Immigration, colonisation et domination : l’apport d’Abdelmalek Sayad

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L’anniversaire de la mort du sociologue de l’immigration Abdelmalek Sayad, décédé le 13 mars 1998, est l’occasion de republier un article que lui a consacré Saïd Bouamama, paru dans le n° 16 de Contretemps (première série) en mai 2006.

 

La question dite de « l’héritage colonial » est désormais posée. Des polémiques surgissent périodiquement pour stigmatiser ou caricaturer les partisans d’une prise en compte du « fait colonial » comme un des éléments importants structurant, encore aujourd’hui, les rapports de domination subis par les immigrés issus des anciennes colonies et par leurs enfants français. Les accusations pleuvent pêle-mêle : repli communautariste, démarche racialiste et/ou raciste, approximations historiques, analogies excessives, divisions des dominés, production d’une autonomie de repli suicidaire. Abdelmalek Sayad fut précurseur sur cette question. Le fait que son œuvre soit méconnue n’est pas une réalité anodine : dans le domaine scientifique, comme dans le domaine politique, agissent des facteurs qui bloquent la prise en compte de la réalité sociale de l’immigration et de ses enfants français. Pierre Bourdieu caractérisait Abdelmalek Sayad comme « un analyste de l’inconscient ». Effectivement, en débusquant les implicites, Sayad ne pouvait que rencontrer le « fait colonial » comme un des éléments clef de l’inconscient collectif français.

Une immigration exemplaire issue d’une colonisation exemplaire

La vigueur de la polémique qu’a suscitée la publication de l’Appel des indigènes de la République est un révélateur de la difficulté à prendre en compte la spécificité de l’immigration issue des anciennes colonies. Une des critiques les plus récurrentes a ainsi été de rappeler les difficultés vécues par les immigrations non coloniales antérieures ou présentes. Pour ce faire, la comparaison a été fréquemment réalisée avec des pays n’ayant pas eu d’empire colonial et dans lesquels les populations issues de l’immigration rencontrent des difficultés « similaires » à celles rencontrées en France par les descendants des anciens colonisés. Un des apports essentiels d’Abdelmalek Sayad est justement de refuser la scission binaire entre deux problématisations tout aussi réductrices : celle consistant à nier les invariances à toutes les immigrations ; celle consistant à nier les dimensions particulières de l’immigration issue des anciennes colonies. En soulignant le caractère « exemplaire » de l’immigration algérienne, il souligne son caractère « d’idéal-type » de l’immigration en tant que rapport de domination. L’immigration algérienne réunit, en les poussant à l’extrême, les traits et les processus en œuvre pour toute immigration à des degrés moindres et moins exacerbés. L’idée clef de Sayad sur cette question est de relier « l’exemplarité » de l’immigration algérienne à « l’exemplarité » de la colonisation de l’Algérie :

« colonisation totale, systématique, intensive, colonisation de peuplement, colonisation des biens et des richesses, du sol et sous-sol, colonisation des hommes (corps et âmes), surtout colonisation précoce ne pouvant qu’entraîner des effets majeurs ».

C’est donc parce qu’en Algérie l’idée coloniale a été poussée le plus loin dans ses dimensions de « peuplement », de « dépossession de la paysannerie », de « violence de la conquête », qu’elle constitue en quelque sorte un « laboratoire » des autres immigrations. Dans les deux cas, nous avons affaire à des rapports de domination et d’exploitation. Mais, pour l’immigration postcoloniale, l’activation d’un « imaginaire colonial » lui fait jouer une fonction de « miroir grossissant » ou de « révélateur » des processus en œuvre. La sous-estimation de ces « spécificités » essentielles conduit à une cécité de l’analyse.

La prolongation en métropole de « l’imaginaire » et du « rapport » colonial

L’analyse des implicites présidant au fonctionnement des foyers pour travailleurs migrants permet à Sayad de souligner l’importation en métropole de « l’imaginaire colonial ». Que ce soit dans les personnels recrutés lors de la mise en place de ces foyers, dans les conceptions architecturales, dans la définition des droits et devoirs du résident, dans les représentations sociales des besoins des locataires, l’analogie avec la colonisation est permanente. Voici par exemple comment il analyse l’absence d’intimité qui caractérise ces foyers :

« Ainsi la perception naïve et très ethnocentrique qu’on a des immigrés comme étant tous semblables, se trouve au principe de cette communauté illusoire. Il s’y ajoute, dans le cas des immigrés algériens et plus largement marocains et tunisiens, la représentation de la “nature” psychologique de l’Arabe, telle qu’elle est vulgarisée par les “spécialistes” de la “mentalité primitive”, de “l’âme et de la psychologie nord-africaine, musulmane” (…). “Nature” grégaire, qui ne peut être satisfaite que par la vie en groupe, nature “patriarcale”, “tribale”, etc.»[1].

Nous retrouvons dans cette représentation sociale de la « nature de l’Arabe » ou du « musulman » ce qui fait le cœur de la domination coloniale : la légitimation d’un traitement d’exception par une « nature » ou une « culture » censées produire des besoins spécifiques. L’inégalité est à la fois reconnue et présentée comme nécessaire et légitime. Dans le regard du colonisateur, les inégalités produites par le système colonial ne sont pas niées mais leur genèse est refoulée, recouverte par une explication biologique ou culturelle : le manque d’ardeur au travail du colonisé n’est pas expliqué par le rapport social colonial qui impose au colonisé des conditions de travail éreintantes tout en le privant de toute initiative et de toute jouissance du fruit de son travail, mais par l’indolence congénitale de « l’Africain » ou par l’incorrigible indiscipline du Maghrébin[2]. Cette reproduction de l’imaginaire colonial conduit ainsi inévitablement à l’idée d’une « mission éducative » des foyers, étrangement ressemblante avec la « mission civilisatrice » de triste renom. Sayad met en évidence les fonctions de cette « mission éducative » en les mettant en analogie avec celles de la « mission civilisatrice » : justifier un traitement d’exception tout en valorisant l’image du dominant. La « mission civilisatrice » se caractérise en effet par une double fonction : légitimer l’inégalité présente tout en valorisant l’image du colonisateur. Le rapport colonial inverse donc l’ensemble de la relation. Il présente les dominants comme des « altruistes » soucieux de faire « évoluer » les colonisés et de développer les « lumières » et met en scène les dominés comme étant les véritables bénéficiaires de la colonisation. La société d’immigration

