier apporte une dimension complémentaire pour aller plus loin. On est encore à l’acte de naissance. Je m’appuie sur un réseau de galeristes qui est très précieux. Ils créent la foire avec nous et on leur en sera toujours reconnaissant. Le travail doit se poursuivre pour attirer les structures muséales, développer l’aspect pédagogique. Cette années les Amis du Musée Fabre organisent une conférence sur le thème « Les collectionneurs d’aujourd’hui ». Il faut aussi impliquer les entreprises dans le cadre du mécénat. Par ailleurs nous souhaitons donner un profil méditerranéen à cette foire. On peut envisager de travailler avec les galeries des villes jumelées. On pourrait aussi créer des liens avec les organisateurs d’Art Beyrouth, au Liban, par exemple. Un galeriste espagnol et un autre installé dans les îles grecques, nous font déjà confiance. Mon rôle est de donner de la visibilité et de rendre cet événement vivant.

Recueilli par JMDH 

* Du 7 au 10 décembre à l’Arena. Entrée : 10 euros, réduit : 6,50.

La Marseillaise 07/12/2017

Voir aussi : Actualité localeArt, , , , , , , , , , , rubrique Expositions, Montpellier, Rencontre ,

Deon Meyer charge l’atmosphère

Deon Meyer : « L’Afrique du sud va mal ».  Photo dr

Deon Meyer : « L’Afrique du sud va mal ». Photo dr

Roman
Né en 1958  en Afrique du Sud, Deon Meyer est l’auteur unanimement reconnu de dix best-sellers traduits dans une trentaine de pays. Avant de se lancer dans le polar, il a été journaliste, et stratège en positionnement Internet. Il vit près du Cap.  L’année du lion  est son premier roman post-apocalyptique.

L’auteur sud africain, Deon Meyer sort du noir, le genre, pour le reste on ne peut pas vraiment dire qu’il quitte la noirceur. Dans son dernier roman, L’Année du Lion, l’écrivain dresse un tableau pos-apocalyptique dans le décor géant de son pays, entre le désert du Karoo et le fleuve Orange. Cette histoire inspirée d’une nouvelle l’a obnubilé durant cinq ans. Il y est question de survie, après une fièvre mortelle ayant décimée les neuf dixièmes de la race humaine.

C’est le chaos. Un père et son fils évoluent dans cet environnement hostile. Sans nouvelle de la mère, ils doivent lutter contre la faune sauvage et humaine qui sévissent dans un espace immense et sans loi. On se dispute les restes de la société passée progressivement pillés. Plus le temps passe plus le danger grandi.

Will Strorm en a conscience mais il dispose d’une grande force. Celle de poursuivre un but précis et un idéal. Il veut rejoindre le grand barrage de Vanderkloof proche d’une centrale-électrique et y établir la communauté d’Amanzi basée sur l’égalité. Un espoir, (une rédemption ? ) en rupture avec l’ancien monde.

Aux yeux de l’auteur : « cette communauté imaginaire pourrait correspondre à une vision de l’Afrique du Sud si cette dernière était égalitaire.» Cette force de conviction le père l’a transmet à son fils et l’a partage aussi avec  les survivants qu’il croise. Au fil de l’avancé du projet, la population en quête de civilisation augmente. Il faut s’organiser pour répondre à l’angoisse du manque et aux besoins croissants.

Un mode de gouvernance se construit. Des personnalités se distinguent autour des enjeux de pouvoir. Il y a Domingo, le tireur d’élite, un pilote de Cessna, et le pasteur Nkosi, opportun et politiquement efficace, ce dernier fait entendre la voix de dieux et pose les fondations d’une nouvelle église.

Un reflet du pays
Dans la saisissante scène d’ouverture, Nico Storm qui a 13 ans sauve son père Will d’une meute de chiens prête à le dévorer. Cet acte marque le départ de la relation père/fils, fil conducteur du livre qui peut se lire aussi comme une histoire initiatique. Au court des cinq premières années de la communauté, Nico grandit s’éloigne de son père et s’affilie aux commandos d’élite dans l’armée de la communauté qui voit jour sous l’impulsion de  Domingo.

A l’extérieur d’Amanzi les hordes impulsives et sans pitié charge l’atmosphère ce qui donne lieu à des scènes d’actions haletantes qui rythme le récit. La maîtrise de la mise en scène nous rappelle le talent que Meyer sait déployer dans ses romans noirs.
Deon Meyer observe le délitement de la société Sud Africaine avec frayeur.

« L’Afrique du Sud va mal. On ne sait pas si le pays va s’effondrer ou non. Il faut se montrer prudent. Peut-être que bientôt on sera obligé de quitter le pays, il faut se préparer » affirmait l’auteur lors de sa tournée de promotion à Paris.

