Une crise sociale plane sur les élections européennes

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Manifestation des gilets jaunes le 15 décembre 2018. [Ian Langsdon/EPA/EFE]

Les gilets jaunes en France et en Belgique pourraient bien être la partie émergée de l’iceberg d’un plus grand bouleversement social avant les élections européennes.

De manière justifiée ou non, la crise migratoire reste un thème clé à l’approche des élections du 26 mai prochain. Le sujet a semé le trouble dans l’Union européenne. L’arrivée massive de migrants en Europe a par exemple joué un rôle non négligeable dans la campagne du référendum sur le Brexit en 2016.

La Suède est quant à elle dans l’impasse politique, sans gouvernement, après la victoire de l’extrême droite lors des élections de septembre, avec un programme anti-immigration radical.

En Belgique, le Premier ministre Charles Michel a présenté sa démission après que son partenaire de coalition, le parti d’extrême droite flamand N-VA, a abandonné le gouvernement pour des divergences sur le dossier migratoire.

Mais dans d’autres pays, les cataclysmes politiques ont eu lieu pour d’autres raisons que l’immigration. En Slovaquie, le Premier ministre a été remplacé à la suite d’un soulèvement après l’assassinat du journaliste Ján Kuciak. En Espagne, Mariano Rajoy a été évincé à cause de scandales de corruption.

L’Italie est un cas à part : le pays a toujours été un laboratoire de projets politiques et a porté au pouvoir un gouvernement anti-establishment, avec le mouvement populiste 5 étoiles de Luigi di Maio et la Ligue d’extrême droite de Matteo Salvini. Une coalition qui a deux objectifs principaux : mettre un terme à l’immigration illégale et stimuler l’État providence. Ce dernier a été source de tensions avec la Commission européenne, soucieuse de maintenir la discipline budgétaire.

Le mal-être de la mondialisation

D’autres gouvernements au contraire n’ont pas fait du domaine social leur priorité et en ont payé le prix. Les événements ont été accélérés par la hausse des prix du pétrole, causée par les fluctuations du marché, mais aussi par les politiques fiscales visant à améliorer la qualité de l’air en réduisant l’utilisation du diesel. De la Bulgarie à la Croatie en passant par la France et la Belgique, la population est descendue dans la rue pour manifester.

Le dénominateur commun?? Ces personnes protestent contre la dégradation de leurs conditions de vie et ne veulent pas être représentées par les forces politiques existantes.

Au Portugal, en France et en Belgique, le mouvement a pris comme symbole quelque chose que tout le monde a à portée de main : le gilet jaune, obligatoire dans chaque voiture. Les personnes soutenant le mouvement, sans toutefois rejoindre les manifestants, pouvaient donc mettre leur gilet jaune de manière visible derrière leur pare-brise. Les « gilets jaunes?» sont soutenus par un pourcentage étonnamment élevé de la population.

Il est intéressant de noter qu’en Hongrie, malgré les nombreuses raisons qu’avait l’opposition de manifester contre les politiques de Viktor Orbán, le dénominateur commun qui les a unis était de nature économique et sociale : la loi dite de « l’esclavage », qui permet notamment aux employeurs de demander aux salariés de travailler jusqu’à 400 heures supplémentaires chaque année.

Signal universel

Selon l’analyste polonais Piotr Kaczy?ski, le signal que les gilets jaunes envoient dans toute l’Union est un message universel des «?laissés pour compte?», c’est-à-dire, des personnes fatiguées de la mondialisation.

Il estime qu’en réalité, la mondialisation tant vantée n’a profité qu’à une minorité de personnes, et clairement pas aux citoyens ordinaires, souvent sans emploi, sous-payés, sans sécurité de l’emploi, vulnérables face à un monde changeant, face à l’afflux de migrants du Sud et à la concurrence de l’Est.

Piotr Kaczy?ski soutient que la situation en Pologne n’était pas différente, bien que certains pensent que le pays a tiré profit de la mondialisation.

«?Le salaire moyen en Pologne, selon l’office statistique national, est de 1?100 € avant impôts et Eurostat dit que le chômage est inférieur à 4 %. Mais ce n’est que sous un astérisque (*) que l’on peut constater que 60 % des travailleurs polonais ne sont pas pris en compte dans la moyenne. Le salaire commun en Pologne n’était que de 350 € après impôts il y a deux ans », explique-t-il.