« n’a que trop tendance, écrit encore Sayad, à porter à son bénéfice ce qui, pourtant, est l’œuvre des immigrés eux-mêmes : aussi est-ce fréquemment qu’on présente au moins les aspects les plus positifs (ou considérés comme tels) de l’expérience des immigrés, c’est-à-dire, en gros, l’ensemble des acquisitions qu’ils ont su imposer au gré de leur immigration (…) comme le résultat d’un travail diffus ou systématique d’inculcation, d’éducation qui s’opère à la faveur de l’immigration (travail qui consiste à produire ce qu’on appelle les “évolués” et du même coup, à discriminer ces immigrés “évoluables”, “éducables”, “amendables” des immigrés qui ne le sont pas ou ne veulent pas l’être) et dont le mérite revient à la société d’accueil et à elle seule »[3].

Il suffit d’entendre aujourd’hui certains propos ministériels sur la récente révolte sociale des jeunes des quartiers populaires (polygamie, démission des parents, réseaux intégristes), de lire le rapport Bennisti et son analyse de la délinquance comme issue des « patois » parlés au sein de la famille, d’analyser les débats justifiant la loi du 23 février 2005, pour saisir l’actualité politique d’Abdelmalek Sayad. Nous ne sommes pas en présence de survivances anodines et marginales du passé que le temps fera disparaître par épuisement. Nous avons à faire à un rapport social qui se reproduit, caractérisé par une « ethnicisation » du dominé, une teneur « éducative » ou « civilisatrice » du rapport avec lui, une négation des violences sociales qu’il subit.

Les jeunes issus de la colonisation

Sayad s’attache également à déconstruire les discours sur les enfants de l’immigration devenus Français. L’expression « jeunes issus de l’immigration » participe de la reproduction du rapport colonial mais cette fois-ci à l’endroit de « Français ». Nés et socialisés en France, dotés de la nationalité française, ils restent perçus comme des « immigrés » et construits comme tels. Pour eux aussi se met en place un rapport « éducatif » ou « civilisateur », les injonctions « d’invisibilité » et de « politesse » sont émises officiellement, les « visibilités » sont jugées ostentatoires et nécessitant des interventions étatiques fermes. Pour eux, la distinction permanente est faite entre la figure du héros positif (l’intégré) et le héros négatif (la racaille).

C’est en déconstruisant de manière remarquable le concept « d’intégration » et les discours qu’il structure, que Sayad met en évidence la reproduction, par delà les générations, du rapport colonial.

« Une des premières manifestations du changement qui s’opère de la sorte, écrit-il, se traduit à travers le langage, surabondant aujourd’hui, de l’intégration : l’intégration est ici non seulement celle de personnes “extérieures” à la société française (…) mais celle du phénomène lui-même, l’immigration étant “rapatriée”, “internalisée” pour ne pas dire “intériorisée”, perdant de la sorte une bonne partie de la représentation qu’on en avait comme pure extériorité »[4].

Nous avons à faire à une réalité sociale spécifique : la production d’immigrés qui n’ont immigré de nulle part. C’est au travers du prisme de la reproduction du rapport colonial que Sayad analyse les nombreuses caractéristiques du discours tenu sur et à ces français construits socialement comme « exceptionnels ». Le processus idéologique d’inversion de la relation par ethnicisation du colonisé (puis de l’immigré et de ses enfants français) et par imposition d’une « grille éducative de lecture » se réalise à partir du paradigme « intégrationniste ». Ce dernier réalise le tour de force d’imputer la responsabilité des inégalités à ceux qui les subissent :

« L’invite à l’intégration, la surabondance du discours sur l’intégration ne manquent pas d’apparaître aux yeux des plus avertis ou des plus lucides quant à leur position au sein de la société en tous les domaines de l’existence, comme un reproche pour manque d’intégration, déficit d’intégration, voire comme une sanction ou un parti pris sur une intégration “impossible”, jamais totalement acquise »[5].

Alors que « l’intégration » au sens sociologique du terme interroge la société dite « d’accueil », l’usage idéologique du terme (y compris à gauche et à l’extrême gauche) oriente la réflexion et l’action vers des dimensions culturalistes imputant aux premiers concernés (ou à leur culture, leur religion, leur héritage) la responsabilité de leur situation. Au-delà de la polysémie du concept d’intégration qui rend impossible le débat serein, c’est l’usage social, politique et idéologique de ce concept auquel s’intéresse Sayad. Ce faisant, il aide à penser une sociologie anti-intégrationniste qui s’attache aux processus de domination touchant ces Français construits comme « sujets à intégrer ».

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L’assimilation derrière l’intégration

L’approche critique de l’intégrationnisme à la française permet à Sayad de souligner la reproduction d’un autre trait de l’imaginaire colonial : la scission binaire et permanente entre « intégrés » à valoriser et « inintégrés » à réprimer. C’est au travers de l’analyse des discours tenus sur les « beurs » que Sayad souligne la signification de ce processus : l’assimilationnisme. La volonté de distendre artificiellement la relation entre « parents immigrés » et « enfants français » qui a caractérisé la décennie 1980 apparaît alors comme une des conséquences logiques d’un « chauvinisme de l’universel », celui-là même qui avait servi à justifier « l’œuvre coloniale » :

« Aussi comprend-on l’intérêt objectif – intérêt qui s’ignore comme tel – qu’on a à distendre au maximum la relation entre, d’une part, des parents immigrés (…), et, d’autre part, les “enfants de parents immigrés” qui seraient alors, selon une représentation commode, sans passé, sans mémoire, sans histoire (…), et par là même vierges de tout, facilement modelables, acquis d’avance à toutes les entreprises assimilationnistes (…) mues par une espèce de “chauvinisme de l’universel” »[6].

