« La culture pour tous, c’est la démocratie tout court»

Ivan_Renar_Saison09Ivan Renar, né en 1937, Sénateur honoraire, préside l’Ecole Supérieure d’Art du Nord-Pas de Calais / Dunkerque-Tourcoing depuis septembre 2011. Il est intervenu devant les étudiants de l’école, les 3 et 11 avril 2013, à Tourcoing et Dunkerque, sur le thème de la politique culturelle dont il fut toujours un ardent promoteur.

En ce début de siècle tourmenté où « personne ne sait plus parler à la foule et quel but lui donner et que lui dire demain » comme disait le poète Louis ARAGON

et par ces temps de barbarie ordinaire, où l’on a parfois l’impression de tâter l’avenir avec une canne blanche, avec ces « terrifiants pépins de la réalité », dont parlait le Jacques PREVERT de notre enfance, comment ne pas percevoir à quel point l’art et la culture sont déterminants pour construire nos vies.

 Aux militants du partage, du Beau, du Sensible, de l’Emotion et de l’Imaginaire, que vous êtes ou que vous serez, je n’ai pas besoin de dire que la culture, n’est ni un luxe, ni un superflu, elle est de première nécessité.

Dans un monde où l’on assiste à l’offensive de l’ « argent absolu », comme on disait monarchie absolue, l’enjeu de la culture, de la création artistique, comme de l’enseignement artistique, c’est bien d’éclairer la richesse des hommes et des femmes. Et l’homme est notre patrimoine le plus précieux.

Investir dans la culture, comme dans toute la « matière grise », est donc une décision éminemment politique au meilleur sens du terme : la politique qui fait qu’on assume son destin au lieu de le subir. C’est pourquoi, la puissance publique à tous les niveaux se doit de faire preuve de courage, à la création, mais aussi dans son action à l’égard des publics afin que tous, et chacun, puissent trouver dans l’art et la culture les moyens d’épanouissement personnel mais aussi l’émancipation citoyenne.

J’aime à citer l’auteur et metteur en scène Jean-Luc LAGARCE trop tôt disparu :

« Une société, une cité, une civilisation qui renonce à l’Art, qui s’en éloigne, au nom de la lâcheté, la fainéantise inavouée, le recul sur soi, qui s’endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l’autosatisfaction béate, des valeurs qu’elle croit s’être forgées et dont elle se contenta d’hériter, cette société-là renonce au risque, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même »

Au-delà des débats sur la définition de la culture, il est indiscutable qu’elle agit sur le réel, la relation à autrui, innove le rapport social et cimente les raisons du « vivre-ensemble »  et de l’en-commun des hommes. Pour autant, je ne confonds pas art et culture. Comme disait Jean-Luc GODART : « la culture, c’est la règle, l’art : l’exception » !

En ce qui me concerne, si j’avais un message à délivrer aujourd’hui, ce serait : n’ayons pas peur de la création, du neuf, de l’invention, de l’imagination. Les artistes travaillent avec des mains d’avenir !

Je pense à ces mots vibrants de Guillaume Apollinaire qui en une phrase nous fait comprendre toute la merveilleuse profondeur de la création contemporaine : « Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe ».

Il faut replacer la culture au centre de la vie, au cœur de la cité, car quand le capitalisme invente l’homme-jetable, quand tout va mal, l’art et la culture permettent aux hommes et aux femmes de rester debout, de continuer à inventer demain quand l’avenir semble interdit. L’Art, ça change la vie ! Et en cette période de crise profonde, on ne rappellera jamais assez que le temps de l’art, c’est la longue durée et que dans les Re-naissances, les artistes, les créateurs jouent un rôle fondamental.

Comment ne pas voir que les œuvres des artistes, qu’ils soient poètes, acteurs, danseurs, chanteurs, peintres ou musiciens, sont à la fois le reflet et le projet de cette époque tourmentée, de ce monde en transition, d’un monde qui marche sur la tête et qu’ils contribuent à remettre sur pieds. Comme le disait si bien le chanteur Jacques BREL : « L’artiste est celui qui a mal aux autres ».

La culture doit être vue sous l’angle du développement humain. Elle transmet aux descendants tout ce que l’hérédité ne fait pas. Elle n’est donc pas une pièce rapportée, un ornement, une décoration que l’on porte à la boutonnière. Il n’y a pas de citoyenneté sans accès aux savoirs, sans partage des connaissances, sans émergence des capacités à créer du symbolique. Elle est aussi un élément déterminant pour humaniser la mondialisation libérale qui uniformise l’imaginaire, abolit les singularités, standardise la pensée.

Et c’est parce que la culture est aussi nécessaire à l’’homme que le travail, la nourriture, le logement, la santé, qu’elle est une dimension capitale de l’intervention publique.

C’est pourquoi je l’avoue, je suis de parti pris. Une pétition de principe m’a toujours guidé, inspirée de la philosophie des Lumières, la même inspiration qui faisait stipuler dans le préambule de la Constitution de l’An I, jamais appliquée ! « Le pain et l’’éducation sont les deux premiers besoins du peuple ». Le pain à notre époque, c’est bien entendu l’emploi et l’éducation : la formation et la culture.

On ne rappellera jamais assez que la culture est un droit et un droit fondamental : elle apporte les outils critiques indispensables du libre arbitre.

Le préambule de la constitution de 1946 repris dans celle de 1958 affirme : « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation et à la culture » ; La République, décentralisée depuis la réforme de la Constitution, fait que l’Etat, comme l’ensemble des collectivités, portent la responsabilité conjointe de l’application de ce principe. Et la culture n’est pas une compétence comme une autre. Comme pour les droits de l’homme, elle est de la responsabilité de tous et de chacun, et de chaque niveau de collectivités. C’est le partage même de cette responsabilité qui a permis le succès de la décentralisation culturelle et la vitalité impressionnante de la vie culturelle de notre pays, malgré les coups portés ces dernières années.

