Le parlement slovène a inscrit le 17 novembre 2016 le droit à l’eau potable dans sa Constitution, insistant sur le fait que cette ressource ne peut être privatisée. L’amendement constitutionnel stipule que «chacun a le droit à l’eau potable» et que celle-ci n’est «pas une marchandise».
Le texte adopté à l’unanimité précise clairement que «l’approvisionnement en eau de la population est assuré par l’Etat via les collectivités locales, directement et de façon non-lucrative».
Lancée par le milieu associatif, l’initiative avait été endossée, notamment, par le gouvernement de centre-gauche du Premier ministre Miro Cerar. Avant le vote, ce dernier avait appelé les députés à offrir à «l’or liquide du 21e siècle le plus haut niveau de protection légale», l’eau étant appelée, selon lui, à devenir un bien «de plus en plus convoité à l’avenir».
La Slovénie est un pays alpin qui dispose d’importantes ressources en eau. Une eau qui a de plus en plus de «valeur» aux yeux de nombreuses industries. «L’eau est un sujet controversé en Slovénie, car les entreprises étrangères de l’industrie alimentaire achètent des droits d’une grande quantité de ressources locales en eau», a rappelé après ce vote l’European Water Movement.
En 2014, l’Union européenne a accepté d’exclure «l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques» des règles régissant le marché intérieur européen. Une Initiative citoyenne européenne avait mis la pression sur l’UE pour que l’eau bénéficie d’une approche particulière. L’ONU a aussi voté une résolution qui garantit le droit à l’eau potable.
A propos de ce pays alpin, où l’eau est abondante, Amnesty International rappelle que tout le monde n’a pas accès à l’eau et espère que les Roms pourront ainsi bénéficier d’une eau potable. «Il est choquant que dans un pays très développé comme la Slovénie, certaines communautés roms doivent lutter pour ramasser même de petites quantités d’eau pour boire, cuisiner et se baigner», a déclaré Fotis Filippou, un responsable d’Amnesty Europe.
Reste à savoir concrètement ce que signifie ce texte dans la gestion de l’eau. L’interdiction de la privatisation de l’eau potable ne signifie pas forcement que la gestion de celle-ci ne peut être privatisée, comme elle l’est en France, avec des délégations de service public.
La réforme territoriale de 2014-2015 entraine des conséquences importantes pour les politiques de solidarité. Afin d’analyser les enjeux de cette réforme et formuler des propositions d’adaptation dans le contexte des fusions opérées par les associations régionales, la FNARS a élaboré un guide à destination de son réseau. Un séminaire a également été consacré à ce sujet en novembre 2016..
MONTÉE EN PUISSANCE DES RÉGIONS ET DES INTERCOMMUNALITÉS
Les régions disposent à présent de compétences stratégiques en matière de développement économique et d’aménagement du territoire. Elles pourront aussi se voir déléguer par l’État la mission de coordonner les acteurs de la politique de l’emploi sur leur territoire. Les métropoles pourront récupérer, par transfert ou par délégation, des compétences étendues appartenant aux communes, aux départements, aux régions et à l’État. Parmi ces compétences figurent des missions capitales telles que la gestion du fonds de solidarité logement, du fonds d’aide aux jeunes, la garantie du droit opposable au logement, l’attribution des aides à la construction, la veille sociale, ou encore l’accueil et l’hébergement des personnes défavorisées.
NOUVELLE DONNE POUR LES DÉPARTEMENTS ET L’ÉTAT
Le département peine à jouer son rôle de chef de file de l’action sociale. Son action est doublement limitée: d’une part, le poids croissant des prestations légales, de moins en moins couvertes par l’État, obère ses marges de manoeuvre pour conduire des politiques d’insertion; d’autre part, il ne dispose pas de moyens juridiques contraignants pour coordonner l’action des autres acteurs. À cet égard, les conventions territoriales d’exercice concerté des compétences, introduites par la loi NOTRe, constituent une avancée importante. L’État adapte également son organisation pour tenir compte de la réforme territoriale: fusion et réorganisation des services régionaux, nouveaux pouvoirs confiés aux préfets de région, redéfinition des arrondissements des sous-préfectures, etc.