Nous retrouvons, ici, à propos des « beurs », les deux formes historiques de l’idéologie coloniale. Si cette idéologie a pris une première forme explicitement raciste, elle a également eu une forme « de gauche », « bien intentionnée », c’est-à-dire s’argumentant d’une « œuvre positive » de la colonisation. Sayad souligne les formes contemporaines de ce « chauvinisme de l’universel » à travers l’analyse de « toute une série de clichés, de lieux communs » mais également à travers la déconstruction des « discours savants » : la célébration du pouvoir d’intégration de l’école française, la réussite ou l’échec scolaire des jeunes issus de la colonisation, l’islam et les signes extérieurs d’appartenance à cette « religion d’immigrés », la dénonciation de l’intégrisme musulman, les femmes issues de la colonisation.

Le « chauvinisme de l’universel », qui a jadis été à la source d’un « colonialisme bien intentionné », conduit aujourd’hui à des logiques de raisonnement lourdes de conséquences en termes de violences sociales subies par les immigrés et leurs enfants français. Il conduit selon Sayad à s’autoriser l’idée d’une « émancipation contrainte » qui correspondrait « aux vrais intérêts de la nouvelle génération », même si celle-ci n’en a pas conscience. Les implicites des débats sur la loi sur le « foulard » relèvent à l’évidence de cette logique. De la même façon, Sayad souligne la parenté entre ce « chauvinisme de l’universel » et les discours récurrents sur la « perte d’autorité » des pères, sur leur « démission », leur « infériorisation », leur « disqualification ». Enfin, la même parenté permet à Sayad de donner sens aux explications sur les hystéries régulières à l’égard des jeunes issus de la colonisation : ceux-ci sont coupables d’être ingrats, d’être trop visibles, d’être ostentatoires, de ne pas se comporter en « immigrés » ou en « colonisés » ou encore de se comporter simplement comme s’ils étaient chez eux. Nous sommes ici en présence d’une autre analogie avec la période coloniale : l’illégitimité de la présence chez soi. Se comporter comme citoyens exigeant des droits est une attitude impensable pour l’imaginaire colonial qui ne laisse place qu’au statut de sujet. Le processus de diabolisation des attitudes revendicatives en œuvre aujourd’hui à l’égard des enfants français a d’ailleurs commencé avec leurs parents immigrés algériens. Cette virulence particulière à l’égard des immigrés algériens, Sayad l’explique par la relation avec l’époque coloniale:

« C’est, sans doute, pour apurer ce contentieux colonial et ses vestiges (parmi lesquels l’immigration), qu’on s’acharne volontiers sur les jeunes (…). Si on s’attaque plus précisément à l’immigration qu’on dit “non européenne”, n’est-ce pas dans une certaine mesure, en raison du passé colonial qui a produit cette immigration et dont elle constitue une manière de survivance : colonisés comme n’ont pas été les sujets coloniaux, les immigrés algériens se comportent en France comme ne se comportent pas les autres immigrés. Ayant acquis de la société française et de ses mécanismes, malgré les handicaps qu’ils subissent, une familiarité que seul un long “commerce” peut donner (et cela avant même l’émigration), les Algériens immigrés d’aujourd’hui – hier immigrés originaires de la colonie – peuvent s’autoriser de plus grandes libertés, à commencer par la liberté de défendre leurs droits »[7].

La décolonisation des territoires n’a pas signifié la remise en cause du « chauvinisme de l’universel » qui avait permis la légitimation « bien intentionnée » de la colonisation. L’idée d’assimilation que porte ce type particulier de chauvinisme ne fait alors que se transférer des anciens colonisés vers les nouveaux immigrés puis sur leurs enfants. Ces derniers restent perçus et construits au travers des droits et devoirs (c’est-à-dire essentiellement des devoirs) du sujet : la politesse, l’invisibilité et l’apolitisme.

Les trois séries d’analogies entre immigration et colonisation

Il existe certes des invariances réunissant toutes les immigrations. Celles-ci sont en particulier issues de la fonction économique de l’immigration dans une économie de marché. Ces invariances étant posées, elles ne suffisent pas à décrire l’ensemble de ce « fait social total » que constitue chaque immigration. Elles ne nous autorisent pas à faire l’économie de la prise en compte des contextes historiques qui déterminent les modalités concrètes de l’existence sociale et politique de chaque immigration et, pour celles issues des anciennes colonies, de ses enfants français. En fonction de ces contextes historiques différents, des représentations de l’Autre qu’ils véhiculent et ancrent dans les imaginaires politiques et les inconscients collectifs, l’acuité du rapport de domination, son champ d’exercice et sa durée varieront. Marx a bien étudié cette interaction entre passé et présent, et le rôle que joue l’imaginaire social hérité[8]. C’est à travers cet imaginaire que les hommes déchiffrent leur réalité vécue, qu’ils déterminent les frontières entre un « nous » et un « eux » et fondent leur action présente. C’est, en l’occurrence, au travers de l’imaginaire colonial qu’ont été appréhendés les immigrés postcoloniaux et qu’a été légitimée leur relégation économique, sociale et politique.

