La croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente-t-elle à un leurre ? Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante.
AU COURS des 3 à 4 dernières années, l’Afrique a légèrement changé la perception que l’on avait d’elle au niveau international. Pendant de longues décennies l’Afrique a été décrite comme une terre d’espoir perdu, de misère et de calamités. Même si dans une certaine mesure cette perception n’était pas correcte, elle comportait néanmoins une part de vérité. Cependant, le discours ambiant aujourd’hui a radicalement changé. On parle de « temps de l’Afrique » [1], de « continent d’espérance » [2] avec à l’appui de nombreux superlatifs. Ce changement de discours est nourri par une embellie économique liée à de forts taux de croissance qui font envie à certaines parties du monde. Ainsi, l’Angola, le Nigeria, l’Ethiopie, le Tchad, le Mozambique et le Rwanda figuraient parmi les dix économies ayant obtenu les meilleurs taux de croissance dans le monde en 2012.
Toutefois, à côté de ces classements flatteurs, on a aussi une actualité peut reluisante qui met en évidence la hausse d’attentats terroristes, la percée des rebellions et des actes de défiance à l’Etat qui ruinent les vies et les libertés des africains. Du nord Mali au Sud Soudan, en passant par le Nigéria, le Cameroun, la Centrafrique, l’est de la République Démocratique du Congo, les actes de violences et la menace de l’insécurité sont devenus une hantise au quotidien pour les habitants de ces régions. On pourrait valablement soutenir que l’Afrique ne fait point exception à ce niveau, et que le terrorisme est une menace globale qui menace tous les Etats. Cependant, cette lecture habile du problème constitue une fuite en avant et tend à éluder un problème réel irrésolu depuis les indépendances africaines, à savoir l’échec dans la construction d’Etats capables de répondre à la première des libertés qu’est la sécurité, le manque de leadership visionnaire et prévoyant. Aussi, comme le souligne à juste titreRick Rowden [3], la croissance économique actuelle de l’Afrique s’apparente à un leurre. C’est en quelque sorte un grand arbre qui cache une forêt (1) et qui éclipse à tort le préalable de la sécurité et la stabilité, véritable baromètres de l’affirmation étatique (2).
I. L’émergence économique actuelle, un arbre qui cache la forêt
Derrière les prouesses économiques de l’Afrique, on note aussi la persistance d’une instabilité chronique. Beaucoup d’Etats africains, y compris ceux occupant le podium du succès économique, sont encore incapables d’assurer la mission fondamentale autour de laquelle se structure l’Etat, en l’occurrence la sécurité et la préservation des citoyens contre la violence.
Prenant le cas du Nigéria, « épicentre de la violence maritime dans le Golfe de Guinée » [4], le pays est débordé sur son flanc nord par la secte islamiste Bokam Haram et sur son flanc sud par les pirates du Delta du Niger. Malgré de bons résultats économiques et de solides perspectives de croissance démographique et économique, il continue à présenter de nombreuses faiblesses structurelles au plan politique intérieur et sécuritaire. La mal gouvernance des ressources maritimes et pétrolières, l’absorption de la masse de jeunes ployant sous le joug du chômage et de la pauvreté, sont autant de défis structurels qui handicapent le Nigéria. Ainsi, « les 20 pour cent les plus pauvres ne touchent que 4 pour cent du revenu national, tandis que les 20 pour cent les plus riches en encaissent 53 pour cent ». [5] Cette jeunesse, selon l’attitude qui sera adoptée par les dirigeants pourra être une chance ou une véritable menace à la stabilité du pays.