En signant ce roman, il accepte désormais la probabilité, même infime, que l’univers sur lequel il a fondé son livre, puisse représenter une évolution cohérente de la réalité. Plus qu’un changement de genre, L’année du Lyon marque une modification plus profonde dans l’oeuvre de Meyer. Il assume radicalement la position de cet univers comme métaphore.

JMDH

L’année du Lion, éditions du Seuil. 640 p 16,99 euros. Traduit de l’afrikaans et de l’anglais par Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert.

Source : La Marseillaise 04/12/2017

Voir aussi :  Rubrique Livres, Roman noir, rubrique Afrique, Afrique du Sud, rubrique Rencontre, Deon Mayer : « Je ne dresse pas d’agenda politique »,

Lettres aux parents contre la sélection à l’université

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Vous souhaitez comprendre la nouvelle procédure d’accès à l’université ? 10 minutes, c’est le temps que vous prendra la lecture de la formidable « Lettre ouverte d’un oncle universitaire à son frère parent ». A diffuser largement. Parallèlement 8 syndicats de la FSU lancent une alerte en s’adressant aux lycéens et à leurs responsables.

 

Lettre ouverte d’un oncle universitaire à son frère parent

Le 29 octobre 2017

Cher Baptiste, mon très cher frère,

Je t’écris aujourd’hui longuement, car c’est un jour assez particulier… Demain, nous aurons les annonces du gouvernement sur l’avenir du système universitaire français, et notamment les nouvelles règles pour y accéder… Je suis navré, mais cette lettre ne sera pas rigolote… J’ai vraiment peur pour Agathe et Mathilde, tes fiertés, et même si je ne les vois pas souvent, elles sont un peu la mienne aussi. En tous cas, je m’en sens responsable. Et ça m’empêche de dormir.

Je suis navré aussi que cette lettre soit si longue… Mais certaines choses sont un peu compliquées, et ont besoin de temps pour être expliquées… Et puis l’avenir de tes enfants, de notre jeunesse, de leur société, vaut bien les quelques dizaines de minutes que tu passeras à me lire.

Mathilde découvre à peine l’école, et ce n’est déjà pas l’école que nous avons connue… Des années de politique irresponsable l’ont ravagée, et je pèse mes mots. Je ne vais pas t’assommer d’indicateurs, mais c’est très simple : ils sont tous au rouge. A tel point que l’Education nationale n’arrive même plus à recruter, et se retrouve à relancer un concours de recrutement un mois après la rentrée, à grand coup de campagne de pubs, pour essayer de combler les trous, avec une seule obsession : recruter n’importe qui, du moment que les parents puissent déposer leurs enfants à l’école et aller bosser. Éviter la colère, éviter la prise de conscience, c’est la seule chose qui leur importe.

Alors, tu as de la chance, dans ton village ça se passe encore pas trop mal… Mais un jour, Agathe et Mathilde voudront sans doute faire des études supérieures, peut-être pour avoir un boulot qui leur convient, peut-être pour apprendre quelque chose qui leur tient à cœur.

Et ça, c’est maintenant que ça se joue.

Demain, il va y avoir des annonces et du blablabla politicard. La petite musique bien rodée par les communicants donnera le vernis habituel. Ce vernis qui fait que le doute ou la certitude que ces décisions ne sont pas à notre avantage ne se transformeront pas en colère, en resteront au stade de l’incompréhension.

Alors, même si les annonces ne sont pas encore faites, elles sont cousues de fil blanc… Et quelque part, c’est ma responsabilité d’oncle universitaire de te permettre de les comprendre, pour que tu puisses assumer ta responsabilité de parent, dont je ne peux qu’imaginer le poids.
Si vous n’étiez pas totalement déconnectés cet été avec Anne-Lise, vous avez entendu que le taux de réussite à l’Université était catastrophique et que des tirages au sort ont eu lieu par manque de places… Que l’Université était “à bout de souffle” (genre , , ou ). Comme si répéter inlassablement quelque chose finissait par le rendre vraie. Il s’agissait pour les idéologues qui nous dirigent de préparer le changement.

Demain, tu vas entendre des choses contradictoires : les universités pourront sélectionner, c’est à dire choisir leurs étudiants, mais les étudiants pourront décider et auront tous une place… Tu vas aussi entendre qu’on va mieux articuler secondaire (avant le BAC) et le supérieur (après le BAC). Et tu ne vas rien comprendre.

Alors je vais t’expliquer concrètement ce qu’il va se passer.

 

Concrètement après le bac

A l’Université, nous allons établir des “profils” étudiant pour chaque formation. Des “profils”, des “pré-requis”, ou de “l’orientation”… Le nom change tout le temps, ce qui en dit long sur la confusion de ceux qui décident, juste parce qu’ils n’ont pas le courage d’utiliser le bon mot : la sélection. On va tout simplement décider que telle ou telle personne pourra ou ne pourra pas aller dans telle ou telle formation, même à l’Université.