La virulence des critiques à l’égard de l’Appel des indigènes de la République souligne l’existence d’une véritable difficulté à intégrer les spécificités issues de la colonisation dans l’analyse des dominations concernant l’immigration. Trois d’entre elles nous semblent significatives. La première critique faite aux « indigènes » est celle de nier les autres formes de racismes et ainsi de contribuer à une « concurrence des victimes ». Or, affirmer fortement l’existence d’une forme de racisme sous-estimée ne signifie pas nier l’existence d’autres formes de racisme. Le racisme en tant que processus de hiérarchisation sociale, économique et politique, c’est-à-dire en tant qu’outil des systèmes de domination, s’ancre dans un terreau historique. L’Appel ne dit rien d’autre que ceci : la colonisation n’est pas un aspect secondaire du terreau historique français. Ailleurs (pour des pays n’ayant pas eu d’empire colonial) ou ici, pour d’autres populations (n’ayant pas été colonisées), ce sont d’autres moments historiques et d’autres imaginaires hérités qui sont mobilisés. Si les Indigènes voient la « colonisation » à l’œuvre là où beaucoup ne veulent pas la voir, cela ne signifie pas qu’ils la voient partout. La deuxième critique importante a été la dénonciation de l’amalgame que réaliserait l’Appel entre la période coloniale et la situation actuelle. Ici aussi l’on fait dire aux indigènes de la République ce qu’ils n’ont pas dit. Mettre en analogie deux facteurs ne signifie pas qu’on les considère comme identiques. C’est tout simplement souligner qu’ils empruntent des processus, des logiques et des représentations qui sont en proximité. Parler de racisme postcolonial, ce n’est donc pas non plus prétendre que les descendants de colonisés vivent une situation identique en tous points à celle de leurs ancêtres. Le préfixe « post » utilisé par les Indigènes est à cet égard suffisamment clair : il marque à la fois un changement d’ère, une filiation et un héritage. La troisième critique récurrente à été celle « d’ethnicisation » du débat, de la situation et de la question sociale. La grille de lecture en termes de classes sociales est, dans ce cas de figure, brandie en opposition à l’Appel. Or, l’Appel des indigènes n’a jamais posé que la grille sociale de lecture était erronée et/ou dépassée. Bien au contraire : souligner le facteur postcolonial, c’est insister sur une des dimensions nodales des processus de domination, à savoir l’opposition des dominé(e)s entre eux par la gestion d’un ordre des dominations qui s’appuie sur des imaginaires hérités (celui du patriarcat pour le genre, celui de la colonisation pour notre sujet). Ainsi, de la même façon que Sayad ne considérait pas comme contradictoire de poser des invariances tout en soulignant des spécificités, il n’est pas irraisonnable de penser l’explication en termes de classes sociales comme non contradictoire avec l’analyse en termes de rapport colonial, ce dernier n’étant en définitive qu’une des formes exacerbée des rapports de domination. La négation des spécificités liées à la colonisation, la mise en avant frénétique des ressemblances n’est donc pas un non-sens : elle participe, volontairement ou non, aux processus de domination de cette immigration.

Le principe de l’existence d’analogies entre immigration et colonisation avait d’ailleurs été déjà formulé de manière précise par Sayad. Celui-ci soulignait en particulier trois facteurs confortant le raisonnement analogique. En premier lieu, il mentionnait les liens historiques entre certaines immigrations et la colonisation. L’immigration est fille de la colonisation, directement ou indirectement. Il suffit d’appréhender la colonisation et l’immigration comme un rapport social, pour saisir comment les caractéristiques des rapports colonisateur / colonisé / système de colonisation peuvent se reproduire dans le nouveau rapport social groupe majoritaire/groupes minoritaires/système social capitaliste. Il est bien entendu évident pour Sayad qu’analogie ne signifie pas similitude. Il s’agit d’une reproduction, c’est-à-dire d’une articulation nouvelle entre invariance et mutation faisant survivre dans le présent des traits du passé en fonction de besoins contemporains du système social et économique. La deuxième analogie mise en exergue est celle de structure. Sayad ne pense pas les rapports sociaux « colonisation » et « immigration » comme étant constitués de deux partenaires : colonisés / colonisateurs et immigrés / Français. Il réintroduit un troisième partenaire essentiel : la société colonisatrice pour l’un et la société d’immigration pour l’autre. De la même façon que le colonisé comme le colonisateur sont le résultat d’un système social, le groupe majoritaire comme les groupes minoritaires sont des produits d’un système social. Ce dernier, ayant pour finalité la production et la légitimation de la domination, est fondateur d’un ordre dans lequel le colonisé hier, l’immigré postcolonial et ses enfants français aujourd’hui, occupent la place la plus désavantageuse. La troisième analogie est logiquement celle de système. La colonisation comme l’immigration font système : les rapports de domination qui les caractérisent sont travestis et intégrés dans le fonctionnement légal et banal des institutions, des procédures, des différentes sphères de la vie sociale. Sayad démontre ainsi comment l’existence de discriminations légales (comme par exemple l’exclusion des droits politiques ou de certains emplois dits « réservés ») conduit à autoriser la production massive de discriminations illégales. De la même façon, les discriminations et inégalités liées au logement ont des effets logiques en termes d’inégalité dans les domaines scolaires ou d’accès à l’emploi. C’est, comme à l’époque coloniale, l’ensemble d’un système qui est en œuvre et non simplement quelques colonisateurs véreux hier ou quelques racistes repérables aujourd’hui :

« Outre la série d’analogies qu’on peut saisir entre les deux phénomènes – analogies d’ordre historique (l’immigration est souvent fille de la colonisation directe ou indirecte) et analogies de structure (l’immigration, actuellement, occupe dans l’ordre des relations de domination la place qu’occupait hier la colonisation) – l’immigration s’est, d’une certaine façon, érigée en système de la même manière qu’on disait que la “colonisation est un système” (selon l’expression de Sartre) »[9].

En nous invitant à questionner notre système social pour comprendre l’immigration, Sayad nous mène au développement d’une véritable sociologie critique. Ses hypothèses doivent certes être discutées et/ou contestées. Cependant, nombre d’entre elles nous semblent avoir des effets heuristiques d’une grande actualité : l’articulation entre émigration et immigration, l’articulation entre colonisation et immigration, la notion d’imaginaire et de transfert de celui-ci, la prise en compte de l’héritage que constitue le « chauvinisme de l’universel », l’appréhension de l’immigration comme rapport social, la prise en compte du système comme structurant ce rapport social et produisant le groupe majoritaire, les groupes minoritaires et le type d’interactions inégalitaires qui les relient, le lien entre domination des « pays d’origine » et domination dans la société française des immigrés qui en sont originaires.

