Le FMI trace de sombres perspectives pour l’économie mondiale

Le siège du FMI à Washington.

Le siège du FMI à Washington.

A l’occasion de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque Mondiale à Washington, le fonds a présenté ses perspectives économiques, toujours pessimistes pour la croissance mondiale. Le PIB devrait croître de 3,1 % cette année, puis 3,4 % l’an prochain, mais de manière inégale et fragile.

Six ans après la crise, l’économie mondiale est encore convalescente. La reprise se fait en dent de scie, la croissance est trop faible depuis trop longtemps, et ses bénéfices touchent trop peu de monde, a expliqué l’économiste en chef du FMI.

Les économies avancées inquiètent. Aux Etats-Unis comme dans la zone euro, les cicatrices de la crise sont encore visibles. La demande intérieure, l’investissement sont insuffisants, la population vieillit, et la productivité stagne.

Les perspectives de croissance aux Etats-Unis sont douchées : 1,6 % cette année, 2,2 % l’an prochain, c’est un demi-point en moins que prévu et c’est à peine plus que la croissance attendue en zone euro, 1,5 % l’an prochain. L’éclaircie sera pour les émergents.

Le Brésil et la Russie devraient sortir de la récession, la croissance chinoise reprendre un peu de vigueur, mais le FMI reste prudent et se borne à expliquer que les perspectives sont inégales et plus maussades aujourd’hui que par le passé.

Enfin, de nombreux risques et incertitudes continuent de peser sur l’économie mondiale. Les conséquences du Brexit, l’explosion de la dette des entreprises en Chine, la multiplication des actes terroristes, la propagation du virus Zika… Le FMI appelle les Etats à renforcer leur coopération, surtout à agir pour ne laisser l’économie mondiale s’enliser dans le marasme dans lequel elle se trouve aujoud’hui.

Source : RFI 04/10/2016

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En Moselle, l’usine Smart passe officiellement aux 39H payées 37

Un salarié de l'usine Smart de Hambach (Moselle) vote lors référendum d'entreprise consultatif, le 28 juin 2016 afp.com - JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

Les employés de l’usine Smart de Hambach (Moselle) sont officiellement passés samedi, malgré l’opposition des syndicats majoritaires, aux 39 heures payées 37, un an après un référendum consultatif qui avait divisé le personnel.

« Nous étions à 37 heures déjà, et on passe au 1er octobre à 39 heures », a indiqué à l’AFP Jean-Yves Schmitt, directeur de la communication de l’usine. « Lors du premier changement, de 35 heures à 37, il y avait eu une augmentation de salaire, mais pas cette fois », a-t-il ajouté.

Si la mesure est effective depuis vendredi 30 septembre à minuit, c’est lundi matin qu’elle sera dans les faits adoptée par les ouvriers. Les dispositifs concernant les cadres – une réduction des jours de RTT – seront, eux, mis en place début 2017.

Ces changements sont le fruit d’un long bras-de-fer entre la direction de l’usine et les organisations syndicales, sur fond de menace de délocalisation, d’ambiance « délétère » selon les syndicats et de mouvement anti-loi travail.

Le 11 septembre 2015, ce « Pacte 2020 » avait été soumis à un référendum d’entreprise purement consultatif, mais qui avait suscité un grand intérêt médiatique et de nombreux commentaires politiques.

Le « pacte 2020 » prévoit un passage aux 39 heures hebdomadaires de travail, avant un retour aux 37 heures en 2019, puis aux 35 heures en 2020. En échange, la direction assure qu’elle ne procédera à aucun licenciement économique d’ici là.

Les quelque 800 salariés ayant participé au vote l’avaient approuvé à 56%. Mais le scrutin avait révélé les divisions du personnel, entre d’un côté des cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise qui avaient dit « oui » à 74%, et de l’autre des ouvriers qui n’avaient été que 39% à approuver le projet.

Après ce référendum, la CGT et la CFDT, majoritaires à elles deux puisqu’elles représentent 53% des salariés, avaient cependant mis leur veto au projet de la direction.

Après de nouvelles semaines tendues, et pour contourner cette opposition, la direction a alors proposé aux employés de signer des avenants individuels à leurs contrats de travail. Le 18 décembre, elle annonçait que plus de 95% des employés les avaient signés.

Des signatures obtenues « sous la pression », de la part de salariés « apeurés », avait alors dénoncé Didier Getrey, de la CFDT Métallurgie Moselle.

Smart France produit à Hambach quelque 100.000 véhicules biplaces dans son usine située aux confins de la Lorraine, de l’Alsace et de l’Allemagne.

