Le Conseil de sécurité de l’ONU s’impatiente et tape du poing sur la table. Les protagonistes de la crise malienne sont priés de fumer le calumet de la paix. Le statu quo ne peut plus durer, avertit le chef de la mission des Nations Unies au Mali. Il constate avec regret que l’accord sur le désarmement des combattants signé par les différents groupes est resté lettre morte.
Face à la presse qu’il a reçue à Bamako, Mahamat Saleh Anadif, chef de la mission des Nations Unies au Mali, tire la sonnette d’alarme. Il met en garde les frères ennemis maliens contre les conséquences d’une guerre qui s’éternise dans ce pays sahélien, où la communauté internationale entretient une force de plus de 13.500 hommes qui coûtent la bagatelle d’un milliard de dollars à l’ONU.
«Les membres du Conseil de sécurité ont exprimé de façon claire leur impatience. Ils ont dit: « Nous allons renouveler ce mandat pour un an. Après, ce ne sera plus automatique. Nous allons voir comment vous allez faire dans la mise en œuvre de l’accord »». Une façon de dire que le statu quo ne peut plus continuer, précise le chef de la Minusma.
Gouvernement et groupes armés s’accusent mutuellement
Alors que le Mali est en campagne électorale pour la présidentielle prévue le 29 juillet, le gouvernement et les mouvements armés s’accusent mutuellement de bloquer la mise en application des accords de paix.
Les groupes armés multiplient les attaques contre la force internationale. Tirs de mortiers, voitures piégées, attaques suicides de combattants munis de ceintures d’explosifs, tous les moyens sont bons pour défier la Minusma et l’opération française Barkhane.
«J’avoue que je suis frustré par le fait que depuis deux ans, nous avons construit au moins huit camps pour le cantonnement des combattants des différents mouvements signataires. Mais jusqu’au jour d’aujourd’hui, ces camps demeurent toujours vides», déplore le chef de la mission onusienne.
Les sites de désarmement des combattants restent vides
Quelque 10.000 combattants appartenant à différents mouvements signataires de l’accord d’Alger étaient censés se regrouper dans huit sites pour être désarmés. Il n’en a rien été.
Face aux attaques des groupes djihadistes qui étendent leur rayon d’action bien au-delà du Mali, les experts estiment que le règlement de la crise malienne n’est pas pour demain. Certains n’hésitent pas à faire la comparaison avec l’Afghanistan.
«Les Américains ont tenté l’approche tout sécuritaire en Afghanistan: résultat, les talibans y sont plus forts que jamais», confie à l’AFP Bakary Sambe, directeur du groupe de réflexion Timbuktu Institute à Dakar. Il constate que les Français font de même dans le nord du Mali.
«Non seulement les djihadistes n’ont pas disparu, mais ils se sont multipliés. Comble du comble, le djihadisme a contaminé le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie», observe-t-il.
Dans ces conditions, la marge de manœuvre de la mission de l’ONU au Mali reste très étroite et la mise en garde lancée par le Conseil de sécurité aux belligérants ne devrait pas changer grand-chose.
«Le pouvoir malien n’est pas à la hauteur des enjeux»
A quatre semaines de l’élection présidentielle au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta a promis de «traquer les terroristes jusque dans leurs derniers retranchements». Mais certains partenaires du Mali ne sont pas du tout rassurés. Ils pointent le manque de volonté politique des responsables maliens.
«Il y a beaucoup de pays qui sont aux côtés du Mali pour sortir de cette instabilité sécuritaire, mais il faut aussi qu’il y ait une visibilité dans la situation politique. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas», tranche Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale française.
Interrogé par RFI, le parlementaire français pense que le pouvoir actuel malien n’est pas du tout à la hauteur des enjeux.
Nous connaissons actuellement des records historiquement élevés de déplacements. 65,6? millions de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer, soit un chiffre sans précédent. On compte parmi elles presque 22,5 millions de réfugiés dont plus de la moitié a moins de 18 ans.
Il existe aussi 10 millions de personnes apatrides qui ont été privées de nationalité et d’accès aux droits élémentaires comme l’éducation, les soins de santé, l’emploi et la liberté de circulation.
Dans un monde où près de 20 personnes sont déracinées chaque minute à cause des conflits ou des persécutions, notre travail au HCR est plus important que jamais.
Des migrants afghans à Calais, le 27 mai 2016. PHILIPPE HUGUEN / AFP
L’association demande à la France et à l’Europe de stopper leur politique de renvois vers ce pays où les civils ne sont plus protégés.
