En Ethiopie, la contestation des Oromo étouffée par l’état d’urgence

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Après avoir réprimé dans le sang les manifestations, le gouvernement interdit tout rassemblement public et maintient un climat de peur. Reportage en région Oromia.

Par Emeline Wuilbercq

Bekuma parle tout bas. Il jette un regard à gauche, un autre à droite. Il y a beaucoup de passage dans ce café du centre-ville de Waliso, ville éthiopienne située à une centaine de kilomètres d’Addis-Abeba, dans la région Oromia (centre et ouest). Ici, il vaut mieux se méfier des oreilles indiscrètes. « Les gens ont peur », dit-il, avec un sourire gêné.

Waliso était l’un des épicentres de la contestation qui a secoué l’Ethiopie à partir de novembre 2015. Des milliers de fermiers oromo, qui composent l’ethnie majoritaire du pays, ont alors quitté leurs champs pour manifester contre le gouvernement. Ils l’accusaient notamment d’exproprier des terres agricoles au profit d’investisseurs, sans verser une juste compensation. Les manifestations se sont ensuite étendues à la région Amhara, dans le nord du pays, à l’été 2016.

Réprimées dans le sang, elles auraient causé la mort de 669 personnes au total en 2016, dont 462 dans la seule région Oromia, selon le dernier bilan officiel de la Commission des droits de l’homme en Ethiopie, un organe mandaté par le Parlement pour enquêter sur les violences. Amnesty International estime pour sa part qu’elles ont fait plus de 800 morts.

Les Nations unies et l’Union européenne ont réclamé des enquêtes indépendantes pour faire toute la lumière sur la répression de ces protestations antigouvernementales. Des demandes rejetées, le 19 avril, lors d’une conférence de presse, par le premier ministre, Hailemariam Desalegn, qui a invoqué la souveraineté de son pays.

Détentions arbitraires

Bekuma (les prénoms ont été changés), ingénieur en génie civil dans une agence gouvernementale, n’a pas osé participer aux manifestations de peur des représailles. « Ils auraient pu me virer », dit le jeune homme d’une vingtaine d’années. Mais il était du côté des contestataires. Et il garde en lui cette « rage » partagée par tous ses amis, assure-t-il.

Les rassemblements publics sont interdits en Ethiopie depuis l’instauration de l’état d’urgence, le 9 octobre 2016. D’abord établi pour une durée de six mois, il a été prolongé le 29 mars de quatre mois. Le ministre de la défense éthiopien, Siraj Fergessa, a justifié cette prolongation par la présence d’éléments pouvant perturber la paix et la sécurité.

Il a toutefois été assoupli : le couvre-feu autour de lieux considérés comme étant d’intérêt économique a été révoqués tout comme les pouvoirs spéciaux conférés aux services de sécurité pour rechercher et arrêter les suspects, ou fouiller leur domicile sans mandat.

« Le gouvernement dit que l’état d’urgence a ramené le calme, mais c’est faux, c’est en raison des mesures cruelles qu’il a prises », poursuit Bekuma. Les forces de l’ordre « ont tué sans faire d’exception » et des gens ont perdu leur sœur, leur frère, leur père, explique-t-il. Il embraye sur des cas de harcèlement, sur les détentions arbitraires. Depuis le 9 octobre, des dizaines de milliers d’Ethiopiens ont été arrêtés et plus de 20 000 personnes libérées.

Interrogatoires musclés

Gamsisa, 29 ans, en fait partie. Croix orthodoxe autour du cou, regard dur, il a passé deux mois dans le camp militaire de Tolay dans la région Oromia. « La première nuit, on était environ quarante prisonniers dans une pièce de 20 mètres carrés. Il faisait extrêmement chaud, on suffoquait, j’ai cru que j’allais mourir… », raconte-t-il. Ce n’était que le début. Plusieurs milliers de personnes ont subi des interrogatoires musclés dans ce camp isolé, sans pouvoir joindre leurs proches.

Pendant la durée de l’enquête censée désigner les fauteurs de troubles, les policiers, non contents de les frapper, les obligeaient à « se rouler comme des serpents » sur du gravier, à fixer le soleil des yeux, à sauter comme des kangourous, les pieds joints, sur des centaines de mètres. « C’était épuisant », raconte le blogueur éthiopien Seyoum Teshome, qui était dans la même cellule que Gamsisa.