Reste à savoir si cela va se répercuter sur les résultats des élections européennes. Pour le Polonais, c’est évident : «?Les impatients ont déjà montré les dents avec toute sorte de votes de protestation contre les systèmes politiques de la plupart des États membres de l’UE et, maintenant, de l’Union elle-même. Mais ce n’est pas toujours une voix anti-européenne. Il y a de graves problèmes, beaucoup d’angoisse et de manque de patience et très peu de dirigeants qui s’attaquent aux vrais problèmes sociaux.?»

Georgi Gotev

Source Euractiv 03/01 2019

Une entrée dans la secte de « Fruits of labor »

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© Reinout Hiel

Un gros bol d’air entre l’enfumage extrémiste et la macronade ,  Fruits of labor, la dernière création de Miet Warlop, nous rappelle aux  folies païennes bien vivantes du printemps.  Le public se délecte sourire aux lèvres. à ne pas manquer au CDN  hTh jusqu’au vendredi 28 avril à 20h.

A quoi carburent l’artiste flamande Miet Warlop et ses acolytes ? C’est une question que doivent se poser aussi les techniciens de surface chargés de remettre le plateau en état après chaque représentation de Fruits of labor. Au Yoga Yaourt, affirment les jeunes protagonistes, trois interprètes et deux musiciens, qui disent s’ancrer solidement dans le fouillis spirituel, afin de mieux le nourrir sûrement.

Il parviennent, quoi qu’on en dise, à partager leur foi sur scène. Le mystère de la trinité se voit remplacé ici, par un savant dispositif, dont Miet Warlop a fait sa marque de fabrique dans son travail à la croisée du théâtre et des arts plastiques. De la danse aussi, car ce n’est pas un hasard si les créations de l’artiste attisent l’intérêt des scènes chorégraphiques.

Dans Fruits of labor tout parait désordonné mais le tableau mouvant de la scène relève d’une grande précision. L’étincelle est avant tout musicale et surtout rythmique, mais c’est avec la mécanique du mouvement dansé qu’opère la magie. Une mécanique qui s’infiltre entre les interprètes et les objets présents sur scène. La lumineuse entrée en matière donne le ton en jouant avec humour sur l’ambivalence corps objet. L’usage des rideaux et tissus signale à différents endroits la dilution du sens. L’omniprésence présence du bloc centrale en mouvement qui se métamorphose au gré des scènes en restant animé de la folle ambition d’engouffrer chaque corps ou objet sur scène, pose un cadre politique.

Entre les conduites d’eau qui se mettent à fuir et les générateurs de secours qui ne marchent pas, émerge sous nos yeux un monde neuf, drôle et enthousiasmant. Miet Warlop s’en explique dans la présentation de Fruits of labor apparu comme une révélation au cours d’un spectacle précédent. L’énergie vitale de cette nouvelle création émerge « d’une pierre qui renferme le tout premier éclat de rire sur terre. Un rire immatériel, un rire d’union qui transcende les générations et les religions. » La scène finale où les interprètes parviennent à se libérer ensemble ouvre un bel horizon d’espoir.

JMDH

Source La Marseillaise 27/04/2017

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Musique, rubrique Art, rubrique Montpellier,

Europe dans la tempête : 2016 la domination des démagos

Think of Prospero

Think of Prospero

Revue de presse UE

 

Une révolte contre la concentration du pouvoir

Corriere del Ticino (Suisse) prévoit une vague de contestation d’envergure mondiale :

 

«L’année qui touche à sa fin s’est caractérisée par une révolte de la majorité des électeurs de certains pays contre la mondialisation et la politique économique libérale dominante. Une révolte qui est partie du Royaume-Uni, avec le référendum par lequel les citoyens se sont déclarés favorables à une sortie de l’UE. Une révolte qui a entraîné la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis et se poursuivra sans aucun doute l’an prochain et créera les conditions à un changement de paradigme radical dans l’économie occidentale. Nous nous trouvons dans une phase de transition dans laquelle les groupes qui exercent le pouvoir (le monde des finances, les multinationales et une grande partie des médias) se sentent menacés par un tournant qu’ils essaieront d’empêcher en déployant toutes les armes dont ils disposent.»