L’organisation Amnesty International demande, jeudi 5 octobre, un « moratoire immédiat » sur tous les renvois de migrants vers l’Afghanistan, où leur sécurité ne peut être garantie. Dans un rapport intitulé « Retour forcé vers l’insécurité » et basé sur une enquête de terrain, l’ONG rappelle que si 2016 a été une année record en matière de personnes tuées, 2017 suit la même pente.
« Jamais autant de civils n’ont été blessés, comme le soulignent les Nations unies, et parallèlement, jamais autant de renvois n’ont été effectués au départ de l’Europe », déplore Cécile Coudriou, vice-présidente d’Amnesty International France. « Désireux d’augmenter leur nombre d’expulsions, les gouvernements européens appliquent en effet une politique irresponsable et contraire au droit international. Ils exposent des hommes, des femmes et des enfants à des dangers tels que l’enlèvement, la torture ou la mort », a-t-elle ajouté mardi 3 octobre.
« Nous demandons au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, un moratoire immédiat sur tous les renvois vers l’Afghanistan. Nous demandons à l’Europe la suspension de tous les vols conjoints organisés par Frontex pour reconduire des Afghans depuis plusieurs pays d’Europe », a relayé Jean-François Dubost, responsable du programme de protection des populations au sein de l’organisation de défense des droits de l’homme.
Au sein de l’Union européenne, le taux de protection des Afghans est tombé de 68 % en septembre 2015 à 33 % en décembre 2016. En parallèle, le nombre de renvois a presque triplé, passant sur la même période de 3 290 à 9 460. La France, elle, a remis 640 personnes à l’avion en 2016, contre 435 en 2015.
« J’ai su que le combat serait dur »
A 24 ans, Farhad a échappé de justesse à ce voyage retour. Sa chance ? Il parle un très bon anglais et a pu interpeller les passagers du vol dans lequel il était tenu menotté entre deux policiers escorteurs. C’était en juillet et le jeune homme, aujourd’hui en procédure d’asile en France, n’a pas oublié un instant de cette journée de cauchemar. « L’épreuve a duré une demi-heure. Les policiers m’avaient expliqué que je ne pouvais pas refuser d’embarquer. Ils me maintenaient assis, mais j’ai pu hurler qu’on m’expulsait de France, que je mourrais dès mon retour à Kaboul. Au départ, une femme s’est adressée aux policiers ; puis d’autres passagers se sont manifestés avant que le pilote ne vienne à son tour. » Farhad, qui promet alors qu’il ne lâchera pas son combat, est finalement descendu de l’avion avant d’être présenté au médecin du centre de rétention : il affirme ne plus pouvoir déglutir car les policiers lui ont serré le cou pour l’empêcher d’alerter les autres passagers.
Car, si la France affiche un taux de protection de 88 % pour cette nationalité, elle enferme de plus en plus souvent en centre de rétention administrative (CRA) des déboutés de l’asile, mais aussi des Afghans qui n’ont pas encore déposé de demande. « En 2011, 382 Afghans ont été enfermés en centres de rétention, en France. Quatre ans après, en 2015, ils ont été un millier, comme en 2016. Cette année, le cap des 1 600 a déjà été franchi. On sera à 2 000 à la fin de l’année si la privation de liberté des ressortissants de cette nationalité continue sur le même rythme », regrette David Rohi, de la Cimade.
Zubair, 23 ans, passé par le CRA du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), a été contraint de demander l’asile en rétention. « Mon frère a été assassiné par les talibans, alors toute la famille est partie. En Grèce, j’ai perdu tout le monde et je me suis retrouvé seul. Pendant une semaine, j’ai cherché mon père, ma mère, ma sœur, en vain, avant de reprendre la route vers Londres puisque c’était le terminus qu’on s’était fixé », raconte le jeune homme. Arrêté à Calais alors qu’il tentait de passer, il se dit aujourd’hui heureux d’être reconnu comme réfugié, mais s’interroge sur le lieu où se trouve sa famille et sur la façon dont il pourra la rejoindre puisqu’il est désormais lié à la France…
Avant ses tentatives de renvoi, Farhad avait lui aussi connu l’enfermement au CRA de Coquelles (Pas-de-Calais), puis au Mesnil-Amelot, juste derrière l’aéroport de Roissy. « Quand je suis arrivé au Mesnil-Amelot, j’ai su que le combat serait dur car deux Afghans avaient été remis à l’avion les jours précédents », rapporte le jeune homme.