En cette période de crise financière, économique et sociale majeure, c’est trop souvent le budget de la culture qu’on sacrifie. « On pousse à de bien maigres économies pour de bien grands dégâts ! » comme le disait Victor HUGO ;

Reconnaître le rôle de la culture dans la société reste bien un combat ! A ceux qui déclarent qu’il y a trop de théâtres, de compagnies, d’orchestre, de musées, etc… pour trop peu de public, je réponds : imagine-t-on quelqu’un trouvant qu’il y a trop de suffrage universel parce qu’il y aurait trop d’abstentions ?

L’art et la culture se portent bien à condition qu’on les sauve !

Pourquoi ne pas nous appuyer résolument sur le rapport de Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, qui montre combien la seule prise en compte du Produit intérieur brut, de la productivité, le culte de l’argent, du chiffre et de la performance n’ont pas beaucoup de sens pour évaluer la richesse et le bien-être d’un pays. Par contre les services publics, le niveau d’éducation, les critères sociaux et environnementaux, la culture et le lien social qu’elle génère, constituent de véritables richesses essentielles à la qualité de la vie et du vivre ensemble ! Voilà qui pourrait ouvrir des perspectives. Même si ce rapport est hélas abandonné à la critique rongeuse des souris.

Et plus que jamais l’art et la culture pour tous restent une urgence et une priorité. C’est pourquoi il est indispensable d’en faire une grande cause nationale, européenne et mondiale. Qu’on le veuille ou pas, ce sont les idées qui mènent le monde.

Le non partage de l’art, c’est comme une bombe « antipersonnel », ça fait des mutilations terribles ! L’inégalité face aux richesses de l’esprit devrait être éradiquée de la même façon que, dans notre histoire, a été mis fin à l’esclavage. Comme le disait Condorcet, « il n’y a pas de liberté pour l’ignorant » ! L’art est le champ de tous les possibles. Or même si les salles de spectacles sont pleines, si on fait la queue pour certaines expositions dans les musées, la démocratisation et la démocratie culturelle demeurent un grand défi.

Je m’explique :Roger PLANCHON disait que les ouvriers ne vont dans les théâtres que pour les construire. Il ne proposait pas pour autant de fermer les théâtres, mais il posait là, il y a plus de quarante ans, le grand problème de la ségrégation sociale dans le domaine de la culture. La plaie reste ouverte. Si l’on veut vraiment s’attaquer aux inégalités culturelles, il faut évidemment commencer par s’attaquer aux inégalités sociales et économiques qui ne font que s’accentuer.

Certains s’appuient sur la persistance des inégalités culturelles pour mettre en cause la démocratisation culturelle lui reprochant d’être un échec. Le terme même de démocratisation semble être devenu un « gros mot ». Les crédits dévolus à l’action culturelle sont en baisse constante. Et « la culture pour chacun » qui exacerbe l’individualisme essaye de se substituer à la « culture pour tous ». On n’arrête pas de forger de nouvelles armes contre le collectif. Plutôt que la culture du « chacun pour soi », cultivons l’option d’autrui ! N’opposons pas, mais réconcilions culture populaire et culture savante, culture de masse et culture cultivée. Plus que jamais nous devons renouer avec l’éducation populaire ! C’est le non-partage qui crée le non-public. Si le Ministère de la culture a fait marche arrière sur cette mise en avant de la « culture pour chacun » et évoque dorénavant la culture pour tous et la culture partagée, les crédits affectés à cette mission n’en sont pas moins en baisse.

Les associations culturelles sont sommées de faire toujours plus avec moins. Et l’innovation technique dissimule trop souvent une culture au rabais. Une visite virtuelle de musée sur Internet ne remplacera jamais la confrontation directe avec l’œuvre vivante, plastique, patrimoniale ou monumentale ! Pour autant il faut tout faire pour que toutes les familles puissent avoir accès à Internet et également accès aux outils critiques pour s’approprier les nouvelles technologies, sans en être dupe. En quelque sorte comme le disait malicieusement Jean VILAR / « Eau, gaz, électricité et culture à tous les étages »

 L’Art disait Pablo Picasso, c’est comme le chinois : ça s’apprend. Et nous devons lutter contre tous les analphabétismes. Et c’est mépriser le peuple que de croire qu’il n’a pas soif de culture, de savoir, de découverte.

Et nous vivons hélas dans une société qui fait plutôt la guerre aux pauvres au lieu de faire la guerre à la pauvreté ! Je veux évoquer devant vous ces exclus, que certains artisans de la société multi-vitesse osent appeler « hommes à part », « hommes dépréciés ». A leur égard, les pouvoirs publics agissent le plus souvent à partir de leur malheur et non du mal, c’est-à-dire qu’ils soignent le pauvre dans l’homme et non l’homme dans le pauvre.

Tout exclu est alors « victimisé », l’exclusion n’a pas de cause, pas de responsabilité identifiée ; elle est « fatalisée »… Et l’exclusion se banalise et parfois l’indifférence s’installe… et l’on ne propose que des réponses « a minima » : une allocation, un emploi précaire, un savoir et une culture au rabais.

Or le droit, comme le respect, ne se divise pas. Et vous savez bien que le monde du peu se satisfait finalement de la démocratie du petit : un petit peu de sous, un petit peu de bonheur, un petit peu d’égalité, un petit peu de liberté ! Un RMI/RSA de vie quoi !

Et je ne parle là que de l’aspect « monnaie ». L’exclusion, c’est aussi la mise à l’écart de l’échange social, de l’échange symbolique sans lequel la vie n’est plus la vie.