 

 

Personne ne s’oppose au poison populiste

Les populistes d’extrême droite en Europe continuent à répandre leur fiel en toute impunité, déplore le chroniqueur Paul Goossens dans De Standaard (Belgique) :

 

 

«Le projet de rupture fonctionne. L’Europe vacille, et de nouvelles lézardes apparaissent dans l’édifice à chaque nouveau conflit. Le populisme d’extrême droite ne rencontre pas de résistance suffisante. … On nous rabâche que ‘l’élite culturelle’ devrait se garder de toute forme d’arrogance. … Voilà pourquoi on n’ose plus dire haut et fort que les méthodes de l’extrême droite sont aussi absurdes que dangereuses. Désireux de ne pas sous-estimer les ‘perdants’ et de ne pas nourrir le ressentiment, on omet de fustiger l’insondable stupidité et l’inéluctable échec des obsessions de leurs leaders – la volonté par exemple de retrancher l’Etat souverain derrière des barrières hermétiques ou l’arrêt total de l’immigration. Comment l’Europe – l’unique alternative à l’égoïsme des nations – peut-elle continuer à exister si personne ne combat la reviviscence nationaliste ?»

 

L’écart ne cesse de se creuser

Les disparités au niveau des répartitions des richesses ont atteint des dimensions intolérables, met en garde L’Obs (France) :

 

«L’année 2016 l’a encore montré à plusieurs reprises : le fossé des inégalités n’est plus vécu comme une fatalité. Il est tout simplement devenu insupportable à vivre. Il n’y a plus aujourd’hui de fracture sociale, mais bel et bien une fracture sociétale. Les niveaux de rémunération des uns confrontés au niveau de dénuement des autres ne permettent plus de s’imaginer une communauté de destin. La majorité des citoyens, condamnés à se vivre comme des variables d’ajustement de la mondialisation libérale, demandent aujourd’hui qu’on les protège. Et qu’on ne leur parle pas de repli sur soi quand il s’agit pour beaucoup d’un simple réflexe de survie !»

 

 

Le ‘populisme’, un mot à la mode

Dienas (Lettonie) tente d’expliquer pourquoi le terme populisme est omniprésent actuellement :

 

«Tous ceux qui sont en désaccord avec la position dominante sont taxés de populisme. C’est facile et très à la mode. De nombreux politiques aiment à parler du danger du populisme même s’ils ne sont eux-mêmes pas exempts de reproche sur la question. … Le populisme est aussi devenu un terme dissuasif, employé dans le but de marginaliser l’opposition ou de nouvelles forces politiques. Un petit jeu dangereux, car le citoyen lambada ne pense rien de bon des politiques dominants. … C’est une bonne chose que les victoires du populisme ne signifient pas encore la fin du monde aujourd’hui. On peut remercier la démocratie pour cela, et saluer le fait que les soit disant populistes ne sont pas de véritables psychopathes.»

 

SourceEuro/topics du 15 au 25 dec 2016

Le rejet wallon du traité commercial CETA avec le Canada plonge l’UE dans le désarroi

Défilé à Bruxelles contre le traité commercial avec le Canada. | AFP

Défilé à Bruxelles contre le traité commercial avec le Canada. | AFP

Le gouvernement de la région belge a maintenu son opposition au projet d’accord de libre-échange, et bloque ainsi la ratification.

Pour l’Union européenne (UE), la négociation sur le traité de libre-échange avec le Canada (CETA) s’apparente décidément à un long chemin de croix, à l’issue toujours incertaine. Jeudi soir 20 octobre, la Wallonie, hostile au texte en son état actuel, a rejeté une nouvelle proposition de la Commission de Bruxelles, suscitant visiblement le désarroi de celle-ci, qui espérait pouvoir confirmer la signature du traité le 27 octobre.

« Il y a des progrès, mais ils ne sont pas suffisants », a expliqué Paul Magnette, ministre-président socialiste de la région, qui a indiqué qu’il rencontrerait, vendredi, la ministre canadienne du commerce international et son négociateur.

« Le Canada considère qu’il reste des marges pour une négociation ; je suis au regret de constater qu’il est plus ouvert que l’UE », a poursuivi M. Magnette. Ce dernier devait, ensuite, informer son Parlement, ainsi que le Conseil européen et la Commission « pour explorer s’il reste encore une chance de trouver un accord ».

Le dossier du CETA a, du coup, focalisé toute l’attention du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, qui s’ouvrait à Bruxelles jeudi après-midi. A l’ouverture, le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk, avait accentué la pression sur la Wallonie, estimant qu’un échec pourrait signifier la fin des accords de libre-échange négociés par l’UE. « J’espère que la Belgique prouvera une fois encore qu’elle est une vraie championne en matière de compromis », ajoutait le président.