Ce professeur d’université est le seul à accepter de témoigner sous son vrai nom. Il parle de « terreur rouge », en référence à la violente répression de 1977-1978, sous le régime marxiste de Mengistu Hailé Mariam, durant laquelle une centaine de milliers d’Ethiopiens furent exécutés ou disparurent.

Le trentenaire replet, l’air fatigué, fume cigarette sur cigarette. Il a passé cinquante-six jours à Tolay. Des connaissances bien placées lui ont évité d’être torturé autant que les autres. Mais entendre à longueur de journée les cris et les supplications de ses codétenus lui était insupportable. « Ils utilisent l’état d’urgence comme un permis de torturer. » Quelques prisonniers ont fait un arrêt cardiaque, une jeune femme aurait fait une fausse couche, raconte-t-il dans un billet de blog publié sur le site d’Amnesty International.

Rééducation politique

« Ils nous forçaient à nous confesser, explique Gamsisa. Des gens innocents ont avoué pour que cessent leurs souffrances. Ils ont été emmenés, on ne sait pas où ils sont… » Selon les rumeurs, ils ont été dispersés dans plusieurs prisons.

Les autres sont restés à Tolay pour subir un « entraînement », une sorte de rééducation politique. Les prisonniers devaient notamment regarder des documentaires dénonçant le système féodal de l’empire d’Hailé Sélassié, le dernier empereur, qui a été destitué en 1974, et la dictature militaire communiste qui lui a succédé, celle du Derg et du colonel Mengistu.

« Ils voulaient montrer à quel point les précédents régimes étaient antidémocratiques » en comparaison du leur, ironise Gamsisa, ajoutant que les moins attentifs recevaient des coups.

« Le gouvernement maintient un climat de peur, il nous terrorise, assure Seyoum Teshome. La peur est le sombre contraire de la liberté, qui effraie le gouvernement. Mais vous ne pouvez pas arrêter cette quête de liberté. »

Le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) est accusé de dominer sans partage la vie politique éthiopienne à travers notamment le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, la coalition au pouvoir depuis vingt-cinq ans, qui a raflé tous les sièges du Parlement lors des élections générales de mai 2015.

Censure

Les ethnies oromo et amhara, qui représentent près des deux tiers de la population, se sentent lésées face aux Tigréens. Lors des manifestations, cette minorité, qui compose 7 % de la population, était accusée d’accaparer les postes-clés du gouvernement, des forces de sécurité et des grandes entreprises, et de bénéficier de tous les privilèges. Les protestataires ont également dénoncé les manquements démocratiques, l’absence de liberté d’expression et les violences arbitraires.

Mais la crainte a désormais pris le pas sur les revendications. Un climat de peur a envahi la région Oromia. Sur le campus universitaire de Jimma, à 240 kilomètres au sud-ouest de Waliso, les allées bordées de palmiers n’ont jamais été aussi calmes. Quelques dizaines de jeunes diplômés en droit s’esclaffent, vêtus de tee-shirts portant un message en faveur de la justice. Celle que réclamaient des milliers d’étudiants il y a quelques mois en chantant le slogan « Down down Wayane ! » (« A bas le TPLF ! »).

Certains étudiants hésitent à témoigner, d’autres refusent catégoriquement. Sur Facebook et Twitter, accessibles seulement grâce aux réseaux privés virtuels qui permettent de contourner la censure, peu de gens osent poster des critiques sans pseudonyme, raconte Chala, 22 ans, assis sur un muret près de sa salle de cours.

« On a tous peur d’être emprisonnés, harcelés, torturés », explique un élève en droit. Il assure que des « espions », des étudiants affiliés à l’Organisation démocratique du peuple oromo, également membre de la coalition au pouvoir, rôdent sur le campus. « Ils ont suivi les plus militants d’entre nous et les ont dénoncés ! », poursuit-il.

« Un face-à-face sinistre »

Demere aussi a peur. « Ne mettez pas mon nom s’il vous plaît », implore l’étudiant en pharmacie, l’air inquiet, après avoir qualifié le régime de « dictature militaire ». Il n’a oublié ni les jeunes roués de coups, ni les gaz lacrymogènes, ni les violences pendant les manifestations. « On était pacifiques, ça a tourné à la violence » à cause des forces de l’ordre, déplore-t-il. Il connaît dix personnes emprisonnées. Ses parents l’ont supplié de ne plus remettre les pieds à l’université.