De ce point de vue, la place de l’Art, dans la lutte contre l’exclusion, toutes les exclusions est à plus d’un titre essentiel parce que l’Art est le champ de tous les possibles et de toutes les différences. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant doit avoir une « piste d’envol » ! C’est pourquoi, je dis Non ! et résolument Non ! à une culture de deuxième classe !

Et l’enjeu de la culture pour tous est l’enjeu de la démocratie tout court. Plus que jamais, face à la montée des intégrismes religieux, politiques, idéologiques ou nationalistes, nous avons à lutter contre tous les analphabétismes. Apprendre l’art comme on apprend à lire et à compter. L’art n’a pas à être optionnel si on souhaite n’en éloigner personne. C’est à l’épreuve du feu qu’on se brûle, c’est à l’épreuve de l’art qu’on en suscite le désir. D’où l’importance de la place de l’art et des artistes à l’école, dès le plus jeune âge. Comme le formule si bien le philosophe Edgar MORIN : « la culture, c’est ce qui relie les savoirs et les féconde ». Elle est indispensable pour comprendre le monde mais aussi développer l’esprit critique et forger son libre-arbitre.

L’œuvre ne rencontre pas mécaniquement son public. L’accès à la culture aujourd’hui devrait marcher sur deux pieds : l’école (de la maternelle à l’université) et le service public de la télévision. Pour réussir la démocratisation de la culture, il est nécessaire d’intervenir sur ces deux vecteurs.

Pour l’école, ne faut-il pas modifier en profondeur et durablement une réalité qui a trop perduré d’une éducation artistique minimisée et marginale, pour ne pas dire en souffrance en dépit de son importance dans le développement des potentialités de la personne comme l’ont confirmé toutes les études ? Soyons « élitaires pour tous » comme le préconisait avec chaleur Antoine VITEZ ! Le service public de la culture doit enfin pouvoir s’appuyer sur le service public de l’éducation et réciproquement ! C’est une question de justice sociale, de solidarité, d’égalité des citoyens et de respect du droit à la culture pour tous. Or, l’éducation artistique et culturelle est perçue comme secondaire et se trouve condamnée à ne constituer que la variable d’ajustement des politiques éducatives, alors qu’elle est au centre de la vie, de l’humain.

En ce qui concerne la télévision, il n’est pas besoin de faire la démonstration qu’elle pourrait être un outil pédagogique capital d’accès à la culture et aux savoirs et générer une formidable appétence. Tout le monde la regarde et de plus en plus longtemps. En se spécialisant, les chaînes ont contribué à fabriquer des ghettos. Pire : les magazines culturels de plus en plus rares sont relégués à des heures tardives, les sujets culturels ont quasiment disparus des journaux télévisés, pourtant le rendez-vous le plus fréquenté du petit écran.

Enfin, nous assistons à une véritable colonisation du culturel par le marché qui menace la liberté de création artistique et son indispensable pluralisme. Et ne nous y trompons pas, la course effrénée à l’audience est synonyme de censure. L’art n’existe pas pour faire l’unanimité. Au contraire et c’est aussi l’une de ses raisons d’être, il invite au débat, à la confrontation, suscite un espace de partage qui s’oppose à la fusion « uniformisante » et s’enrichit des diversités et du pluralisme.

La question, qui en fait est fondamentale, cruciale : la société en 2013 est-elle prête à accueillir l’art contemporain, se l’approprier, s’en faire une force de réflexion pour tous quelle que soit sa situation géographique ou sociale ?

C’est pourquoi, je n’accepte pas qu’on nous dise que la culture coûte cher. Certains experts, certains comptables supérieurs, arrogants et glacés nous parlent toujours du coût de la culture, mais se gardent bien de se poser la question du coût de l’absence de culture. On le voit dans nos quartiers en difficulté.

Il y a ceux qui disent qu’ils aiment l’art, la culture, les artistes et dans le même temps, ils leur coupent les vivres. Cela nous renvoie à Jacques PREVERT, dont vous connaissez l’insolence et l’impertinence, qui sont d’ailleurs des valeurs de la démocratie qui disait à la femme aimée : « Tu dis que tu aimes les fleurs et tu leur coupes la queue, alors quand tu dis que tu m’aimes, j’ai un peu peur »

Face à la mondialisation libérale, comment ne pas voir que la diversité culturelle est de plus en plus menacée par les lois du marché, d’un marché « sans conscience ni miséricorde » pour reprendre l’expression du Prix Nobel Octavio PAZ.

Nous avons aujourd’hui une impression de choix, mais l’abondance de l’offre ne signifie pas pour autant « diversité ». Et il n’est pas de diversité sans politique de la diversité.

C’est fondamental, car la diversité culturelle est un véritable patrimoine commun de l’humanité aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant. Sa défense est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne. Elle est un élément déterminant pour humaniser la mondialisation.

L’art et la culture sont le socle pour mieux construire le monde de demain. L’art, la création, l’imaginaire, l’émotion n’ont pas de frontières. Face à la mondialisation libérale qui désespère les hommes et les femmes, je plaide pour une « mondialité » en forme d’échanges dont la loi ne serait plus « le profit le plus profitable » mais les « équilibres du donner-recevoir ». La planète est devenue un gros village et il est essentiel aujourd’hui à la fois d’ « Agir dans son lieu, et de Penser avec le monde ! ». Le destin des peuples est désormais inextricablement lié comme en témoigne les effets néfastes de la crise financière ou les conséquences du réchauffement climatique qui frappent tout le monde sur tous les continents.

En un mot, l’art et la culture sont plus que jamais de véritables enjeux de civilisation et la condition même de notre civilisation. Face au communautarisme, au repli identitaire, l’art ne nous rappelle-t-il pas en permanence que nous faisons partie d’une communauté qui s’appelle l’Humanité ?

Le XXIème siècle a été à la fois celui de tous les tourments, de tous les espoirs et idéaux bien souvent bafoués, de toutes les tempêtes et de toutes les aspirations, où le meilleur de l’homme a côtoyé les pires horreurs.