Avancées insuffisantes

Le premier ministre fédéral belge, Charles Michel, favorable à l’accord mais contraint de décrocher l’approbation de tous les Parlements de son royaume pour l’entériner, disait, lui, regretter que la Wallonie soit « le dernier endroit en Europe où l’on s’oppose à ce qui est sur la table ».

Le dernier ? Pas tout à fait. Car la Roumanie et la Bulgarie, dissimulées derrière le refus des Wallons, continuaient, elles, d’exiger du Canada qu’il exempte ses citoyens de visas. Une requête totalement opportuniste : l’accord commercial sur la table n’aborde pas ces sujets. Une réunion extraordinaire des ambassadeurs a, en tout cas, été convoquée dans la soirée pour tenter de dégager des solutions.

Campant sur son refus, le ministre-président wallon juge que des progrès ont été accomplis au cours des derniers jours. Dans un entretien avec Le Monde, jeudi après-midi, il évoquait des « avancées » sur divers points (clauses sociales et environnementales, principe de précaution, droits de l’homme) mais les jugeait insuffisantes dans le domaine agricole, les services publics, ou les mécanismes d’arbitrage en cas de conflit entre les Etats et des multinationales.

« Cheval de Troie »

M. Magnette exige, par ailleurs, que la « déclaration interprétative » du texte initial soit « incluse dans le traité et possède une valeur juridique pleine et entière ». Il détaille un autre point très sensible à ses yeux : « Comment s’assurer que le CETA ne sera pas le cheval de Troie du TTIP [ou Tafta], l’éventuel traité de libre-échange avec les Etats-Unis ? Comment faire en sorte que des multinationales ayant un siège au Canada n’utilisent pas le CETA pour bénéficier de tous les avantages qu’offrirait celui-ci et anticiper le TTIP ? »

« Il n’y a pas de calendrier formel, les échéances ne sont que politiques et la question est de savoir si l’on veut prendre, ou non, le temps de discuter avec nous. Or, on ne peut qu’avoir l’impression que l’on a tenté de nous forcer la main », poursuit le ministre-président.

« La particularité wallonne, c’est que notre Parlement a voulu utiliser ses prérogatives. Et que cela plaise ou non, cette assemblée a le même pouvoir constitutionnel qu’un Etat membre », poursuit le ministre-président, soulignant que « ce qui alimente aujourd’hui la crise de l’Europe, c’est la manière de négocier des textes d’une telle importance ».

Les francophones belges n’ont-ils pas trop tardé à exprimer leurs griefs ? « Non, affirme l’intéressé. Nous avons reçu la version définitive il y a moins d’un an et j’ai alerté la commissaire sur tous les problèmes qu’il nous posait dès le 2 octobre 2015. La première réaction m’est parvenue le 4 octobre… 2016, à vingt-trois jours du sommet avec le Canada. »

« Nous ne sommes pas contre le libre-échange ou les traités commerciaux, insiste M. Magnette. Mais notre niveau d’exigence est élevé. S’il est illégitime, il ne fallait pas nous donner un pouvoir de ratification nationale. On ne peut pas nous dire : Ce traité est parfait, vous ne comprenez rien, vous avez le choix entre oui et oui. »

Incompréhension

« Jusqu’où va aller M. Magnette ? Il a obtenu à peu près tout ce qu’il demandait dans la note interprétative », se demandaient des diplomates, jeudi, surpris par la « résistance » du patron de l’exécutif wallon. Et d’espérer qu’il « cède » durant le week-end. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau – très favorable au CETA –, a indiqué, selon plusieurs sources, qu’il pourrait attendre jusqu’au lundi 24 octobre avant de prendre la décision de venir (ou pas) pour signer l’accord à Bruxelles, comme prévu de longue date.

La résistance wallonne, si elle cristallise une partie de la société civile, notamment en France, en Espagne et en Belgique, suscite largement l’incompréhension des membres « libre-échangistes » de l’UE : Suède, Finlande, Danemark, etc. « Chez nous, tout le monde est pour le CETA, et même pour le TTIP [l’accord, plus controversé, avec les Etats-Unis], même les syndicats », assurait le diplomate d’un de ces pays, jeudi.

