Turquie. Si la guerre pouvait résoudre le problème, « ce serait fait depuis longtemps »

L’Agence France Presse a obtenu une interview exclusive du chef du PKK et du KCK, à l’abri des bombardements du régime Erdogan depuis les montagnes de l’extrême-nord du Kurdistan irakien.

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Depuis trois mois, les combats font à nouveau rage entre l’armée turque et les rebelles kurdes. Pourtant, de son repaire irakien, leur chef Cemil Bayik se dit prêt à faire taire les armes, et prévient que la « logique de guerre » d’Ankara risque d’étendre le conflit.

« Nous sommes prêts à cesser le feu dès maintenant », assure le dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). « Mais si (le gouvernement turc) persiste dans cette logique de guerre (…) le conflit va s’étendre à toute la Turquie, à la Syrie et à tout le Proche-Orient », menace-t-il. Dans son impeccable « battle dress » vert pàle, Cemil Bayik a accordé un entretien à l’AFP au cœur des monts Kandil, dans l’extrême nord du Kurdistan irakien. Dans ce dédale de vallées étroites, le PKK règne en maître absolu. Les flancs des montagnes y sont recouverts de portraits du fondateur historique du mouvement, Abdullah Ocalan, qui purge depuis 1999 une peine de réclusion à perpétuité dans une prison turque. A l’entrée de chaque village, des combattants rebelles, Kalachnikov à l’épaule, filtrent le trafic. Mais l’essentiel de leurs unités reste caché dans les montagnes, pour se protèger des bombardements réguliers des F16 turcs.

Légitime défense

Dissimulé sous un bosquet d’arbres, assis devant deux drapeaux kurdes frappés de l’étoile rouge, Cemil Bayik accuse le Président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan d’être le seul responsable de la reprise des hostilités. « Nous ne voulons pas la guerre (…) Nous avons tenté jusque-là par une voie politique et démocratique de faire avancer le dialogue », affirme le chef de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), qui regroupe tous les mouvements de la rébellion. « Mais Erdogan a empêché ce processus-là (…) il n’y a jamais cru ». Le PKK dément également alimenter la récente escalade de violence déclenchée par un attenta de l’EI qu’Ankara est accusée de soutenir. Il évoque la « légitime défense ». « La guérilla n’est pas encore entrée en guerre », se défend Cemil Bayik. « Ce que l’on voit, ce sont plutôt les jeunes qui sont montés au créneau, qui se protègent et protègent le peuple et la démocratie ».

Racines politiques

De plus, pour ce vétéran de la lutte kurde, ce retour aux « années de plomb » a des racines purement politiques. « Erdogan a perdu aux élections la majorité absolue, c’est pour ça qu’il a commencé à faire la guerre ». Le 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a de fait perdu le contrôe qu’il exerçait depuis treize ans sur le pays. En raflant 80 sièges de députés, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), a largement contribué à ce revers. A l’approche des législatives anticipées du 1er novembre, l’homme fort du pays a concentré ses attaques sur le HDP, accusé d’être complice des « terroristes ». Si le HDP répugne à reconnaître tout lien avec le PKK, Cemil Bayik, lui, affiche sans complexe sa proximité avec le parti. Il promet même une « initiative » pour le soutenir. « Il est nécessaire d’aider le HDP », juge-t- il. Un autre dirigeant du KCK, Bese Hozat, a même laissé entendre cette semaine dans la presse que le PKK pourrait suspendre ses opérations « pour contribuer à la victoire du HDP ». Cemil Bayik se dit in fine prêt à reprendre les discussions avec la Turquie, mais à condition qu’un « cessez-le-feu bilatéral » soit imposé et qu’Ankara libère des prisonniers kurdes dont Abdullah O calan.

Soutien occidental

Il compte aussi sur le soutien des Occidentaux. Américains et Européens « ont compris que les Kurdes étaient devenus une force stratégique dans la région », se réjouit-il. « Si la communauté internationale retire le PKK de la liste des organisations terroristes, la Turquie sera obligée d’accepter la réalité du problème kurde et acceptera le dialogue ». A 64 ans, le dirigeant du PKK, un modèré du mouvement, affirme avoir toujours « l’espoir » d’une « solution pacifique ». « S’il était possible de résoudre le problème par la guerre », dit-il, « ce serait fait depuis longtemps ».

Source AFP 10/10/2015

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La plupart des migrants ne se réfugient pas en Europe

AUFRUHR, AUFSTAND, BEVOELKERUNGSAUFSTAND, REGIERUNGSKRISE, KRISEImmigration Sur 60 millions de réfugiés ou demandeurs d’asile dans le monde, l’Europe en accueille 4 millions. La majorité s’établissent au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie.