 Le XXIème siècle a débuté en portant les mêmes contradictions. Les artistes ont contribué à maintenir debout un monde qui a beaucoup titubé. Ils aident, parfois « avec une vitalité désespérée » pour reprendre la belle expression du poète et cinéaste italien Pasolini, les hommes à se dépasser.

La culture et les arts sont des armes de construction massive !

Il faudra bien un jour sortir de la démarche trop répandue, qu’il est fatal qu’il soit fatal que la culture soit toujours traitée après, que ce soit au niveau local, national ou européen, avec son budget timbre-poste ou plutôt confetti alors qu’elle est au centre de la vie, qu’elle est la réponse de civilisation aux difficultés et aux crises. Pour reprendre André Malraux, « l’art est le plus court chemin qui mène de l’homme vers l’homme ».

Et l’intelligence est la première ressource de notre planète qui l’oublie trop souvent.

Les artistes nous disent en permanence que la création est une mémoire en avant.

Et heureusement qu’ils sont là les artistes, les créateurs, dans leur diversité. Ils nous aident à vivre, à aimer, à ne pas mépriser les rêves, à poser la seule question qui vaille : dans quel monde voulons-nous vivre demain ? Ils nous rappellent également que le bonheur reste une idée neuve.

Je vous remercie et souhaite vous avoir apporté de nouvelles raisons de construire, non pas le meilleur des mondes qui débouche sur le totalitarisme, mais un monde meilleur. Et c’est déjà pas mal.»

Festival de Radio France : Sur le thème musique et pouvoir

La photo de l'affiche de l'édition 2013

Festival de Radio France. La 29e édition de l’événement musical régional se tiendra du 11 au 25 juillet. 200 concerts dont 90% sont gratuits devraient mettre en valeur l’ensemble du territoire.

Le festival de Radio France et Montpellier Languedoc- Roussillon battra son plein du 11 au 25 juillet prochain. C’est la 29e édition de cette manifestation et la seconde pour son directeur Jean-Pierre Le Pavec. La conférence de presse de présentation de cet événement comporte généralement une double dimension : elle donne l’occasion de faire le point entre les différents partenaires concernés et permet à la Région, qui assure les deux tiers du financement, de faire valoir son orientation. L’autre partie est consacrée à la présentation de la programmation.

Concernant la dimension politique, Hélène Mandroux et l’adjoint à la culture Philippe Saurel pour la Ville, Jean-Pierre Moure et son adjointe à la culture Nicole Bigas côté Agglo, ont brillé hier par leur absence, tandis que le vice-président du conseil général Jacques Atlan s’est efforcé de rester consensuel, ne pouvant cependant retenir quelques bons mots : « Le festival est bienvenu. Lorsqu’on est dans le Domaine d’O, on peut presque se passer d’argent. » Ce à quoi le président Bourquin lui a plaisamment répondu : « Nous n’avons aucune objection à ce que vous gardiez votre O pour y substituer des espèces sonnantes et trébuchantes. » Au-delà de ces petites passes d’armes entre amis, le président de Région a affirmé son souci de décentraliser le festival dans l’ensemble du territoire régional et de maintenir sa vocation de service public à travers la gratuité. « 90% des concerts sont gratuits ». Il a aussi réaffirmé son plein soutien à J-P. Le Pavec pour tenir la feuille de route. Celui-ci manifestant ostensiblement ses bonnes relations avec le directeur contesté de l’Orchestre et opéra de Montpellier, Jean-Paul Scarpitta, présent dans la salle.

Après le duo Frêche Koering, l’avenir du festival semble désormais reposer sur le duo Bourquin Le Pavec. Si le modèle de gouvernance reste inchangé, la nature de la programmation elle, varie. Le nouveau directeur affirme vouloir maintenir la présentation d’œuvres inédites qui fait l’identité du festival de Radio France. Dans ce registre, on retient le concert d’ouverture Mass de Mass, qui sera l’un des temps forts de l’événement. «Mass, commande de Jacky Kennedy, est une oeuvre qui allie symbolique, électroacoustique, jazz, gospel, rock, pop, dans une emballante mosaïque musicale à l’image de la mosaïque des peuples qui composent les Etats- Unis d’Amérique », précise Jean- Pierre Le Pavec. Reste que son : « Nous essayons d’avoir des idées » manque un peu d’audace. A l’instar de l’affiche, on ne peut plus figée dans l’académisme, la programmation patine un peu trop sur les autoroutes.

Un retour sur la musique baroque méditerranéenne Au titre de la lisibilité et de la logique de programmation, le choix thématique a été à nouveau retenu. On comprend mal pourquoi le choix des thèmes recoupe quasiment celui de l’année dernière comme la séquence violon avec Renaud Capuçon en tête d’affiche, même si celui-ci n’a pas déçu l’an passé. On poussera volontiers notre curiosité vers le volet méditerranéen qui propose un retour sur la musique baroque médi- terranéenne sous la direction de Christina Pluhar.

La thématique Musique et pouvoir devrait être l’occasion de rappeler qu’il est important que les territoires respectifs des politiques culturelles et des programmations artistiques préservent leur autonomie, ce qui ne signifie pas forcément l’indépendance.

JMDH


Programmation complète sur www. festivalradiofrancemontpellier.com

Source : L’Hérault du Jour 11 /04/2013

Voir aussi : Rubrique Politique culturelle, rubrique Musique, rubrique Festival, Festival de Radio France,

Antoine Sfeir :  » On est loin du plan Marshall pour le Sahel « 

antoine sfeir pays_sipa

Le politologue franco-libanais Antoine Sfeir, est le directeur fondateur des Cahiers de l’Orient. Il est l’auteur de  » L’islam contre l’islam L’interminable guerre des sunnites et des chiites « .