« Des pressions exercées » sur Kaboul
Fin 2016, un accord a été signé entre l’Union européenne et l’Afghanistan pour faciliter ces retours. Amnesty, qui s’était déjà exprimée à l’époque, relativise une nouvelle fois la notion d’« accord » et cite des sources afghanes qui le qualifient de « coupe de poison ». L’ONG rappelle dans son rapport que, « selon des informations jugées fiables, des pressions auraient été exercées sur le gouvernement afghan pour qu’il accepte cette “nécessité” des renvois ». L’organisation relate des propos du ministre afghan des finances, Eklil Hakimi, qui a déclaré devant le Parlement que, « si l’Afghanistan ne coopère pas avec les pays de l’Union européenne dans le cadre de la crise des réfugiés, cela aura des conséquences négatives pour le montant de l’aide allouée à notre pays ».
Selon la Cimade et Amnesty, la France s’appuie, elle aussi, sur cet accord. Ainsi, sur les 1 700 ressortissants afghansdéjà passés en rétention entre janvier et septembre, la moitié étaient visés par une mesure d’éloignement vers l’Afghanistan, puisque des laissez-passer européens peuvent désormais remplacer les laissez-passer consulaires nécessaires aux renvois, que les autorités afghanes ne s’empressaient pas de délivrer.
L’autre moitié des Afghans enfermés font l’objet d’un transfert vers un pays d’Europe qui, le plus souvent, les renvoie ensuite vers Kaboul. « Au final, 70 % de ces personnes enfermées ont été libérées par un juge », observe David Rohi, pour qui « cette donnée illustre la violation des droits ». Reste que les moins chanceux, eux, ont repris un vol. Et, si Farhad ne s’était pas opposé fermement à son transfert, il aurait été envoyé en Norvège, un pays qui réexpédie très largement vers l’Afghanistan.
Un caractère volontaire « très relatif »
« En Afghanistan, toute ma famille était menacée car mon père et mon oncle refusent de payer leur tribut aux talibans. Moi, j’étais plus particulièrement visé car j’ai été traducteur pour l’ONU », rapporte Farhad qui, au lendemain d’une tentative d’enlèvement à Kaboul, a pris un billet pour Moscou, puis un autre pour Mourmansk, dans l’extrême nord-ouest de la Russie.
Arrivé là-bas, il s’est débrouillé pour passer en Norvège. « Je n’avais pas envie d’y demander l’asile, mais j’ai été obligé de le faire car ils ont relevé mes empreintes », raconte le jeune homme. Une fois débouté, il est arrivé en France, où, arrêté le 16 février dans un parc à Calais, il s’est retrouvé sous le coup d’un renvoi vers la Norvège au nom des accords de Dublin qui permettent aux pays de l’Union de renvoyer un demandeur d’asile vers le premier pays d’Europe où il a laissé trace de son passage. Dans le cas de Farhad, la France a décidé de se charger de sa demande, à l’issue de sa rébellion dans l’avion, puis de sa libération du centre de rétention par un juge.
La Cimade observe que 640 personnes ont été renvoyées en 2016 depuis la France. Si seules 115 d’entre elles l’ont été de façon forcée, l’association reste dubitative sur le caractère volontaire des autres renvois, qu’elle estime « très relatif dans un contexte où l’accueil a été notoirement déficient et compte tenu des multiples formes de répression qu’ont subies ces personnes ».
A Calais, les demandes de retour ont été nombreuses, mais la France avait augmenté les avantages financiers pour un retour volontaire au moment de l’évacuation de la jungle. Amnesty demande la suspension de ces retours volontaires puisque la sécurité n’est pas assurée pour les civils dans ce pays. Les chercheurs de l’organisation, qui se sont entretenus avec plusieurs familles, relatent le « calvaire » que ces dernières ont « vécu après avoir été contraintes de quitter l’Europe. Certaines ont perdu des êtres chers ; d’autres ont échappé de peu à des attaques lancées contre la population civile ; d’autres encore vivent dans la peur des persécutions ».
Laurent Bigot (chroniqueur Le Monde Afrique) souligne la prédation des élites ouest-africaines et l’aveuglement – voire l’approbation – de la communauté internationale.