Pour faire ça, on va utiliser nos supers indicateurs : 90% des Mathilde réussissent dans la filière “soufflage de bougie”, alors que 95% des Agathe y échouent. Il paraît donc bien naturel que Mathilde puisse y entrer, et qu’on évite à Agathe d’y perdre son temps et quelques plumes (et du précieux pognon universitaire, mais chut…).

Oui, mais voilà : ces indicateurs sont justes, mais ils ne disent rien sur ta Mathilde et ton Agathe. Ta Mathilde peut aussi bien être dans les 90% des Mathilde qui réussissent, que dans les 10% qui échouent. Et ton Agathe peut aussi bien être dans les 95% des Agathe qui échouent, que dans les 5% qui réussissent.

En réalité, ton Agathe peut bien avoir 100% de chance de réussir, aucun dossier, aucun critère, aucun entretien ne pourra jamais le prouver.

Crois-en l’expérience d’un gars qui se tape depuis bientôt 10 ans des dizaines de dossiers de lycéens qui veulent entrer à l’IUT chaque année, et qui a expérimenté différentes manières de les sélectionner : on ne sait pas prédire la réussite d’un individu. L’humain est ainsi fait qu’il ne cesse de nous surprendre. Le plus assidu des étudiants peut bien craquer et tout plaquer pour parcourir le monde. Le plus cancre de tous peut bien trouver sa voie et se révéler. Et c’est très bien ainsi.

Et ça, ils le savent pertinemment, mais il n’en ont rien à faire de ta Mathilde et de ton Agathe. Le gouvernement et les patrons d’universités ne souhaitent plus financer l’Université, en tout cas pas celle qui forme notre jeunesse. Les machins prestigieux pour faire un concours de qui a la plus grosse, oui. Mais l’Université tranquille qui pourra former Mathilde et Agathe, non. Ça leur rapporte quoi, à eux, de toute façon, la formation de ta Mathilde et de ton Agathe ?

Donc avec cette sélection, Mathilde va se retrouver avec des Mathilde. Déjà, c’est pas terrible. Ça aurait été mieux qu’elle se mêle un peu à d’autres. Mais bon, au moins elle aura la formation supérieure de son choix, ou du moins une formation supérieure.

Et pour Agathe… Et bien… Tout est prévu. Soit ce sera une formation professionnalisante courte, dans une filière qui a du mal à recruter, et tant pis si ça ne l’intéresse pas. Soit ce sera une année de remise à niveau/préparation/propédeutique. Là aussi nos dirigeants deviennent confus parce qu’ils n’ont pas le courage d’utiliser les bon mots : des filières poubelles, mises en œuvre à la va-vite avec pour seul objectif de permettre à l’Université de remplir son obligation légale d’accueillir tous les bacheliers, et surtout d’éviter une révolte.

On peut même lire des trucs géniaux écrits par nos patrons, du genre “L’accent sera mis sur les transformations pédagogiques, en abandonnant évidemment la logique stricte du « présentiel » pour la notion plus souple d’« équivalent présentiel ».”. Imbitable, hein ? C’est pourtant limpide : si Mathilde ou Agathe ne sont sélectionnées nulle part… l’Université va les accueillir… sur un site web ! Où elles seront livrées à elles-même face à des vidéos et des QCM permettant d’obtenir ces fameux équivalents présentiels.
Evidemment, si tu es attaché à la logique stricte du présentiel, c’est-à-dire à la présence d’un prof qui fait bien plus que juste débiter des savoirs, et surtout si tu en as les moyens, tu pourras leur payer la formation de leur choix. N’oublie pas que tout ça n’est qu’une question de moyens. Avec suffisamment de fric, on pourrait former tout le monde à l’Université, comme on l’a toujours fait. Donc avec du fric, tu pourras lui choisir une des écoles privées qui fleurissent un peu partout, à bas bruit, mais de façon spectaculaire. Ou tu pourras l’envoyer loin de la maison, dans une université qui a de la place, en payant le transport, la bouffe et le logement.

Alors, je te le dis Baptiste, mets  du pognon de côté. Plein. Parce que ça va coûter les yeux de la tête. Je te passe les statistiques sur les prêts bancaires étudiants, c’est une véritable boucherie.

Mais ce pognon ne sera pas suffisant… Parce que tu te doutes bien que s’il y a de la place dans cette université éloignée, et pas dans les autres, c’est qu’il y a un hic. C’est que cette université est forcément moins bien. Parce qu’à partir du moment où les étudiants ne peuvent plus simplement rentrer dans l’université la plus proche, ils vont essayer de rentrer dans l’université la meilleure. Et ça, ça change tout. Pas seulement pour Agathe, mais aussi pour Mathilde, avec ses bons résultats en soufflage de bougie.

Ce n’est plus seulement la mention, nationale, du diplôme qui va compter, mais l’université qui la délivre. Et ça, ça plaît bien à nos patrons, qui aiment bien se les mesurer, leurs universités. Et pourquoi ils aiment bien ça ? Parce que celui qui a la plus grosse pourra faire payer plus cher ses étudiants, et donc avoir plus de pognon pour faire encore plus de trucs prestigieux qui leur permettent de se la péter (et de briguer un joli fauteuil pour leurs petites fesses à eux, mais chut…).