L’Europe fait face à un afflux de réfugiés sans précédent cette année. Selon FranceInter, près de 200 000 demandes d’asile ont été déposées sur le Vieux Continent depuis le début de l’année. Amnesty international juge toutefois que le mouvement migratoire actuellement en cours est le plus important depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et provoque des «situations humanitaires dramatiques» dans les centres d’accueil.

En dépit de l’inquiétude grandissante en Europe et de la récupération politique de la thématique migratoire, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) rappelle que seule une minorité de réfugiés tentent véritablement de s’établir dans un pays européen. Selon la RTS qui relaye les chiffres du HCR, la plupart des requérants d’asile s’établissent dans un pays voisin du leur, c’est-à-dire dans la région limitrophe d’une zone de conflit.

Ainsi, le programme de l’ONU estime que, sur un total de 60 millions de réfugiés à l’échelle mondiale, 26 millions s’établissent en Asie, 18 en Afrique, 7 en Amériques et 4 en Europe. La Turquie (1,6 million), le Pakistan (1,5) et le Liban (1,2) en abriteraient le plus. Par ailleurs, aucun pays européen ne figure dans la liste des 10 premiers qui recueillent le plus de personnes en cours de procédure d’asile.

De forts contrastes

Les statistiques mettent par ailleurs le doigt sur la densité de requérants d’asile par rapport à la population résidente. Si, dans le petit Liban, un quart des habitants sont des réfugiés, les données du continent européen reflètent, pour leur part, une densité minime se rapprochant d’un pour cent. C’est notamment le cas en Suisse où, dans le détail, 48’000 personnes étaient en cours de procédure d’asile en 2014 sur un total de plus de 8 millions d’habitants.

Concernant le conflit syrien, il est également relevé que la majorité des réfugiés s’établit en Turquie et au Liban et que seule une minorité tentent la traversée vers l’Europe (voir le graphique du HCR ci-dessous concernant la proportion de réfugiés syriens par pays).

A l’échelle mondiale, la répartition des demandeurs d’asile est donc particulièrement forte dans les pays pauvres. Si les centres d’accueil européens débordent actuellement en Italie et Grèce selon LeMonde.fr, les camps de réfugiés des pays pauvres seraient d’une toute autre échelle. La ville de Dadaab au Kenya peut, à elle-même, symboliser cette forte différence de grandeur. La ville située à quelques kilomètres de la frontière somalienne accueille près de 500’000 réfugiés. A titre de comparaison, près de 350’000 migrants ont rejoint un pays européen en traversant la mer Méditerranée depuis le début de l’année selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Benjamin Fleury

Source : La Tribune de Genève 03/09/2015

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L’insoutenable pression mondiale sur la société civile

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Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.

Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».

Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.

« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.

« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »

Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.

Plus de fonds pour les dissidents

Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.

Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »

Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.

Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».

Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.

« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.

« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »

Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.

« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.

« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »

by Mischa Wilmers

Source : Equal Times 31/08/2015

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Franck Tenaille. « On est l’écosystème des musiques du monde »

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest'A Sète

Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète

Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.

Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.

Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?

Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.

La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…

Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.

En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.

Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?

Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…

Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?

Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde.  Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.

N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?

On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.

Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?

A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.

Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?

Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.

Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?

Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le  plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…

Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.

On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud

Source : La Marseillaise 10/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Rencontres, rubrique Afrique, rubrique Musique, Les Ambassadeurs,

« 8O% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques
du monde » photo DR

Les politiques de domination à l’origine des migrations

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En déstabilisant des régions entières par des interventions militaires, un soutien à des despotes locaux, ou tout simplement en coupant dans les subsides au développement, les dirigeants européens contribuent à nourrir les flux de migrants.

 

Ils étaient 700, mercredi, amassés sur un bateau de pêche en quête d’un refuge sur le continent européen. Seuls 367 d’entre eux ont finalement réchappé du naufrage. Les autres ont rejoint les 25?000 chercheurs d’asile morts en Méditerranée depuis vingt ans. Les survivants iront dans un des centres italiens d’accueil ou d’identification, à moins que ce soit un récif mentonnais ou un bidonville rebaptisé «jungle» du côté de Calais.