« Beaucoup d’étudiants sont encore traumatisés psychologiquement, ont des séquelles physiques, beaucoup ont été battus, certains ont arrêté leur cursus, soupire Abdi, 21 ans, futur médecin. L’état d’urgence viole la Constitution. Normalement, on devrait avoir le droit de manifester, de critiquer le gouvernement. Et celui-ci devrait répondre à nos revendications au lieu de les nier en envoyant tout son dispositif sécuritaire. »

Pour René Lefort, journaliste et chercheur spécialiste de la Corne de l’Afrique, le « pourrissement de la situation » est le scénario le plus probable. « D’un côté, le régime parvient à maintenir la loi et l’ordre à peu près, mais il ne réussit pas à gagner les cœurs et les esprits, faute de réformes assez profondes et rapides, dit-il. De l’autre, le mécontentement est contenu par la peur, par l’efficacité de la répression. On est dans un face-à-face assez sinistre qui peut durer relativement longtemps… Jusqu’à quand ? Personne n’en sait rien. »

Comme de nombreux étudiants interrogés, Abdi, lui, se dit que d’autres manifestations pourraient avoir lieu. « Un de ces jours, dans le futur », lâche-t-il, évasif. On sent de la colère dans le regard de ces jeunes. Mais le souvenir de la répression est encore trop frais.

Source Le Monde 25/05/2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique, Ethiopie, Politique, Société civile, Politique de l’immigration, rubrique Société, Mouvement sociaux, Citoyenneté, On line  :   Ethiopie : le gouvernement durcit l’état d’urgence avec de nouvelles restrictions ,   Ethiopie : le sultan des Afar s’implique dans la crise ,   Pourquoi l’Europe doit s’attendre à l’arrivée massive de nouveaux réfugiés éthiopiens ,

En état d’urgence, l’Ethiopie accueille Merkel, préoccupée par les flux migratoires

Le 2 octobre, à Bishoftu , lors du festival Irrecha, principale manifestation culturelle annuelle pour les Oromo, une bousculade aurait fait au moins 52 morts. © Tiksa Negeri / Reuters

Le 2 octobre, à Bishoftu , lors du festival Irrecha, principale manifestation culturelle annuelle pour les Oromo, une bousculade aurait fait au moins 52 morts. © Tiksa Negeri / Reuters

La visite ne pouvait tomber plus mal : la tournée d’Angela Merkel en Afrique s’achève ce mardi par Addis Abeba, alors que le pays affronte une contestation inédite et violemment réprimée.

«Du bien être de l’Afrique dépendra la façon dont nous allons vivre en Allemagne», avait martelé vendredi Angela Merkel, à la veille d’une tournée africaine censée lui permettre de s’attaquer aux causes de la crise migratoire. Sur le principe, c’est une évidence : si les Africains sont contents chez eux, ils ne chercheront pas à fuir en masse vers l’Europe. Et la chancelière qui paye politiquement cher d’avoir ouvert les portes aux migrants durant l’été 2015, est désormais prête à investir sur le continent pour freiner les flux migratoires qui nourrissent les pulsions xénophobes en Allemagne comme dans toute l’Europe.

Après le Mali et le Niger, où l’Allemagne apportera une contribution accrue à la lutte contre les jihadistes qui sévissent dans le Sahel, Merkel est donc ce mardi à Addis Abeba, capitale de l’Ethiopie. Une dernière étape, qui risque cependant de révéler un délicat exercice d’équilibriste entre les intérêts des Allemands, et plus globalement des Européens (juguler les flux migratoires tout en éradiquant la menace des groupes terroristes), et le «bien-être» des Ethiopiens.

Depuis un an en effet, un vent de contestation, sans précédent depuis 2005, s’est levé en Ethiopie : des manifestations quasi quotidiennes, violemment réprimées, auraient fait plus de 400 morts ces douze derniers mois. En réponse, les autorités éthiopiennes se refusent à tout dialogue et pointent du doigt l’étranger : soit l’Erythrée voisine, soit l’Egypte accusée lundi de soutenir, elle aussi en sous-main, le Front de libération Oromo, un mouvement régionaliste exilé à Asmara, la capitale de l’Erythrée.

Pouvoir monopolisé depuis vingt ans

Le week-end dernier, à la veille de l’arrivée de Merkel, les autorités éthiopiennes ont franchi un pas de plus en décrétant l’état d’urgence pour six mois, pour la première fois de puis vingt-cinq ans.