Dans votre dernier essai, vous décryptez le monde arabe à travers la fracture chiites/ sunnites. Qu’apporte cet éclairage et pourquoi est-il si peu mis en avant ?

C’est un prisme de lecture qui devient incontournable parce qu’il donne des clés essentielles de compréhension. La question de la désinformation est liée au recul de la culture générale. Tout commence à l’école dans le rapport que nous avons avec les autres.

Comment masque-t-on son ignorance ?

En mettant en exergue les lieux communs. Nous sommes actuellement en guerre au Mali. Sommes-nous informés ? On nous inonde d’images martiales et d’interventions diverses
mais on ne dit rien sur les véritables enjeux, sur la culture des populations concernées, sur leurs composantes politiques économiques, sociologiques…

Au-delà de la dimension historique que vous abordez dans l’ouvrage, quelles sont les traits philosophiques à distinguer entre ces deux grands courants de l’islam ?

Dans le sunnisme, l’effort d’interprétation des textes sacrés s’est arrêté depuis le XI e siècle. Ce courant considère que la révélation est close avec la parole du prophète Mahomet. Tandis que les chiites poursuivent l’interprétation de manière permanente à travers les imams en attendant le retour de Mahdi, l’imam caché.

Le sunnisme se considère comme un aboutissement. Tout recul est impossible. Le changement d’apostolat peut être sanctionné par la peine de mort. Je tire mon chapeau aux musulmans sunnites qui font leur propres interprétations. Autrement dit l’alliance de l’Occident avec les sunnites wahhabites depuis 1945 est une erreur stratégique.

En 1979, la révolution iranienne réveille la fracture entre chiites et sunnites que vous qualifiez aujourd’hui de guerre mondiale…

Avec l’émergence de la République islamique iranienne, les chiites trouvent leur «Vatican». Après avoir été longuement opprimés, ils relèvent la tête. Afghanistan,Pakistan, Turquie, Inde, Irak, Syrie, Koweît, Bahreïn, Iran, Chine… sont autant de pays où s’affrontent
les sunnites et les chiites, sans parler des luttes entre les quatre grands courants sunnites.

L’antagonisme s’est rallumé en Afghanistan, berceau de la montée en puissance de Ben Laden. Dans ce conflit mondial l’Occident à du mal à donner des leçons. Il a toujours instrumentalisé les parties à son profit, et l’histoire se répète.

Quelle alternative voyez-vous à Bachar El-Assad ?

Tout le monde prédit la chute du régime syrien mais cette optique n’est pas vraiment d’actualité. Ayant été enlevé et torturé sur ordre de son père, je suis le premier à la souhaiter mais deux ans après l’ouverture des combats, on constate une relative passivité de la communauté internationale. Assad conserve des partisans au sein de la population et des alliés de poids comme la Russie, la Chine et l’Iran.

La reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat observateur de l’ONU n’empêche pas l’étouffement économique de Gaza…

C’est vrai, Israël poursuit la colonisation et fait blocus sur l’économie. Mais aujourd’hui, la stratégie palestinienne est de dire : Si nous ne parvenons pas à développer notre Etat, nous demandons la nationalité israélienne et les projections de Gaza et de la Cijordanie
indiquent que les Palestiniens seront les plus nombreux.

Vous ne donnez aucun crédit à la thèse d’une intervention armée en Iran…

C’est une affabulation. Il n’y a que Netanyhaou pour y penser. Avez-vous déjà vu Israël annoncer à l’avance qu’elle allait frapper ? J’ai croisé il y a peu un dirigeant israélien dans l’antichambre du président Ahmadinejad. Alors que je m’étonnais de sa présence, il m’a répondu: que croyez-vous, il n’y a pas une journée depuis 1979 où le contact ait été rompu…

Netanyhaou est isolé et Israël n’est plus dans le cours de l’histoire. Appuyé par Bagdad, Damas, Tyr, l’Iran est devenu pour la première fois, une vraie puissance méditerranéenne.
C’est un cadeau du ciel et des Etats-Unis. L’indépendance énergétique des Etats-Unis liée au gaz de schistes modifie en profondeur la stratégie américaine au Proche-Orient.

L’alliance historique avec les sunnites pourrait-elle s’inverser au profit des Chiites ?
Difficile de le dire, ce retrait prévisible à l’horizon 2015/2016 pourrait aboutir au démantèlement de l’Arabie Saoudite comme cela s’est passé en Syrie ou au Liban. Cette indépendance pourrait amener les Américains à mettre en place une stratégie reposant sur de petites entités alliées comme Israël, l’Iran, la Turquie…

Le retrait américain laisse la France et L’UE face à la problématique ?

Vue des pays arabes l’UE n’existe pas au-delà du guichet de subventions. C’est une vrai question, saura- t-elle bâtir une architecture de diplomatie et de sécurité ou continuera-t-elle à utiliser la diplomatie du chéquier ?

Où va la France au Mali ?

Au départ, François Holande faisait entendre à tout le monde qu’il n’irait pas. Il a attendu que l’ensemble de ses alliés se déclarent favorables à l’intervention française pour prendre sa décision. Il a même réussi à convaincre Bouteflika qui a suivi face à l’unanimité.

L’objectif déclaré est de libérer le Nord du Mali. Y arrivera-t-il ?

Cela reste une question. Car il ne s’agit pas de répéter ce qui s’est passé en Lybie : libérer, tuer, s’en aller. Il faut accompagner le Mali qui doit parvenir à la sédentarisation
des Touaregs et leur donner les moyens de se défendre.