SUR LES DOMAINES D’ACTION DE LA SOLIDARITE
Les politiques du logement et de l’hébergement seront fortement impactées par les nouveaux pouvoirs des métropoles. L’insertion par l’activité économique pourrait tirer parti de la montée en puissance des conseils régionaux dans les domaines du développement économique, de l’emploi et de la formation professionnelle. L’accès aux soins des personnes défavorisées dans les territoires devrait en principe être facilité par les dispositions de la récente loi de modernisation de notre système de santé. Enfin, plusieurs évolutions touchent à la mise en oeuvre territoriale des politiques d’aide aux jeunes et d’accès aux services publics.
DES ENJEUX CRUCIAUX POUR LES ACTEURS DE LA SOLIDARITÉ
Dans tous ces domaines, le guide FNARS propose des pistes de réflexion et d’action. La FNARS et ses adhérents devront d’abord identifier les transferts de compétences et favoriser le décloisonnement des dispositifs et des territoires. Face aux nombreuses compétences optionnelles des intercommunalités, un modèle de cartographie des compétences sera proposé dans le guide diffusé au réseau. La montée en puissance des métropoles risque aussi d’exacerber la fracture entre les territoires métropolitains, qui concentreront de nombreuses compétences et des moyens importants, et les espaces périurbains et ruraux, où les compétences sociales resteront dispersées et où l’accès aux services publics constitue déjà un enjeu prégnant. La stratégie d’influence et de communication devra aussi évoluer pour s’adapter aux nouvelles compétences des collectivités territoriales, notamment en investissant les instances adéquates et en renforçant la communication régionale. Enfin, la réforme constitue une occasion de réfléchir, avec l’ensemble du réseau FNARS, aux moyens d’animation à mettre en place dans des régions élargies.
Gauche, droite, tous les mêmes ? Le refrain est connu, mais ne résiste guère à l’examen des politiques menées par les nouveaux exécutifs régionaux élus fin 2015. Ils ne siègent certes que depuis à peine un an, mais les mesures prises dans les régions qui ont basculé de gauche à droite montrent déjà des changements significatifs.
Ces exécutifs ont dû faire face à beaucoup de nouveautés. La principale concerne bien sûr les fusions engagées dans la plupart des régions concernées, avec parfois des polémiques qui perdurent comme dans le Grand Est, où certains élus estiment que les anciennes régions Champagne-Ardenne et Lorraine sont lésées par rapport à l’Alsace. En Normandie, Hervé Morin a réalisé la fusion à marche forcée et 700 fonctionnaires occupent un nouveau poste depuis le 1er septembre. « Tout le monde doit former tout le monde, c’est n’importe quoi, on gâche des compétences », râle Stéphane Godefroy, représentant de la CGT (majoritaire). Hervé Morin assume : « Le service sera dégradé pendant deux ou trois mois. Les gens vont apprendre un nouveau métier, et puis voilà ! »
Les compétences des régions ont aussi été notablement élargies par la loi NOTre (Nouvelle organisation territoriale de la République) en matière de stratégie économique, de formation ou encore de transports entraînant beaucoup d’incertitudes pour les agents régionaux.
Marge de manoeuvre réduite
A la décharge des nouveaux présidents de région, leur marge de manœuvre financière a enfin été réduite du fait de l’Etat : la dotation globale de fonctionnement (DGF) a reculé de 450 millions d’euros en 2016 par rapport à 2015 (– 9,3 %). Les régions passées à droite ont toutes engagé des plans d’austérité. Dans les Hauts-de-France par exemple, Xavier Bertrand n’a pas reconduit la plupart des CDD. Dans ce contexte, « nous aurions été nous aussi contraints de mettre en œuvre une politique d’austérité», reconnaît cependant un membre de l’ancien exécutif régional du Nord-Pas de Calais.