De janvier à juin, 2 865 de nos semblables, fuyant les guerres et la pauvreté, sont morts sur le chemin de leur exil. D’autres peuplent par millions d’autres bidonvilles et camps de réfugiés sur toute la planète. À une implacable majorité, c’est essentiellement dans les pays du Sud qu’ils trouvent asile. On voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène inexorable, presque naturel, dont les pays occidentaux ont à se protéger. C’est une manipulation guidée par la peur et une supposée prédominance des idées d’extrême droite dans les opinions publiques. Une manipulation qui veut surtout cacher les responsabilités. Les migrants fuient la pauvreté en Afrique, les bombardements en Afghanistan, la guerre civile en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée… Autant de guerres directement ou indirectement déclenchées, au nom de la lutte contre le terrorisme, par les pays membres de l’Union européenne et leurs alliés atlantistes. Autant de situations politiques, économiques et sociales désastreuses entretenues par une dette immonde et la réduction des efforts d’aide au développement auxquels ces mêmes pays s’étaient engagés.

Les gouvernants de l’Europe se sont révélés d’autant plus incapables, en juin, de se mettre d’accord sur l’ouverture de voies légales pour l’accueil des réfugiés ou encore sur une répartition de ces derniers entre pays membres. Chacun campe sur un égoïsme teinté de xénophobie. Les pays dits de première ligne, ceux qui ont des frontières extérieures à l’UE, ne cessent de demander la fin de la réglementation de Dublin qui contraint les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Les autres s’y refusent, France et Angleterre en tête. Au lieu de cela, l’Europe externalise sa gestion de l’asile, se barricade et militarise ses frontières, dans un criminel et vain déni de responsabilité.

1 Les guerres impérialistes déstabilisent des pays entiers

Octobre 2014, Lampedusa. L’ancienne porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini, tient l’un des propos les plus consternants sur les drames de l’immigration aux portes de l’Europe, en déclarant qu’il s’agit là d’« une guerre entre les personnes et la mer ». Poséidon plus coupable que les interventions militaires, en somme. Les Vingt-Huit portent pourtant une lourde responsabilité directe dans les flux migratoires. S’il n’existe pas de diplomatie européenne en tant que telle, l’engagement des États membres dans des conflits meurtriers au Moyen-Orient ou encore en Afghanistan depuis 2001 a ébranlé des régions entières. L’existence de régimes dictatoriaux épouvantables a servi de prétexte plus que d’argument, comme en témoigne la montée en puissance de l’« État islamique » en Syrie, ou encore en Libye où un chaos sans nom s’est substitué au despotisme de Kadhafi. Les Irakiens ne sont pas non plus épargnés.

Septembre?2001, Afghanistan. Au lendemain des attaques contre le World Trade Center, les États-Unis partent en guerre contre les talibans. Flanqués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, ils claironnent qu’ils en finiront avec ces « fous de Dieu » qui sévissent dans cette région déjà tendue de l’Asie centrale. Après quatorze ans d’occupation militaire, c’est l’impasse. Al-Qaida souffre certes de dissensions internes, mais les fondamentalistes tirent toujours les ficelles. En revanche, entre 4 et 5 millions d’Afghans ont quitté leur pays sous la menace des armes : 2,7 millions se trouvent en situation régulière au Pakistan et en Iran. Loin des 41?000 demandes à l’UE en 2014… La coalition belliciste qui s’est mise en marche, sans mandat onusien, contre Saddam Hussein en 2003, au nom d’objectifs géostratégiques et économiques autrement moins altruistes que le combat contre le despote de Bagdad, ne peut elle non plus se laver les mains. La guerre a fait près d’un demi-million de morts et les fondamentalistes sont désormais aux portes du pouvoir.

Autre exemple : la Libye. Le colonel Kadhafi, à qui l’UE avait confié l’externalisation de ses centres de rétention, est devenu l’homme à abattre. En 2011, la France s’engage aux côtés de l’Otan dans un conflit sans fond. Quatre ans plus tard, de l’avis même de Laurent Fabius, le pays est « une poudrière terroriste » qui menace toute la bande sahélo-saharienne. Deux gouvernements se déchirent le contrôle du pétrole. Impensable, mais cette zone de non-droit est l’une des principales routes de l’immigration en direction de l’Europe. Enfin, l’illustration la plus pathétique est la Syrie. Non seulement Bachar Al Assad est toujours au pouvoir, mais la coopération des démocraties européennes, à commencer par Paris, avec l’opposition syrienne, a servi les desseins des djihadistes de l’« État islamique ». Sur le plan humanitaire, c’est un désastre. Quatre ans plus tard, 4 millions de Syriens ont fui leur pays. La Jordanie en accueille un demi-million, faisant de cette présence une pression sur les ressources naturelles et énergétiques. Au Liban, le nombre d’exilés syriens représente désormais 25?% de la population.