On pourrait en dire autant sur d’autres champions de la croissance économique africaine des années récentes tels que l’Angola ou la Guinée équatoriale, où la stabilité politique n’est point garantie à moyen et long terme. Ceci non seulement en raison de la longévité au pouvoir de leur dirigeant et de l’absence d’un système de transition prévisible et démocratique, mais également à cause du modèle d’organisation politico-institutionnel quasi familial où une minorité de proches occupent les premières places de l’appareil gouvernemental et tirent les principaux bénéfices de la croissance économique. Très peu d’Etats africains on en effet pu objectiver une vision transcendantale de l’Etat qui privilégie la raison d’Etat et la construction d’institutions fortes et inclusives au détriment du népotisme, du clientélisme, de la corruption ou du favoritisme. Ce sont là des ingrédients qui alimentent l’instabilité et la menace permanente d’insécurité malgré le succès économique. Ainsi, une zone d’ombre demeure, une inquiétude persiste et amène à plus de réserve quant au concept largement répandu d’émergence de l’Afrique. De fait, l’incapacité actuelle des entités politiques africaines à créer des Etats véritables capables de répondre aux défis de la sécurité et de la stabilité politique de longue durée donnent malheureusement des raisons de tempérer cet élan d’optimisme, voire de douter du concept même d’émergence en Afrique.
II. L’émergence véritable de l’Afrique, une nécessité subordonnée au préalable de la stabilité politique et sécuritaire
Certes, l’Afrique a fait des progrès en terme de hausse de la scolarisation, baisse de la mortalité infantile, amélioration de l’IDH et expansion du champ démocratique…Elle connait par ailleurs une forte croissance démographique et une augmentation des investissements directs étrangers, et donc son intégration à l’économie mondiale. Mais pour autant, doit-on nécessairement y voir l’annonce d’un développement futur et la fin des empêchements dirimants qui amenuisent les chances d’éclosion du continent en tant que pôle autonome de croissance et de développement ? En effet, peut-on réellement parler d’émergence de l’Afrique en minorant la question de l’insécurité et l’instabilité politique latentes qui planent comme une épée de Damoclès sur la plupart des pays, y compris les champions de taux de croissance à deux chiffres ?
A l’observation, on note une sorte d’emballement médiatique, un empressement à dire autre chose sur l’Afrique que ce qui a toujours été dit et écrit. Cependant, au risque de faire de l’incantation, cette lecture du développement économique de l’Afrique à l’aune du seul facteur économique s’avère simpliste et insatisfaisante. Elle procède comme s’il suffisait de faire de la croissance économique pour s’affirmer comme un Etat, comme si l’histoire du développement économique des Etats s’apparentait à celle d’une entreprise où la réalisation d’un meilleur chiffre d’affaires, d’une bonne croissance d’une année à l’autre suffisait à pérenniser son modèle économique.
L’Etat c’est malheureusement [ou heureusement d’ailleurs] aussi, voire d’abord une collectivité humaine qui a besoin de sécurité et de stabilité politique. C’est une entité qui a besoin d’un territoire sécurisé, avec à sa tête des institutions stables et indépendantes, dont la survie ne dépend pas de la magnanimité ou de la bienveillance d’un seul homme, fut-ce-t-il fort et illuminé. L’Etat doit pouvoir survivre et transcender la vie éphémère de ses pères fondateurs. Et cette dimension transcendantale n’est accomplie que lorsque des institutions fortes et inclusives énoncent et assurent les conditions essentielles de stabilité politique, de sécurité, de développement économique et social. L’Etat c’est donc un phénomène social total qui va bien au-delà de l’affirmation économique. L’analyse de son succès ou de ses perspectives d’avenir doit procéder d’une démarche holistique qui intègre non seulement l’économique, mais préalablement le politique, le sécuritaire et le social. Or à s’en tenir à ces variables essentielles, on est bien loin du compte concernant l’Afrique.
En conclusion, le problème de l’Afrique n’est pas tant qu’elle ne réunit pas encore les conditions de l’affirmation étatique, mais bien qu’elle semble ne pas en avoir conscience, et se complait à l’autosatisfaction, sans que les bases essentielles de son développement soient posées. Elle semble mettre la charrue avant les bœufs et pense que la bataille essentielle qu’elle doit remporter est celle de l’amélioration de ses indicateurs macro-économiques. Tout se passe comme si l’amélioration des indicateurs économiques se suffisait à elle-même en dépit d’un manque de conscience géopolitique, de l’absence de sécurité, de démocratie véritable et de vision sociétale inclusive et transcendante. En réalité, il sera plus indiqué de parler d’émergence en Afrique une fois que le continent aura bravé cette première étape qui conditionne toutes les autres, à savoir la sécurité et la stabilité politique, couplée à la mise en place d’institutions et d’une vision de développement inclusive qui se moque des ethnies, des clans et des fanatismes religieux.