« La gauche vient nous donner des leçons, alors qu’elle soutient un gouvernement qui baisse son soutien aux régions », dénonce Paul Jeanneteau, vice-président en charge du développement économique à la région Pays-de-la-Loire. Les régions toucheront cependant l’an prochain 50 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au lieu de 25 % actuellement. Manuel Valls leur a également promis en septembre dernier de remplacer, à partir de 2018, la DGF (qui dépend du bon vouloir du gouvernement) par une part de la TVA (dont le montant ne dépend que de l’activité économique). Et dès 2017, un fonds provisoire supplémentaire de 450 millions d’euros sera mis en place par l’Etat pour les aider à financer leurs nouvelles compétences en matière de développement économique.
Une stratégie économique incertaine
Ceci étant posé, qu’ont fait les nouveaux élus ? Beaucoup de com’, tout d’abord. Les nouveaux présidents de région ont pour la plupart une conception très personnalisée de leur rôle. En Auvergne-Rhône-Alpes, « Laurent Wauquiez est un peu cowboy. Ça a l’avantage de pouvoir faire bouger les choses rapidement, mais à force de réagir à tout, faire de la communication et aller serrer des mains à chaque inauguration, les dossiers de fond n’avancent pas », explique un membre de sa majorité. Refrain similaire dans les Hauts-de-France, où Xavier Bertrand se comporte comme « le président d’un mini-Etat, tenant un discours très volontariste, y compris sur des dossiers sur lesquels il possède peu de leviers d’action, comme les migrants à Calais », juge un cadre de l’administration régionale.
Le principal rôle qu’ont désormais les régions concerne le pilotage du développement économique. Elles sont en effet les seules collectivités locales habilitées à donner des aides directes aux entreprises. Paca s’y est mise de façon assez volontariste (voir notre article « Paca : tout pour les entreprises »), mais la plupart des autres régions n’en sont encore qu’aux balbutiements dans l’élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) qu’elles doivent obligatoirement adopter.
En revanche, la droite a déjà enterré de nombreux « contrats de territoire » qui visaient à faire asseoir les acteurs autour d’une table pour définir les enjeux prioritaires sur un espace donné. « A la place, on va financer un projet à un endroit, un autre, concurrent, juste à côté, et on va saupoudrer des aides entre des structures qui auraient eu intérêt à partager le même projet », regrette Philippe Genty, président du syndicat mixte Rhône Pluriel, qui faisait dialoguer cinq communautés de communes à cheval sur trois départements différents. « Ce n’est pas très visible, mais c’est une perte de savoirs et de savoir-faire très dommageable pour les territoires », regrettent d’autres acteurs du développement rural en Auvergne-Rhône-Alpes.
Enfin, l’économie sociale et solidaire (ESS) n’est plus une priorité des nouveaux exécutifs. En Paca par exemple, le service Développement de l’ESS a été remplacé par le service Economie circulaire et de proximité, et les crédits ont reculé de 25 %. « La région n’a pas réduit son soutien financier à notre Chambre, mais a taillé dans les subventions accordées à de nombreuses associations de l’ESS», explique Denis Philippe, président de la Chambre régionale de l’ESS.
Lycées, transports, formation : vers la libéralisation
En matière de lycées, la principale évolution a concerné la Normandie, avec un coup de pouce important à l’enseignement privé (voir notre article « Normandie : 45 millions pour l’enseignement privé »). Les autres présidents de région ont surtout rivalisé d’effets d’annonce autour de mesures intenables, telles que la mise en place de portiques de sécurité à l’entrée des lycées en Auvergne-Rhône-Alpes ou des tests salivaires en Ile-de-France au nom de la lutte contre la drogue. Laurent Wauquiez a aussi décidé d’attribuer 500 euros à tout bachelier de la région obtenant une mention très bien en dehors de tout critère social. Tandis que Valérie Pécresse a enterré le Pass contraception, proposé dans les lycées d’Ile-de-France. Un Pass qui ne rencontrait cependant qu’un écho limité. Plus inquiétante pour l’avenir est sans doute l’arrivée d’élus proches de la Manif pour tous au Centre régional d’information et de prévention du sida (Crips).