Lorsque les médias parlent du Sahel, c’est pour évoquer la menace terroriste sous toutes ses formes – une menace bien réelle, comme l’ont récemment montré l’attentat à Ouagadougou, le 13 août, ou les attaques contre les Nations unies au Mali, le lendemain. C’est également le cas pour les autorités françaises, qui communiquent abondamment sur le sujet afin de vanter et de justifier le déploiement de l’opération militaire « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne (BSS en langage militaire). Or le sujet central du Sahel n’est pas celui-là.
Le terrorisme, ou plutôt la montée en puissance des groupes armés dans le Sahel, est la conséquence d’une grave crise de gouvernance qui touche toute l’Afrique de l’Ouest. Cette crise de gouvernance se caractérise par une disparition de l’Etat au service des populations, car l’Etat moderne est privatisé par les élites politiques à leur profit. Cette privatisation – Jean-François Bayart parle de patrimonialisation – s’est accélérée ces dernières années pour atteindre un niveau tel que, désormais dans les pays sahéliens, les populations sont livrées à elles-mêmes, plus aucune entité (Etat ou autre) n’étant chargée d’une forme d’intérêt général.
C’est particulièrement le cas au Mali, au Niger et en Mauritanie. Ces Etats ont tous en commun un système politique miné, accaparé par une élite prédatrice dont les méthodes ont non seulement porté l’estocade à ce qu’il restait de l’Etat et de son administration, mais en plus ont fait entrer au cœur même du pouvoir le crime organisé. La conquête du pouvoir et sa conservation ne sont perçues que comme un accès à une manne intarissable.
Les dégâts des ajustements structurels
Les Etats sahéliens ont été fragilisés, dans les années 1980, par les ajustements structurels imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale au nom du libéralisme doctrinaire ambiant. Il fallait « dégraisser » la fonction publique, dont les secteurs les plus « gras » étaient l’éducation et la santé. Quelle politique « visionnaire » pour une zone qui allait subir quinze ans plus tard un choc démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité !
Le Niger est aujourd’hui le pays qui a le taux de fécondité le plus élevé au monde, soit plus de sept enfants par femme. Le Mali n’est pas loin derrière, avec un peu moins de sept. Ce n’est plus une bombe à retardement, c’est une bombe qui a déjà explosé et dont les dégâts sont en cours d’estimation. Serge Michailof rappelle dans son remarquable livre Africanistan que le secteur manufacturier au Niger crée 5 000 emplois par an quand le marché de l’emploi doit absorber chaque année 200 000 jeunes…
Le secteur de l’éducation est sinistré. Les classes du primaire dans les quartiers populaires de Niamey ont des effectifs habituels proches de la centaine d’élèves, avec des enseignants si peu formés qu’une part importante ne maîtrise pas la langue d’enseignement qu’est le français. Au Sénégal, pourtant un pays qui se maintient mieux que les autres, le système éducatif est dans un tel état que le français, langue d’enseignement, recule au profit du wolof. Si la promotion des langues dites nationales est incontestablement un enjeu, aujourd’hui leur progression est d’abord le signe de la faillite du système d’enseignement.
Que dire des systèmes de santé ? Le niveau des soins est accablant. L’hôpital de Niamey est un mouroir. L’accès aux soins est un parcours du combattant semé d’étapes successives de corruption. Les cliniques privées fleurissent dans les capitales ouest-africaines pour une clientèle privilégiée, mais le peuple doit se contenter de soins qui relèvent plus des soins palliatifs que curatifs. Il faut dire que les élites politiques n’en ont cure, elles se font soigner à l’étranger et scolarisent leurs enfants dans les lycées français (hors de prix pour le citoyen lambda, une année de scolarité pouvant représenter plusieurs années de salaire minimum) ou à l’étranger.
Des élections grossièrement truquées
Précisons à leur décharge qu’étant donné les dégâts causés par les ajustements structurels et la démographie actuelle, aucun Etat ouest-africain ne peut désormais relever sur ses seules ressources propres les défis de l’éducation et de la santé. Le rapport sénatorial sur la politique française d’aide au développement au Sahel (« Sahel : repenser notre aide au développement », juin 2016) rappelle un chiffre vertigineux : de 2005 à 2035, le Mali devra multiplier par 11 ses dépenses en la matière. La solidarité internationale pourrait en effet contribuer à financer ce type de dépenses, mais on butte sur le problème structurel qu’est la patrimonialisation ou la privatisation de l’Etat.