* Pierre Abomo. UNESCO, Consultant – Project Manager. Sciences Po Paris, Master en Affaires internationales (Conception et évaluation des politiques publiques & stratégies de développement économique et social ; Management interculturel et négociations internationales).
Fiest’A Sète. La semaine au Théâtre de la mer a démarré très fort le week-end dernier. Les concerts d’exception se poursuivent jusqu’au 8 août.
La qualité rejoint l’histoire et l’éclosion de découvertes des nouveaux talents de la world music au Théâtre de la mer où se poursuit Fiest’A Sète, jusqu’au 8 août. Samedi les Dieux ont absous le grand sorcier Bootsy Collins en lui permettant de passer entre les gouttes pour emporter son public par la vague funk qu’il a fait déferler sur le théâtre.
A l’évidence, cette musique est loin d’avoir dit son dernier mot. Le funk de Bootsy et de son super band gratte les tympans et irrite les yeux. Et on aime ça. Il faut le voir pour le croire. Ce personnage hors norme ne se limite pas à l’extravagance de ses costumes psychédéliques ou à sa basse guirlande étoilée. Le funk coule dans ses veines comme l’acide des xénomorphes qui peuplent la saga d’Alien.
Sur scène Bootsy ne s’applique pas sur son manche, il est simplement là pour transmettre. Et il nous embarque sur la piste de la funk music depuis son origine. Avec un de ses fondateur, on saute évidemment, les fastidieuses étapes pédagogiques pour entrer dans le vif. Le funk sommeille en chacun de nous et en toute chose. Sur la portée de Bootsy sont inscrites les quelques notes imparables pour le réveiller.
Toujours samedi, dans un autre registre d’envoûtement, plus glamour soul, se produisait l’étoile montante de la scène israélienne Ester Rada. Le charme de la chanteuse d’origine éthiopienne opère avec beaucoup de vibration. Sa proposition musicale très aboutie se nourrit de ses différentes origines culturelles. Une prestation empreinte d’une farouche volonté de liberté où se mêlent des stigmates de musique traditionnelle juive et éthiopienne. Dommage que le groupe n’ait pas répondu au public qui demandait un rappel après une petite heure de concert.
Le week-end hot s’est poursuivi dimanche avec une très heureuse soirée afro-cubaine. A commencer par la rencontre de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara et du jeune pianiste virtuose cubain Roberto Fonseca avec qui elle interprète le superbe titre Bibisa sur son dernier album. La quête d’échange interactive que l’on découvre à l’écoute, s’est prolongée par une série de concerts communs des deux artistes dans une esthétique parfaitement maîtrisée. Le duo devrait poursuivre se voyage vers de nouvelles frontières.
C’est Orquestra Aragon fidèles du festival qui a conclu la soirée en fêtant très dignement son soixante quinzième anniversaire. Le public de Fiest’A Sète, qui en connaît un rayon en matière d’ondulation Rumba, Cha Cha et Salsa, a su être à la hauteur ! Affaire à suivre car la fête continue en s’orientant vers de nouveaux horizons…
JMDH
Théâtre de la mer ce soir. Plaza Francia
Tout est dit, ou presque, dans l’intitulé de ce projet étonnant qui réunit Catherine Ringer et deux tiers du trio Gotan Project, à savoir l’Argentin Eduardo Makaroff et le Suisse Christoph H. Müller. Etonnant ? L’association n’est pourtant pas si incongrue, si l’on se souvient des inflexions latines que la chanteuse des Rita Mitsouko a souvent donné à sa voix, comme pour anéantir les chances de traçabilité d’une musique résolument apatride et inclassable. Les deux Gotan, en congé momentané de leur formule à succès, cherchaient au départ un éventail de voix féminines propres à épouser les courbes sensuelles du tango. Ils ont rencontré la Ringer, et de son tempérament volcanique. So…
Source ; L’Hérault du Jour 05/08/14
Diva soul et funk atomic
L’étoile montante Ester Rada attendue à Fiest’A Sète, . d.r.