Dans mon université, les frais d’inscription ont augmenté de 27% en 4 ans. À bas bruit. Bien sûr, les frais de base pour le quidam de base restent les mêmes… Mais les DU, Diplômes d’Université, payants, se sont développés à vitesse grand V, pour ceux qui peuvent se le permettre. Dans certaines filières, le diplôme d’état ne vaut déjà plus rien pour trouver un emploi, s’il n’est pas accompagné du DU qui va bien, avec ses juteux frais d’inscription. Chaque fois que tu entendras parler de “filière d’excellence” ou de “double cursus”, c’est de ça qu’on parle en réalité.

Et maintenant, tu viens de comprendre ce charabia à propos du grand projet que toutes les universités prennent en exemple : d’un côté les formations prestigieuses payantes, de l’autre… le reste, qui fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a. Y compris dans les établissements publics. Et évidemment, si ça arrive à l’Université, ça se répercutera partout, notamment par une hausse généralisée des frais de scolarité. C’est ce qui est arrivé partout où ont été ces choix ont été faits. C’est inévitable.

 

Concrètement avant le BAC

Oui, mais alors… Mettons que Mathilde soit arrivée au BAC avec mention très bien, que son dossier scolaire soit parfait, et que tu aies le pognon pour lui faire suivre le double cursus qui va bien… Est-elle pour autant tirée d’affaire ?

Hé bien non… Parce que la sélection aura commencé bien plus tôt, dès le collège. Ouais, sans déconner. Ils sont là, avec leur cartable Dora l’exploratrice et leurs pulls Pokémon… Et on est déjà en train de les sélectionner. Et bien plus encore qu’aujourd’hui. D’ailleurs, tu verras que demain ils vont te parler des profs de lycée qui pourront donner leur avis sur l’orientation.

Il faudra espérer qu’Agathe et Mathilde soient suffisamment mûres dès le collège pour ne pas se tromper de voie.

Parce que, qu’est-ce que ça signifie vraiment ? Ça signifie que si tu n’as pas mis Mathilde dans le bon collège, puis dans le bon lycée, dans ceux qui proposent l’option qui va bien pour rentrer dans la filière qui lui plaît, on va la lui refuser. Quels que soient ses résultats.

Rappelle-toi le début de ma lettre : l’école est ravagée. Le BAC, premier diplôme universitaire national, ne garantit plus rien. Le réparer coûterait de l’argent, il faut donc le remplacer. Tu serais bien fou de croire qu’on va le remplacer par des avis pédagogiques. Non, on va le remplacer par l’établissement qui le délivrera. Nos patrons d’université savent bien que les bacheliers issus des lycées où nous avons été inscrits tous les deux sont bien moins prestigieux que ceux inscrits dans ce qu’on appelait les lycées de bourges.

La sélection à l’Université est la solution proposée au manque de moyens de l’Université. La sélection au collège et lycée sera la solution proposée au manque de moyens des collèges et lycées. Donc il te faudra aussi prévoir du pognon pour leur collège et leur lycée, à Mathilde et Agathe.

Du pognon parce que tu devras sérieusement envisager de les envoyer loin, dans le collège et le lycée qui vont bien. Il te faudra sans doute déménager. Je sais que l’encre du prêt immobilier n’a pas encore séché. Le temps des choix est arrivé. Comme aux États-Unis, dont nos patrons ne cessent de vanter les mérites du système de formation. Jusqu’à l’aveuglement de ce que ça représente pour nous. Jusqu’à l’absurde de ce que ça représente pour la société.

Ou alors du pognon parce que tu devras sérieusement envisager de les envoyer dans le privé. Et tu sais à quel point ça me fait mal de dire ça, parce qu’une société qui n’est pas foutue de permettre à toute sa jeunesse d’accéder à une éducation de qualité, quels que soient les revenus des parents, est une société triste et laide. Mais j’y reviendrai.

Malheureusement, même le pognon ne fera pas tout… Il te faudra la connaissance. La connaissance du système de formation. La connaissance des établissements, des filières et des options. Ce sera un vrai boulot. Du temps et de la sueur. Certains en ont l’eau aux babines. Ne compte pas sur les machins d’information et d’orientation qu’ils vont nous pondre : les filières qui valent vraiment le coup ont toujours été confidentielles, et ça ne fera qu’empirer.

Et il te faudra être très vigilant. Désormais, ce sera sans filet : une baisse de motivation passagère au lycée se paiera cher. La moindre tache dans le dossier, et il faudra baisser vos ambitions.

N’était-ce pas, au final, exactement ce que disait Macron avec “ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien” ? Macron, qui commence sa scolarité dans un établissement privé, avant de la terminer loin de chez lui, à Paris, dans le prestigieux lycée Henri-IV ?