Aujourd’hui, les budgets de l’Etat sont exécutés en dépit du bon sens avec l’aval du FMI et de la Banque mondiale, qui froncent parfois les sourcils quand les ficelles de la prévarication deviennent trop grosses (on pense à la fâcherie de six mois des institutions de Bretton Woods, en 2014, après les surfacturations massives des marchés de défense au Mali, l’aide ayant repris sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait été ouverte ni les méthodes changées…). Quand on sait que plus de 50 % du budget d’investissement de ces Etats proviennent de l’aide publique internationale, on peut légitimement s’interroger sur la désinvolture avec laquelle la communauté internationale gère l’argent du contribuable.
Cependant, l’irresponsabilité du système international de développement (Nations unies et coopérations bilatérales) est tel que cet argent est déversé sans aucun souci de rendre des comptes. Le critère de performance utilisé par l’Union européenne en la matière est le taux de décaissement. L’objectif est de dépenser les budgets. Savoir si cela est efficace et conforme à l’objectif fixé importe peu. Pour les autorités bénéficiaires, cette absence de responsabilité a développé un réflexe d’assistanat, le premier geste étant de tendre la main avant d’envisager quelque action que ce soit. Ensuite, c’est de se répartir la manne de l’aide, et ce d’autant plus facilement que les contrôles sur la destination finale et l’efficacité sont des plus légers.
Les élites politiques ont depuis une vingtaine d’années fait de la prévarication le mode de gouvernance le plus répandu. La démocratisation qui a suivi la vague des conférences nationales au début des années 1990 n’a rien empêché. Nombre d’élections qui se sont tenues depuis n’ont guère été sincères, parfois grossièrement truquées (deux cas d’école parmi tant d’autres : l’élection d’Alpha Condé en 2010 en Guinée, élu au second tour alors qu’il n’a fait que 17 % au premier tour et son adversaire 40 %, et celle de Faure Gnassingbé en 2015 au Togo, durant laquelle le dépouillement était environ à 40 % quand les résultats ont été proclamés…).
Tout cela avec l’approbation de la communauté internationale et les chaleureuses félicitations des différents chefs d’Etat français. La lettre de François Hollande adressée au président nigérien Issoufou en 2016 est un modèle du genre. Féliciter un président élu au second tour avec plus de 92 % des voix alors que son opposant principal a fait campagne depuis sa prison, c’est osé. Le monde occidental se targue d’être le défenseur de la cause des peuples en promouvant la démocratie, mais les peuples africains n’ont vu qu’une chose : ce monde occidental soutient les satrapes africains sans aucune considération pour les populations qui en subissent les dramatiques conséquences.
La politique financée par le narcotrafic
Cette situation dans le Sahel est un terreau propice au développement d’idéologies radicales et la lutte armée devient un horizon séduisant pour une partie de la jeunesse qui sait que, hors de l’émigration vers l’Europe ou de l’affiliation aux groupes armés, point de salut. L’affaissement de l’Etat dans les pays sahéliens s’est accéléré avec la montée en puissance des divers trafics en zone sahélo-saharienne et notamment avec le trafic de cocaïne en transit vers l’Europe.
La vie politique de ces Etats s’est financée auprès de narcotrafiquants notoires qui n’ont pas hésité à prendre la place du généreux guide libyen Kadhafi. C’est ainsi qu’un conseiller du président malien Amadou Toumani Touré (2002-2012) était un trafiquant notoire, aujourd’hui reconverti au Burkina Faso. C’est aussi l’affaire emblématique du Boeing chargé de cocaïne qui se pose en 2009 dans le désert malien et dont le déchargement a été supervisé par un officier supérieur de l’armée malienne, aujourd’hui général. L’un des principaux soutiens financiers du parti du président nigérien Issoufou était Chérif Ould Abidine (décédé en 2016), dont le surnom était « Chérif Cocaïne »…
La frontière entre l’Etat et le crime organisé s’est estompée progressivement, laissant les populations livrées à leur sort. L’islam radical s’est répandu comme un modèle alternatif à la démocratie, laquelle est perçue par une part grandissante de la population comme une escroquerie idéologique visant à maintenir en place des kleptocraties. Le réarmement moral passe désormais par l’islam dans sa version la plus rigoriste (et étrangère aux pratiques confrériques du Sahel), soutenu par une classe politique qui a utilisé la religion pour faire du clientélisme.