Concerts. Soirée Soul & Funk Session avec Ester Rada et Bootsy Collins au Théâtre de la Mer ce samedi à Sète.Rendez-vous dès la nuit au Théâtre de la mer où Fiest’A Sète installe son QG jusqu’au 8 août après une semaine de concerts nomades sur le bassin de Thau.
On commence très fort en explorant les liens étroits entre la soul et la funk music. Ester Rada fortement influencée par des grandes dames telles que Nina Simone ou Aretha Franklin ouvrira le bal. Attention ! On n’est pas ici dans une pâle copie version baloche mais bien dans l’idée de mettre en pratique les préceptes d’affirmations identitaires qui touchent à l’âme. Cette jeune israélienne d’origine éthiopienne a pris le temps qu’il lui fallait pour affirmer la force de ses racines musicales éthio jazz, pop et soul.
Le second concert du soir sera sans retenu. Bootsy Collins est un enfant terrible du funk tendance psychédélique. Il a fait vibrer sa basse au manche étoilé au sein des Funkadelic au côte de George Clinton. Bootsy est entré dans l’histoire de la musique black en temps que bassiste des JB’s, le backing band de James Brown, avec Fred Wesley et Macéo Parker. La rumeur affirme que James Brown congédia Bootsy Collins après que ce dernier eut des hallucinations dues au LSD sur scène. Un fait d’arme que la star du funk a su mettre à profit en poussant son goût pour l’excentricité. Cela n’enlève rien à ses qualités musicales, bien au contraire et il nous offre une synthèse de la musique noire américaine côté rythmique.
Après le mémorable concert de Nile Rodgers l’année dernière, les monstres de la musique afro-américaine passent par Fiest’A Sète. Hey Bootsy ! The god of the funk did not die.
Mise sous tutelle. Le mot a fait bondir. Evoqué par certains Etats de la zone euro – Allemagne en tête – qui souhaitent conférer à l’Union européenne (UE) un pouvoir décisionnel sur la gestion budgétaire du pays, ce droit de regard absolu sur la gestion d’un pays soumis à un plan d’aide n’est pas sans rappeler les plans d’ajustement structurels (PAS) imposés par le Fonds monétaire international (FMI) dans les années 80 aux pays surendettés.
Si les deux méthodes semblent bien différentes, il s’agit dans les deux cas de justifier un contrôle supranational de la politique économique, contrôle généralement axé sur la rigueur budgétaire, afin d’assainir des finances publiques en déroute. Pourtant, l’héritage des PAS a fait l’objet de bilans plus que contrastés. Pourquoi donc l’idée d’une mise sous tutelle est-elle remise au goût du jour ?
L’inusable « consensus de Washington »
Dans le cas de la Grèce comme dans celui des pays soumis au PAS, le consensus des économistes, largement dominé par l’école de Washington, part du principe que seule la stabilité macro-économique d’un pays est à même de générer de la croissance. Il ne s’agirait alors que de rétablir cette stabilité pour sortir le pays de l’endettement.
Partant de ce postulat, les PAS ont donc pour principal objectif de rééquilibrer la balance des paiements : l’aide du FMI est donc conditionnée à l’assainissement des finances publiques du pays.
Afin de satisfaire à ces exigences, le FMI et la Banque mondiale – superviseurs des PAS – contraignent les gouvernements à adopter des mesures radicales : coupes claires dans les dépenses publiques (éducation, santé, logement, aide sociale), privatisation des entreprises d’Etat, suppression des subventions, abolition du contrôle des prix et des barrières protectionnistes. Le coût social de telles mesures est incalculable.
Les pays en développement victimes des dogmes du FMI
En 2002, soit une vingtaine d’années après l’instauration de ces PAS, Joseph Stiglitz en tire d’amères leçons dans son livre La Grande Désillusion. Le Prix Nobel d’économie parle en connaissance de cause puisqu’il fut vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, le partenaire financier du FMI dans le cadre des PAS.
