A Montpellier, Diderot décrypte l’art contemporain de son temps

Diderot avait capté la virtuosité de David. Photo Rédouane Anfoussi

Présentée en première étape au Musée Fabre de Montpellier, jusqu’au 12 janvier 2014 l’exposition « Le Goût de Diderot » nous invite à suivre l’empreinte originale du premier critique d’art.

Alors que l’expo Signac se poursuit jusqu’au 27 octobre, s’est ouvert hier au Musée Fabre de Montpellier l’exposition d’automne Le goût de Diderot qui se tiendra jusqu’au 12 janvier. « Ces deux expositions d’importance démontrent un dynamisme rarissime pour un musée de province », se réjouit la déléguée à la culture de l’Agglo Nicole Bigas. Le compteur d’entrée qui indique 75 000 visiteurs pour Signac à un mois de la clôture, souligne l’attrait des visiteurs d’été pour cette proposition colorée. La célébration du tricentenaire de la naissance de Diderot s’inscrit dans un autre contexte. Elle répond avec pertinence à la problématique muséale récurrente de faire vivre ses collections permanentes. Ce que la dynamique événementielle des grandes expositions temporaires ne permet pas toujours.

Un rapport à l’histoire

Célébrer Diderot, qui fut un des premiers critiques d’art, ouvre une porte sur la mémoire et renoue avec une des vocations des musées : le rapport à l’histoire. Pour le directeur féru du classicisme français et de la peinture néoclassique Michel Hilaire, la célébration de Diderot est une fabuleuse occasion de mettre en valeur les collections de la seconde moitié du XVIIIe dont le musée détient des œuvres particulièrement significatives. Celles-là même que Diderot célébra en son temps. Le réalisme saisissant restitué par le sculpteur des lumières Jean-Antoine Houdon dans son portrait de Voltaire en est un bel exemple. L’exposition a permis une rotation des œuvres néoclassiques du musée qui bénéficient assurément du réaccrochage.

Près de quatre-vingt peintures, sculptures, dessins et gravures de quarante-trois artistes sont réunis dans cette exposition.

Panorama recontextualisé de l’art français

Le parcours se ponctue d’œuvres des plus grands peintres (Boucher, Chardin, Greuze, Vernet, Vien, David…) et des plus grands sculpteurs (Pigalle, Falconet, Houdon, Allegrain…) de l’art français au temps de Diderot. Outre la qualité intrinsèque des œuvres, un des intérêts de l’exposition repose sur l’approche qu’en avait le philosophe pour qui elles faisaient jour dans un contexte marqué par l’attrait vers la nouveauté. L’expo qui invite le visiteur à suivre les jugements de Diderot s’inscrit dans un décalage temporel qui met en exergue les enjeux contemporains de la confrontation entre l’art, la morale et la politique.

Diderot fait ses premiers pas dans la critique artistique en 1759 dans le cadre de comptes-rendus des salons, expositions de peinture publiques organisés par l’Académie royale au Louvre.

Le philosophe débute avec une approche littéraire basant son interprétation à partir du sens. Il évolue en découvrant les artistes et la technicité de l’art ce qui modifie son approche en profondeur. L’expo s’organise par regroupements thématiques autour de trois valeurs chères à l’encyclopédiste. La vérité qu’il décrit quand il évoque l’expression de la chair des sculptures de Jean-Baptiste Pigalle. La poésie que Diderot retrouve dans les capacités sublimatoires d’artiste comme Vien et David : « l’artiste doit exprimer le plus profond des sujets qu’il traite ». La magie enfin, que rend Vernet dans une oeuvre comme Tempête avec naufrage d’un vaisseau en « abolissant la frontière entre l’art et la réalité. » Une vision des Lumières à découvrir…

Jean-Marie Dinh

Le Goût de Diderot à Montpellier, jusqu’au 12 janvier 2014, puis à Lausanne, à la Fondation de l’Hermitage, du 7 février au 1er juin 2014.

Source La Marseillaise 05/10/2013

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Jean-Marie Besset Le frondeur insoumis

 

Depuis l’annonce de sa non-reconduction au CDN, le directeur du théâtre des Treize vents mène un combat d’homme libre » contre une décision politique.