Source AFP 01.10.2016

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Economie, Politique, Politique économique, Le Sénat adopte une version remaniée du projet de loi travail, rubrique Société, Travail , Emploi, Santé, Citoyenneté ,

Comment le système éducatif français aggrave les inégalités sociales

OurEducationSystemDes inégalités sociales à l’école, produites par l’école elle-même… C’est la démonstration que fait le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), en rendant publiques, mardi 27 septembre, les conclusions d’une vingtaine de rapports. Tout un spectre de la recherche – des sociologues aux économistes, des didacticiens aux psychologues, français et étrangers – a été mobilisé deux années durant, pour interroger ce mythe de l’égalité des chances dans notre système éducatif. Et rendre plus transparente la fabrique de l’injustice scolaire.

Ce n’est pas la faute de l’enseignement privé, dont la responsabilité a encore été pointée du doigt, récemment dans nos colonnes, par l’économiste Thomas Piketty, en tout cas concernant Paris. Pas non plus celle des stratégies familiales ou de la crise économique. Ce vaste travail met en cause trente ans de politiques éducatives qui, au lieu de résorber les inégalités de naissance, n’ont fait que les exacerber.

On le sait maintenant depuis plusieurs années : d’élève moyen dans les années 2000, l’école française est devenue la plus inégalitaire de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’enquête internationale PISA, dont on attend la prochaine mouture en décembre, vient le rappeler tous les trois ans. Baisse des résultats des élèves défavorisés, amélioration du niveau des élites : le fossé se creuse.

L’éducation prioritaire, cause de discrimination négative

Et c’est là une singularité française : la plupart des pays, à commencer par l’Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, un temps considérés, eux aussi, comme très inégalitaires, ont su mener, ces quinze dernières années, des politiques volontaristes. Encaisser le « choc PISA » et en tirer des conséquences. Pas la France.

La synthèse du Cnesco détaille une « longue chaîne de processus inégalitaires » qui se cumulent et se renforcent à chaque étape de la scolarité : inégalités de traitement, inégalités de résultats, inégalités d’orientation, inégalités d’accès au diplôme et même inégalités d’insertion professionnelle. Limités à l’école primaire, les clivages explosent à partir du collège. C’est, par exemple, à ce niveau-là de la scolarité que les élèves des établissements les plus défavorisés, en fin de 3e, ne maîtrisent que 35 % des compétences attendues en français contre 80 % dans un contexte privilégié. A même niveau scolaire, ils ont deux fois moins de chances d’intégrer le lycée général.

Voilà pour le diagnostic. Mais le Cnesco va au-delà en interrogeant les responsabilités. En premier lieu, la politique des ZEP en prend un coup. Fondée en 1981 sur le principe de la discrimination positive – « donner plus à ceux qui ont moins » –, l’éducation prioritaire aboutit, aujourd’hui, à produire de la discrimination négative : on donne moins à ceux qui ont moins. « Au départ pensé comme temporaire, le dispositif s’est étendu, les moyens se sont dilués, avec des effets de stigmatisation assez forts : dès lors qu’un établissement passe en éducation prioritaire, il y a une désertion des familles pour scolariser leur enfant dans un autre collège », résume Georges Felouzis, sociologue à l’université de Genève.

En éducation prioritaire, la taille des classes n’est pas suffisamment réduite pour avoir un impact : seulement 1,4 élève en moins au primaire ; 2,5 élèves de moins au collège. Les enseignants y sont moins expérimentés : 17 % ont moins de 30 ans dans le secondaire, contre 9 % hors éducation prioritaire. Et beaucoup ne font qu’y passer.

Réquisitoire sévère

Mais là où un tabou tombe, c’est sur la qualité et le temps d’enseignement dispensés. Ainsi, au collège, les enseignants de ZEP estiment consacrer 21 % du temps de classe à « l’instauration et au maintien d’un climat favorable », contre 16 % hors de l’éducation prioritaire et 12 % dans le privé. C’est autant de temps en moins dédié à l’enseignement. Les 4 heures de français par semaine programmées en 3e deviendraient 2 h 30 en ZEP, 2 h 45 hors ZEP et 3 heures dans le privé. Problèmes de discipline mais aussi exclusions, absences d’élèves et d’enseignants, pèsent sur les emplois du temps.

Qualitativement, aussi, le réquisitoire est sévère.

« Les élèves de milieux défavorisés n’ont pas accès aux mêmes méthodes pédagogiques que ceux de milieux défavorisés, souligne la sociologue Nathalie Mons, présidente du Cnesco. En mathématiques par exemple, les tâches sont moins ambitieuses, les attentes plus basses, l’environnement pédagogique moins porteur. »

Et cette différence de traitement est plus importante en France qu’ailleurs.