Cécile Ducourtieux et Jean-Pierre Stroobants

Source Le Monde 20/10/2016

Voir aussi : Actualité Internationale Rubrique UE, Belgique, Rubrique Economie, Politique, Politique économique, Rubrique Société Réglementation du travail. Une attaque généralisée en Europe, On line, Tout comprendre au CETA, le « petit-cousin » du traité transatlantique , Accord CETA : « On ne peut pas nous dire “ce traité est parfait, vous avez le choix entre oui et oui” »

Réglementation du travail. Une attaque généralisée en Europe

C'est contre les reculs sociaux de la loi Peeters que les Belges descendent dans la rue. Ici, à Bruxelles, le 24 mai dernier. Photo : Reuters

Par Paul Fourier, conseiller confédéral de la CGT, Nadia Rosa, déléguée syndicale CGIL,  Marc Goblet, secrétaire général de Fédération générale des travailleurs de Belgique (FGTB), Bernd Riexinger, coprésident de Die Linke,  Keith Ewing, professeur de droit au King’s College de Londres et John Hendy, avocat au Barreau de Paris.

 

  • La doxa bruxelloise par Paul Fourier, conseiller confédéral de la CGT

42570.HRLa politique économique de la France s’inscrit dans la feuille de route libérale centralisée au niveau de l’Europe. Celle-ci est théorisée par les idéologues libéraux et hors sol de la direction générale des finances de la Commission européenne, et elle est appliquée dans le cadre de la « gouvernance économique de l’Union ». Elle s’articule autour des principes de lutte contre les déficits, de concurrence, de libéralisation, de compétitivité et de « coût du travail ». Le droit du travail est donc particulièrement dans le collimateur, tant sur les conditions de travail, les contrats de travail, la hiérarchie des normes ou la protection sociale. Par exemple, les recommandations de la Commission à la France en 2014 donnent la feuille de route générique de la loi Macron qui sortira dans l’année suivante. C’est la même chose pour l’actuelle loi El Khomri dont le cap est fixé dans la recommandation européenne numéro 4 sortie en mai 2015. On peut en dire autant pour toutes les réformes gouvernementales récentes?: pacte de responsabilité, loi santé, réformes des retraites et de l’assurance chômage, réforme territoriale, etc.

On voit donc que cela se traduit dans des lois, mais également dans des politiques nationales ou régionales ou des feuilles de route de négociations interprofessionnelles. Mais il est impropre pour autant de penser que la Commission européenne est la seule responsable de cette politique libérale. D’abord le Conseil européen (donc les chefs d’État et de gouvernement) entérinent chaque année, à la virgule près, les recommandations de la Commission. D’autre part, les fameuses « recommandations » faites à la France font l’objet, pendant des mois, d’un dialogue complice avec les acteurs nationaux, dont le gouvernement. Celles-ci sont donc le résultat d’un compromis entre la Commission, le gouvernement et même le patronat.

Rappelons que la France, grand pays de l’Union, pourrait, et pouvait à tout moment, remettre en cause la doxa bruxelloise. Cameron l’a bien fait, dans un sens encore plus libéral, avec sa menace de Brexit. Hollande aurait pu notamment remettre en cause l’application des stupides critères de Maastricht, dont le respect des déficits en dessous de 3 %, qui justifie la baisse des dépenses de l’État et l’affaiblissement de la Sécurité sociale. En période de crise, cela était totalement justifié. Il ne l’a pas fait ! Bien sûr, la lutte contre les idéologues bruxellois et les tenants de l’ordo-libéralisme (notamment allemands) n’est pas chose facile. Mais c’était plus facile pour la France de Hollande que pour Tsipras – alors que la Grèce est soumise à une pression considérable –, qui pourtant n’est pas resté inactif.

Il est donc un peu facile et totalement hypocrite de dire que c’est exclusivement la faute de Bruxelles. Les gouvernements libéraux s’accommodent fort bien d’avoir une feuille de route libérale qu’ils appliquent assez fidèlement pour déstructurer le droit du travail. La Commission européenne, représentée notamment, rappelons-le, par Pierre Moscovici, et des gouvernements comme celui de Manuel Valls visent les mêmes objectifs.

Cette politique européenne globale et l’hypocrisie des gouvernements nourrissent par ailleurs la montée des nationalismes et des extrêmes droites, dont la dialectique est bâtie sur la lutte contre cet État supranational devant lequel les peuples seraient impuissants. Cette politique est donc non absolument une machine de guerre contre les droits des salariés et des retraités. Elle est inefficace et affaiblit l’Europe des salariés et des citoyens. Elle est également dangereuse en termes de démocratie.