Nommé il y a trois ans sans appel d’offres à la tête du CDN avec la bénédiction active du ministre de la Culture, Freédéric Mitterrand et le soutien de Georges Frêche, Jean-Marie Besset devrait être éconduit par les services d’Aurélie Filippetti à l’issue de son premier mandat. Depuis l’annonce de cette nouvelle, courroucé par cette « inique » décision, le directeur des 13 Vents oublie ses bonnes manières pour se dévoiler sous la facette de l’insoumission. Il menace d’attaquer la ministre en justice et prend à partie les tutelles locales. Le 11 avril dernier lors du comité de suivi réunissant les différentes tutelles du CDN, figurait à l’ordre du jour un appel à candidature pour un nouveau directeur. « Cela m’a contraint à réagir, affirme Jean-Marie Besset actuellement sur le tournage du dernier film d’Alain Resnais dont il a signé l’adaptation. Dans le Figaro du 2 avril la ministre de la Culture se disait prête à me rencontrer…»

La position des tutelles

J-M Besset décide de passer à l’offensive. Il assigne Aurélie Filippetti devant le Conseil d’Etat « pour sanctions disciplinaires déguisées et non fondées », et entame une campagne médiatique pour dénoncer une chasse aux sorcières en prenant les tutelles locales à partie. « Je n’ai pas démérité. Habituellement, la reconduction est tacite. Ce débarrasser ainsi d’un directeur sans faute grave, on n’avait jamais vu ça.» Le président de Région, Christian Bourquin reconnait le travail mené par Jean-Marie Besset en direction du public mais déclare qu’il a suivi la position de l’Etat et de l’Agglo, compte tenu de la hauteur de l’implication financière régionale*. « L’Etat pèse de façon conséquente et peut jouer les gendarmes, concède la responsable culturelles de l’Agglo, Nicole Bigas. Mais sur le fond je pense que la raison l’emporte et que M. Besset va trop loin. Il ne peut prendre en otage les spectateurs. »

Le directeur régional des affaires culturelles, Alain Daguerre de Hureaux évoque « une position partagée par l’ensemble des tutelles, et confirme, qu’elles travaillent à la définition du profil pour l’appel à candidature qui est fermement établi.» Concernant la procédure, le Directeur des affaires culturelles qui a fait une courte carrière dans les tribunaux administratifs précise : « on ne peut assigner ainsi un ministre devant le Conseil d’Etat qui juge des actes et pas des personnes. La juridiction compétente c’est le tribunal administratif. Pour l’heure l’acte est exécutoire. » Jean-Marie Besset a finalement dépose? un référé au TA de Montpellier qui devrait statuer d’ici la fin du mois de mai. S’il obtient l’annulation de la décision, l’appel d’offres serait suspendu pour un an.

Dans son combat digne du grand héros de Cervantès, Jean-Marie Besset s’appuie sur quelques maladresses. « Dans le rapport, on me reproche d’être incapable de corriger ma façon de penser. Je n’aime pas les conflits mais l’injustice ne passe pas. Les fonctionnaires doivent être nommés aux service des artistes et pas l’inverse. Je suis un homme de théâtre au service de la liberté. Je suis libéral en matière d’économie et en matière de moeurs. Je ne fais pas de politique. Je défends la liberté de l’individu. »

L’évaluation du travail artistique demeure, on le sait, subjective. On doit reconnaître à Jean-Marie Besset d’avoir ouvert certains pans de sa programmation à un théâtre innovant et peu joué dans le réseau des CDN. Il a aussi opéré des choix confortant le public bobo et bourgeois. Mais s’il a raison de dénoncer certaines orientations tortueuses de l’institution , ce diplômé de sciences-po n’est pas un homme ingénu. En ce sens, les conditions de sa nomination peuvent paraître aussi exceptionnelles que celles de sa non reconduction.

Jean-Marie Dinh

* L’Etat concourt au financement du CDN à hauteur de 1,5 M, l’Agglo de 750 000 euros et la Région de 300 000 euros.

voir  aussi : Rubrique Théâtre, Besset donne le change, Rubrique Politique culturelle,

Festival de Radio France : Sur le thème musique et pouvoir

La photo de l'affiche de l'édition 2013

Festival de Radio France. La 29e édition de l’événement musical régional se tiendra du 11 au 25 juillet. 200 concerts dont 90% sont gratuits devraient mettre en valeur l’ensemble du territoire.