Les causes de la colère des Ethiopiens sont multiples. La révolte a semblé un temps circonscrite à la région Oromo, un territoire situé à proximité d’Addis Abeba, grand comme la France et qui regroupe prés de 30 millions d’habitants, soit un tiers de la population éthiopienne. Protestant contre un projet d’agrandissement de la capitale qui empiéterait sur leurs terres ancestrales, les Oromo sont descendus dans la rue dès novembre 2015.

Mais le ras-le-bol est en réalité plus profond face à un pouvoir monopolisé depuis vingt ans par la minorité tigréenne et par un quasi parti unique, le Front démocratique révolutionnaire (EPRDF), qui détient 100% des sièges du Parlement éthiopien.

Cet été, la contestation s’est étendue à la communauté amhara qui se sent, elle aussi, marginalisée. Oromo et Amhara, deux ethnies longtemps antagonistes, représentent ensemble 60% de la population de cet Etat fédéral où le pouvoir reste pourtant très centralisé. En août, les manifestations des uns comme des autres ont été brutalement réprimées, notamment dans la capitale, Addis Abeba.

Peu après, le marathonien Feyisa Lilesa qui représentait l’Ethiopie aux Jeux olympiques de Rio, franchissait la ligne d’arrivée les deux bras croisés au-dessus de la tête, en signe de révolte contre un pouvoir jugé totalitaire, avant de s’enfuir et de demander l’asile aux Etats Unis.

Politique audacieuse d’industrialisation

Depuis, aucun signe d’accalmie ne semble se dessiner. Le 2 octobre, à Bishoftu à une cinquantaine de kilomètres d’Addis Abeba, lors du festival Irrecha, principale manifestation culturelle annuelle pour les Oromo, la foule a protesté contre la présence de dirigeants oromo proches du pouvoir et considérés comme des traîtres. Lorsque les manifestants ont tenté de prendre d’assaut la tribune officielle, la police a riposté avec des tirs de gaz lacrymogène provoquant une bousculade qui aurait fait au moins 52 morts.

Même le pouvoir semble avoir été dépassé par l’ampleur des pertes, et avait décrété dès le lendemain un deuil national de trois jours. Sans arrêter les manifestations qui se sont poursuivies jusqu’à la mise en place de l’état d’urgence.

C’est donc dans un pays très tendu qu’arrive Angela Merkel. Le paradoxe, c’est que les Occidentaux aiment bien l’Ethiopie. Avec 10,8 % de croissance annuelle et une politique audacieuse d’industrialisation qui attire même les investisseurs chinois, l’Ethiopie autrefois connue pour ses famines et ses appels aux dons, offre un bel exemple d’essor économique. Même si ce décollage se fait au prix d’expropriations sans compensation qui ont concerné 150 000 fermiers au cours de la décennie écoulée.

Les silences génèrent des frustrations

L’Ethiopie joue aussi un rôle stratégique pour la sécurité dans cette région volatile de la Corne de l’Afrique. Avec la présence d’un contingent de 4 000 soldats éthiopiens au sein de l’Amisom, la force de l’Union africaine qui lutte contre les shebabs en Somalie. Ce qui permet à Addis Abeba de recevoir une aide des Etats-Unis de 3,3 milliards de dollars par an. Et de faire taire les critiques. Celles des Occidentaux comme celle des pairs africains réunis au sein de l’Union africaine dont le siège se trouve justement à Addis Abeba. Merkel y est d’ailleurs attendue ce mardi pour l’inauguration d’un nouveau bâtiment consacré à la «paix et la sécurité» et baptisé du nom de Julius Nerere, en l’honneur de l’ancien président tanzanien.

Au-delà des fleurs et des vœux pieux, personne ne s’attend réellement à ce qu’on évoque les troubles qui déchirent le pays hôte.

Mais les silences génèrent aussi des frustrations qui peuvent conduire à de nouvelles formes de violences. Au lendemain de la bousculade fatale de Bishoftu, une ferme fruitière néerlandaise, deux usines de textile turques et une cimenterie nigériane ont été mises à sac par des manifestants qui ciblent de plus en plus les intérêts étrangers.

Spectre de nouveaux tsunamis migratoires

Plus inquiétant encore : il y a tout juste une semaine, le 4 octobre, Sharon Gray une jeune biologiste américaine de 31 ans qui circulait par hasard à la périphérie d’Addis Abeba, non loin d’une manifestation, a été tuée après avoir été frappée par un jet de pierres. La mort de cette femme n’est-elle que le prélude d’une hostilité accrue face aux étrangers dont les pays d’origine sont perçus comme les soutiens d’un un régime autoritaire ? Ou bien la répression sous état d’urgence, dans un pays où la police a déjà beaucoup de pouvoirs provoquera-t-elle une accélération des flux migratoires en dehors du pays ?