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Le Jobs Act n’a pas marché par Nadia Rosa, déléguée syndicale CGIL

42571.HRLa modification des conditions précédentes en vigueur pour les contrats à durée déterminée, la libéralisation à l’extrême des « bons de travail » (l’équivalent des chèques emploi service universels en France), la modification d’importants articles du statut des travailleurs (article 4 et article 13), la dilution des responsabilités dans le secteur des appels d’offres, la possibilité de licencier en absence d’une « cause juste », n’ont pas apporté à l’Italie les bénéfices promis par le premier ministre, Matteo Renzi. Pis.

Même si le Jobs Act a aujourd’hui seulement partiellement montré ses effets, je peux affirmer avec certitude que, au moins à l’heure qu’il est, l’axiome à la base de cette réforme (« le marché se régule lui-même, moins de règles entraînent plus de développement, plus d’investisseurs qui accourront en Italie ») s’est révélé erroné : en Italie, les multinationales n’arriveront pas et celles qui sont présentes réduisent leur présence, en licenciant ou en fermant. En outre, les nouvelles typologies de contrat n’ont pas entraîné une croissance des contrats à durée indéterminée. La majorité des nouveaux contrats a consisté en la transformation d’un type de contrat en un autre. Il s’agirait d’une donnée potentiellement positive, si ces contrats à durée indéterminée duraient au-delà de la période où prendront fin les aides d’État. Une hypothèse peu probable, au vu de la tendance au premier trimestre 2016. Nous gardons toutefois à l’esprit que les embauches avec le « contrat à protections croissantes » perçoivent un salaire mensuel de 1,4 % plus bas que celui des personnes embauchées avant le Jobs Act. L’échec du Jobs Act est signalé aussi par l’augmentation du nombre des inactifs. Les données d’Eurostat indiquent un passage considérable de personnes du chômage vers l’inactivité et des chiffres plus bas que la moyenne européenne pour la transition entre chômage et emploi. En d’autres termes : il y a plus de gens qui arrêtent de chercher du travail qu’ailleurs en Europe et il y a moins de gens qui trouvent du travail qu’ailleurs en Europe. En termes de relance de l’emploi donc, on n’a probablement pas besoin de nouvelles règles mais d’une autre politique économique et industrielle.

La loi, comme le montrent les récentes données de l’Istat (Institut italien de statistiques), a pour effet de réduire le taux de chômage des travailleurs les plus âgés, alors que le taux d’occupation des jeunes reste à un niveau très bas – 15,1 % à la fin du deuxième trimestre 2015. Et la majorité des nouveaux emplois se trouvent dans le secteur des services à faible qualification.

Par certains aspects, nous estimons que cette loi est inconstitutionnelle. En tout état de cause, la Confédération générale italienne du travail (CGIL) est déjà en mouvement. Non seulement par des manifestations et des grèves dans certaines des plus importantes catégories confédérales, mais aussi par la collecte de signatures, dans le but de promouvoir un référendum à même de désarticuler l’ensemble des mesures, de manière à les rendre moins dangereuses.

 

  • La locomotive qui fera bouger les choses par Marc Goblet, secrétaire général de Fédération générale des travailleurs de Belgique  (FGTB)

42572.HRQue ce soit avec la loi El Khomri en France ou la loi Peeters chez nous en Belgique, on voit bien que partout en Europe les gouvernements tentent d’imposer de graves reculs sociaux. On est en train de mettre à mal tout ce qui a été conquis en 1936, chez nous comme en France. On crée partout de plus en plus de précarité et d’injustice sociale. Ces offensives contre les travailleurs et leurs droits, contre le bien-être de leurs familles, sont concomitantes dans toute l’Europe. On veut nous obliger à travailler plus longtemps, en allongeant la durée du travail et en reculant l’âge de la retraite. La directive européenne qui met la semaine de travail à 48 heures date de 2000. Et, depuis, tous les gouvernements de l’UE essaient de l’appliquer : logique, puisque ce sont eux qui l’ont décidée ! La loi Peeters, comme la loi El Khomri, utilise pour cela les mesures de flexibilité. En Belgique, on peut déjà aller jusqu’à 47,5 voire 50 heures pour le travail en équipe, jusqu’à 70 heures en feu continu et jusqu’à 7 jours sur 8. À cela s’ajoute une démolition concertée des services publics qui sont, pour les travailleurs, du salaire différé : en Belgique, les coûts de fonctionnement sont réduits de 20 % et les frais de personnel de 10 %, on ne remplace plus ceux et celles qui partent en retraite. La SNCB est en grève contre la suppression de 6?000 emplois et les menaces sur le statut. La diminution de 10 % par an du nombre de gardiens de prison ne permet plus d’assurer la dignité des détenus. La justice ne fonctionne plus faute de moyens. Partout l’État fait des économies en prétendant que c’est la Commission qui le demande alors que ce sont les dirigeants européens qui l’ont décidé. J’en veux pour preuve la directive de Marianne Thyssen sur les travailleurs détachés, qui tâchait de faire mieux respecter leurs droits et que 14 États sur 28 ont rejetée.