Les régions, qui gèrent les trains express régionaux (TER), renégocient actuellement leurs conventions avec la SNCF. Peu d’informations ont fuité, hormis en Paca, où Christian Estrosi a annoncé, le 5 octobre dernier, avoir rompu « toute négociation avec la SNCF» et «engagé l’accélération de l’ouverture à la concurrence dès 2019 ». Autrement dit, il veut changer de prestataire, dans une région où le service rendu par la SNCF est certes très dégradé.
Changement important en vue aussi en Normandie, qui pilotera en 2020 les trains Intercités actuellement gérés par l’Etat. Son conseil régional est ainsi le premier à accepter un tel accord : l’Etat promet d’investir 720 millions d’euros pour changer les trains de deux des cinq lignes Intercités normandes. La région, elle, devra éponger les déficits d’exploitation, estimés par la SNCF à 45 millions d’euros (« c’est plutôt 20 millions», estime la région). « Le contribuable normand va payer seul le déficit alors que les usagers sont aussi franciliens ou de la région Centre ! », dénonce Nicolas Mayer-Rossignol, le leader de l’opposition, qui craint aussi la suppression de certaines liaisons. « Il y a des trains vides, le Caen-Tours par exemple, donc tout cela est à l’étude », admet Hervé Morin.
Enfin, concernant la formation professionnelle, les régions ont passé en mars dernier un accord avec l’Etat pour mettre en œuvre le plan de formation des 500 000 chômeurs décidé par le gouvernement. 17 des 18 régions ont signé : Laurent Wauquiez s’est singularisé en refusant de contracter à ce sujet avec le ministère de l’Emploi. Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand veut aussi mettre le paquet sur l’apprentissage (voir notre article « Adieu, la solution miracle pour l’emploi »), tandis qu’en Paca, on va « instaurer une règle générale de taux de retour à l’emploi de 70 % pour les organismes de formation financés par la région », alors qu’actuellement la moyenne est de 48 %. Désormais, « en dessous de 70 %, une association n’aura plus de soutien », prévient Christian Estrosi.
Vie associative, culture, société : pas une priorité
L’alternance a surtout fait beaucoup de déçus dans le monde associatif, victime de sévères coupes budgétaires. Pourtant, « beaucoup d’associations ne veulent pas encore élever la voix. Elles restent prudentes pour ne pas se mettre en danger», explique Geneviève Domenach-Chich, responsable de la Cimade Ile-de-France.
Côté culture, les exécutifs de droite n’ont pas renversé la table partout, mais certains festivals ont perdu des subventions, comme le festival LGBT Cinepride à Nantes. D’autres, en revanche, tel le renommé Jazz à Vienne, qui se tient dans une ville tenue par un ami de Laurent Wauquiez, ont vu leur subvention augmenter. En Auvergne-Rhône-Alpes, «les critères de hausse ou de baisse sont flous, on aimerait plus de clarté », déclare pudiquement Vincent Bady, délégué de la Plateforme des acteurs du spectacle vivant de la région. « Il y a une volonté de casse sociale », ose Georges Sothier, président de CinéDuchère, un cinéma installé en plein cœur du quartier défavorisé de La Duchère, dans l’ouest lyonnais. « On a perdu 20 000 euros, et j’ai dû passer des heures au téléphone simplement pour obtenir l’information », poursuit-il, insistant sur les activités pédagogiques menées dans ce petit cinéma qui fonctionne essentiellement grâce aux bénévoles.
Enfin, le budget consacré à la santé a reculé de 50 % en 2016 par rapport au budget 2015 dans les Hauts-de-France, selon le Ceser. Pour Monique Ryo, vice-présidente, « la région a financé pendant plusieurs années l’installation de nombreux scanners et IRM pour combler le manque d’équipement des hôpitaux. Le manque est maintenant comblé». En attendant, l’état de santé de la population des Hauts-de-France reste le plus dégradé de l’Hexagone.
