Gauche,
Ces exécutifs ont dû faire face à beaucoup de nouveautés. La principale concerne bien sûr les fusions engagées dans la plupart des régions concernées, avec parfois des polémiques qui perdurent comme dans le Grand Est, où certains élus estiment que les anciennes régions Champagne-Ardenne et Lorraine sont lésées par rapport à l’Alsace. En Normandie, Hervé Morin a réalisé la fusion à marche forcée et 700 fonctionnaires occupent un nouveau poste depuis le 1er septembre. « Tout le monde doit former tout le monde, c’est n’importe quoi, on gâche des compétences », râle Stéphane Godefroy, représentant de la CGT (majoritaire). Hervé Morin assume : « Le service sera dégradé pendant deux ou trois mois. Les gens vont apprendre un nouveau métier, et puis voilà ! »
Les compétences des régions ont aussi été notablement élargies par la loi NOTre (Nouvelle organisation territoriale de la République) en matière de stratégie économique, de formation ou encore de transports entraînant beaucoup d’incertitudes pour les agents régionaux.
Marge de manoeuvre réduite
A la décharge des nouveaux présidents de région, leur marge de manœuvre financière a enfin été réduite du fait de l’Etat : la dotation globale de fonctionnement (DGF) a reculé de 450 millions d’euros en 2016 par rapport à 2015 (– 9,3 %). Les régions passées à droite ont toutes engagé des plans d’austérité. Dans les Hauts-de-France par exemple, Xavier Bertrand n’a pas reconduit la plupart des CDD. Dans ce contexte, « nous aurions été nous aussi contraints de mettre en œuvre une politique d’austérité », reconnaît cependant un membre de l’ancien exécutif régional du Nord-Pas de Calais.
« La gauche vient nous donner des leçons, alors qu’elle soutient un gouvernement qui baisse son soutien aux régions », dénonce Paul Jeanneteau, vice-président en charge du développement économique à la région Pays-de-la-Loire. Les régions toucheront cependant l’an prochain 50 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au lieu de 25 % actuellement. Manuel Valls leur a également promis en septembre dernier de remplacer, à partir de 2018, la DGF (qui dépend du bon vouloir du gouvernement) par une part de la TVA (dont le montant ne dépend que de l’activité économique). Et dès 2017, un fonds provisoire supplémentaire de 450 millions d’euros sera mis en place par l’Etat pour les aider à financer leurs nouvelles compétences en matière de développement économique.
Une stratégie économique incertaine
Ceci étant posé, qu’ont fait les nouveaux élus ? Beaucoup de com’, tout d’abord. Les nouveaux présidents de région ont pour la plupart une conception très personnalisée de leur rôle. En Auvergne-Rhône-Alpes, « Laurent Wauquiez est un peu cowboy. Ça a l’avantage de pouvoir faire bouger les choses rapidement, mais à force de réagir à tout, faire de la communication et aller serrer des mains à chaque inauguration, les dossiers de fond n’avancent pas », explique un membre de sa majorité. Refrain similaire dans les Hauts-de-France, où Xavier Bertrand se comporte comme « le président d’un mini-Etat, tenant un discours très volontariste, y compris sur des dossiers sur lesquels il possède peu de leviers d’action, comme les migrants à Calais », juge un cadre de l’administration régionale.
Le principal rôle qu’ont désormais les régions concerne le pilotage du développement économique. Elles sont en effet les seules collectivités locales habilitées à donner des aides directes aux entreprises. Paca s’y est mise de façon assez volontariste (voir notre article « Paca : tout pour les entreprises »), mais la plupart des autres régions n’en sont encore qu’aux balbutiements dans l’élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) qu’elles doivent obligatoirement adopter.
En revanche, la droite a déjà enterré de nombreux « contrats de territoire » qui visaient à faire asseoir les acteurs autour d’une table pour définir les enjeux prioritaires sur un espace donné. « A la place, on va financer un projet à un endroit, un autre, concurrent, juste à côté, et on va saupoudrer des aides entre des structures qui auraient eu intérêt à partager le même projet », regrette Philippe Genty, président du syndicat mixte Rhône Pluriel, qui faisait dialoguer cinq communautés de communes à cheval sur trois départements différents. « Ce n’est pas très visible, mais c’est une perte de savoirs et de savoir-faire très dommageable pour les territoires », regrettent d’autres acteurs du développement rural en Auvergne-Rhône-Alpes.