Les groupes armés dits djihadistes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou Ansar Dine, qui eux-mêmes recourent volontiers aux réseaux et aux pratiques mafieux, évoluent désormais dans un environnement de moins en moins hostile. Quand j’entends parler de terrorisme djihadiste au Sahel, je pense souvent à un magicien qui, pour réaliser son tour, attire l’attention du public avec la main droite et réalise son tour avec la main gauche. Le terrorisme, c’est la main droite. La réalité du tour, la main gauche, c’est la grave crise de gouvernance dont personne n’ose parler.
Les Etats sahéliens ont parfaitement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de notre peur du terrorisme djihadiste : Jean-François Bayart parle de « rente diplomatique de la lutte contre le terrorisme ». Moyennant un discours engagé contre le terrorisme et l’autorisation pour l’armée française d’opérer sur leur territoire, ces dirigeants ont compris qu’ils ne seraient pas du tout inquiétés pour les graves dérives de gouvernance. La communauté internationale reproduit la même erreur qu’en Afghanistan lorsqu’elle avait soutenu le régime indécemment corrompu de Hamid Karzaï, ce qui n’avait fait que renforcer les Talibans et accélérer le rejet par la population des forces étrangères.
Rôle trouble des services algériens
A cette cécité sur les causes profondes, ajoutons celle relative au rôle joué par les services de sécurité algériens. Comment le mouvement d’Iyad Ag Ghali a-t-il été financé ? Où se replient Iyad et ses combattants ? Comment se fait-il que Mokhtar Belmokhtar sillonne en toute impunité la zone depuis vingt ans ? Des questions qui trouvent des réponses dans la complicité d’une partie des services de sécurité algériens.
Je me souviens d’un entretien à Bamako en 2009 avec Ahmada Ag Bibi, député touareg, à l’époque bras droit d’Iyad Ag Ghali et resté depuis lors proche du chef d’Ansar Dine. Il me disait que lorsque AQMI s’est installé en 2006-2007 dans l’Adrar des Ifoghas (Nord-Mali), Iyag Ag Ghali et ses hommes l’ont combattu. Le soutien logistique algérien dont bénéficiait Iyad Ag Ghali depuis des années s’est immédiatement interrompu. Il en a déduit que s’attaquer à AQMI, c’était s’attaquer à une partie des services de sécurité algériens. Il a donc composé.
Ahmada Ag Bibi a conclu cet entretien en me disant que l’Algérie poursuivait au Sahel sa guerre de décolonisation contre la France. Il a ajouté qu’il ne comprenait pas comment la France n’avait pas saisi que l’Algérie la considérait toujours comme un ennemi. Au cours de ma vie de diplomate, j’ai pu constater, en effet, l’angélisme dont fait preuve la France à cet égard. C’est troublant.
On pourrait aussi parler des autorités des pays sahéliens qui négocient des pactes de non-agression avec ces groupes armés. C’est le cas de la Mauritanie, comme l’attestent des documents saisis par les Américains lors du raid mené contre Oussama Ben Laden en 2011 au Pakistan.
Bref, résumer la situation sécuritaire du Sahel à sa seule dimension « terroriste » est un raccourci dangereux car il nous fait tout simplement quitter la réalité du terrain.
Le destin du Sahel ne nous appartient pas
Il ne peut y avoir d’ébauche de solutions sans un constat de vérité. Si ceux qui prétendent contribuer à la solution se racontent des histoires dès l’étape du constat, comment l’élaboration de réponses aux défis du Sahel pourrait-elle être un processus pertinent ? La communauté internationale tombe dans le même aveuglement qu’elle a savamment entretenu pendant cinquante ans sur la question de l’aide au développement.
Refusant de regarder une réalité qui dérange, on s’obstine dans des réponses qui n’ont aucun impact durable sur les réalités. Aujourd’hui, nous pensons l’Afrique depuis des bureaux et des salons de ministères ou de grandes organisations internationales dont la déconnexion avec la réalité est effrayante. Plus grave encore, notre réflexion repose sur des postulats inconscients qui pourraient expliquer notre manque d’humilité.
Et si la solution était que nous cessions de vouloir tout gouverner ? Quel est ce postulat intellectuel qui consiste à considérer comme admis que nous avons la solution aux problèmes du Sahel ? Pour ma part, je pense que la solution est entre les mains des peuples concernés. Il est temps de mettre les dirigeants de ces pays face à leurs responsabilités et qu’à leur obsession d’accroître leur patrimoine personnel se substitue enfin celle de s’occuper de leur propre pays.