Voilà bien un cas d’école pour Angela Merkel, comme pour tous les dirigeants européens hantés par le spectre de nouveaux tsunamis migratoires. Car en Ethiopie, l’espoir d’un «bien-être» sur place en échange d’un frein à l’exode semble assez illusoire. En rentrant à Berlin, la chancelière accueillera également cette semaine le président tchadien Idriss Déby, autre grand démocrate qui tient son pays d’une main de fer depuis 1990 et qui reste par ailleurs l’allié incontournable de Paris dans la lutte contre les jihadistes du Sahel.

Face à l’Afrique, les Européens restent bien sur la même ligne. Reste à savoir si elle ne mène pas droit dans le mur.

 

Maria Malagardis

Source : Libération 11/10/2016
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Les politiques de domination à l’origine des migrations

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En déstabilisant des régions entières par des interventions militaires, un soutien à des despotes locaux, ou tout simplement en coupant dans les subsides au développement, les dirigeants européens contribuent à nourrir les flux de migrants.

 

Ils étaient 700, mercredi, amassés sur un bateau de pêche en quête d’un refuge sur le continent européen. Seuls 367 d’entre eux ont finalement réchappé du naufrage. Les autres ont rejoint les 25?000 chercheurs d’asile morts en Méditerranée depuis vingt ans. Les survivants iront dans un des centres italiens d’accueil ou d’identification, à moins que ce soit un récif mentonnais ou un bidonville rebaptisé «jungle» du côté de Calais.

De janvier à juin, 2 865 de nos semblables, fuyant les guerres et la pauvreté, sont morts sur le chemin de leur exil. D’autres peuplent par millions d’autres bidonvilles et camps de réfugiés sur toute la planète. À une implacable majorité, c’est essentiellement dans les pays du Sud qu’ils trouvent asile. On voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène inexorable, presque naturel, dont les pays occidentaux ont à se protéger. C’est une manipulation guidée par la peur et une supposée prédominance des idées d’extrême droite dans les opinions publiques. Une manipulation qui veut surtout cacher les responsabilités. Les migrants fuient la pauvreté en Afrique, les bombardements en Afghanistan, la guerre civile en Syrie et en Libye, la dictature en Érythrée… Autant de guerres directement ou indirectement déclenchées, au nom de la lutte contre le terrorisme, par les pays membres de l’Union européenne et leurs alliés atlantistes. Autant de situations politiques, économiques et sociales désastreuses entretenues par une dette immonde et la réduction des efforts d’aide au développement auxquels ces mêmes pays s’étaient engagés.

Les gouvernants de l’Europe se sont révélés d’autant plus incapables, en juin, de se mettre d’accord sur l’ouverture de voies légales pour l’accueil des réfugiés ou encore sur une répartition de ces derniers entre pays membres. Chacun campe sur un égoïsme teinté de xénophobie. Les pays dits de première ligne, ceux qui ont des frontières extérieures à l’UE, ne cessent de demander la fin de la réglementation de Dublin qui contraint les migrants à demander l’asile dans le premier pays où ils ont été enregistrés. Les autres s’y refusent, France et Angleterre en tête. Au lieu de cela, l’Europe externalise sa gestion de l’asile, se barricade et militarise ses frontières, dans un criminel et vain déni de responsabilité.

1 Les guerres impérialistes déstabilisent des pays entiers

Octobre 2014, Lampedusa. L’ancienne porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies et présidente de la Chambre des députés italiens, Laura Boldrini, tient l’un des propos les plus consternants sur les drames de l’immigration aux portes de l’Europe, en déclarant qu’il s’agit là d’« une guerre entre les personnes et la mer ». Poséidon plus coupable que les interventions militaires, en somme. Les Vingt-Huit portent pourtant une lourde responsabilité directe dans les flux migratoires. S’il n’existe pas de diplomatie européenne en tant que telle, l’engagement des États membres dans des conflits meurtriers au Moyen-Orient ou encore en Afghanistan depuis 2001 a ébranlé des régions entières. L’existence de régimes dictatoriaux épouvantables a servi de prétexte plus que d’argument, comme en témoigne la montée en puissance de l’« État islamique » en Syrie, ou encore en Libye où un chaos sans nom s’est substitué au despotisme de Kadhafi. Les Irakiens ne sont pas non plus épargnés.