Il est clair que ce qu’il faudrait faire, c’est s’organiser au niveau de la Confédération européenne des syndicats, la CES, pour dire à la Commission que cela suffit, qu’il faut cesser de protéger les fuites de capitaux et les banques, le capitalisme financier, au détriment de ceux qui vivent de leur travail. Une coordination syndicale est nécessaire. Mais elle est rendue difficile par le fait que tous n’ont pas la même conception que nous de la lutte syndicale. La nôtre se rapproche de celle de la CGT ou de FO. Or une partie des syndicats sont des « syndicats maison ». Ceux des pays de l’Est, nouveaux venus dans l’UE, bénéficient plus du dumping social organisé qu’ils n’en souffrent. La Grande-Bretagne a son système à part, où le syndicat est organiquement lié au Parti travailliste, ce qui n’est pas étranger à la victoire de Corbyn. Les pays scandinaves ont un modèle spécifique de concertation et un taux de chômage plus bas que les pays latins. La Belgique, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal ont plus ou moins la même conception, celle d’un syndicalisme de lutte?: à nous d’être la locomotive pour faire bouger les choses.

 

  • Les seuls bénéficiaires sont les actionnaires par Bernd Riexinger, coprésident de Die Linke

42573.HRJ’observe avec beaucoup de sympathie l’actuel mouvement français contre les atteintes au Code du travail. En France, d’aucuns présentent souvent les contre-réformes mises en œuvre en Allemagne par Gerhard Schröder au début de la dernière décennie comme un facteur de modernisation auquel il faudrait se résoudre. Je voudrais alerter sur l’imposture que constitue une telle présentation. J’ai pu mesurer en tant que syndicaliste puis en tant que dirigeant du parti Die Linke combien ces réformes ont profondément ébranlé la société, mis à mal le lien social et provoqué en l’espace de quelques années une terrible polarisation au sein de la société allemande, qui est devenue l’une des plus inégalitaires d’Europe. Un quart des salariés allemands vivent désormais dans des conditions très précaires dans un « secteur à bas salaires » très cloisonné, dont vous éprouvez les plus grandes peines à vous sortir quand il vous a happé.

Les réformes inscrites à l’agenda 2010 de l’ex-chancelier, comme les lois Hartz, n’ont pas seulement spolié les chômeurs en réduisant leurs droits, elles ont aussi sapé les acquis et les protections des salariés. Elles ont stimulé l’apparition de mini-jobs à 400 euros ou de ces dizaines de milliers de contrats d’ouvrage (Werkverträge), conclus aujourd’hui avec une microsociété, voire une autoentreprise. De plus, de multiples clauses d’exemption et autres conditions tarifaires « maison » sont devenues possibles. Résultat?: une minorité de salariés est désormais « couverte » par de vrais accords tarifaires (conventions collectives de branche). Le bilan de ces attaques contre le droit du travail, c’est que, sur douze ans, les rémunérations réelles ont stagné ou ont même baissé dans les catégories inférieures et intermédiaires. Les seules bénéficiaires des réformes furent les actionnaires des grands groupes exportateurs. Ils ont pu accroître leurs profits et leurs excédents commerciaux grâce à l’écrasement de la masse salariale alors que la productivité augmentait.

C’est donc un mensonge que d’affirmer que l’économie allemande se porte mieux grâce à ces réformes. Si l’on établit une moyenne sur les quinze dernières années, l’Allemagne affiche une croissance molle, guère plus élevée que celle d’un pays comme la France. Avoir tout misé sur les exportations en organisant la déflation des dépenses salariales et sociales, cela a plombé pendant des années le marché intérieur, qui frémit aujourd’hui uniquement grâce au salutaire regain de combativité des salariés.