J’entends souvent dire que nous ne pouvons pas ne rien faire. Ah bon ? Pouvez-vous le démontrer ? Accepter que la solution puisse se mettre en place sans nous, est-ce à ce point inacceptable pour notre cerveau d’Occidental ? Des milliers d’heures de réunions dans les ministères et organisations internationales pour parler du Sahel, avec, 99 % du temps, aucun représentant de ces pays et, 100 % du temps, sans aucun point de vue des populations concernées, est-ce la bonne méthode ? Ne pourrions-nous pas accepter l’idée que nous ne savons pas ? Ne pourrions-nous pas accepter que le destin du Sahel ne nous appartient pas ?
Ou alors, si nous estimons en être coresponsables, accordons aux pays du Sahel la même coresponsabilité sur la gestion de notre propre pays. La relation serait ainsi équilibrée. Mais sommes-nous prêts à recevoir des conseils venus du Sahel ? Les trouverions-nous pertinents ? Pas plus que les populations sahéliennes lorsqu’elles nous entendent disserter sur leur sort…
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant. Ce texte est d’abord paru dans la revue l’Archicube n° 22 de juin 2017.
Dans la « jungle » de Calais, les 6 et 7 avril. Sarah AlcalayL pour Le Monde
Violés, contraints de se prostituer, de voler, d’accomplir des corvées quotidiennes dans les camps ou d’aider à faire monter des migrants dans les camions… Les mineurs non accompagnés qui campent à Calais (Pas-de-Calais), Grande-Synthe (Nord) et dans cinq petites jungles voisines sont la proie des passeurs. Signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, la France leur doit pourtant assistance et protection.
Trois sociologues ont passé quatre mois sur le littoral de la Manche et dans le Calaisis, explorant les campements jusqu’à Cherbourg (Manche). Ils y ont réalisé des entretiens approfondis avec 61 jeunes venus seuls d’Afghanistan, d’Afrique subsaharienne, d’Egypte, de Syrie ou du Kurdistan.
Commandé par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), leur travail permet de comprendre qui sont ces quelque 500 enfants et adolescents (dont douze ont moins de 14 ans et même trois moins de 12 ans), comment ils sont arrivés et dans quelles conditions ils survivent.
Cinq euros la passe
Sur le littoral du nord de la France, la situation est extrêmement difficile. « Pour trouver une place à Norrent-Fontes [Pas-de-Calais] ou Stenvoorde dans le département du Nord [deux des petits campements plus « humains » que Calais], le “droit d’entrée” est de 500 euros », dit Alexandre Le Clève, un des auteurs de l’enquête. A Calais, certains jeunes Afghans paieraient aussi 100 euros comme droit d’entrée pour obtenir une place et la protection d’un passeur.
Les chercheurs ont mis à jour le système qui permet aux mineurs désargentés de s’installer malgré tout dans un campement et de passer au Royaume-Uni. « Les entretiens avec les jeunes filles éthiopiennes, érythréennes ou kurdes ont permis d’identifier un échange de services sexuels contre la promesse d’un passage outre-Manche ou en vue d’accéder à certains terrains », rapporte Olivier Peyroux, coauteur de l’enquête.
« A Norrent-Fontes ou à Steenvoorde, des hommes et quelques filles ont abordé le sujet », insiste le sociologue. C’est le cas de Yohanna, citée comme une « jeune de 16 ans qui cache son âge » parce qu’elle craint de se retrouver placée dans un foyer pour mineurs loin de la côte. « On est trente sous les tentes, a-t-elle expliqué. Quand on n’a plus d’argent, on s’arrange. »
Le travail des sociologues révèle que des femmes sont conduites des jungles des Hauts-de-France à Paris pour se prostituer avant d’être ramenées vers la côte et remplacées par d’autres la semaine suivante. Une vingtaine d’entre elles se prostitueraient aussi dans les bars de la jungle pour cinq euros la passe.
Travailler pour rembourser
Pour les garçons, ultra-majoritaires, la situation n’est pas plus enviable. Dans les jungles où l’on manque de tout, les corvées qui leur échoient sont nombreuses. Aller chercher l’eau, attendre aux douches pour le compte d’une tierce personne, faire la lessive, jouer le guetteur sur les aires contrôlées par les passeurs, faire monter les migrants dans les camions vers le Royaume-Uni… Les auteurs de l’enquête ont listé au fil de leurs entretiens toutes ces tâches auxquels certains sont contraints pour espérer un passage à leur tour.