Septembre?2001, Afghanistan. Au lendemain des attaques contre le World Trade Center, les États-Unis partent en guerre contre les talibans. Flanqués de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et la Roumanie, ils claironnent qu’ils en finiront avec ces « fous de Dieu » qui sévissent dans cette région déjà tendue de l’Asie centrale. Après quatorze ans d’occupation militaire, c’est l’impasse. Al-Qaida souffre certes de dissensions internes, mais les fondamentalistes tirent toujours les ficelles. En revanche, entre 4 et 5 millions d’Afghans ont quitté leur pays sous la menace des armes : 2,7 millions se trouvent en situation régulière au Pakistan et en Iran. Loin des 41?000 demandes à l’UE en 2014… La coalition belliciste qui s’est mise en marche, sans mandat onusien, contre Saddam Hussein en 2003, au nom d’objectifs géostratégiques et économiques autrement moins altruistes que le combat contre le despote de Bagdad, ne peut elle non plus se laver les mains. La guerre a fait près d’un demi-million de morts et les fondamentalistes sont désormais aux portes du pouvoir.

Autre exemple : la Libye. Le colonel Kadhafi, à qui l’UE avait confié l’externalisation de ses centres de rétention, est devenu l’homme à abattre. En 2011, la France s’engage aux côtés de l’Otan dans un conflit sans fond. Quatre ans plus tard, de l’avis même de Laurent Fabius, le pays est « une poudrière terroriste » qui menace toute la bande sahélo-saharienne. Deux gouvernements se déchirent le contrôle du pétrole. Impensable, mais cette zone de non-droit est l’une des principales routes de l’immigration en direction de l’Europe. Enfin, l’illustration la plus pathétique est la Syrie. Non seulement Bachar Al Assad est toujours au pouvoir, mais la coopération des démocraties européennes, à commencer par Paris, avec l’opposition syrienne, a servi les desseins des djihadistes de l’« État islamique ». Sur le plan humanitaire, c’est un désastre. Quatre ans plus tard, 4 millions de Syriens ont fui leur pays. La Jordanie en accueille un demi-million, faisant de cette présence une pression sur les ressources naturelles et énergétiques. Au Liban, le nombre d’exilés syriens représente désormais 25?% de la population.

2 Une politique de coopération en berne

Alors que les conflits, les pouvoirs autoritaires, les épidémies… contraignent les peuples de nombreux pays du continent africain et du Moyen-Orient à des conditions de vie à la limite du supportable et à l’exil, le niveau des aides financières internationales pouvant aider notamment à des redynamisations économiques est souvent en déclin. La France, en dépit du vote par le Parlement le 24 juin 2014 d’une première loi dite « d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale », est loin de ses engagements. Loin du rôle qu’elle pourrait jouer alors que d’autres nations européennes comme le Luxembourg, la Norvège, la Suède ou le Royaume-Uni se conforment aux préconisations de l’ONU pour verser l’équivalent de 0,7 % de leur revenu brut national.

La France, pointe l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), qui compte 34 pays membres et que l’on ne peut guère suspecter de s’opposer au libéralisme économique ambiant, note que le pays des droits de l’homme atteint à peine 0,36 %, en recul de 9?% d’une année sur l’autre. Ce qui n’a pas empêché la secrétaire d’État en charge du développement, Annick Girardin, d’affirmer qu’avec ce nouvel arsenal législatif « la France va se doter d’un cadre d’action moderne dans le domaine du développement, pour apporter des réponses aux enjeux du XXIe siècle et promouvoir un développement durable et solidaire… ».

Ce qui pour le moins n’a pas convaincu Christian Reboul, de l’ONG Oxfam, pour qui « depuis quelques années, le gouvernement et le président de la République ont une fâcheuse tendance à annoncer des contributions importantes pour répondre aux crises, comme par exemple la crise syrienne, sans pour autant que cela se traduise par de nouveaux financements dans les faits, dont on pourrait voir la trace dans les lois de finances : les chiffres de l’aide française deviennent ainsi virtuels et incantatoires ». Oxfam s’est indignée publiquement à l’occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, estimant que « le gouvernement trace une trajectoire déclinante de l’APD (aide publique au développement) jusqu’à la fin du mandat présidentiel en 2017 ».