Le festival de Radio France et Montpellier Languedoc- Roussillon battra son plein du 11 au 25 juillet prochain. C’est la 29e édition de cette manifestation et la seconde pour son directeur Jean-Pierre Le Pavec. La conférence de presse de présentation de cet événement comporte généralement une double dimension : elle donne l’occasion de faire le point entre les différents partenaires concernés et permet à la Région, qui assure les deux tiers du financement, de faire valoir son orientation. L’autre partie est consacrée à la présentation de la programmation.

Concernant la dimension politique, Hélène Mandroux et l’adjoint à la culture Philippe Saurel pour la Ville, Jean-Pierre Moure et son adjointe à la culture Nicole Bigas côté Agglo, ont brillé hier par leur absence, tandis que le vice-président du conseil général Jacques Atlan s’est efforcé de rester consensuel, ne pouvant cependant retenir quelques bons mots : « Le festival est bienvenu. Lorsqu’on est dans le Domaine d’O, on peut presque se passer d’argent. » Ce à quoi le président Bourquin lui a plaisamment répondu : « Nous n’avons aucune objection à ce que vous gardiez votre O pour y substituer des espèces sonnantes et trébuchantes. » Au-delà de ces petites passes d’armes entre amis, le président de Région a affirmé son souci de décentraliser le festival dans l’ensemble du territoire régional et de maintenir sa vocation de service public à travers la gratuité. « 90% des concerts sont gratuits ». Il a aussi réaffirmé son plein soutien à J-P. Le Pavec pour tenir la feuille de route. Celui-ci manifestant ostensiblement ses bonnes relations avec le directeur contesté de l’Orchestre et opéra de Montpellier, Jean-Paul Scarpitta, présent dans la salle.

Après le duo Frêche Koering, l’avenir du festival semble désormais reposer sur le duo Bourquin Le Pavec. Si le modèle de gouvernance reste inchangé, la nature de la programmation elle, varie. Le nouveau directeur affirme vouloir maintenir la présentation d’œuvres inédites qui fait l’identité du festival de Radio France. Dans ce registre, on retient le concert d’ouverture Mass de Mass, qui sera l’un des temps forts de l’événement. «Mass, commande de Jacky Kennedy, est une oeuvre qui allie symbolique, électroacoustique, jazz, gospel, rock, pop, dans une emballante mosaïque musicale à l’image de la mosaïque des peuples qui composent les Etats- Unis d’Amérique », précise Jean- Pierre Le Pavec. Reste que son : « Nous essayons d’avoir des idées » manque un peu d’audace. A l’instar de l’affiche, on ne peut plus figée dans l’académisme, la programmation patine un peu trop sur les autoroutes.

Un retour sur la musique baroque méditerranéenne Au titre de la lisibilité et de la logique de programmation, le choix thématique a été à nouveau retenu. On comprend mal pourquoi le choix des thèmes recoupe quasiment celui de l’année dernière comme la séquence violon avec Renaud Capuçon en tête d’affiche, même si celui-ci n’a pas déçu l’an passé. On poussera volontiers notre curiosité vers le volet méditerranéen qui propose un retour sur la musique baroque médi- terranéenne sous la direction de Christina Pluhar.

La thématique Musique et pouvoir devrait être l’occasion de rappeler qu’il est important que les territoires respectifs des politiques culturelles et des programmations artistiques préservent leur autonomie, ce qui ne signifie pas forcément l’indépendance.

JMDH


Programmation complète sur www. festivalradiofrancemontpellier.com

Source : L’Hérault du Jour 11 /04/2013

Voir aussi : Rubrique Politique culturelle, rubrique Musique, rubrique Festival, Festival de Radio France,

Abstraction : Forces et richesse créatives de la seconde école de Paris

Hartung T 1964 R8

Exposition. Le Musée Fabre poursuit son exploration des grands courants artistiques qui ont jalonné le XXe siècle avec Les sujets de l’abstraction. A découvrir jusqu’au 25 mars 2012.

 

Entrer dans l’abstrait par le sujet n’est pas la moindre des gageures. C’est l’objet ou le pari de l’exposition accueillie au Musée Fabre jusqu’au 25 mars 2012. Le choix des 101 œuvres présentées est issu de la collection de la Fondation Gandur pour l’Art.