Les effets pervers des réformes se font sentir de plus en plus fortement. L’explosion des inégalités est telle qu’elle inquiète jusqu’à certains économistes « orthodoxes ». La pauvreté au travail, qui s’est considérablement étendue, commence en effet à avoir des effets rédhibitoires sur l’organisation des entreprises et sur la qualité de certaines de leurs productions. Autre bombe à retardement du torpillage du Code du travail à l’allemande?: la pauvreté des seniors va devenir le problème majeur de ces prochaines années. Compte tenu de la multiplication des contrats précaires exonérés de « charges » sociales, bon nombre de personnes vont en effet voir leurs revenus divisés au moins par deux et amputés le plus souvent encore davantage quand elles atteindront l’âge de la retraite. Le phénomène a déjà pris une dimension dramatique et il ne va cesser de s’étendre.

Les salariés français auraient tout à perdre à copier l’exemple allemand. Leur combat est salutaire pour l’Europe. C’est l’Allemagne qu’il faut libérer de ce « modèle ».

 

  • Dérégulation et insécurité par Keith Ewing, professeur de droit au King’s College de Londres et John Hendy, avocat au Barreau de Paris

Les travailleurs français sont engagés dans un combat historique pour la défense de leurs droits. La lutte est internationale. Les travailleurs et les syndicats affrontent l’assaut néolibéral qui revient sur les réalisations des générations précédentes. C’est la honte éternelle des socialistes français que de s’être revêtus du manteau discrédité que Tony Blair avait pris des épaules de Madame Thatcher. Mais c’est la mode à Bruxelles, comme dans les autres capitales, d’Europe ou d’ailleurs. S’il se trouve des travailleurs français qui ont des doutes sur ce qui est en jeu, ils devraient regarder ce qui s’est passé au Royaume-Uni. Nous aussi, nous avions un État social dont nous pouvions être fiers, avec des syndicats pleinement intégrés. À la veille de la révolution de Blair et Thatcher, 60 % des travailleurs britanniques étaient syndiqués, et 82 % d’entre eux étaient protégés par des conventions collectives. Le droit de grève faisait l’objet d’une ample protection. Sous Thatcher, cette structure a été dépouillée quand l’État social est devenu État néolibéral, servant les intérêts du patronat plutôt que du travail. Les grèves ont été déclenchées, la police a été militarisée pour écraser la résistance et la loi a changé. La syndicalisation a chuté et la couverture par la négociation collective s’est effondrée à environ 20 % aujourd’hui. Moins de travailleurs britanniques sont désormais protégés par une convention collective qu’avant la Première Guerre mondiale. Comparés aux autres travailleurs européens, ils bénéficient moins de l’éducation et de la formation, et – du fait du manque d’investissement des employeurs – leur productivité est moindre. Ils disposent de moins de congés payés. Une grande partie d’entre eux sont dans la pauvreté, avec des bas salaires subventionnés par l’État. Bienvenue dans notre monde de dérégulation, décentralisation et insécurité ! En Grande-Bretagne, une forte proportion de la population active est dans une situation de soi-disant « travail autonome », de travail en agence, de travail temporaire ou de contrat à zéro heure. Elle compte davantage de travailleurs à temps partiel que dans les autres pays européens. Les travailleurs britanniques ont moins droit aux indemnités de licenciement, aux congés pour maladie ou de maternité, tandis que leurs droits liés aux démissions injustes et aux discriminations sont pratiquement inaccessibles du fait de l’imposition de forts tarifs pour pouvoir les défendre devant un tribunal. Nous sommes le paradigme pour le capitalisme moderne. Des syndicats faibles, des négociations collectives limitées à l’entreprise et un droit de grève réduit à la portion congrue. C’est le modèle états-unien pour l’Europe, que les institutions de l’UE souhaitent imposer à tous les États membres au travers de la combinaison des changements vers l’austérité imposés par la troïka?, des nouvelles règles de gouvernance économique introduites par les bureaucrates de Bruxelles et des accords commerciaux avec les États-Unis et d’autres.

Il est important que les travailleurs français soient conscients de ce qui se joue. Une fois que commence le voyage vers la dérégulation, il ne prend jamais fin. L’attaque est constante et implacable, et la récente législation imposant de nouvelles restrictions au droit de grève est claire. Nous regardons la France comme une source d’inspiration, pour démontrer que les lois sur le travail peuvent encore être un instrument de participation et de protection, qu’elles peuvent encore être sous-tendues par la liberté, l’égalité et la fraternité. Nous vous souhaitons le meilleur : notre combat est notre combat ; votre combat est un combat mondial.

Source L’Humanité 01/06/2016

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