Le savoir des premiers concernés

Il n’est pas possible de conclure sans mentionner le rapport que Sayad avait lui même avec les immigrés et leurs enfants français, c’est-à-dire sans mettre en exergue la posture adoptée vis-à-vis des dominés qui constituaient ses objets de recherches. La pratique de longs entretiens était sa méthode privilégiée. Leur lecture est suffisante pour souligner l’existence d’un savoir des dominés. Certes, il est éparpillé, empli de contradictions, non formulé de manière logique et structurée, mais il est bien présent. La pratique de l’entretien est d’ailleurs le moment d’une mise en ordre des éléments de ce savoir transformant ces moments de parole en véritable autoanalyse. Nous sommes ici à l’antipode des postures dominant le monde de la recherche aujourd’hui. Ces dernières cantonnent en effet les premiers concernés au rôle d’acteurs (ou de témoins) ne sachant rien de l’histoire qu’ils font, laissant ainsi au « scientifique » la prétention de dire le « vrai ». Outre le refus d’une coupure entre pratique (qui serait le fait des acteurs) et savoir (qui serait le fait de « savants » étudiant les acteurs), la posture de Sayad est également celle du refus de l’opposition entre une approche des trajectoires individuelles et une approche macrosociologique. Pour Sayad, les trajectoires individuelles et/ou familiales incorporent, dans tous les sens du terme, y compris le sens fort de marques sur le corps en termes de maladies professionnelles ou liées à la place sociale, les effets de l’histoire sociale et politique et des dominations qui les caractérisent. L’immigration ne saurait ainsi se réduire à de simples décisions individuelles, celles-ci étant elles-mêmes déterminées par un contexte historique, économique et social. Il n’est pas étonnant que ses derniers travaux se soient orientés vers une sociologie de l’État. Sayad nous invite ainsi à dépasser les acteurs visibles pour interroger les liens entre État, nation et immigration. Ce faisant, son œuvre est un apport immense à la dynamique militante de ceux qui prétendent agir contre les inégalités. Transformer les rapports de forces suppose en effet de s’attaquer aux causes et non seulement aux conséquences, au système producteur et non seulement à ses effets, aux acteurs réels et non seulement aux acteurs visibles, au « Dieu caché » (et donc efficace parce que caché) et non seulement à l’apparence.

 

Notes

[1] A. Sayad, « Le foyer des sans-famille », in L’Immigration et les paradoxes de l’altérité, Paris-Bruxelles, De Boeck Université, 1997, p. 92 et 93.

[2] Cf. A. Memmi, Portait du colonisé, Paris, Gallimard, 1957.

[3] A. Sayad, op. cit., p. 67.

[4] A. Sayad, « Le mode de génération des générations immigrées », Migrants-formation, n° 98, septembre 1994, p. 10.

[5] A. Sayad, La Double Absence, « le poids des mots », Paris, Seuil, 1999, p. 314.

[6] A. Sayad, « Le mode de génération… », art. cit., p. 14.

[7] Ibid., p. 76-77.

[8] K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Mille et une nuits, 1997.

[9] A. Sayad, L’Immigration ou les paradoxes de l’altérité, op. cit.

Source : Contretemps 13/03/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, Politique de l’immigrationHistoire, Il était une fois les chibanis, Rubrique Méditerranée, Algérie, rubrique International, rubrique Cinema, La symbolique des films algériens, rubrique Société, Grève des commerçants et scènes d’émeute à Béjaïa,

L’esprit de révolte plane sur le festival Big band

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Vanessa Liautey, dans le quatrième mur. Photo Marc Ginot

Theâtre
hTh lieu de circulation pour le théâtre d’Europe ne snobe pas les compagnies de la Région dont les créations s’ancrent avec rage dans le monde d’aujourd’hui. C’est ce que démontre le festival Big Band qui se tient actuellement au CDN jusqu’au 3 mars

Cette ouverture à la richesse de la création régionale confirme la qualité des compagnies, dramaturges, et comédiens qui composent le vivier présent sur notre territoire, lié en partie à un dispositif d’enseignement de qualité. Au regard des premières pièces du bien nommé festival Big Band qui a ouvert cette semaine, on pourrait ajouter un certain goût pour l’esprit subversif avec des positionnements politiques indispensables à notre époque.

Oiseaux de tempête
Comme le déclare la pièce d’Hélène Soulié Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce. Le texte est adapté du conte insurrectionnel de Lola Lafon. Ici, le théâtre aborde en face le désir de l’émancipation féminine en allant droit au but avec force et conviction. Avec la volonté de mettre la vérité à nue, comme Jane Campion le fait au cinéma, parce que l’état des faits est affligeant. Toutes les sept minutes, une femme est violée dans la France d’aujourd’hui. L’ expérience, majoritairement muette, de milliers de viols, ne serait être classée dans la rubrique fait divers. La pièce sort de la normalité pour faire remonter cette oppression comme un indicateur politique. Elle dépasse aussi le stricte sujet du viol pour évoquer les diktats sociaux, économiques et familiaux, le permettant.

Tumultes
Marion Guerrero met en scène  Tumultes, le texte de Marion Aubert produit par la cie Tire pas la Nappe. « Au départ, nous avions le désir, avec  Marion Guerrero de travailler sur les émeutes du 6 février 1934. Le Front Populaire, indique Marion Aubert. On a parler de l’avortement, des tricoteuses de la révolution. On a fait des impros. On a tenté de faire la révolution dans l’école. Manon est allée faire des discours sur les places de Saint-Etienne. Personne ne s’en est rendu compte. J’ai listé des questions, Qu’est ce que c’est que de sentir quelque chose possible ? C’est quoi le sentiment d’injustice ? C’est quoi avoir peur pour ses enfants ? D’où ça nous vient, ce climat d’inquiétude ? De haine ? De suspicion ? Comment ça se fabrique le fascisme ?
Tumultes dresse le portrait d’une génération inquiète mais surtout vive, créative et décidée à empoigner le monde avec rage, esprit critique, humour et passion.