Enfin, l’économie sociale et solidaire (ESS) n’est plus une priorité des nouveaux exécutifs. En Paca par exemple, le service Développement de l’ESS a été remplacé par le service Economie circulaire et de proximité, et les crédits ont reculé de 25 %. « La région n’a pas réduit son soutien financier à notre Chambre, mais a taillé dans les subventions accordées à de nombreuses associations de l’ESS », explique Denis Philippe, président de la Chambre régionale de l’ESS.
Lycées, transports, formation : vers la libéralisation
En matière de lycées, la principale évolution a concerné la Normandie, avec un coup de pouce important à l’enseignement privé (voir notre article « Normandie : 45 millions pour l’enseignement privé »). Les autres présidents de région ont surtout rivalisé d’effets d’annonce autour de mesures intenables, telles que la mise en place de portiques de sécurité à l’entrée des lycées en Auvergne-Rhône-Alpes ou des tests salivaires en Ile-de-France au nom de la lutte contre la drogue. Laurent Wauquiez a aussi décidé d’attribuer 500 euros à tout bachelier de la région obtenant une mention très bien en dehors de tout critère social. Tandis que Valérie Pécresse a enterré le Pass contraception, proposé dans les lycées d’Ile-de-France. Un Pass qui ne rencontrait cependant qu’un écho limité. Plus inquiétante pour l’avenir est sans doute l’arrivée d’élus proches de la Manif pour tous au Centre régional d’information et de prévention du sida (Crips).
Les régions, qui gèrent les trains express régionaux (TER), renégocient actuellement leurs conventions avec la SNCF. Peu d’informations ont fuité, hormis en Paca, où Christian Estrosi a annoncé, le 5 octobre dernier, avoir rompu « toute négociation avec la SNCF » et « engagé l’accélération de l’ouverture à la concurrence dès 2019 ». Autrement dit, il veut changer de prestataire, dans une région où le service rendu par la SNCF est certes très dégradé.
Changement important en vue aussi en Normandie, qui pilotera en 2020 les trains Intercités actuellement gérés par l’Etat. Son conseil régional est ainsi le premier à accepter un tel accord : l’Etat promet d’investir 720 millions d’euros pour changer les trains de deux des cinq lignes Intercités normandes. La région, elle, devra éponger les déficits d’exploitation, estimés par la SNCF à 45 millions d’euros (« c’est plutôt 20 millions », estime la région). « Le contribuable normand va payer seul le déficit alors que les usagers sont aussi franciliens ou de la région Centre ! », dénonce Nicolas Mayer-Rossignol, le leader de l’opposition, qui craint aussi la suppression de certaines liaisons. « Il y a des trains vides, le Caen-Tours par exemple, donc tout cela est à l’étude », admet Hervé Morin.
Enfin, concernant la formation professionnelle, les régions ont passé en mars dernier un accord avec l’Etat pour mettre en œuvre le plan de formation des 500 000 chômeurs décidé par le gouvernement. 17 des 18 régions ont signé : Laurent Wauquiez s’est singularisé en refusant de contracter à ce sujet avec le ministère de l’Emploi. Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand veut aussi mettre le paquet sur l’apprentissage (voir notre article « Adieu, la solution miracle pour l’emploi »), tandis qu’en Paca, on va « instaurer une règle générale de taux de retour à l’emploi de 70 % pour les organismes de formation financés par la région », alors qu’actuellement la moyenne est de 48 %. Désormais, « en dessous de 70 %, une association n’aura plus de soutien », prévient Christian Estrosi.
Vie associative, culture, société : pas une priorité
L’alternance a surtout fait beaucoup de déçus dans le monde associatif, victime de sévères coupes budgétaires. Pourtant, « beaucoup d’associations ne veulent pas encore élever la voix. Elles restent prudentes pour ne pas se mettre en danger », explique Geneviève Domenach-Chich, responsable de la Cimade Ile-de-France.