L’environnement voit rouge
Mais c’est surtout en matière d’environnement que le changement est marquant. Les nouveaux élus en charge de l’agriculture sont quasiment partout des anciens des chambres ou de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui promeuvent plutôt une agriculture productiviste. A l’inverse, les réseaux qui défendent l’agriculture biologique, les circuits courts et l’agriculture paysanne ont senti le changement. En Pays-de-la-Loire, la Confédération paysanne (syndicat concurrent de la FNSEA) a vu ses subventions baisser de 60 % : « on paie le fait d’être gouvernés par le sérail dominant », dénonce Mathieu Courgeau, coporte-parole du syndicat au niveau régional. « On est plus écoutés depuis que la droite est au pouvoir, admet Jean-Marc Lézé, président de la FRSEA Pays de la Loire, mais on défend tous les agriculteurs, conventionnels ou bio. ».
Les coupes budgétaires dont ont été victimes les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) en Paca ou Terre de Liens (qui travaille sur l’accès au foncier pour les nouveaux agriculteurs) en Ile-de-France confirment la tendance. Une orientation d’autant plus inquiétante que depuis 2014, les régions gèrent aussi en bonne partie le deuxième pilier de la PAC, la politique agricole commune, « un pilier un peu plus qualitatif que le premier, qui permet entre autres d’encourager le bio et une agriculture plus durable »,regrette Mathieu Courgeau.
Sans surprise, l’environnement est maltraité lui aussi partout, mais notamment en Auvergne-Rhône-Alpes : Laurent Wauquiez a fait la part belle aux chasseurs et aux canons à neige (voir notre article « Auvergne-Rhône-Alpes : l’environnement, ça commence à bien faire ! »). Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand a confié deux postes clés à des chasseurs (présidence de la commission Environnement et conseiller délégué à la biodiversité), et a déclaré que sa région ne mettrait « pas un euro d’argent public» dans un projet d’éoliennes, martelant : « Les éoliennes, basta !»
En Normandie, la région a refusé de renouveler une subvention de 100 000 euros au réseau Grandde, qui conseille les entreprises souhaitant mieux préserver l’environnement. « Dix années de travail partent en fumée. Comme la région attribue aussi les aides européennes, on perd les deux tiers de notre budget : nos cinq salariés seront licenciés au 31 décembre », se désole son président, Jean-Michel Thouvignon. « Nous n’attribuons plus de subventions de fonctionnement aux associations, rétorque Hervé Morin. Il y aura désormais un financement par projet, avec des objectifs chiffrés. Je veux instaurer une culture du résultat ! » Un résumé de la philosophie des nouveaux élus.
(Enquête réalisée avec Marie Beigelman, Marc Chevallier, Franck Seuret, Romain Renier et Jean Saint-Marc.)
Disons-le d’emblée : la victoire de Trump s’explique avant tout par l’explosion des inégalités économiques et territoriales aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies, et l’incapacité des gouvernements successifs à y faire face. Les administrations Clinton puis Obama n’ont fait souvent qu’accompagner le mouvement de libéralisation et de sacralisation du marché lancé sous Reagan puis Bush père et fils, quand elles ne l’ont pas elles-mêmes exacerbés, comme avec la dérégulation financière et commerciale menée sous Clinton. Les soupçons de proximité avec la finance et l’incapacité de l’élite politico-médiatique démocrate à tirer les leçons du vote Sanders ont fait le reste. Hillary a remporté d’un cheveu le vote populaire (60,1 millions de voix contre 59,8 millions pour Trump, pour une population adulte totale de 240 millions), mais la participation des plus jeunes et des plus modestes était beaucoup trop faible pour pouvoir remporter les Etats clés.
Le plus triste est que le programme de Trump ne fera que renforcer les tendances inégalitaires : il s’apprête à supprimer l’assurance-maladie laborieusement accordée aux salariés pauvres sous Obama, et à lancer son pays dans une fuite en avant dans le dumping fiscal, avec une réduction de 35% à 15% du taux de l’impôt fédéral sur les bénéfices des sociétés, alors que jusqu’ici les Etats-Unis avaient résisté à cette course-poursuite sans fin venue d’Europe. Sans compter que l’ethnicisation croissante du conflit politique américain laisse mal augurer de l’avenir si de nouveaux compromis ne sont pas trouvés : voici un pays où la majorité blanche vote structurellement à 60% pour un parti, alors que les minorités votent à plus de 70% pour l’autre, et où la majorité est en passe de perdre sa supériorité numérique (70% des suffrages exprimés en 2016, contre 80% en 2000, et 50% d’ici 2040).