Donc voilà, j’en ai terminé pour ce qui est du concret… Mets du fric de côté, et prépare-toi à devoir établir un véritable projet de formation pour Mathilde et Agathe, un plan strict d’intégration de l’enseignement supérieur, préparé dès le collège, sur la base d’une véritable stratégie. Leur avenir en dépend vraiment, et aucun cadeau ne leur sera fait dans la grande compétition à la formation supérieure qui se prépare.

A qui la faute ?

Tu as dû remarquer que je parle beaucoup des patrons d’université… Ceux-là mêmes qui rabâchent inlassablement que l’Université est “à bout de souffle”…

C’est faux, bien sûr (tu peux écouter ça par exemple, ça vaut l’euro que ça te demandera). La réalité est plus complexe que leurs annonces, et l’Université plus solide que leurs réformes. En fait, l’Université continue de former un sacré paquet de mômes, et de le faire sacrément bien : pour les connaissances et par les connaissances, avec passion et professionnalisme, malgré des conditions de travail de plus en plus débiles, comme dans tous les services publics.

C’est faux, mais ça permet de justifier le changement. Parce que c’est leur gros truc, à ceux qui nous dirigent, le changement. Et toujours le même changement : moins de dépenses publiques. Et tant pis si ça menace toute notre économie, y compris la plus libérale.

Il est déjà inquiétant que nous, Universitaires, réserve intellectuelle du pays, soyons incapables de leur rappeler ça, inlassablement, quitte à hurler s’ils n’entendent pas, quitte à tout mettre en œuvre pour les destituer s’ils persistent. Mais la réalité est bien pire. Nous appliquons doctement leur idéologie délétère. Et ça en dit déjà long sur le monde qui attend Agathe et Mathilde… Et putain, ça me fout la trouille, la vraie. Je te jure, j’en ai pas dormi, et je suis en train d’en chialer sur mon clavier.

Parce que les patrons des établissements publics de formation supérieure se sont réunis pour décrire ce monde dans Concertation sociale sur l’admission dans l’enseignement supérieur et la réforme du 1er cycle : position commune des 3 conférences CDEFI / CGE / CPU, qui commence ainsi :

La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des présidents d’université (CPU) sont fortement impliquées dans le processus de concertation relative à l’accès dans l’enseignement supérieur et à la réussite étudiante.

Autant dire que ça ne rigole pas, ils sont tous là, ceux qui nous dirigent. Il est assez rare qu’un tel gratin se mette d’accord sur un unique texte. Je vais te passer les détails, j’ai déjà tout expliqué au-dessus. Mais ces extraits vont te permettre de mieux comprendre de quoi on parle réellement, de quelle idéologie toute cette misère est issue :

Repenser le système d’information et d’orientation […] en impliquant davantage […] des entreprises”. Pourquoi pas… Même si bon… Mais surtout dans quel but ?

Il est par ailleurs essentiel que [les compétences qui sont transmises aux étudiants] soient corrélées avec les compétences attendues par les employeurs et donc nécessaires pour une insertion professionnelle réussie”…

Il faut sortir un peu du dogme actuel pour comprendre toute l’idéologie que porte cette phrase, et pour comprendre les enjeux qui en découlent.

Une insertion professionnelle réussie ne dépend pas des compétences attendues par l’employeur. Il est dangereux de réduire la réussite de l’insertion professionnelle à la réussite d’un entretien d’embauche. La réussite d’une carrière, d’une vie professionnelle est bien plus que ça. Et elle nécessite des compétences qui dépassent largement celles attendues par les employeurs.

Il faut aller plus loin. La réussite étudiante se mesure-t-elle seulement à l’obtention d’un diplôme puis d’un emploi ? Est-ce que l’insertion professionnelle doit réellement être le seule rôle de l’école ? N’est-ce pas, non seulement s’exposer inutilement à l’obscurantisme, mais aussi prendre le risque de citoyens mal dans leur société ?

Faut-il croire que notre société va si bien d’un point de vue social et démocratique que nous pouvons aujourd’hui nous passer d’un élément essentiel d’émancipation de nos concitoyens ?

Voilà le véritable enjeu aujourd’hui : voulons-nous un système éducatif qui produise et transmette des connaissances pour émanciper, ou un système qui valide les compétences attendues par les employeurs pour « employabiliser » ?
Avons-nous réellement envie que nos enfants vivent dans une société où la connaissance est une marchandise ?

Je ne sais pas toi, Baptiste… Mais moi, ça me colle la trouille. Une vraie trouille. Ça me rappelle cet extrait, que je croyais -à tort- être du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (en fait, c’est une Prosopopée de Serge Carfantan) :

 

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste.

Mais est-ce vraiment la faute de ceux qui prennent ces décisions ? Ces décisions les arrangent bien, eux, finalement… Ou est-ce la faute à ceux que ça n’arrange pas, mais qui auront laissé faire ? Notre faute, finalement…

Que faire ?