Nous sommes encore loin du cahier des charges qui suppose la mise en oeuvre d’un plan Marshall pour tous les pays du Sahel.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

L’islam contre l’islam, éditions Grasset 17,90

Source : La Marseillaise 26/01/2013

Voir aussi : Rubrique Moyen-Orient, rubrique Géopolitique, rubrique Rencontre, rubrique Afrique, Mali, rubrique Livre,

«Insécurité culturelle» et différentialisme de gauche

Par Valéry Rasplus, Sociologue et Régis Meyran , Anthropologue

Après la Droite populaire, c’est au tour aujourd’hui de la Gauche populaire d’utiliser des concepts socio-anthropologiques qui pourraient s’avérer glissants. La Gauche populaire est un jeune collectif d’intellectuels, initié par le politologue Laurent Bouvet, qui explique la montée du vote pour le Front national dans la récente élection présidentielle non seulement par «l’économique et le social» mais encore, et c’est là sa trouvaille, par des «variables culturelles» telles que «la peur de l’immigration, des transformations du « mode de vie », de l’effacement des frontières nationales». Cette idée, défendue dans un texte issu du blog du collectif, tenu par Laurent Macaire (1), débouche sur une conclusion quelque peu alambiquée, faisant foi d’hypothèse politique, mais clairement centrée sur l’idée que «l’insécurité culturelle» doit être prise en compte par la gauche : « L’insécurité culturelle n’est pas un thème identitaire destiné à masquer la question sociale comme le ferait la Droite populaire, mais relève d’une question économique qui a une implication culturelle.»

Cette démarche témoigne de la banalisation et de la sous-estimation d’un certain type d’idées culturalistes qui traversent désormais une grande part du spectre politique. Elle se fonde en outre sur une utilisation assez malvenue de la notion de culture. En effet, grâce à une opération sémantique qui tient de la magie, la peur de l’immigration est présentée comme une «variable culturelle». Un sentiment de peur, dont on sait à quel point il est labile, à quel point il peut être instrumentalisé, devient une réalité : la peur de l’immigration se trouve incrustée dans la culture.

Que penser de cette hypothèse d’«insécurité culturelle» ? Notons d’abord que la question de l’idéologie est passée à la trappe : si des personnes manifestent un sentiment de peur de l’immigration, ce n’est pas pour autant que cette peur est justifiée, et la somme des opinions contradictoires, comme l’ampleur des débats sur le sujet, nous montrent qu’on est bien loin d’être dans la réalité avérée d’une immigration en soi menaçante. Par ailleurs, nous pourrons rappeler que le concept scientifique de culture, tel qu’il est consensuellement admis en anthropologie sociale, a été élaboré par l’Anglais E. B. Tylor à la fin du XIXe siècle et reformulée par Claude Lévi-Strauss au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, malgré le flou relatif à la définition, les anthropologues et les sociologues conviennent par commodité, à la suite de Tylor, qu’une culture est constituée d’un ensemble de savoirs, de croyances, d’arts, de morale, de lois et, à la suite de Lévi-Strauss, qu’elle s’organise en système cohérent, à l’image des langues. Or, la notion a été fabriquée pour analyser des cultures exotiques et traditionnelles, qui vivaient dans un temps relativement cyclique, en tout cas en marge des grands bouleversements historiques qui accélérèrent le rapport des peuples à l’histoire. Cette notion est du coup assez difficilement applicable à la France, pays d’immigration de longue date, où se mélangent des cultures diverses. Mais admettons, en forçant le trait, qu’il existe une culture française dominante, en perpétuelle évolution, centrée sur la langue et l’histoire (qui comprend d’ailleurs l’histoire de l’immigration). La peur de l’immigration, sentiment récent qui remonte à la IIIe République, revient certes dans les périodes de crise, étant instrumentalisée par des idéologues afin de capter un électorat souvent en perte de repères sociaux. Toutefois, on ne voit pas en quoi elle constituerait une variable culturelle, si on s’en tient à la définition ci-dessus. Le sentiment de peur est une croyance anormale, qui ne structure pas la société française. La peur, véritable pathologie sociale, ne fait pas partie de la culture, elle ne participe pas au maintien à l’équilibre du système culturel.

Par ailleurs, il existe un autre dérapage idéologique visant à présenter la xénophobie comme un sentiment acceptable voire normal, selon une lecture faussée d’un texte célèbre de Lévi-Strauss. Nous nous référerons à un autre article du blog de la Gauche populaire dans lequel est commis un abus d’interprétation : il est écrit que Lévi-Strauss aurait «montré» que «l’esprit de fermeture et l’hostilité envers l’étranger sont des propriétés inhérentes à l’espèce humaine, [débouchant] donc sur une forme de xénophobie, qui protégerait les sociétés de l’uniformisation, et assurerait donc leur pérennité». Le texte auquel il est fait allusion est Race et Culture (1971). Claude Lévi-Strauss y présente comme acceptable l’ethnocentrisme, c’est-à-dire le rejet de l’autre et la fidélité à ses propres valeurs culturelles qui, selon lui, permet d’éviter l’uniformisation culturelle généralisée. Le texte a suscité des réactions critiques, pourtant il est de même teneur que Race et Histoire (1952), célèbre manifeste contre le racisme. Car, pour Lévi-Strauss, il est nécessaire de respecter les particularités de chaque culture, sans les enfermer dans une identité cloisonnée ou une identité nationale figée, qui mène droit à la xénophobie et au racisme. Il écrivait ailleurs qu’il n’y a pas de monoculture et que «toutes les cultures résultent de brassages, d’emprunts, de mélanges». Finalement, si Lévi-Strauss réhabilite l’ethnocentrisme, il ne considère pas pour autant, loin s’en faut, que tous les peuples de la Terre sont par nature xénophobes ! Quant à la xénophobie, elle peut varier, quand elle existe, en nature et en concentration selon les époques, et se développe surtout dans les moments de crise. Bref, ce n’est pas une catégorie universelle comme on voudrait nous le faire croire.