La principale leçon pour l’Europe et le monde est claire : il est urgent de réorienter fondamentalement la mondialisation. Les principaux défis de notre temps sont la montée des inégalités et le réchauffement climatique. Il faut donc mettre en place des traités internationaux permettant de répondre à ces défis et de promouvoir un modèle de développement équitable et durable. Ces accords d’un type nouveau peuvent contenir si nécessaire des mesures visant à faciliter les échanges. Mais la question de la libéralisation du commerce ne doit plus en être le cœur. Le commerce doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être : un moyen au service d’objectifs plus élevés. Concrètement, il faut arrêter de signer des accords internationaux réduisant des droits de douanes et autres barrières commerciales sans inclure dans le même traité, et dès les premiers chapitres, des règles chiffrées et contraignantes permettant de lutter contre le dumping fiscal et climatique, comme par exemple des taux minimaux communs d’imposition des profits des sociétés et des cibles vérifiables et sanctionnables d’émissions carbone. Il n’est plus possible de négocier des traités de libre échange en échange de rien.
De ce point de vue, le CETA est un traité d’un autre temps et doit être rejeté. Il s’agit d’un traité étroitement commercial, ne contenant aucune mesure contraignante sur le plan fiscal ou climatique. Il comporte en revanche tout un volet sur la « protection des investisseurs » permettant aux multinationales de poursuivre les Etats devant des cours arbitrales privées, en contournant les tribunaux publics applicables à tout un chacun. L’encadrement proposé est notoirement insuffisant, notamment concernant la question clé de la rémunération des juges-arbitres, et conduira à toutes les dérives. Au moment même où l’impérialisme juridique américain redouble d’intensité et impose ses règles et ses tributs à nos entreprises, cet affaiblissement de la justice publique est une aberration. La priorité devrait être au contraire la constitution d’une puissance publique forte, avec la création d’un procureur et d’un parquet européen capable de faire respecter ses décisions.
Et quel sens cela a-t-il de signer lors des accords de Paris un objectif purement théorique de limiter le réchauffement à 1,5 degré (ce qui demanderait de laisser dans le sol les hydrocarbures tels que ceux issus des sables bitumineux de l’Alberta, dont le Canada vient de relancer l’exploitation), puis de conclure quelques mois plus tard un traité commercial véritablement contraignant et ne faisant aucune mention de cette question? Un traité équilibré entre le Canada et l’Europe, visant à promouvoir un partenariat de développement équitable et durable, devrait commencer par préciser les cibles d’émissions de chacun et les engagements concrets pour y parvenir.
Sur la question du dumping fiscal et des taux minimaux d’imposition sur les bénéfices des sociétés, il s’agirait évidemment d’un changement complet de paradigme pour l’Europe, qui s’est construite comme une zone de libre échange sans règle fiscale commune. Ce changement est pourtant indispensable : quel sens cela a-t-il de se mettre d’accord sur une base commune d’imposition (qui est le seul chantier sur lequel l’Europe a légèrement avancé pour l’instant) si chaque pays peut ensuite fixer un taux quasi nul et attirer tous les sièges d’entreprises? Il est temps de changer le discours politique sur la mondialisation : le commerce est une bonne chose, mais le développement durable et équitable exige également des services publics, des infrastructures, des systèmes d’éducation et de santé, qui eux-mêmes demandent des impôts équitables. Faute de quoi le trumpisme finira par tout emporter.
« Il ne reste plus à ceux qui votaient traditionnellement pour [la gauche] qu’à se tourner vers ceux qui s’intéressent (ou font semblant de s’intéresser) à eux et à leurs problèmes » (Photo: les leaders et chefs de gouvernement socialistes européens réunis à Paris en 1999). JACK GUEZ / AFP
Le sociologue Dominique Méda revient à juste titre sur les raisons pour lesquelles la gauche de gouvernement ne devrait pas trop se réjouir du report escompté des voix vers son camp après la victoire de Trump. Il ne s’agit plus de tirer une nouvelle fois les marrons du feux sans rien faire, mais d’assumer et de donner des gages concrets de courage et de responsabilité politique.