Alors… Tu es ingénieur… A ce point, tu as dû comprendre que le prix qu’on s’apprête à payer, individuellement et collectivement, les prochaines années, est bien plus élevé que celui qu’il faudrait payer maintenant pour arrêter cette folie.

Mais comment faire ?
Déjà, la première chose à comprendre, c’est que l’Université, l’École, les profs et leurs syndicats sont totalement impuissants. Ce que je t’ai raconté dans cette lettre, tout est déjà connu et écrit depuis longtemps, depuis plus de trente ans. Et nous sommes nombreux à nous battre quotidiennement contre ça. Mais nous avons échoué.

Il faut aussi bien comprendre qu’il n’y a rien à attendre du travail parlementaire… Je me rappelle mes larmes de reconnaissance en entendant la députée Isabelle Attard défendre avec passion et justesse le système qui sera détruit demain… Et je me rappelle le mépris et l’incompréhension de ceux à qui elle s’adressait, ceux qui décidaient.

Les seules choses qu’on n’ait pas encore tentées, c’est la mobilisation des parents et l’interpellation directe. Alors voilà, si tu veux essayer d’arrêter ça, je ne vois plus qu’un moyen : interpelle le président de l’Université la plus proche. Interpelle ton député aussi, et ton maire. Demande leur si ce que je raconte est vrai. Dis-leur que tu n’es pas d’accord. Que tu ne laisseras pas passer. Que l’éducation est quelque chose de trop important pour qu’on la laisse se fracasser contre des intérêts particuliers. Demande leur ce qu’ils comptent faire, et ce qu’ils ont fait pour éviter ça, concrètement. Dis-leur que ce n’est pas assez. Et tiens-toi au courant des prochaines manifestations pour l’éducation ou les services publics. Pose un jour de grève et va marcher. Ce sera moins cher que ce que tu t’apprêtes à payer.

Et si ça ne fonctionne pas, que même si on se mobilisent, ils ne reculent pas… Alors il faudra envisager d’être plus durs encore… C’est trop important.
Voilà, j’en ai fini. J’y ai passé ma journée, mais de toute façon il faisait gris.

J’espère vraiment qu’on va s’en sortir, que ça va aller. Mais pour l’instant, tout indique le contraire. Agathe et Mathilde méritent tellement mieux que le monde qu’on est en train de leur préparer…

Je crois qu’aujourd’hui est un jour spécial, parce c’est aujourd’hui que nous arrivons au pied du mur. Et c’est aujourd’hui qu’il nous faut décider de ne plus rien laisser passer.

Et je sais que nous pouvons le faire.

 

Avec toute mon affection,

Julien

L’auteur de cette lettre est secrétaire-adjoint du SNESUP-FSU de l’Université de Strasbourg et membre du CA de cet établissement.

La lettre a été publiée initialement sur le site du SNESUP-FSU qui propose également un dossier complet sur la sélection.

 

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Le drame de la pauvreté des enfants

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La solidarité n’est pas un vain mot pour la grande majorité des Français : chaque année la collecte des banques alimentaires est favorablement accueillie, et les Restos du cœur font partie des causes favorites de nos concitoyens. Mais, en même temps, la proportion de ceux d’entre eux qui émettent des réserves à l’égard du revenu de solidarité active (RSA) tend à augmenter. Parce qu’ils estiment que l’aide sociale incite les personnes en situation de pauvreté à tendre la main plutôt qu’à la mettre à la pâte. Derrière la dénonciation de « l’assistanat », il y a l’idée que, si les pauvres sont pauvres, c’est un peu – voire beaucoup – de leur faute.

Les enfants pauvres, des victimes désignées

Supposons un instant que ce soit le cas. Cette accusation ne peut viser que les parents, pas les enfants. Ceux-ci n’ont pas choisi leurs parents, et quand ils viennent au monde, puis grandissent, ils ne portent aucune responsabilité dans la pauvreté qui est celle de leur foyer. La plupart du temps, naître dans une famille pauvre implique par la suite de grandir dans une famille pauvre, car sortir de la pauvreté est relativement assez peu fréquent (en 2015, selon Eurostat, plus des deux tiers des personnes en situation de pauvreté de France l’ont été au moins trois ans durant les quatre années précédentes).

Un peu comme pour l’alcoolisme, lorsque les parents sont pauvres, les enfants trinquent

Les 2,8 millions de jeunes mineurs ou d’enfants vivant dans des familles pauvres se trouvent majoritairement (51 %) dans des familles où au moins un adulte travaille. Mais le plus souvent pas assez (temps partiel), temporairement (intérim, CDD, contrat aidé) ou avec un revenu d’activité trop faible pour assurer aux membres de la famille un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté. Le problème est que la pauvreté, dès lors, risque fort de se transmettre en quelque sorte par héritage culturel. Un peu comme pour l’alcoolisme, lorsque les parents sont pauvres, les enfants trinquent. Car grandir dans une famille pauvre multiplie sensiblement la probabilité d’échec scolaire : dans un quart des cas, les jeunes issus d’une famille dont les parents sont sans diplôme sortent eux-mêmes de l’école en situation d’échec1. Les raisons en sont multiples : logement, faiblesse des revenus, faiblesse du niveau scolaire de la famille, absence d’information sur l’orientation, etc.