Friederike Röder, directrice pour la France de l’ONG One, évoque pour sa part « une aide en baisse pour la cinquième année consécutive », et note que « l’aide aux pays les plus pauvres représente à peine un quart de l’aide totale ». Et One de pointer que dans le budget 2015 l’APD ne représente, « en dons d’argent pur et simple », que 533 millions d’euros, « un chiffre en baisse de 9 % par rapport à l’année dernière ». Le constat est hélas unanime. La France est loin d’être à la hauteur des enjeux financiers et humains…

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3 L’externalisation de l’asile légitime les dictatures

Sur les 16,7 millions de réfugiés dans le monde, seulement 15 % sont accueillis dans les pays riches, en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Les autres sont abrités dans les pays du Sud. Pour les 28 pays membres de l’UE, ce déséquilibre ne doit pas être remis en cause, mais ils sont tous signataires de la convention de Genève, qui impose le principe de non-refoulement. Pour y pallier, ils ont opté, depuis les années 2000, pour « une approche internationale » du traitement des flux migratoires, introduisant le principe « d’externalisation des demandes d’asile » quitte, parfois, à collaborer avec des pays pour le moins douteux du point de vue du respect des droits de l’homme. Dès 2004, l’agence Frontex a commencé à collaborer tous azimuts pour l’identification et le contrôle des migrants. En septembre 2005, l’idée est officiellement avancée par la Commission européenne de créer des « zones régionales de protection » à proximité des lieux de départ des exilés, prétextant que cela « semble moins coûteux que l’accueil dans des centres de réfugiés installés dans des pays membres de l’UE ». Puis, en 2006, s’enclenche le « processus de Rabat », qui impose aux pays nord-africains, notamment le Maroc, de faire la police aux frontières de l’UE en empêchant les migrants de quitter leur territoire.

Les Vingt-Huit sont allés encore plus loin, en novembre 2014, en signant les accords de Khartoum, se souciant peu des dictateurs et des régimes collaborant aux trafics d’êtres humains. Il a été ratifié avec Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud Soudan et l’Érythrée et prévoit « de mettre en place une coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination ». Peu avant, au mois d’avril, le 11e fonds européen pour le développement décidait d’accorder, pour six ans, 312 millions d’euros à l’Érythrée pour endiguer la fuite de ses habitants. « Que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimons », avait alors tenté de se justifier Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de suivre le processus de Khartoum. À la suite de la disparition de 700 personnes lors du naufrage d’avril dernier, la Commission européenne a, par ailleurs, repris, le 13 mai, une idée avancée plus tôt dans le cadre des discussions sur ces mêmes accords. On ouvrira donc, avant la fin de l’année, un « centre multifonction », au Niger, pour identifier et trier les migrants. Des personnes interceptées dans les eaux libyennes pourraient directement y être conduites. De nombreuses voix ont immédiatement dénoncé la création de centres de concentration au cœur de l’Afrique, sans garantie de respect de la dignité et des droits humains.

Cathy Ceïbe, Gérald Rossi et Émilien Urbach

Source : L’Humanité 07/08/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Politique de l’Immigration, UE,

Fiest’A Sète :La lumière des mondes

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Vaudou Game

 Fiest’A Sète allume le Théâtre de la mer de mille couleurs jusqu’à vendredi. Ce soir Africa évolution.

Après un vibrant hommage à RKK à la Ola samedi, Fiest’A Sète a retrouvé depuis dimanche le Théâtre de la mer afin que le meilleur de la musique vivante prenne possession de nos esprits. Dimanche démarrage sous le signe féminin avec les jumelles de Ibeyi et les chanson ciselées de Yael Naim.

La place a été chauffée hier par Mulatu Astatke et Mahmoud Ahmed & Badume’s Band, tout simplement ce qui se fait de mieux en matière de musique éthiopienne. Le festival poursuit son travail d’orpailleur en Afrique de l’Ouest avec la soirée de ce soir où l’on pourra écouter Vaudou Game, un combo franco-togolais propulsé par Peter Solo, qui mêle les esprits bienveillants au groove psyché et fait tourner les compas à l’envers.

Salif Keita reforme les Ambassadeurs pour un soir à Sète. Photo DR

Salif Keita reforme les Ambassadeurs pour un soir à Sète. Photo DR

On touche le mythe avec  le second groupe de la soirée, Les Ambassadeurs, reformés exclusivement par Salif Keita pour un concert unique. Un moment où la musique rejoint l’histoire. Ce retour de la grande famille malienne associe les membres originaux et de prestigieuses étoiles comme Cheik Tidiane, Seck et Amadou Bagayoto. Une renaissance à ne pas manquer.