Par Dominique Méda, sociologue, professeure des universités
Pourquoi les gauches se font-elles tailler des croupières presque partout dans le monde par des partis qui prétendent mettre au cœur de leurs préoccupations les oubliés, les invisibles, les damnés de la mondialisation, les sans-grade, les déclassés ?
L’énigme semble complète : pourquoi les pauvres et les ouvriers ont-ils voté pour un milliardaire qui ne s’est donné que la peine de naître – un don conséquent de son père lors de son entrée dans la vie adulte lui ayant permis de construire son empire – et non pour la candidate démocrate ?
Pourquoi presque un tiers des Français qui vont voter aux prochaines élections présidentielles, dont de nombreux électeurs issus des classes populaires, s’apprêtent-ils, selon les sondages, à apporter leur suffrage non pas à la gauche, mais à une candidate, Marine le Pen, dont le répertoire idéologique était il y a encore peu aux antipodes de l’anticapitalisme et de la lutte des classes ?
Pourquoi les gauches se font-elles tailler des croupières presque partout dans le monde par des partis qui prétendent mettre au cœur de leurs préoccupations les oubliés, les invisibles, les damnés de la mondialisation, les sans-grade, les déclassés ?
Les droits que nous pensions définitivement acquis
Cela s’explique en grande partie par le fait que la gauche a tout simplement renoncé à mener une politique de gauche et que, dès lors, il ne reste plus à ceux qui votaient traditionnellement pour elle qu’à se tourner vers ceux qui s’intéressent (ou font semblant de s’intéresser) à eux et à leurs problèmes.
Aurions-nous vu le Front national (FN) changer radicalement de fond idéologique, s’intéresser à la classe ouvrière, à la valeur du travail, à la faiblesse des salaires, aux régions ruinées par le départ des usines, à la difficulté de boucler les fins de mois, à la mondialisation, si la gauche avait été fidèle à son héritage idéologique, on n’ose dire à ses valeurs ?
Les victimes de la globalisation, ceux qui ont perdu leur emploi ou se trouvent dans des zones de relégation seraient-ils autant tentés par le discours de Marine Le Pen si la gauche avait continué à défendre l’égalité, l’augmentation des salaires, le développement de l’Etat-providence, la coopération, la réduction du temps de travail, le partage ?
A l’évidence, non. A l’évidence nous n’en serions pas là, à trembler pour la paix et le maintien de droits que nous pensions pourtant définitivement acquis, si, en 1983, au lieu d’accepter de se soumettre à une Europe qui ne parvenait pas à devenir politique, la gauche au pouvoir avait continué à défendre l’intérêt du paradigme keynésien.
Nous n’en serions pas là si, en 1985-1986, la gauche n’avait pas cédé aux sirènes de la libre circulation des capitaux et de l’ouverture des marchés financiers dont même le Fonds monétaire international (FMI) reconnaît aujourd’hui qu’ils sont en train de détruire nos sociétés ; nous n’en serions pas là si la gauche française n’avait pas, année après année, accepté les uns après les autres les renoncements à l’héritage de gauche.
Augmentation insupportable du chômage
Souvenons-nous : la fameuse équité promue en 1994 par le rapport Minc encensé par la gauche ; l’orthodoxie budgétaire pleinement revendiquée par l’actuel Président de la République et qui a conduit à une augmentation insupportable du chômage ; l’abandon dans lequel la gauche a laissé les banlieues depuis trente ans tout en prétendant s’en occuper ; l’obsession de l’équilibre comptable érigé en dogme et objet de la plus grande fierté pendant qu’une partie du pays crève ; le désintérêt complet pour les conditions de travail dont la dégradation saute pourtant tous les jours aux yeux ; le glissement progressif de la gauche vers la condamnation de l’assistanat ; l’incompréhension totale à l’endroit du « Moustachu » (Philippe Martinez), considéré dans les plus hautes sphères de l’Etat comme le Diable ; le refus d’obliger les entreprises mères à assumer la responsabilité des actes de leurs filiales ; la soumission au pouvoir des banques…
Et surtout, la conversion complète – parfaitement mise en évidence dès 1994 dans le livre remarquable de Bruno Jobert et Bruno Théret, Le Tournant néolibéral – des soi-disant élites à l’ensemble du bagage théorique néoclassique, et à ses prêtres, qui nous proposent depuis des années des baisses du smic (alors que le moindre de leur « ménage » leur rapporte un smic en quelques heures), des contrats uniques, des licenciements plus rapides, un démantèlement complet des protections du travail, une baisse des allocations-chômage et des minima sociaux pour que les paresseux reviennent plus vite au travail, et tout cela en des termes trompeurs (qu’on se souvienne de la fameuse « sécurisation »).