Avec cette hypothèse, la Gauche populaire use ici d’une lecture déformée de Lévi-Strauss et elle s’avance dans le terrain quelque peu miné du différentialisme culturel : faut-il considérer que la culture d’un peuple doit être préservée, et que la xénophobie comme la peur de l’immigration sont des traits normaux d’une culture qui permettent qu’elle conserve ses spécificités et ne s’abîme dans l’uniformisation au contact des autres cultures ? En s’engouffrant dans l’hypothèse, encore en développement, de l’«insécurité culturelle», la gauche populaire pourrait légitimer l’usage du différentialisme culturel à gauche.

(1) http://gauchepopulaire.wordpress.com/

Valéry Rasplus Sociologue , Régis Meyran Anthropologue

 

Voir aussi : Rubrique Rencontre Jean Ziegler, Tzvetan Todorov, Michela Marzano, Jacques Broda, Jean-Claude Milner, rubrique Philosophie, Judith Butler, Daniel Bensaïd, rubrique Débat Où sont les politiques ? ,

Indiens d’Amérique: un génocide tranquille et presqu’achevé

Les Etats-Unis ne voient pas d’un bon oeil que le sort des Indiens d’Amérique soit pour la première fois à l’ordre du jour des Nations-Unies. Car il s’agit de se pencher sur le sort d’une population de 2,7 millions d’habitants ravagés par une multitude de fléaux et dans des proportions effroyables. Mais qu’en attendre? Car la parole de ces exterminés est inaudible.

Native-american-poverty

Native american poverty

Un jour d’avril 1973, un militant noir américain pour les droits civiques, Ray Robinson, qui a longtemps suivi Martin Luther King, débarque à Wounded Knee, dans le Dakota du Sud. Il souhaite apporter son soutien à la cause des « Native Americans », ainsi que l’on nomme les Indiens aux Etats-Unis, qui manifestent contre les injustices dont ils sont victimes dans le pays. Wounded Knee est un lieu emblématique et de sinistre mémoire. C’est là, en effet, que furent massacrés et jetés dans une fosse commune entre 150 et 300 hommes, femmes et enfants au matin du 29 décembre 1890, par le 7ème régiment de Cavalerie du Colonel James Forsyth. Sitôt arrivé dans ces lieux où résident toujours une petite communauté indienne, Ray Robinson appelle sa femme qui lui demande de rentrer à la maison, inquiète car elle sait que la situation sur place est explosive. Elle ne le reverra jamais. Après avoir reçue l’annonce de la mort de son époux, Cheryl n’a jamais pu savoir ce qui était arrivé à son mari ni où son corps avait été enterré.

Voilà quelques jours, quarante ans plus tard, Cheryl a fait le voyage de Détroit à Sioux City pour témoigner de son histoire. Le gouvernement américain refuse toujours de communiquer sur le sort de son mari, officiellement parce que le cas est toujours en cours d’investigation par le bureau du FBI de Minneapolis. A Wounded Knee, plus personne ne se souvient de Ray Robinson. Une épisode parmi tant d’autres dans l’histoire des militants de la cause des Indiens d’Amérique, qui n’a jamais bénéficié d’un large soutien populaire et que beaucoup voudraientt voir s’éteindre.

Et de fait, cynisme et indifférence se conjuguent pour ensevelir année après année la mémoire des peuples indiens presqu’entièrement anéantis en Amérique du Nord.

On ne va pas le nier, les Apaches, les Cheyennes, les Iroquois, les Sioux ou les Esquimaux ne nous inspirent pas, la plupart du temps, un sentiment extrême de culpabilité. Mais ce n’est rien comparé au pays du Western et de la Country. Pas plus que le Jazz ou le Blues ne suscitent leur part de tristesse chez leurs amateurs et ne réveillent chez eux les souvenirs tragiques des lynchages des Noirs, ces genres populaires ne renvoient à la réalité d’un génocide toujours en cours dans l’indifférence générale.

Lorsqu’un Américain de l’Illinois souhaite acheter ses cigarettes à bas prix (un paquet coûte ici actuellement 10 dollars), il prend la route du sud de l’Etat ou de l’Indiana voisin, pour s’approvisionner dans l’un des territoires octroyés aux tribus indiennes locales. Là, il paiera son paquet de cigarettes 4 dollars en moyenne. Dans un certain nombre de ces tribus, qui sont des milliers à travers les Etats-Unis, on peut également se procurer de l’alcool à bon marché, jouer au casino (dans 452 d’entre-elles) ou, si l’on se sent possédé par le mal (ce qui est très en vogue), consulter un shaman. Il est toujours très exotique de s’offrir une escapade dans ces drôles d’endroits. Pourtant, l’Américain moyen ne s’y risque pas trop.

En effet, 2,1 millions de ces Indiens, soit l’écrasante majorité, vivent largement sous le seuil de la pauvreté. La vision offerte par bien des campements tient purement du bidonville. Et une fois passé ses limites, c’est un voyage en enfer qui commence. L’alcoolisme y prend des proportions catastrophiques. Le chômage y bat tous les records du pays. La maladie s’y propage et tue comme dans les pires zones de la planète. Le suicide, celui des jeunes en particulier, crève le plafond des statistiques. Les Indiens vivant à l’extérieur des tribus n’y reviennent eux-mêmes que pour se faire soigner lorsqu’ils n’ont pas, chose courante, accès au système de santé américain.

Anthony B. Bradley est Professeur de Théologie au King’s College de New York et Spécialiste des questions raciales aux Etats-Unis. « Si quiconque pense que le gouvernement fédéral sait ce qui est bon pour les communautés locales, explique t-il, il ferait bien de visiter une Réserve Indienne Américaine. Les Natifs Americains [Indiens d’Amérique, NDA] sont aujourd’hui plongés dans le cauchemar de la privation de soins et d’économie qui est la conséquence directe des problemes crées par le Gouvernement lequel, en imposant des solutions sensees résoudre les problemes, rend ceux-ci bien pires en retirant aux communautées leur autonomie. »

Tel est le prix à payer pour les Indiens d’Amérique, afin de rester sur la terre de leurs ancêtres, grâce aux concessions faites par le gouvernement fédéral. Pourtant, les Etats abritant ces réserves n’ont de cesse de rogner ces droits et de tenter de récupérer par tous les moyens ces espaces.