Dans son livre, M. Stiglitz remet en cause la rigueur budgétaire imposée par le FMI aux pays en développement et prend notamment pour exemple l’Ethiopie, qui s’est vu, en 1997, couper les vivres et ce à cause d’un déficit budgétaire galopant. Pourtant, ses résultats macroéconomiques étaient conformes aux exigences du FMI, avec une inflation quasi nulle et des capacités de production en hausse.
Autre dogme du FMI, celui qui voudrait que l’équilibre budgétaire d’un pays dépende des seuls impôts et n’intègre pas l’aide étrangère. Un principe rejeté par M. Stiglitz, qui regrette que le Fonds considère que cette aide, qu’il juge « instable », doive constituer une réserve au lieu d’être dépensée dans le cadre de politiques de développement. Or l’économiste démontre dans ses travaux que les rentrées de l’aide internationale sont justement plus régulières, plus constantes que les rentrées fiscales.
Des programmes de libéralisation inadaptés
Entre autres « croyances dogmatiques » dénoncées par Joseph Stiglitz, la libéralisation du marché financier, jugée indispensable à la baisse des taux d’intérêts. Se pliant à la doctrine, le Kenya – un des premiers pays à avoir bénéficié d’un PAS – a ouvert au début des années 90 son marché financier à la concurrence et scindé ses banques en plusieurs établissements de moindre envergure.
A l’instar de l’Ethiopie, qui avait suivi les mêmes recommandations, le Kenya a vu, lui aussi, les préconisations du FMI se révéler franchement contre-productives : la fragmentation du secteur bancaire a entraîné une série de banqueroutes en 1993-1994 et l’augmentation des taux d’intérêts.
Et toujours pas de « politique d’éradication de la pauvreté »
En Amérique latine, l’Argentine ne fut pas mieux lotie. Après avoir indexé, sur les conseils du FMI, sa monnaie sur le dollar, l’inflation a certes baissé mais l’instauration d’un taux de change fixe a largement freiné la croissance du pays.
Quant à l’ouverture du système bancaires argentin aux investissements étrangers – mesure pourtant saluée par le FMI -, elle a pénalisé les PME, qui ont vu leur accès au crédit se tarir. Or l’octroi de prêts aux entreprises locales est indispensable à la croissance, souligne M. Stiglitz.
Dans les cas où les PAS ont permis le retour à l’équilibre macro-financier, la croissance résulte de facteurs exogènes. En Algérie, c’est notamment la hausse du prix des hydrocarbures, à l’échelle mondiale, qui a permis la réduction des déséquilibres et le retour à un taux de croissance positif.
Tutelle réelle contre tutelle morale
Si l’expérience des PAS jette un doute sur l’efficacité de politiques rigoristes sur des finances publiques souffrantes, il ne faut pas oublier que l’Union européenne comprend en son sein des mécanismes de surveillance qui n’ont a priori rien à envier à ceux du FMI. La simple existence du Pacte de stabilité, qui limite le niveau des déficits des pays membres, en est un exemple. Pour autant, la crise a révélé combien cette « tutelle » de Bruxelles sur les finances des membres de l’UE restait théorique.
La mainmise des autorités européennes sur la politique budgétaire de la Grèce représenterait à ce titre une première. Bien qu’elle semble hors de question pour l’instant, une telle éventualité pourrait se préciser si la République hellénique venait à faire défaut le 20 mars, date d’une échéance de 14,4 milliards d’euros, pour laquelle une solution est à l’étude depuis déjà plusieurs semaines à Athènes. Sans résultat pour l’instant.