Pour réduire son noyau dur d’échec scolaire, la France a, au fil du temps, toujours avancé les mêmes recettes par-delà les alternances politiques : plans de relance de l’éducation prioritaire, dispositifs dits de « compensation », ou encore formes diverses d’aide individualisée. Peu efficaces, ces aides ont été malgré tout reconduites dans le temps, faute d’évaluation, explique Nathalie Mons.

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La mixité sociale, grande absente

L’organisme qu’elle préside en a dressé une frise chronologique impressionnante : depuis le « soutien aux élèves » de 6e et 5e institué en 1977, jusqu’à « l’aide personnalisée » instaurée par la réforme du collège de 2016, en passant par « l’aide individualisée » dans années 1990-2000, l’aide au travail personnel, etc. Leur limite est qu’elles « travaillent à la marge de l’école et des heures de cours, soutient le Cnesco, sans changer le quotidien des élèves ni insuffler une véritable pédagogie différenciée au sein de la classe ».

Que penser de ce qui se joue depuis le début du quinquennat, alors que la lutte contre les inégalités a été inscrite au cœur de la loi de refondation de l’école (2013) ? Si le Conseil reconnaît des orientations « encourageantes » – scolarisation des enfants de moins de 3 ans, nouveaux programmes, heures dédiées au travail en petits groupes dans le « nouveau collège » –, il tacle « un défaut de mise en œuvre ».

Surtout, toute politique restera peu efficace si « les écoles et les collèges les plus ségrégués ne font pas l’objet d’une politique volontariste de mixité sociale », estime le Cnesco. Or, la lutte en faveur de la mixité reste le grand absent des politiques scolaires depuis trente ans. Et ce ne sont pas les expérimentations à petite échelle engagées en fin de quinquennat, dans une vingtaine de territoires volontaires, qui sont de nature à amorcer un virage.

Aurélie Collas

Source : Le Monde 27.09.2016

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Brexit : Londres compte enclencher la procédure de divorce avec l’UE début 2017

Le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson, lors d'un Conseil de sécurité de l'ONU consacré à la Syrie, à New York (Etats-Unis), le 21 septembre 2016. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Le ministre des Affaires étrangères britannique Boris Johnson, lors d’un Conseil de sécurité de l’ONU consacré à la Syrie, à New York (Etats-Unis), le 21 septembre 2016. (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson estime que le Royaume-Uni n’aura pas « nécessairement besoin de deux années » pour quitter l’Union européenne.

Le gouvernement britannique compte activer l’article 50, qui enclenchera formellement le divorce avec l’Union européenne, au début 2017. « Nous discutons avec nos amis et partenaires européens dans l’objectif d’envoyer la lettre de l’article 50 au début de l’année prochaine », a déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson, le 22 septembre 2015, à la chaîne Sky News (en anglais) depuis New York, où il assistait à l’assemblée générale de l’Onu.

La Première ministre britannique Theresa May avait déclaré jusqu’ici que son pays ne déclencherait pas l’article 50 avant la fin de l’année. Le déclenchement de cet article est un préalable au démarrage des discussions entre Londres et l’UE sur les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’UE et sa future relation avec les 27 Etats restants, censées durer deux ans.

L’UE pousse le Royaume-Uni vers la porte

Mais Boris Johnson, qui a été l’un des hérauts du Brexit, estime que deux années ne seront pas forcément nécessaires. « Dans notre lettre, nous exposerons certains paramètres sur la manière dont nous voulons avancer », a-t-il dit, ajoutant : « Je ne pense pas que nous aurons nécessairement besoin de deux année pleines, mais attendons de voir comme cela se passe ».

A Londres, la Première ministre britannique a reçu en fin d’après-midi le président du parlement européen Martin Schulz qui l’appelée à enclencher cet article le plus rapidement possible. « Cette période de préparation est précieuse pour toutes les parties concernées et si nous allons quitter l’Union européenne, nous ne quittons pas l’Europe », a déclaré Theresa May en accueillant Martin Schulz à Downing Street.

De son côté Martin Schulz a également souligné « que les quatre liberté du marché unique (européen) – biens, capitaux, services et personnes – sont d’égale importance ». Mais Boris Johnson a rejeté l’idée que le Royaume-Uni devra continuer à respecter la liberté de circulation des travailleurs européens s’il veut continuer à avoir accès au marché unique. « Ce sont des bobards », a-t-il affirmé. « Les deux choses n’ont rien à voir. Nous devons obtenir un accord de libre échange tout en reprenant le contrôle de notre politique d’immigration », a-t-il ajouté.