Pire, une certaine propagande laissant entendre que les Indiens d’Amérique auraient fait le choix de vivre dans ces conditions a fort bien fonctionné dans l’esprit collectif. Or, cela repose sur une contre-vérité historique.

L’une des plus graves violations des Droits de l’Homme dans le monde

Photo Fiona Watson / Survival

Photo Fiona Watson / Survival

En effet, peu rappellent le grand mouvement de délocalisation qui fut la conséquence de l’Indian Removal Act [Loi sur le Retrait Indien, NDA] lequel, au milieu du XIXe siecle, contraint les Indiens à délaisser leurs terres historiques au gouvernement pour se concentrer dans les zones qui leur étaient réservées en échange. En 1890, il était devenu interdit aux Indiens de sortir hors de leurs réserves afin de s’approvisionner en nourriture. Une étude du Professeur Jeffrey E.Holm, de l’Université de Médecine du Nord Dakota, a mis en évidence que le changement de régime alimentaire imposé durant des décennies aux tribus indiennes a engendré une surmortalité aujourd’hui toujours existante, en raison des pathologies qu’elles ont engendrées pour des peuples qui ne pouvaient plus se nourrir comme ils l’avaient fait durant des millénaires.

En 2010, les Etats-Unis, dans la foulée du Canada, fut le dernier pays au monde à ratifier la Déclaration des droits des Peuples indigènes aux Nations-Unies. Une des rares concessions faites par un pays qui place souvent l’Histoire au dernier rang de ses préoccupations, si ce n’est pour en offrir une version idéalisée. Mais en l’espèce, il est impossible d’idéaliser la réalité sur laquelle s’est construite l’Amérique. En effet, 90% des tribus amérindiennes ont disparu à la suite de l’arrivée des Européens en Amérique du Nord, la plus grande partie à cause des maladies, la partie restante par les armes.

Mais ce n’est pas tant cette réalité historique qui rend ces jours-ci le rôle du Professeur James Anaya complexe, en tant que Rapporteur spécial des Nations-Unies sur les Peuples indigènes. Bien que, pour la première fois de leur histoire, l’organisation se penche, du 23 avril au 4 mai, sur le sort des Indiens d’Amérique, ce qui en soit est déjà un événement notable, c’est avant tout pour regarder en face une réalité qui n’est pas celle du passé mais celle du présent.

Cette réalité concerne les 2,7 millions d’Indiens vivant actuellement sur le territoire des Etats-Unis, et qui constitue l’un des cas de violation des droits de l’homme a grande échelle le plus emblématique de toutes les nations développées.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes:

  • Les Indiens d’Amérique vivent en moyenne 6 ans de moins que les autres Américains
  • Ils ont 770% de risques en plus de mourir d’alcoolisme
  • Ils ont 665% de risques en plus de mourir de Tuberculose
  • Ils ont 420% de risques en plus de mourir de Diabète
  • Ils ont 280% de risques en plus de mourir d’accidents
  • Ils ont 52% de risques en plus de mourir de Pneumonie et de Grippe

(Source: Commission des Etats-Unis sur les Droits Civils, 2004:8)

Un Apartheid constitutionnel

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Les Indiens d’Amérique se sont vus accorder la citoyenneté américaine en 1924. Mais ils ont pour longtemps encore été exposes au même sort que les Noirs américains, empêchés d’accéder à l’enseignement scolaire, victimes de la ségrégation.Ce n’est qu’en 1969 qu’ils se sont organises, dans la foulée de la loi sur les Droits civils des Indiens votée l’année précédente. C’est à cette époque qu’ils ont obtenu ce dont les Américains blancs jouissaient depuis deux siècles: la liberté d’expression et d’information, la protection contre les recherches et les arrestations arbitraires, le droit d’engager un avocat pour se défendre, la protection contre les punitions inhumaines et dégradantes, contre les cautions excessives, l’abolition de la peine systématique d’un an d’emprisonnement ou de 5000 dollars d’amende quel que soit le délit commis, le droit d’être jugé par un jury, et ainsi de suite.Mais à l’heure actuelle, aucun Indien d’Amérique, citoyen des Etats-Unis, n’a accès à la plénitude des droits des autres citoyens américains. Une réalité qui peut prendre des aspects accablants pour l’Administration américaine. Ainsi, le 6 novembre 2008, le Gouverneur du Dakota du Sud, Michael Rounds, décrète l’état d’urgence car son Etat est recouvert par une épaisse couche de neige et de glace qui le paralyse. Mais les réserves indiennes seront exclues du dispositif.

La guerre des Etats contre les Tribus

Mais le pire pour ces tribus à l’heure actuelle vient probablement de la pression des Etats pour s’accaparer leurs terres. Les conflits sont nombreux à travers tout le pays. Ils sont allumes sous divers motifs, comme la volonté du Gouverneur de New York, en 2007, d’étendre la taxation de l’Etat aux territoires de la Nation des Seneca, ce qui a engendre une violente bagarre juridique. Et bien que les territoires laisses aux Indiens soient pour la majorité pauvres en ressources et difficiles d’accès, leur contestation par les Etats qui les abritent sont de plus en plus courantes.

Toutefois, la pente naturelle démographique et sociologique suivie par cette population dont la Constitution américaine fait fi devrait se résoudre par le procédé le plus naturel du monde dans les décennies qui viennent: l’extinction.

Source : Marianne 2 26/04/12

Lire le rapport de l’Organisation Survival

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