 Le quatrième  mur
« Tout s’étiole, on ne sait plus ce qu’on fait. Les artistes crèvent. Ils ont été satellisés, analyse le metteur en scène Julien Bouffier à propos de l’esprit de contestation que l’on sent planer au sein du milieu artistique, on nous sort parce qu’on en a besoin, mais c’est pas comme ça que ça marche. On discute entre nous. Moi j’ai de la chance, mais tout le monde va tellement mal que nous avons besoin de parler pour redonner une place aux artistes dans la société. Notre place a été spoliée par des administratifs, des filtres, des péages… »

Julien Bouffier monte Le quatrième mur d’après le roman de Sorj Chalandon un des 1er journaliste à entrer dans le camp de Chatila après les massacres. Il  en a tiré une fiction. L’histoire d’un militant pro-palestinien féru de théâtre qui veut monter Antigone d’Anouilh sur la ligne verte de Beyrouth avec des acteurs de  toutes les nationalités et religions du conflit. « Je suis né au Liban, confie Julien Bouffier, j’ai cherché comment m’inscrire dans cette histoire mais le pays du livre n’est pas le Liban, c’est Chalandon spectateur de Sabra et Chatila

JMDH

Source La Marseillaise 25/02/2017

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Littérature, rubrique Festival, rubrique Montpellier,

Camille Tolédo « Faire face à l’angle mort de l’histoire »

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Camille Tolédo : « Le massacre d’Utoya révèle un état politique réactionnaire en Europe ». Photo dr

L’auteur Camille Tolédo évoque son drame contemporain « Sur une île » donné au Théâtre de la Vignette. Une pièce inspirée de la tragédie d’Utoya en Norvège où le raid d’Anders Bechring Breivik s’est soldé par la mort de 69 jeunes et une dizaine de blessés

Sur une île fait suite à votre texte « L’inquiétude d’être au monde » paru chez Verdier, comment s’est opéré ce passage au théâtre ?

J’avais écrit ce texte suite au carnage d’Utoya où ce gamin, qui s’est mis à tirer sur des enfants comme dans un jeu vidéo, m’est apparu comme le marqueur d’un cycle historique qui se réveille  en Europe  sous le fantasme de la pureté des origines, comme un besoin de revenir aux fondamentaux identitaires et religieux réducteurs. Cela révèle un état politique réactionnaire en Europe. Une vague très lourde, qui m’a inspiré un chant pour prendre à rebours et inverser ce cycle de mort. Le metteur en scène Chistophe Bergon avec le Théâtre Garonne de Toulouse et le TNT qui produisent la pièce, m’ont demandé d’écrire une adaptation.

Cette adaptation, que l’on vient de découvrir à Montpellier, nous donne une nouvelle perception de cet événement plus intime et prégnante que celle véhiculée par les médias.  Est-ce à vos yeux le rôle politique et social du théâtre ?

J’aurais du mal à assigner une fonction au théâtre. Chacun s’en saisit à sa manière. Le théâtre dans sa forme classique, qui met des gens dans une assemblée, recoupe la fonction politique. Aujourd’hui on le voit avec ses formes stéréotypées de discours, l’arène politique est ruinée. J’observe dans l’art contemporain et dans la littérature une reprise de l’activité politique. L’expression artistique propose des scénarii. Pour cette pièce, je voulais aller sur ce terrain. Je souhaitais que l’assemblée réunie au théâtre se retrouve face à ces grands cortèges souverainistes  extrémistes qui défilent massivement en Europe.  Dans la pièce, on fait face à l’angle mort de l’histoire, face à une Europe putréfiée qui fait histoire.

Vous faites remonter la conscience d’un temps historique et générationnel, ce sont les premiers enfants du siècle qui sont morts à Utoya écrivez-vous. Pensez-vous que la perception de votre pièce par les jeunes diffère de celle de leurs aînés sans doute moins aptes à agir ?


Quelque chose chez moi fait appel à nos enfances. Après le virage néo-libéral, il est juste de dire que le discours dominant depuis une vingtaine d’année, s’est accommodé de ce monde sans perspective. La génération des trente glorieuses et celle qui lui succède n’ont pas les capteurs sensoriels  aiguisés. Ils n’ont pas vu venir la violence et cette violence s’est installée.  Là, on retombe sur deux enfances captées par le désir des petits soldats radicaux qui tuent pour exister, celle des Breivik et celle des islamiques et puis il y a la jeunesse  d’Utoya, la jeunesse sociale démocrate. Celle qui se réveille le lendemain du Bataclan soudainement face au loup, à la verticalité de l’Histoire et à la mort.

Sur une ïle. Production Théâtre Garonne, TNT, programmé au Théâtre La Vignette

Sur une ïle. Production Théâtre Garonne, TNT, programmé au Théâtre La Vignette

Vous pointez la soumission, l’obéissance à un monde révolu. Dans la pièce, Jonas le bon enfant de Norvège, finit par tuer Breivik devenu un décideur européen. Assumez-vous ce rapport à la violence ?

Je la mets très clairement dans la bouche de Jonas, mais son acte individuel doit questionner nos impuissances. La séquence ouverte par François Furet, qui a enterré la Révolution française dans les année 80, s’ouvre à nouveau aujourd’hui. Nous sommes dans un moment où nous devons prendre en charge la question du politique. Face à la résurgence du KKK sous sa forme trumpiste ou à l’ordre nihiliste de type islamiste, il est temps de sortir de la vision : la violence c’est mal. Je crois qu’une violence peut être plus légitime qu’une autre.