Source AFP 22/09/2016

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Le revenu garanti et ses faux amis

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Du Forum économique de Davos à la Silicon Valley en passant par les assemblées du mouvement Nuit debout en France, le revenu de base est sur toutes les lèvres depuis quelques mois. La Finlande affirme vouloir l’instaurer ; les Suisses ont voté sur le sujet en juin. Mais, entre l’utopie émancipatrice que portent certains et la réforme limitée que veulent les autres, il y a un monde…

Parler d’instaurer un revenu garanti sans préciser ce que l’on entend par là revient à discuter de l’adoption d’un félin sans dire si on pense à un chaton ou à un tigre », remarque M. Olli Kangas, directeur de recherche de Kela, l’institut finlandais de protection sociale (1). Or, depuis quelques mois, l’idée rencontre de plus en plus d’écho en Europe et au-delà ; et ses partisans de la première heure ne peuvent se défendre de l’impression de voir des chatons, des tigres et diverses créatures hybrides bondir en tous sens devant leurs yeux ahuris.

Certes, sur une définition minimale du revenu de base, tout le monde s’entend. Chaque individu recevrait de la collectivité, de sa naissance à sa mort, sans condition ni contrepartie, une somme régulière, cumulable avec ses autres revenus, dont ceux tirés d’un travail. Dans les versions de gauche, on imagine un montant proche du salaire minimum (2), assez élevé pour couvrir les besoins de base (autour de 1 000 euros), ce qui permettrait de refuser un emploi jugé inintéressant, nuisible et/ou mal payé (3). Il s’agit de reconnaître les diverses formes que peut prendre la contribution de chacun à la société : travail rémunéré ou non, formation — avant l’entrée dans la vie active ou pour une reconversion —, aide à ses proches, investissement associatif, création, etc. L’un des défenseurs actuels de cette version en France (4), Baptiste Mylondo, l’associe à des mesures drastiques de réduction des inégalités : impôt sur le revenu fortement progressif, taxe sur le patrimoine, instauration d’un revenu maximum (avec une échelle de un à quatre) (5).

Alliances transpartisanes

À l’autre extrémité du spectre, dans la version libérale — théorisée par l’économiste américain Milton Friedman (1912-2006) (6) —, le montant est trop faible pour que l’on puisse se passer d’emploi. Au lieu de renforcer le pouvoir de négociation des salariés, le revenu de base fonctionnerait alors comme une subvention aux employeurs, qui seraient tentés de baisser les salaires. Et il ferait office de « solde de tout compte » en se substituant aux prestations sociales existantes (assurance-maladie, chômage, famille, vieillesse). En somme, l’outil peut être mis au service de visions du monde et de projets de société aux antipodes les uns des autres. « On nous traite tantôt de libéraux, tantôt de communistes », soupirent Mme Nicole Teke et M. Yué Yin, membres du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), fondé en 2013 et fort de quelque neuf cents adhérents.

Vers lequel de ces pôles le débat penche-t-il aujourd’hui ? Curieusement, les analyses divergent : certains ne voient que des chats, et d’autres, que des tigres. À droite, l’ingénieur Marc de Basquiat, l’un des principaux théoriciens de l’idée en France, observe : « Deux sondages réalisés à un an d’intervalle parmi les militants des partis politiques montrent que l’idée est de plus en plus connotée “de gauche”. C’est très ennuyeux, car si elle est perçue comme une lubie de gauchistes, il sera encore plus difficile de la faire progresser. » Les assemblées de Nuit debout, qui ont abondamment débattu du revenu de base et de ses mérites comparés avec le salaire à vie théorisé par Bernard Friot (7), n’ont pas arrangé ses affaires…

Même contrariété, mais pour des raisons opposées, chez Mme Corinne Morel Darleux, membre du secrétariat national du Parti de gauche (PG). Elle a découvert le revenu garanti il y a environ huit ans, avec Mylondo, au sein du Mouvement Utopia (transversal aux Verts et au PG) : « Pour moi, cela reste l’idée la plus subversive du champ politique. Sauf qu’aujourd’hui, je la vois reprise partout sous une forme qui la vide de son sens. » De fait, les expérimentations très médiatisées mises en chantier aux Pays-Bas et en Finlande, par exemple, n’ont rien de révolutionnaire. Dans la vingtaine de villes néerlandaises qui l’envisagent, il s’agit plutôt de « réformes de l’aide sociale inspirées par certains principes du revenu de base », indique l’économiste Sjir Hoeijmakers.