L’échec scolaire, facteur de chômage et d’exclusion

Cette absence de diplôme est de plus en plus un obstacle pour trouver un emploi durable, parce que les emplois accessibles sans diplôme soit se raréfient (un million d’entre eux a disparu entre 2008 et 2015 alors que les emplois accessibles aux seuls diplômés – cadres, professions intellectuelles ou professions intermédiaires – progressaient dans le même temps de 800 000), soit sont de mauvaise qualité (emplois temporaires ou à temps partiel contraint).

Comme une destinée, la pauvreté se transmet largement des parents aux enfants devenus adultes, par le lien de l’échec scolaire puis du marché du travail

Selon le bilan emploi-formation de l’Insee, en 2015, pour les jeunes sortis de l’école sans diplôme depuis 5 à 10 ans – un laps de temps qui permet de s’intéresser aux évolutions longues, et non pas aux situations conjoncturelles –, 47 % sont en emploi (dont 16 % à temps partiel subi), 23 % au chômage2, et 30 % inactifs, alors que, dans l’ensemble de la population des 25-49 ans qui disposent d’un diplôme, ces proportions sont respectivement de 84 % (emploi), 8 % (chômage) et 8 % (inactivité). Les jeunes non-diplômés qui ne trouvent pas d’emploi glissent peu à peu dans l’inactivité en prenant de l’âge, vivant alors de l’aide sociale ou de la « débrouille ». Bref, comme une destinée, la pauvreté se transmet largement des parents aux enfants devenus adultes, par le lien de l’échec scolaire puis du marché du travail.

L’égalité des chances mise à mal

En d’autres termes, pour les enfants ou jeunes mineurs vivant dans une famille pauvre, la pauvreté risque fort de devenir un héritage. La Déclaration des droits de l’homme proclame que nous naissons libres et égaux. Mais elle n’ajoute pas que, très vite, les nuages s’amoncellent sur ceux des enfants qui naissent dans une famille pauvre et qui deviennent de ce fait de moins en moins égaux aux autres.

En France, 16 % des jeunes de 15 à 34 ans ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation, contre 8 % en Suède

Puisque l’égalité des chances est mise à mal, le devoir de la société est de tout faire pour réduire cette inégalité qui risque d’aller en s’accroissant : logement décent, crèche accessible, soutien scolaire, participation des parents, orientation… La France est le pays qui dépense le plus dans le monde pour sa protection sociale (33 % du produit intérieur brut, qui mesure la richesse produite par les travailleurs). Elle devrait donc être celui dans lequel la lutte contre la pauvreté est la plus efficace. Ce n’est pas le cas : 16 % des jeunes de 15 à 34 ans ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation3, contre 8 % en Suède. Sur ce terrain, nous occupons la seizième place sur 28 au sein de l’Union européenne. Au Danemark, où la fréquence des familles monoparentales est à peu près de même importance qu’en France, le taux de pauvreté de ces familles est de 19 % contre 35 % en France. En Finlande, pays dont les habitants ont un niveau de vie moyen inférieur au nôtre, l’école permet quasiment à tous de réussir, alors qu’en France 15 % des jeunes en sortent sans rien.

Petite éclaircie en vue

Le nouveau gouvernement a fortement réduit le nombre d’enfants par classe dans les écoles primaires des zones d’éducation prioritaire et mit l’accent sur le soutien scolaire aux élèves en difficulté. C’est un pas en avant bienvenu. En outre, un nouveau délégué interministériel, Olivier Noblecourt, vient d’être nommé, avec comme objectif de veiller à la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Un deuxième pas en avant important, car ce nouveau délégué a fait ses preuves dans ce domaine à Grenoble. Mais, sur le plan budgétaire, l’effort principal du gouvernement consiste à gâter les riches à la fois pour qu’ils investissent et pour que leur réussite incite d’autres à se lancer dans l’innovation et la croissance. Ce faisant, il met les pauvres et leurs enfants à l’arrière-plan, alors qu’ils sont pourtant, eux aussi, sources de richesse potentielle… à la condition qu’ils disposent des atouts nécessaires.