Des élites converties au discours que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) asséné depuis les années 1980 ; des élites de gauche, y compris Obama, qui préfèrent conserver auprès d’eux des économistes champions de la dérégulation (comme Larry Summers) tant la discipline économique semble aujourd’hui dépolitisée.
Soupçon généralisé sur les chômeurs
Souvenons-nous : la trahison de Bill Clinton qui, en 1992, assène qu’il faut « To end welfare as we know it » (« en finir avec l’Etat-providence tel que nous le connaissons ») et met en place, en 1996, une réforme qui pousse les allocataires de minima sociaux à reprendre le travail à n’importe quel prix, plongeant dans la misère ceux qui n’en sont pas capables.
Souvenons-nous : le coup de tonnerre qu’a constitué le Manifeste Blair-Schröder de 1999 dans lequel les deux dirigeants « de gauche » en appellent à en finir avec cette « vieille » gauche, dopée aux dépenses publiques, incapable de croire à l’entreprise et à la compétitivité.
Souvenons-nous des réformes du chancelier allemand Gerhard Schröder, le soupçon généralisé sur les chômeurs qui refuseraient, par pure paresse, de reprendre des emplois (qui n’existent pas), la fusion de l’allocation-chômage et de l’allocation d’assistance, la politique du « bâton » comme si ceux qui avaient perdu leur emploi et ne parvenaient pas en en retrouver un le faisaient exprès. Et, pendant ce temps, l’explosion des inégalités, les fortunes aussi colossales que rapidement acquises, la consommation ostentatoire, la finance folle.
Presque partout, parvenue au pouvoir, la gauche a adopté le paradigme néolibéral, souvent pour montrer qu’elle était capable d’être une aussi bonne gestionnaire que la droite, souvent aussi parce qu’il aurait fallu renverser la table pour mettre en œuvre une autre politique.
Une Europe n’ayant pour seul idéal que le marché
Chaque époque est singulière. Lors du premier septennat de François Mitterrand, peut-être ne savions-nous pas, ne pouvions-nous pas imaginer, qu’une Europe si mal née, une Europe incapable de s’unir sur des accords politiques, une Europe n’ayant pour seul idéal que le marché, ne pourrait pas survivre.
Mais en 2012, les choses étaient bien différentes. Il aurait fallu, au lieu de vouloir à tout prix exercer le pouvoir, sauvegarder au contraire, comme ce qu’il y a de plus précieux, les valeurs de la gauche. Même au risque d’être moqués, au risque d’être considérés comme de mauvais élèves en économie, comme de piètres gestionnaires, il fallait conserver contre vents et marées comme unique boussole la recherche absolue de l’égalité, l’attention pour les ouvriers, les déclassés, les ségrégués, les oubliés, les dominés, les banlieues, les petits salaires, les privés d’emploi et défendre en conséquence le service public, la solidarité, la redistribution.
Il aurait mieux valu ne pas exercer le pouvoir et conserver intact l’espoir de changer un jour la situation plutôt que de l’exercer en singeant la droite, en récupérant l’héritage, les manières de faire, les comportements, l’idéologie de la droite, ce qui conduit aujourd’hui nos concitoyens abandonnés à se jeter dans les bras des seuls qu’ils n’ont pas encore essayés.
Tant que la gauche n’aura pas renoué avec ses principes fondamentaux, ses (improbables) succès électoraux seront autant de victoires à la Pyrrhus, faisant le lit de la droite et de l’extrême droite.