Après le Musée Rath de Genève, Montpellier s’inscrit comme la première étape internationale de cette éclairante exposition sur les partisans de l’expressionnisme abstrait de la seconde école de Paris.  Le Musée Fabre poursuit ainsi son exploration des grands courants artistiques qui ont jalonné le XXe siècle. Son directeur Michel Hilaire, et Nicole Bigas, en charge de la culture pour l’Agglomération de Montpellier, ont tous deux souligné le dialogue ouvert entre l’exposition accueillie et les collections contemporaines du musée. Une relation où les œuvres, de Nicolas de Staël, d’Hans Hartung,  de Vieira da Silva, de Serge Poliakoff et bien sûr celles de son principal thuriféraire à Montpellier, Pierre Soulage, trouvent de nouvelles perspectives.

Ecole nouvelle

Le terme Ecole de Paris est apparu dans les années vingt sous la plume du critique d’art André Warnod. Il désigne la situation spécifique à la capitale, foyer de création incontournable qui attirait nombre d’artistes étrangers à la recherche de conditions favorables pour développer leur art. Il a été reconduit après la deuxième guerre mondiale sous le vocable Seconde école de Paris qui fait référence à la liberté d’expression vécue conjointement dans les années de combat de la seconde guerre mondiale.

 

Schneider Opus 27 C

Resserrées entre 1946 et 1962, les œuvres présentées retracent l’histoire de la peinture non-figurative expressionniste. Le choix muséographique répond à plusieurs objectifs. Une certaine fidélité au collectionneur, la mise en exergue des liens avec la collection du Musée Fabre et la volonté du commissaire scientifique Eric de Chassey de contribuer à une réécriture de l’histoire de l’art de l’après guerre en sortant des querelles nationalistes.

« Seules les oeuvres peuvent assurer une transformation des regards, un renversement des a priori et l’établissement éventuel de nouvelles hiérarchies, y compris à l’intérieur de la Seconde École de Paris, qui réhabiliteront des artistes que leur époque ou la postérité a, jusqu’à présent, mal ou peu considérés. » Cette démarche cognitive s’affirme à travers le parcours qui s’émancipe de la chronologie comme le fil le plus cohérent.

Fécondité créative

L’exposition se développe en sections permettant de saisir la fécondité créative de différentes tendances dans lesquelles s’affirment les personnalités.

 

Zao Wou-ki.1961

Née de la recherche d’un nouveau langage, la Sarah (1943) de Jean Frautier, se confronte au primitivisme renouvelé porté par Jean-Michel Atlan ou Karel Appel. Un peu plus sage, mais non moins puissant, Nicolas de Staël transmet son monde intérieur avec Fleurs blanches et Jaunes (1953). Partout la subjectivité s’affirme de manière radicale. Simon Hantaï combat avec la matière en « utilisant la peinture contre lui-même et contre elle-même. » Hans Hartung évoque  sa passion pour la foudre avec T 1964-R8 en souhaitant saisir le zigzag de l’éclair pendant l’orage.

Chaque faction, chaque courant esthétique a ses représentants.  Le niveau supérieur s’ouvre sur le courant « Paysage » saisi par les effets subjectifs qu’il suscite chez les artistes. On y retrouve la sensibilité polysensorielle de la nature des artistes chinois Chu Teh-Chun et Zao Wou-ki. Avec Paris la nuit (1951), Maria Viera da Silva déploie un paysage mental scintillant et sophistiqué comme une partition musicale à interpréter avec le regard.

Le parcours se clôture par une section « Ruine » où les artistes assument la fin du tableau. Cela peut passet par une attaque directe de la surface picturale chez Lucio Fontana, ou par sa transformation en une matière brute chez Jean Dubuffet.

 

Salvadore Scarpitta, Trapped canvas, 1958.

Les sujets d’abstraction des artistes européens ont longtemps été dépassés par l’hégémonie culturelle new-yorkaise, et méprisés plus tard par le scepticisme des soixante- huitards  et de leur fameux slogan «Abstraction piège à con »

« Je me suis rendu compte que l’Europe avait oublié ses propres enfants. Pourtant, la souffrance européenne qu’ils exprimaient au sortir de la guerre, n’est pas la même que celle des Américains », explique le collectionneur Jean-Claude Gandur, dont la collection permet de redécouvrir la richesse de leur conquête plastiques. Un sujet qui en recoupe beaucoup d’autres.

Jean-marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Arts, Artistes méconnus de RDA, Cy Twombly tire un trait, rubrique Exposition, rubrique Montpellier,