À Helsinki, le Parti du centre, au pouvoir depuis avril 2015, a fait campagne en faveur du revenu de base. Il y voit un moyen d’améliorer l’efficacité de la protection sociale dans un contexte d’austérité et de relancer l’activité en poussant les bénéficiaires de l’aide sociale vers le marché du travail. Cumulable avec un emploi, le revenu de base permettrait de supprimer les trappes à inactivité, c’est-à-dire le risque que la reprise d’un travail rémunéré aboutisse à une baisse de revenus en faisant perdre des prestations sociales. Le principe est largement soutenu par la population, ainsi que par les Verts et l’Alliance de gauche. Un rapport définitif doit permettre de lancer début 2017 une expérimentation de deux ans, mais les premiers éléments rendus publics montrent que l’ambition a été revue à la baisse. Le projet-pilote ne prévoit qu’un revenu de 550 euros, cumulable avec l’aide au logement et versé à dix mille personnes. « L’esprit est très différent de celui du référendum suisse [lire « En Suisse, un débat sans précédent »]  », insiste l’économiste Otto Lehto, membre de la section finlandaise du Basic Income Earth Network (Réseau mondial pour le revenu de base, BIEN). « Il n’est question ni de lutter contre la pauvreté ni d’instaurer un droit au revenu, et encore moins de se libérer de l’emploi. »

Encore peu nombreux et souvent isolés au sein de leurs milieux ou de leurs formations politiques, les partisans français du revenu de base travaillent ensemble, tout en restant lucides sur ce qui les sépare. « J’aime beaucoup Baptiste [Mylondo], mais c’est un idéaliste, déclare de Basquiat. Et puis, vouloir limiter les écarts de revenus à une échelle de un à quatre, c’est tout de même un grand coup porté aux libertés ! » Ancien proche de M. Nicolas Sarkozy, le député Frédéric Lefebvre (Les Républicains), candidat à la primaire de son parti pour la présidentielle de 2017, raconte comment M. Julien Bayou, porte-parole d’Europe Écologie – Les Verts (EELV), l’a emmené discuter du revenu de base avec un sans-abri hébergé dans un squat de l’association Jeudi noir. En janvier 2016, à l’Assemblée nationale, il a également défendu avec sa collègue socialiste Delphine Batho, dans le cadre de l’examen de la loi pour une République numérique, des amendements demandant au gouvernement de présenter au Parlement un rapport sur la faisabilité d’un revenu de base. « J’assume totalement l’aspect transpartisan de cette démarche, commente Mme Batho. Les partis ne produisent plus une seule idée nouvelle. L’essentiel se passe en dehors d’eux. Et ce sujet clive autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais nous devons travailler à créer des majorités d’idées. »

Parmi nos interlocuteurs, aucun ne prône ouvertement un démantèlement de la protection sociale actuelle. Pas même M. Lefebvre ni Gaspard Koenig, fondateur du think tank libéral Génération libre. S’il se veut « ni de droite ni de gauche », le MFRB précise dans sa charte qu’un revenu de base « ne doit pas remettre en cause les systèmes publics d’assurances sociales, mais compléter et améliorer la protection sociale existante ». Il pourrait remplacer certaines prestations du régime de solidarité financé par l’impôt, comme le revenu de solidarité active (RSA), mais personne ne prétend toucher au régime assurantiel financé par la cotisation (retraites, chômage, assurance-maladie). Seules les allocations familiales seraient remplacées par un revenu de base versé à chaque enfant, d’un montant moindre que celui des adultes.

Une exception : dans un rapport publié en mai (8), la Fondation Jean-Jaurès, proche du Parti socialiste (PS), propose trois scénarios de financement qui, inspirés par le souci de « ne pas générer d’endettement supplémentaire », impliquent tous d’éviscérer sans complexes la Sécurité sociale. Le premier prévoit de distribuer à tous les adultes 500 euros par mois, en échange du démantèlement de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage ; le deuxième — jugé le plus crédible par les auteurs —, avec 750 euros, « recycle » aussi les prestations retraite. Le troisième, avec un montant de 1 000 euros, fait de même, mais prévoit des prélèvements supplémentaires. Atterré, Jean-Éric Hyafil, membre du MFRB qui prépare une thèse en économie sur le revenu universel, a dénoncé les « grosses bêtises » contenues dans ce rapport lors d’un débat avec Jérôme Héricourt, coordinateur du groupe de travail de la fondation, dans un café parisien, le 26 mai 2016. « Un revenu de base est parfaitement compatible avec une protection sociale et une dépense publique fortes ! », a-t-il martelé. Embarrassé, Héricourt a répondu que les auteurs du rapport ne voyaient pas dans le revenu de base « la bonne solution aux problèmes du xxie siècle », mais qu’ils n’avaient pas voulu le préciser dans le document, rédigé « dans un esprit de neutralité ». De sorte que leurs scénarios élaborés sans conviction ont été repris dans la presse comme des préconisations…