Depuis le 1er janvier, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – a un nouveau directeur général : José Graziano da Silva. L’ex sous-directeur de cette même structure par ailleurs monsieur « faim zéro » – programme mené au Brésil pour le président Lula – a d’emblée affirmé que « l’élimination totale de la faim et de la sous-alimentation dans le monde » était sa priorité. Un objectif louable et finalement normal pour cette organisation intergouvernementale créée en 1945 dont le mandat est précisément de « veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active. «
Pourtant, on ne peut qu’avoir une sensation de déjà entendu. Au sein de cette FAO ou à l’occasion des journées mondiales contre la faim du 16 octobre. Mais pas seulement. En 2000, les 193 Etats qui s’engagent sur les objectifs du millénaire pour le développement actent au premier chapitre, la réduction de moitié de la population souffrant de la faim en 2015.
Et pourtant. En 2007/2008 l’explosion des prix des produits alimentaires provoque une crise énorme : 40 millions de personnes supplémentaires souffrent désormais de la faim. Ce qui porte le total à 963 millions. L’été dernier, c’est la Corne de l’Afrique qui est menacée de famine. 12 millions de personnes sont en danger. Les pays riches réagissent, multiplient les conférences de donateurs… pour mieux peiner à obtenir 50% de promesses de dons sur le milliard et demi de dollars estimé comme nécessaire par l’ONU. L’actualité propose de nouvelles déclinaisons de cette faim dans le monde : une étude montre que 42% des enfants de moins de 5 ans en Inde sont sous-alimentés. Et ce, malgré la croissance impressionnante du PIB. Au Congo, le chiffre est de 26% : plus d’un quart des enfants de moins de 5 ans touchés par la malnutrition dénonce l’Unicef . Reste encore le Tchad à qui l’ONU vient d’allouer 6 millions de dollars d’aide d’urgence le 11 janvier dernier pour faire face à une crise alimentaire.
Cacao contre sorgho
Misère, guerre et sécheresse font, évidemment, parties des explications à cette faim dans le monde. Mais pas seulement. Il ne faut en effet surtout pas oublier que dans les quarante dernières années, le FMI et la Banque Mondiale ont fait en sorte que les gouvernements des pays du Sud détruisent les silos à grains qui alimentaient les marchés intérieurs en cas de crise ; qu’ils les ont poussé à supprimer les agences publiques de crédit aux agriculteurs ; qu’ils les ont convaincu de troquer les productions de blé, de riz, de maïs ou de sorgho pour des cultures de cacao, café ou thés qui s’exportent si bien ; qu’ils les ont enfin contraints à ouvrir leurs frontières aux exportations de pays occidentaux subventionnées massivement. Tout cela pour leur permettre d’obtenir les précieux dollars nécessaires au remboursement de la dette. Ces dernières années, la mode des biocarburants aidés par les pays du Nord ont eu raison de nouveaux hectares de cultures vivrières.
Il ne faut pas oublier non plus que la crise alimentaire de 2007/2008 résulte du boursicotage de quelques spéculateurs quittant la bulle immobilière qui venait d’exploser aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier enfin que depuis la crise financière, le G 20 tente de remettre le FMI en selle avec, cette fois, l’Europe pour terrain de jeu.
Dernier élément a aussi prendre en compte : les réformes agraires jamais menées dans certains pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui interdisent à des milliards de paysans d’avoir un accès direct à la terre et en font les première victime de la faim dans le monde.
Ceci posé, la FAO peut donc ambitionner d’éradiquer la faim dans le monde. De jolies phrases qui rendent plus supportable l’idée que, chaque année, de 3 à 5 millions d’enfants meurent à cause de la malnutrition dans le monde. Mais comment prendre au sérieux une lutte contre la faim qui fait l’impasse sur les causes de cette faim ?
Angélique Schaller (La Marseillaise)
Jean Ziegler : « L’ordre cannibale du monde peut être détruit »
Somalie
Les experts le savent bien, l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale.
Le 17 janvier dernier sur le campus de la Gaillarde, Montpellier SupAgro a accueilli un des plus éminents défenseurs du droit à l’alimentation Jean Ziegler pour une conférence-débat animée par Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire UNESCO Alimentations du monde, partenaire de cette rencontre exceptionnelle, co-organisée avec la librairie Sauramps.
jean ziegler
Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il a consacré l’essentiel de son oeuvre à dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde. Professeur émérite de sociologie à l’Université de Genève, il a publié L’Empire de la honte (2005) et La Haine de l’Occident (2008). Dans son nouvel essai intitulé Destruction massive : géopolitique de la faim (Seuil, octobre 2011) le sociologue a dressé un état des lieux de la faim dans le monde et analysé les raisons de l’échec des moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour l’éradiquer. Il critique les ennemis du droit à l’alimentation aujourd’hui, à savoir la production d’hydro-carburants et la spéculation sur les biens agricoles.