Les chercheurs notent que d’autres empruntent de l’argent pour payer leur passage, « ce qui fait craindre une exploitation économique une fois qu’ils sont passés outre-Manche », rappelle Olivier Peyroux, qui a souvent entendu ces adolescents expliquer qu’ils travailleront pour rembourser.
C’est le cas d’Akar, un jeune Kurde irakien qui doit 9 000 euros à son frère coiffeur, qui vit au Royaume-Uni, ou de Zoran, kurde lui aussi, qui a une dette de 5 000 euros envers son père, resté en Iran.
Commanditaire de cette étude, le directeur de l’Unicef France, Sébastien Lyon, s’alarme de cette situation et demande en urgence « la création de lieux de protection spécifique pour mineurs, où ils seraient accueillis de manière inconditionnelle. Parce qu’il est grave que ces adolescents n’aient aucune idée de leurs droits en France », insiste-t-il.
Les foyers ne répondent pas aux besoins des adolescents
Ces lieux de « protection » ne peuvent selon lui qu’être installés sur place, sécurisés et réellement dédiés aux mineurs non accompagnés du Pas-de-Calais, du Nord, de la Manche et même au sein du futur campement humanitaire envisagé à Paris.
Les efforts faits par France Terre d’Asile, dont les maraudes ont permis de mettre à l’abri 1 403 jeunes en 2015, se sont soldés dans 84 % des cas par des fugues. Trop éloignés de la jungle de Calais, les foyers ne répondent pas aux besoins des adolescents. Et, dans les autres départements étudiés par les deux chercheurs, qui sont allés jusqu’à Cherbourg, l’offre est encore moindre.
La France ne respecte donc pas la Convention des droits de l’enfant. Pas plus qu’elle n’a réellement donné suite au jugement du Conseil d’Etat du 23 novembre 2015, qui l’enjoignait « de procéder au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement ».
Pas plus qu’elle n’a entendu le dernier avis du Défenseur des droits, le 20 avril, demandant une mise à l’abri des mineurs sur le site. Autant de prises de paroles qui rappellent que la simple présence d’un enfant dans la « jungle » justifie sa protection et sa mise à l’abri.
Mercredi 15 juin, les dix associations les plus présentes sur les jungles ont signé un communiqué commun s’inquiétant que « l’Etat et le Conseil départemental du Pas-de-Calais ne semblent pas du tout avoir pris la mesure de la gravité et de l’urgence de la situation et ne peuvent abandonner ces enfants qui ont fui la guerre et l’horreur ». Eux aussi demandent la mise en place de structures adaptées en urgence.
Assurer un revenu à la famille
L’Etat a préféré mettre l’accent sur la procédure de regroupement familial, autorisant quelques dizaines de mineurs dont la famille très proche vit outre-Manche à gagner légalement le Royaume-Uni. Plusieurs dizaines de dossiers sont ouverts, quelques jeunes ont rejoint leur famille, mais le processus est très lent et les sociologues sont convaincus que ces cas portés par la France ne feront pas avancer la cause de la majorité de jeunes échoués là.
Ils évaluent leur nombre à 500 au moment où ils ont enquêté. Compte tenu des passages outre-Manche, plus d’un millier d’adolescents séjournent dans le nord de la France au cours d’une année.
Conçu comme un outil pour les pouvoirs publics, qui méconnaissent ces jeunes migrants, le travail de l’Unicef s’intéresse aussi à leur histoire. « Si je prends l’exemple des jeunes Afghans, les plus nombreux sur les sites, puisqu’ils seraient entre 100 et 200 à Calais, ils sont souvent envoyés par le père pour rejoindre, au Royaume-Uni, un oncle qu’ils connaissent à peine. Il s’agit de les mettre à l’abri de l’enrôlement et d’assurer un revenu à la famille restée au pays », rappelle Olivier Peyroux.
Les deux universitaires ont observé que beaucoup d’entre eux n’arrivent pas à sortir de cette mission qui leur est confiée. Aussi, ils vivent les violences de Calais, après celles qu’ils ont souvent déjà connues sur la route, comme une sorte de fatalité.
L’enquête permet aussi de comprendre que Paris fonctionne comme une base arrière où ces migrants mineurs reviennent, soit pour repartir vers un autre port transmanche, soit pour aller vers le nord de l’Europe via l’Allemagne et le Danemark, soit simplement pour gagner de l’argent. Autant d’informations que Sébastien Lyon livre aujourd’hui aux autorités en espérant qu’elles contribuent à améliorer la prise en charge des mineurs isolés par la France.