Une même somme pour chacun, quelle que soit sa situation : tous les partisans du revenu de base s’entendent pour mettre fin à l’intrusion dans la vie privée qu’implique le régime de solidarité actuel, dont les prestations sont soumises à condition (de revenus, de situation familiale…). « Que l’on paie des gens pour aller compter les brosses à dents dans la salle de bains des bénéficiaires du RSA afin de s’assurer qu’ils ne vivent pas en concubinage (9), alors qu’ils veulent juste manger à leur faim, c’est insupportable », estime de Basquiat. Même discours chez Koenig : « Il faut lutter contre la pauvreté de manière plus efficace et moins paternaliste, en donnant aux gens le minimum dont ils ont besoin sans s’immiscer dans leur vie privée ou vérifier leur attachement à la valeur travail. » Les économies que permettrait le passage à l’inconditionnalité contribueraient en outre au financement d’un revenu de base : M. Lefebvre souligne le coût que représentent actuellement « la production des normes, l’accompagnement du public, la vérification, la sanction ». Mais aussi le « cercle vertueux » d’économies qu’engendrerait la mesure : « Moins de délinquance, moins de dépenses de santé, un meilleur niveau d’instruction… » Contrairement aux autres personnalités de droite qui s’en sont emparées, il prône un montant situé dans une fourchette haute, « entre 800 et 1 000 euros », dit-il.

Un mélange d’audace et de frilosité

On doit au philosophe belge Philippe Van Parijs la réactivation du concept en Europe, sous le nom d’« allocation universelle », au début des années 1980. Lui-même ancien adhérent dans son pays du parti Écolo, il estime que la possibilité laissée à chacun d’organiser sa vie et son travail bouscule les habitudes de pensée à la fois de la droite et de la gauche. « Lors d’une intervention devant le Parti libéral flamand, raconte-t-il, j’ai demandé : “Qui pense que la liberté est une valeur centrale ?” Tout le monde a levé la main. J’ai ajouté : “Maintenant, qui pense qu’elle devrait être réservée aux riches ?” Inversement, une rencontre avec des militants grecs, espagnols et italiens de Syriza, Podemos et Rifondazione Comunista à Bari, dans les Pouilles, a été l’occasion de se demander si la gauche n’avait pas tort de se cantonner à la défense de l’État et de l’égalité, et d’abandonner la liberté à la droite. »

Évidemment, des différences fondamentales demeurent : Koenig et de Basquiat, qui ont élaboré un projet commun, cherchent à lutter contre la pauvreté, mais pas contre les inégalités (10). Ils prônent un impôt négatif (allocation) de 450 euros par adulte et 225 euros par enfant, financé par un impôt à taux unique de 23 % sur tous les revenus (11). Pour limiter l’effet antiredistributif de ce type d’impôt, ils envisagent un renforcement des prélèvements sur le patrimoine, la fin des exonérations sur les revenus fonciers et financiers… « Cela ne changerait quasiment pas l’équilibre actuel de la redistribution en France, explique de Basquiat. Les riches toucheraient un tout petit peu moins et les pauvres, un tout petit peu plus. Mais on rationaliserait le système ; on mettrait fin à la stigmatisation et au paternalisme ; on supprimerait les effets de seuil et de trappe ; et on lutterait efficacement contre la grande pauvreté. » Ils se fondent sur une définition « absolue » et non « relative » de la pauvreté, laquelle, estime Koenig, serait une définition « jalouse » : « Cela ne devrait pas vous importer que d’autres deviennent très riches, tant que vous avez le sentiment de bien vivre. »

Quels autres arguments justifieraient l’instauration d’un revenu de base ? Tous nos interlocuteurs invoquent le nombre d’emplois appelés à disparaître du fait de l’automatisation et de la numérisation. En Suisse, les auteurs de l’initiative « Pour un revenu de base inconditionnel » ont défilé dans les rues déguisés en robots clamant leur désir de travailler à la place des humains. Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tempère toutefois les conclusions d’études antérieures qui prédisaient un « chômage technologique » massif : il estime que seuls 9 % des emplois « présentent un risque élevé d’automatisation », tout en prévenant que « les travailleurs moins instruits » sont les plus exposés (12).