Version intégrale d’un entretien avec Jean Ziegler publié dans La Marseillaise
Globalement, l’état des lieux que vous dressez de la situation fait pâlir. Quels sont les nouveaux paramètres de la sous-alimentation qui frappe notre planète au XXIe ?
Le massacre annuel de dizaines de millions d’être humains par la faim est le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant âgé de moins de dix ans meurt de faim, 37 000 personnes meurent de faim tous les jours et un milliard – sur les 7 milliards que nous sommes – sont mutilés par la sous-alimentation permanente… Et cela sur une planète qui déborde de richesses !
Le même rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO qui donne les chiffres des victimes dit que l’agriculture mondiale dans l’étape actuelle de ses forces de production pourrait nourrir normalement (2 200 calories/ individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, donc presque le double de l’humanité actuelle.
Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’existe donc aucune fatalité, aucun manque objectif. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.
Pendant huit ans, j’ai été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce livre est le récit de mes combats, de mes échecs, des mes occasionnelles fragiles victoires, de mes trahisons aussi.
Les populations les plus exposées sont les pauvres des communautés rurales des pays du Sud où se cumulent aux conditions environnementales une violence physique et économique ?
Un fléau particulier qui frappe les paysans depuis peu est l’accaparement des terres arables dans les pays du Sud – surtout en Afrique – par les sociétés transcontinentales privées.
Selon la Banque mondiale, l’année dernière, 41 millions d’hectares de terres arables ont été accaparés par des fonds d’investissements et des multinationales uniquement en Afrique. Avec pour résultat, l’expulsion des petits paysans. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le rôle de la Banque mondiale, mais aussi celui de la Banque africaine de développement, qui financent ces vols de terre. Pour se justifier, elles ont une théorie pernicieuse qui est de dire que la productivité agricole est très basse en Afrique. Ce qui est vrai. Mais ce n’est pas parce que les paysans africains sont moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français. C’est parce que ces pays sont étranglés par leur dette extérieure. Ils n’ont donc pas d’argent pour constituer des réserves en cas de catastrophes ni pour investir dans l’agriculture de subsistance. Il est faux de dire que la solution viendra de la cession des terres aux multinationales.
3,8 % des terres arables d’Afrique sont irriguées. Sur tout le continent, il n’existe que 250 000 animaux de trait et quelques milliers de tracteurs seulement. Les engrais minéraux, les semences sélectionnées sont largement absents.
Ce qu’il faut faire, c’est mettre ces pays en état d’investir dans l’agriculture et de donner à leurs paysans les instruments minimaux pour augmenter leur productivité : les outils, l’irrigation, les semences sélectionnées, les engrais…
Un autre scandale dont souffrent les populations rurales dans l’hémisphère sud est le dumping agricole pratiqué par les États industriels. L’année dernière, les pays industriels ont versé à leurs paysans 349 milliards de dollars à titre de subsides à la production et à l’exportation. Résultat : sur n’importe quel marché africain, on peut acheter des fruits, des poulets et des légumes français, grecs, portugais, allemands, etc. au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Face au dumping agricole, le paysan africain qui cultive son lopin de terre n’a pas la moindre chance de vendre ses fruits ou ses légumes à des prix compétitifs.
Or, de 54 pays africains 37 sont des pays presque purement agricoles.
L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale : d’une part, ils organisent la faim en Afrique et, d’autre part, ils rejettent à la mer, par des moyens militaires, des milliers de réfugiés de la faim qui, chaque semaine, tentent d’atteindre la frontière sud de la forteresse Europe.