On sait qu’un ordre politique naît souvent du meurtre. Ce savoir tragique a été complètement oublié. Le pouvoir tyrannique qui règle la question de nos peurs fonde les dérives de la démocratie avec toujours plus de sécurité et d’Etat d’urgence. L’Etat reste en suspension mais la question demeure. Quel meurtre dois-je commettre pour fonder un autre monde ?

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 03/02/2017

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Une référence aux faits alternatifs de l’équipe Trump dope les ventes de « 1984 »

10482075NEW YORK (AFP) –

Une référence au roman « 1984 », utilisée, de manière involontaire, par une conseillère de Donald Trump, a dopé les ventes de l’ouvrage de George Orwell, au point de pousser l’éditeur à commander 100.000 livres supplémentaires mercredi.

Pour défendre le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, qui avait assuré contre toute évidence que l’audience de l’investiture du nouveau président était la plus importante jamais vue, la conseillère Kellyanne Conway a qualifié dimanche ces éléments de « faits alternatifs ».

Il a été démontré que la foule présente vendredi pour la cérémonie à Washington était nettement moins nombreuse que celle venue saluer l’investiture de Barack Obama en 2009.

Plusieurs médias ont rapidement relevé que le terme utilisé par Kellyanne Conway était employé dans le roman « 1984 », qui décrit une société dans laquelle le gouvernement contrôle étroitement l’information.

© AFP | Le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, le 25 janvier 2017 à Washington

© AFP | Le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, le 25 janvier 2017 à Washington

L’auteur, le Britannique George Orwell, introduit la notion de « double pensée », qui amène le gouvernement à fabriquer sa version des faits et à l’imposer comme « vérité », qui cohabite avec le réel.

Durant les heures qui ont suivi la polémique, les ventes de « 1984 », initialement publié en 1949, se sont envolées. L’ouvrage était mercredi en tête des ventes du site américain de la plateforme de vente Amazon.

Selon un porte-parole de Signet, filiale de la maison d’édition Penuguin Random House, qui détient les droits du livre aux Etats-Unis, les ventes du roman ont été multipliées par près de cent depuis l’investiture de Donald Trump (+9.500%).

Après avoir lancé l’impression de 75.000 exemplaires supplémentaires du livre en début de semaine, Signet a passé mercredi une nouvelle commande de 100.000 unités de plusieurs livres de George Orwell, dont « 1984 », « pour répondre à la demande », a indiqué le porte-parole à l’AFP.

Depuis sa première publication, « 1984 » a été vendu à 30 millions d’exemplaires aux Etats-Unis, selon Signet.

Pour la psychologue Marilyn Wedge, qui a publié une tribune sur le site Psychology Today, il est possible d’opérer un rapprochement entre « 1984 » et les pratiques de la jeune administration Trump.

Donald Trump « essaye de nous faire croire ce que lui et ses conseillers déclarent plutôt que ce que nous disent nos propres yeux », estime-t-elle.

© 2017 AFP

 

Avec l’administration Trump, l’Amérique entre dans l’ère des «faits alternatifs»

http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/l-amerique-selon-trump/20170123.OBS4180/ni-vrai-ni-faux-l-equipe-trump-invente-les-faits-alternatifs.htmlQuand l’équipe Trump invente les faits alternatifs

Ceux qui doutaient que Donald Trump allait « discipliner » sa communication en entrant au Bureau ovale sont en passe de gagner leur pari. L’investiture à peine terminée, le nouveau président américain et son équipe ont passé le week-end à dessiner une ère des « faits alternatifs », autrement dit des éléments tangibles passés au prisme du milliardaire, une habitude prise pendant la campagne qui pourrait bien s’installer durablement à la Maison Blanche.

 

C’est Donald Trump lui-même qui a ouvert le bal samedi. A l’occasion d’une visite au siège de la CIA, il a commencé par dire tout le mal qu’il pensait des médias qui avaient selon lui minimisé le nombre de badauds venus assister la veille à son investiture. Dénonçant un « mensonge », il a alors estimé que les journalistes faisaient partie « des êtres humains les plus malhonnêtes de la terre ».

 

« Les « faits alternatifs » ne sont pas des faits. Ce sont des mensonges »

Le soir même, le nouveau porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, a remis le couvert, s’en prenant avec force aux journalistes et lâchant lors de sa toute première conférence de presse : « Ce fut la plus grande foule jamais vue lors d’une investiture, point barre ». Soignant son passage de l’ombre à la lumière, Sean Spicer a immédiatement hérité d’un hashtag moqueur à son nom sur Twitter : #SpicerFacts (« Les faits de Spicer »).

« The Earth is flat. Period. » #spicerfacts pic.twitter.com/BCN5Gg5OJN

— Danny Sullivan (@dannysullivan) January 22, 2017

« La Terre est plate. Point barre. »

Mais le coup de grâce, si l’on peut dire, a été asséné dimanche par Kellyanne Conway, la conseillère du président, lors d’un échange ubuesque (disponible dans son intégralité ici) avec un journaliste de NBC News. « Pourquoi, lui demandait Chuck Todd, le président a-t-il envoyé son porte-parole, qui n’est pas seulement celui de Donald Trump mais aussi celui de tout le pays, pourquoi l’a-t-il envoyé pour la toute première fois devant les journalistes pour proférer un mensonge ? La première fois qu’il est face au public, il ment ? »

ETATS-UNIS L’expression a été employée par Kellyanne Conway, la conseillère du nouveau président, pour désigner les « vérités » du milliardaire…

« Ne soyez pas si dramatique, Chuck, lui a répondu Kellyanne Conway. Vous parlez de mensonge […] Sean Spicer, notre porte-parole, a donné des faits alternatifs. » Estomaqué, le journaliste l’interrompt : « Attendez un instant. Des faits alternatifs ? […] Quatre des cinq choses qu’il a dites étaient fausses. Les « faits alternatifs » ne sont pas des faits. Ce sont des mensonges ».