2 Une politique de coopération en berne

Alors que les conflits, les pouvoirs autoritaires, les épidémies… contraignent les peuples de nombreux pays du continent africain et du Moyen-Orient à des conditions de vie à la limite du supportable et à l’exil, le niveau des aides financières internationales pouvant aider notamment à des redynamisations économiques est souvent en déclin. La France, en dépit du vote par le Parlement le 24 juin 2014 d’une première loi dite « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », est loin de ses engagements. Loin du rôle qu’elle pourrait jouer alors que d’autres nations européennes comme le Luxembourg, la Norvège, la Suède ou le Royaume-Uni se conforment aux préconisations de l’ONU pour verser l’équivalent de 0,7 % de leur revenu brut national.

La France, pointe l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui compte 34 pays membres et que l’on ne peut guère suspecter de s’opposer au libéralisme économique ambiant, note que le pays des droits de l’homme atteint à peine 0,36 %, en recul de 9?% d’une année sur l’autre. Ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’État en charge du développement, Annick Girardin, d’affirmer qu’avec ce nouvel arsenal législatif « la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIe siècle et promouvoir un développement durable et solidaire… ».

Ce qui pour le moins n’a pas convaincu Christian Reboul, de l’ONG Oxfam, pour qui « depuis quelques années, le gouvernement et le président de la République ont une fâcheuse tendance à annoncer des contributions importantes pour répondre aux crises, comme par exemple la crise syrienne, sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits, dont on pourrait voir la trace dans les lois de finances : les chiffres de l’aide française deviennent ainsi virtuels et incantatoires ». Oxfam s’est indignée publiquement à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, estimant que « le gouvernement trace une trajectoire déclinante de l’APD (aide publique au développement) jusqu’à la fin du mandat présidentiel en 2017 ».

Friederike Röder, directrice pour la France de l’ONG One, évoque pour sa part « une aide en baisse pour la cinquième année consécutive », et note que « l’aide aux pays les plus pauvres représente à peine un quart de l’aide totale ». Et One de pointer que dans le budget 2015 l’APD ne représente, « en dons d’argent pur et simple », que 533 millions d’euros, « un chiffre en baisse de 9 % par rapport à l’année dernière ». Le constat est hélas unanime. La France est loin d’être à la hauteur des enjeux financiers et humains…

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3 L’externalisation de l’asile légitime les dictatures

Sur les 16,7 millions de réfugiés dans le monde, seulement 15 % sont accueillis dans les pays riches, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Les autres sont abrités dans les pays du Sud. Pour les 28 pays membres de l’UE, ce déséquilibre ne doit pas être remis en cause, mais ils sont tous signataires de la convention de Genève, qui impose le principe de non-refoulement. Pour y pallier, ils ont opté, depuis les années 2000, pour « une approche internationale » du traitement des flux migratoires, introduisant le principe « d’externalisation des demandes d’asile » quitte, parfois, à collaborer avec des pays pour le moins douteux du point de vue du respect des droits de l’homme. Dès 2004, l’agence Frontex a commencé à collaborer tous azimuts pour l’identification et le contrôle des migrants. En septembre 2005, l’idée est officiellement avancée par la Commission européenne de créer des « zones régionales de protection » à proximité des lieux de départ des exilés, prétextant que cela « semble moins coûteux que l’accueil dans des centres de réfugiés installés dans des pays membres de l’UE ». Puis, en 2006, s’enclenche le « processus de Rabat », qui impose aux pays nord-africains, notamment le Maroc, de faire la police aux frontières de l’UE en empêchant les migrants de quitter leur territoire.

Les Vingt-Huit sont allés encore plus loin, en novembre 2014, en signant les accords de Khartoum, se souciant peu des dictateurs et des régimes collaborant aux trafics d’êtres humains. Il a été ratifié avec Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud Soudan et l’Érythrée et prévoit « de mettre en place une coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Peu avant, au mois d’avril, le 11e fonds européen pour le développement décidait d’accorder, pour six ans, 312 millions d’euros à l’Érythrée pour endiguer la fuite de ses habitants. « Que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons », avait alors tenté de se justifier Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de suivre le processus de Khartoum. À la suite de la disparition de 700 personnes lors du naufrage d’avril dernier, la Commission européenne a, par ailleurs, repris, le 13 mai, une idée avancée plus tôt dans le cadre des discussions sur ces mêmes accords. On ouvrira donc, avant la fin de l’année, un « centre multifonction », au Niger, pour identifier et trier les migrants. Des personnes interceptées dans les eaux libyennes pourraient directement y être conduites. De nombreuses voix ont immédiatement dénoncé la création de centres de concentration au cœur de l’Afrique, sans garantie de respect de la dignité et des droits humains.

Cathy Ceïbe, Gérald Rossi et Émilien Urbach

Source : L’Humanité 07/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Politique de l’Immigration, UE,