« Neuf pour cent, ce serait déjà énorme, commente Hyafil. Surtout ajouté à notre niveau de chômage actuel ! Pour autant, je ne crois pas aux discours sur la “fin du travail”. La transition écologique, par exemple, crée beaucoup d’emplois. Comme le dit l’économiste Jean Gadrey, viser moins de croissance n’implique pas forcément moins d’emplois, au contraire ! Mais il faut pouvoir se soucier de leur qualité, et non de leur quantité. Et, même avec le plein-emploi, il nous faudrait un revenu de base pour que chacun puisse choisir son travail et non le subir. » Le pamphlet de l’anthropologue américain David Graeber, figure du mouvement Occupy Wall Street, contre les bullshit jobs (les « boulots à la con », sans intérêt ni utilité sociale), a connu un retentissement significatif (13). Autre partisan du revenu de base, l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis juge la possibilité de refuser un travail « essentielle à la fois pour une société civilisée et pour un marché de l’emploi qui fonctionne bien (14) ».

Il s’agit aussi de sécuriser les parcours de vie à l’heure de la précarité généralisée. Avec le risque d’entériner le déséquilibre de la répartition des richesses entre salaires et profits. C’est flagrant quand M. Lefebvre cite en exemple l’Earned Income Tax Credit, par lequel, aux États-Unis, l’État complète les revenus de certains travailleurs pauvres. Autre écueil : que le revenu de base laisse libre cours au démantèlement du droit du travail et des conquêtes salariales entamé par des entreprises comme Uber (15). « Il faut construire un nouveau compromis social, plus adapté à notre époque que celui hérité de la Libération, sans pour autant que le revenu de base devienne la béquille de l’uberisation », résume Mme Batho. Mais comment s’en assurer ?

Tout dépend du pouvoir de négociation que donnerait aux travailleurs le montant de leur revenu garanti, ainsi que des prélèvements et de la redistribution des richesses opérés par ailleurs. Or, sur ces sujets, la frilosité de nombreux partisans du revenu de base contraste avec l’audace de l’idée qu’ils portent. Van Parijs plaide pour une instauration progressive, en commençant par un montant faible ; mais, objecte Mylondo, « rien ne garantit qu’un montant bas serait augmenté par la suite ». Le MFRB vante les mérites émancipateurs de la mesure, le « changement de paradigme » qu’elle permettrait, mais se félicite de tous les projets, y compris ceux qui préconisent un montant faible — autour du RSA actuel. L’association a même travaillé avec la très conservatrice Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate, lorsqu’elle proposait un revenu de base de 400 euros. Un positionnement cohérent avec l’apolitisme revendiqué du mouvement, mais rédhibitoire pour Mylondo, qui n’y a jamais adhéré. Plutôt « rien du tout qu’un revenu de base au rabais » : « Je ne suis pas un inconditionnel du revenu inconditionnel », dit-il. Mme Morel Darleux, elle aussi, se défend de tout « fétichisme ».

S’agissant du financement, l’argument du « réalisme » et du « pragmatisme » traduit un certain fatalisme face à l’état du rapport de forces social et politique. Le MFRB participe à la campagne « Quantitative Easing (“assouplissement quantitatif”) pour le peuple », qui milite pour que la Banque centrale européenne (BCE) mette son initiative de création monétaire directement au service des citoyens plutôt qu’à celui des banques privées. Il y voit l’occasion de jeter les bases d’un revenu universel européen. La BCE n’écarte d’ailleurs pas un tel recours à la « monnaie hélicoptère », déversée sur tous pour relancer la consommation. Mais le MFRB se montre beaucoup plus prudent sur le front des inégalités. Hyafil juge inutile de « taper sur les plus riches », sous peine d’accroître encore l’évasion fiscale, et revendique une approche « consensuelle », « centriste », dans le souci de rassembler. « À la Libération, les patrons faisaient profil bas parce qu’ils avaient collaboré ; ce n’est plus le cas ! », remarque Mme Martine Alcorta, vice-présidente EELV du conseil régional d’Aquitaine, qui prépare une expérimentation du revenu de base. De Basquiat estime qu’avant de pouvoir rassembler une majorité autour d’un revenu garanti de gauche il faudra « une guerre ou deux »… L’hypothèse d’une lutte enfin efficace contre la fraude fiscale (16), souhaitée par beaucoup de partisans de la mesure, le fait sourire : « S’il existait une volonté réelle d’y mettre fin, on y serait parvenu depuis longtemps ! »