Source 20 Minutes 23.01.2017

 

Les alarmants “faits alternatifs” du président Trump

washington_rtswjviLe nouveau président et son entourage ont soutenu des contre-vérités manifestes sur le nombre de personnes ayant assisté à son investiture le vendredi 20 janvier. Une proche conseillère a expliqué qu’il s’agissait de “faits alternatifs”. Des déclarations alarmantes, estiment plusieurs journaux américains.

Des “faits alternatifs”. C’est le nouveau concept invoqué à la télévision par une proche conseillère de Donald Trump, Kellyanne Conway, pour caractériser les affirmations fantaisistes du nouveau porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, lors de son tout premier point de presse, le samedi 21 janvier. L’idée n’a pas rencontré le succès escompté : “Les faits alternatifs ne sont pas des faits ; ce sont des contre-vérités”, lui a répondu le présentateur de l’émission, Chuck Todd.

Sean Spicer a plutôt “menti de façon éhontée”, préfère dire une chroniqueuse du Washington Post. Le porte-parole avait soutenu que la foule présente à Washington le vendredi 20 janvier pour l’investiture de Donald Trump était “la plus large audience à avoir jamais assisté à une investiture – point final”. Les photos montrent pourtant que le rassemblement était de moindre ampleur que pour la première investiture de Barack Obama, le 20 janvier 2009.

Le président lui-même a avancé des chiffres évidemment faux (de 1 à 1,5 million de personnes) lors d’une visite à la CIA le samedi 21 janvier, tout en accusant les chaînes de télévision d’avoir menti sur le nombre de personnes présentes (qui a été estimé à 250 000) et d’avoir montré “un terrain vide” dans leurs photos du Mall, l’esplanade centrale de Washington, où la foule était rassemblée. Trump a carrément lancé :

« Je suis engagé dans une guerre contre les médias. Ce sont les êtres humains les plus malhonnêtes sur Terre, pas vrai ? »
Une stratégie dangereuse

En somme, constate The Boston Globe dans un éditorial, le nouveau gouvernement a cherché à “construire une réalité alternative” sur cet événement – ce que le journal juge “alarmant”. Bien sûr, rappelle le quotidien, cette réponse de l’équipe Trump s’inscrit dans la droite ligne de la campagne, où de nombreuses informations bidon et contre-vérités manifestes ont circulé, souvent lancées ou relayées par les partisans de Trump, voire par son entourage ou par le candidat lui-même. Dans “l’univers alternatif” où vivent de nombreux supporters de Trump, estime le quotidien, toute information embarrassante pour le milliardaire est une fiction fabriquée de toutes pièces par des médias biaisés.

La presse américaine est néanmoins choquée de voir le nouveau président, son équipe et le porte-parole de la Maison-Blanche reprendre la même stratégie, aussi ouvertement et avec une telle agressivité. Dans des domaines aussi sensibles que le renseignement ou la politique étrangère, les “faits alternatifs” pourraient mettre des vies en danger, estiment de hauts responsables interrogés par Politico. Le chef d’État américain n’est pas vraiment en guerre contre les médias, estime toutefois un journaliste du site Vox. “Sa vraie guerre est contre les faits”, rien de moins.

Prise de conscience

Pour la chroniqueuse du Washington Post précédemment citée, les premières déclarations du porte-parole de la Maison-Blanche doivent conduire les médias à une prise de conscience. Les journalistes ne doivent plus se fonder sur la parole officielle émanant de ces points de presse. Comme l’a dit une journaliste de ProPublica, citée par le Post : “Les journalistes n’auront pas de réponse de Sean Spicer. Nous aurons des réponses en fouillant. En mettant les mains dans le cambouis. Alors allons-y tous.

23/01/2017 avec courrierinternational.com

 

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Un drame élisabéthain qui ose le rire et le sang

Le Ring-Théâtre laisse libre court à son imagination  Crédit Photo dr

Le Ring-Théâtre laisse libre court à son imagination Crédit Photo dr

Le Ring-Théâtre présente Edward II du sulfureux auteur élisabéthain Christopher Marlowe dans une version débridée à souhait au Chai du Terral de St-Jean-de-Védas

La tragédie élisabéthaine ne se résume pas au seul Shakespeare. Il faut notamment compter avec le mystérieux Christopher Marlowe (1564-1593) dont la compagnie Ring-Théâtre a la bonne idée de nous rappeler l’existence avec une adaptation d’Edward II qui sort  des carcans sclérosant. En cela, l’équipe de douze comédiens applique les principes même du théâtre élisabéthain dont la théorie comme la pratique mettent en évidence une certaine liberté de composition.

Concernant la règle de bienséance, il ne faut pas trop en attendre de Christopher Marlowe. Ce tumultueux  dramaturge figure comme l’un des précurseurs de la tragédie moderne, pour le créateur du vers blanc (non rimés) et pour un père fondateur du drame élisabéthain. On le soupçonne d’avoir été un espion d’Élisabeth Ière et surtout de professer l’athéisme, ce qui lui valu quelques démêlées judiciaires. Il connaît une fin précoce à 25 ans, suite à une rixe ou un assassinat, on le retrouve avec un couteau dans l’œil. C’est dire si Marlowe reste un auteur stimulant pour les artistes contemporains en peine de transcrire la violence du monde ordinaire dans lequel ils baignent.

Pour revenir au sujet du drame, Edward II (1592) met en scène le meurtre par empalement du roi éponyme. Le Ring-Théâtre se saisit du drame, de la guerre, des combats, et des crimes de sang pour laisser libre court à son imagination qui  ne se satisfait d’aucune limite. La tragédie du malheureux Edward II, trop raffiné pour les brutalités de son temps prend parfois une tournure inattendue et cette grande fresque,  passe du tragique à la joyeuseté.

JMDH

Le 10 janvier à 20h. Réservation : 04 67 82 02 34

Source : La Marseillaise 06/01/2017

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