JMDH

Source La Marseillaise 04/08/2015

Voir aussi : Rubrique Actualité Locale, Rubrique Musique, rubrique Festival, L’enchantement de Fiest’A Sète, On Line Site Officiel,

L’enchantement de Fiest’A Sète

Mohi Kouyate Hugues Anhes

Mohi Kouyate  photo Hugues Anhes

Festival. Sète et le bassin de Thau aux rythmes de la world musique du 24 juillet au 8 août. Les plus grands musiciens du monde se rencontrent à l’occasion de ce rendez-vous pour le bonheur du public.

C’est un départ pour un grand voyage musical dans le temps et dans le coeur de l’espace monde qui se prépare. A l’instar du joueur de flûte de Hamelin, l’air généreux que fait souffler Fiest’A Sète sur le territoire, chasse les pensées nuisibles qui hantent les esprits, ici, comme dans bon nombre de pays des musiciens invités.

Chaque année est un nouveau pari et tous les ans le vrai résultat se mesure dans le bonheur et la richesse des rencontres insufflées par le festival. Ainsi, depuis 18 ans, Hamelin n’est jamais revenu chercher les enfants.

Voilà une première raison pour se rendre, l’esprit paisible et ouvert, à Sète, et dans le bassin de Thau jusqu’au 7 août. La seconde, est que les organisateurs veillent en permanence à ce que le festival face sien le principe du développement humain, du respect des cultures musicales et de leur renouvellement. La troisième réside dans la programmation qui s’articule autour de soirées thématiques avec deux concerts spécifiquement choisis pour aboutir à une synergie de rythmes et de sens autour de rencontres qui font de l’exception, la règle.

Rien d’autre que : « Les bases fondamentales d’un vrai festival. Souligne le directeur José Bel, Nous tentons de proposer la meilleure programmation dans un souci d’exigence artistique et culturelle. Cela étant, c’est toujours avec une dose  d’incertitude en matière d’équilibre financier car aujourd’hui, c’est le passage sur TF1 qui assure la popularité des artistes. A ce jour seul le concert d’Ibeyi et de Yael Naim affiche complet

Une soirée suggérée par le regretté Rémy Kolpa Kopoul (décédé en mai dernier) bien avant que les albums de ses radieuses artistes ne cartonnent sur la bande FM. Le festival avec qui RKK entretenait des liens étroits, lui rendra un hommage festif «eleKtropiKale» à la Ola le 1er août.

Cette 19e édition exprime avec force les pulsions d’une musique bien vivante. « L’idée est de permettre aux spectateurs d’élargir leur regard tout en restant passionnant et jouissif dans les projets que nous proposons. On part sur l’idée d’un thème en donnant deux versions.» Six exemples moins un, après l’annulation de la soirée Brasil do futuro du 8 août suite au désistement du groupe Criolo, illustrent ces propos.

Une affiche brûlante

On récapitule ; Soirée Ethiopiques le 3 août avec les deux monstres sacrés de la musique éthiopienne. La voix de Mahmoud Ahmed perpétuant une tradition musicale d’une infinie richesse et Mulatu Astatke l’avan- gardiste du courant éthio-jazz qui se répand dans le monde entier.

Le 4 août soirée a marquer d’une pierre noire consacrée à la musique de l’Afrique de l’ouest avec l’afro funk de Vaudou Game, une formation lyonnaise qui dépote, conduite par le togolais Peter Solo suivie des Ambassadeurs grand orchestre Malien dont les heures de gloire accompagnent celle de l’indépendance, spécialement reformée par Salif Keita pour un concert unique.

Le 5 août un classique de la grande musique cubaine avec deux artistes légendaires, Jovenes clasicos Del Son et Chucho Valdes.

Le 6 août une paire de bombes balkanik avec l’excellent clarinettiste David Krakauer’s qui débarque des Etats-Unis et Shantel & Bucovina club Orkestar (Allemagne Roumanie) qui greffe l’énergie balkanique au beat de l’électro.

Conclusion le 7 août avec le partenaire de Fela, Tony Allen inventeur de l’Afrobeat et le retour d’Orlando Julius figure légendaire de l’Afro Pop réveillé par de jeune musiciens anglais.

Et vous en voulez encore ?

JMDH

Source : La Marseillaise 24/07/2015

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