Côté culture, les exécutifs de droite n’ont pas renversé la table partout, mais certains festivals ont perdu des subventions, comme le festival LGBT Cinepride à Nantes. D’autres, en revanche, tel le renommé Jazz à Vienne, qui se tient dans une ville tenue par un ami de Laurent Wauquiez, ont vu leur subvention augmenter. En Auvergne-Rhône-Alpes, « les critères de hausse ou de baisse sont flous, on aimerait plus de clarté », déclare pudiquement Vincent Bady, délégué de la Plateforme des acteurs du spectacle vivant de la région. « Il y a une volonté de casse sociale », ose Georges Sothier, président de CinéDuchère, un cinéma installé en plein cœur du quartier défavorisé de La Duchère, dans l’ouest lyonnais. « On a perdu 20 000 euros, et j’ai dû passer des heures au téléphone simplement pour obtenir l’information », poursuit-il, insistant sur les activités pédagogiques menées dans ce petit cinéma qui fonctionne essentiellement grâce aux bénévoles.
Enfin, le budget consacré à la santé a reculé de 50 % en 2016 par rapport au budget 2015 dans les Hauts-de-France, selon le Ceser. Pour Monique Ryo, vice-présidente, « la région a financé pendant plusieurs années l’installation de nombreux scanners et IRM pour combler le manque d’équipement des hôpitaux. Le manque est maintenant comblé ». En attendant, l’état de santé de la population des Hauts-de-France reste le plus dégradé de l’Hexagone.
L’environnement voit rouge
Mais c’est surtout en matière d’environnement que le changement est marquant. Les nouveaux élus en charge de l’agriculture sont quasiment partout des anciens des chambres ou de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui promeuvent plutôt une agriculture productiviste. A l’inverse, les réseaux qui défendent l’agriculture biologique, les circuits courts et l’agriculture paysanne ont senti le changement. En Pays-de-la-Loire, la Confédération paysanne (syndicat concurrent de la FNSEA) a vu ses subventions baisser de 60 % : « on paie le fait d’être gouvernés par le sérail dominant », dénonce Mathieu Courgeau, coporte-parole du syndicat au niveau régional. « On est plus écoutés depuis que la droite est au pouvoir, admet Jean-Marc Lézé, président de la FRSEA Pays de la Loire, mais on défend tous les agriculteurs, conventionnels ou bio. ».
Les coupes budgétaires dont ont été victimes les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) en Paca ou Terre de Liens (qui travaille sur l’accès au foncier pour les nouveaux agriculteurs) en Ile-de-France confirment la tendance. Une orientation d’autant plus inquiétante que depuis 2014, les régions gèrent aussi en bonne partie le deuxième pilier de la PAC, la politique agricole commune, « un pilier un peu plus qualitatif que le premier, qui permet entre autres d’encourager le bio et une agriculture plus durable », regrette Mathieu Courgeau.
Sans surprise, l’environnement est maltraité lui aussi partout, mais notamment en Auvergne-Rhône-Alpes : Laurent Wauquiez a fait la part belle aux chasseurs et aux canons à neige (voir notre article « Auvergne-Rhône-Alpes : l’environnement, ça commence à bien faire ! »). Dans les Hauts-de-France, Xavier Bertrand a confié deux postes clés à des chasseurs (présidence de la commission Environnement et conseiller délégué à la biodiversité), et a déclaré que sa région ne mettrait « pas un euro d’argent public » dans un projet d’éoliennes, martelant : « Les éoliennes, basta ! »
En Normandie, la région a refusé de renouveler une subvention de 100 000 euros au réseau Grandde, qui conseille les entreprises souhaitant mieux préserver l’environnement. « Dix années de travail partent en fumée. Comme la région attribue aussi les aides européennes, on perd les deux tiers de notre budget : nos cinq salariés seront licenciés au 31 décembre », se désole son président, Jean-Michel Thouvignon. « Nous n’attribuons plus de subventions de fonctionnement aux associations, rétorque Hervé Morin. Il y aura désormais un financement par projet, avec des objectifs chiffrés. Je veux instaurer une culture du résultat ! » Un résumé de la philosophie des nouveaux élus.
(Enquête réalisée avec Marie Beigelman, Marc Chevallier, Franck Seuret, Romain Renier et Jean Saint-Marc.)