Ne pas mettre en œuvre tout ce qui est possible pour que les enfants pauvres sortent par le haut de la nasse dans laquelle ils se trouvent, ne serait ni juste, ni intelligent. Emile Durkheim, le fondateur de la sociologie moderne, nous donne la clé de ces choix implicites. En 1893, il écrivait : « (…) Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, il faut d’abord (…) que, pour une raison quelconque, ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie4. » Au fond, l’explication de ce peu d’intérêt porté jusqu’ici aux enfants pauvres s’explique sans doute parce qu’une partie de notre société ne tient pas aux pauvres, perçus comme des profiteurs et des fainéants. Olivier Noblecourt pourra-t-il changer cette donne ? On le souhaite de tout cœur, mais il aura vraiment fort à faire…

  • 1. Voir la récente publication de l’Insee, France, Portrait social, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3197289. Le lien entre niveau de formation et pauvreté est fort : moitié des plus de 15 ans en situation de pauvreté sont dépourvus de tout diplôme (excepté le brevet des Collèges).
  • 2. Ce qui représente donc un taux de chômage de 33 % puisque ce dernier se calcule en rapportant les chômeurs aux seuls actifs (chômeurs + en emploi), soit ici : 0,23/(0,47+0,23).
  • 3. Ce qu’on appelle les « NEET » d’après les termes anglais (not in education,, employment and trading).
  • 4. Dans De la division du travail social, PUF, 1991, page 90.

Denis Clerc Fondateur d’Alternatives Economiques

Source Alter Eco 01/12/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, Politique de l’Education, rubrique Société,Citoyenneté, Pauvreté, rubrique EducationComment élever son fils pour qu’il ne devienne pas sexiste, Justice, rubrique Politique, Politique économique, rubrique International; Inde. Les enfants sont voués à mourir,

Lafarge en Syrie : l’ex-directeur général Eric Olsen mis en examen

L'ex-patron du groupe LafargeHolcim, Eric Olsen, à Paris, le 7 mai 2015 Photo ERIC PIERMONT. AFP

L’ex-patron du groupe LafargeHolcim, Eric Olsen, à Paris, le 7 mai 2015 Photo ERIC PIERMONT. AFP

L’ancien dirigeant du cimentier doit répondre des chefs de financement d’une entreprise terroriste et de mise en danger de la vie d’autrui.

L’ex-patron du groupe Lafarge Holcim, Eric Olsen, a été mis en examen dans la soirée du jeudi 7 décembre dans l’enquête sur le financement par le cimentier en 2013 et 2014 de plusieurs groupes djihadistes en Syrie, dont l’organisation Etat islamique (EI).

M. Olsen, 53 ans, DRH puis directeur général adjoint du groupe français Lafarge à l’époque des faits, avant de devenir directeur général après la fusion avec le Suisse Holcim, doit répondre des chefs de « financement d’une entreprise terroriste » et de « mise en danger de la vie d’autrui ». Il a été placé sous contrôle judiciaire.

Il était entendu en garde à vue mercredi avec deux autres ex-responsables du groupe : Bruno Lafont, PDG de Lafarge de 2007 à 2015, et Christian Herrault, ancien directeur général adjoint chargé de plusieurs pays dont la Syrie. Les gardes à vue de MM. Lafont et Herrault sont toujours en cours.

Violation de l’embargo décrété par l’UE

Le cimentier est mis en cause notamment pour avoir acheté du pétrole à l’EI, en violation de l’embargo décrété par l’Union européenne (UE) en 2011, et pour lui avoir remis de l’argent par le biais d’un intermédiaire, afin de continuer à faire tourner son usine de Jalabiya, située dans le nord de la Syrie.

De juillet 2012 à septembre 2014, la filiale syrienne (Lafarge Cement Syria, LCS) a versé environ 5,6 millions de dollars à diverses factions armées dont plus de 500 000 dollars à l’organisation d’Abou Bakr Al-Baghdadi, d’après un rapport du cabinet américain Baker McKenzie.

Il est aussi reproché à LCS de ne pas avoir assuré la sécurité de ses employés syriens, restés seuls sur place alors que la direction de l’usine avait quitté le pays à l’été 2012. Le 1er décembre, trois de ses anciens cadres, dont deux ex-directeurs du site de Jalabiya, ont été mis en examen.

« Economie de racket »

Les enquêteurs cherchent à savoir si la direction du groupe en France était au courant de la situation. Eric Olsen assistait aux réunions du comité de sûreté et a « participé pleinement aux discussions concernant la sécurité de l’usine LCS », soulignait le cabinet Baker McKenzie.

Christian Herrault, qui a reconnu début 2017 que le groupe avait été victime d’une « économie de racket », a assuré « avoir régulièrement informé Bruno Lafont » et que ce dernier « n’avait émis aucune objection à l’époque », d’après ce document. Le scandale a éclaté en 2016, un an après la fusion avec Holcim.

M. Olsen, nommé directeur général de LafargeHolcim en avril 2015, a démissionné deux ans plus tard, tandis que Bruno Lafont n’a pas sollicité le renouvellement de son mandat d’administrateur et a aussi quitté la société. Sollicité, le groupe LafargeHolcim n’a pas souhaité « commenter l’enquête en cours ».

Source Le Monde.fr avec AFP 07/12/2017

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