Comme tout projet progressiste, le revenu garanti dans sa version de gauche se heurte à l’absence d’un pouvoir en position de le mettre en œuvre. S’y ajoute, au fur et à mesure que le principe se popularise, un risque croissant de dénaturation. Même si l’hypothèse d’un revenu de base suscite encore, pour l’essentiel, l’indifférence ou la réprobation, elle semble apparaître à certains comme une planche de salut commode à la veille des échéances — législatives et présidentielle — de 2017, dans un contexte de pénurie d’idées nouvelles et de discrédit de l’action politique. Ce printemps, en pleine bataille autour de la « loi travail », M. Guillaume Mathelier, maire socialiste d’Ambilly (Haute-Savoie) et auteur d’une thèse sur le revenu universel, indiquait que le premier secrétaire du PS, M. Jean-Christophe Cambadélis, bien que lui-même sceptique, l’avait chargé de « faire monter le sujet » au sein du parti. Quant au premier ministre Manuel Valls, il a déclaré sur Facebook, le 19 avril, vouloir « ouvrir le chantier du revenu universel », avant d’ajouter aussitôt qu’il ne s’agirait pas d’une allocation « versée à tous », car « cela serait coûteux et n’aurait aucun sens ». Autrement dit : le revenu universel, pourquoi pas, mais à condition qu’il ne soit pas… universel.

Quoi qu’il en soit, comment espérer asseoir la légitimité d’un droit au revenu dans une société étranglée par l’austérité, matraquée de discours bilieux sur l’« assistanat », et où la vision du travail reste dominée, comme le dit M. Mathelier, « par le mythe du péché originel » ? Mme Morel Darleux invite à se défier de toute précipitation : « S’il s’agit de réclamer des mesures urgentes, je préfère insister sur la revalorisation du smic ou sur la titularisation des précaires de la fonction publique. Sur ces sujets, on est dans la reconquête, alors que le revenu de base, c’est de la conquête. Les débats qu’il suscite me paraissent d’ailleurs aussi intéressants que sa mise en œuvre. Le voyage compte autant que la destination ! Il suffit d’évoquer l’idée pour lancer des discussions passionnées sur ce que nous voulons faire de nos vies, sur l’organisation de la société… » Prendre le temps de mener la bataille culturelle et politique : peut-être le meilleur moyen de s’assurer qu’une fois introduit dans le salon le chaton ne se transformera pas en tigre prêt à dévorer ses propriétaires.

Mona Chollet

1) Débat à l’ambassade de Finlande à Paris, 3 mars 2016.

(2) Le smic français s’élevait en juin 2016 à 1 141 euros net.

(3) Lire le dossier « Revenu garanti, une utopie à portée de main », Le Monde diplomatique, mai 2013.

(4) Baptiste Mylondo, Un revenu pour tous. Précis d’utopie réaliste, Utopia, Paris, 2010.

(5) Lire Sam Pizzigati, « Plafonner les revenus, une idée américaine », Le Monde diplomatique, février 2012.

(6) Milton Friedman prônait une allocation sous forme d’impôt négatif dans Capitalisme et liberté, Leduc.s Éditions, Paris, 2010 (1re éd. : 1962).

(7) Lire Bernard Friot, « À partir des retraites, imaginer un salaire à vie », Les blogs du Diplo, 8 septembre 2010.

(8) « Le revenu de base, de l’utopie à la réalité ? » (PDF), Fondation Jean-Jaurès, Paris, 22 mai 2016.

(9) Le montant de base du RSA est de 524,68 euros pour une personne seule et de 787,02 euros pour un couple.

(10) Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, Liber, un revenu de liberté pour tous, Éditions de l’Onde – Génération libre, Paris, 2014.

(11) À noter que l’aide au logement devrait selon eux faire l’objet d’une allocation distincte, en fonction des situations individuelles.

(12) « Automatisation et travail indépendant dans une économie numérique » (PDF), Synthèses sur l’avenir du travail, OCDE, Paris, mai 2016.

(13) David Graeber, « On the phenomenon of bullshit jobs », Strike !, 17 août 2013.

(14) « Technical change turns basic income into a necessity », conférence « The future of work », Institut Gottlieb-Duttweiler, Zurich, 5 mai 2016, https:// yanisvaroufakis.eu

(15) Lire Evgeny Morozov, « Résister à l’uberisation du monde », Le Monde diplomatique, septembre 2015, et « L’utopie du revenu garanti récupérée par la Silicon Valley », Les blogs du Diplo, 29 février 2016.

(16) Lire Eva Joly, « En finir avec l’impunité fiscale », Le Monde diplomatique, juin 2016.

Source : Le Monde Diplomatique juillet 2016

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