Face à ce drame de chaque instant, vous évoquez la notion de faim structurelle et de faim conjoncturelle ainsi que les notions d’Histoire visible et invisible comme les effets de la malnutrition…
La faim structurelle est celle qui tue quotidiennement à cause des forces de production insuffisamment développées dans les campagnes de l’hémisphère sud. La faim conjoncturelle par contre frappe lorsqu’une économie s’effondre brusquement par suite d’une catastrophe climatique ou de la guerre.
Regardons ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Certains pays comme la Somalie, le nord du Kenya, Djibouti, l’Érythrée et l’Éthiopie se trouvent dans une situation de cauchemar. Ils doivent faire face à une faim à la fois conjoncturelle, liée à la sécheresse ou à la guerre, et structurelle en raison de l’explosion des prix mondiaux des denrées alimentaires. Impossible donc pour eux d’acquérir suffisamment de nourriture pour alimenter toutes leurs populations. Dans la Corne de l’Afrique, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim ou de ses suites immédiates depuis avril 2011.
Cette conscience que vous faites émerger se heurte souvent à une opinion publique indifférente. Comment peut-on s’expliquer la disproportion insensée d’implications entre les 2 700 victimes du WTC et les centaines de millions de morts de la faim ?
Vous avez raison. L’opinion publique dans son immense majorité, en Europe, oppose son indifférence au meurtre collectif par la faim qui se déroule dans l’hémisphère sud.
Pourquoi ? A cause de la théorie néolibérale qui empoisonne l’opinion. Or, les ennemis du droit à l’alimentation sont la dizaine de sociétés transcontinentales privées qui dominent complètement le marché alimentaire. Elles fixent les prix, contrôlent les stocks et décident qui va vivre ou mourir puisque seul celui qui a de l’argent a accès à la nourriture. L’année dernière, par exemple, Cargill a contrôlé plus de 26 % de tout le blé commercialisé dans le monde. Ensuite, ces trusts disposent d’organisations mercenaires : l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont les trois cavaliers de l’Apocalypse. S’ils reconnaissent que la faim est terrible, ils estiment que toute intervention dans le marché est un péché. A leurs yeux, réclamer une réforme agraire, un salaire minimum ou le subventionnement des aliments de base, par exemple, pour sauver les vies des plus pauvres est une hérésie. Selon les grands trusts qui, ensemble, contrôlent près du 85 % du marché alimentaire, la faim ne sera vaincue qu’avec la libéralisation totale du marché et la privatisation de tous les secteurs publics.
Cette théorie néolibérale est meurtrière et obscurantiste. L’Union soviétique a implosé en 1991 (c’était une bonne chose). Jusque-là, un homme sur trois vivait sous un régime communiste et le mode de production capitaliste était limité régionalement. Mais en vingt ans, le capitalisme financier s’est répandu comme un feu de brousse à travers le monde. Il a engendré une instance unique de régulation : le marché mondial, la soi-disant main invisible. Les États ont perdu de leur souveraineté et la pyramide des martyrs a augmenté. Si les néolibéraux avaient raison, la libéralisation et la privatisation auraient dû résorber la faim. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La pyramide des martyrs ne cesse de grandir. Le meurtre collectif par la faim devient chaque jour plus effrayant.
L’ONU devrait soumettre à un contrôle social étroit les pieuvres du commerce mondial agroalimentaire.
Le rapport FAO estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Évoque-t-il les modalités de mise en œuvre d’un plan réaliste pour faire face à ce fléau ?
Non. La FAO est exsangue. Elle se contente de la mise en œuvre de quelques programmes de coopération régionale. Elle n’a pas la force ni d’affronter les pieuvres du négoce alimentaire ni les spéculateurs boursiers.
Le développement des biocarburants qui s’impose comme « une arme miracle » ne répond pas aux défis environnementaux et accentue de manière catastrophique la famine dans le monde affirmez-vous ?
Vous avez raison de poser la question des agrocarburants, car il existe en cette matière une formidable confusion. La théorie généralement diffusée est la suivante : le climat se détériore et la principale raison en est l’utilisation de l’énergie fossile. Il faut donc diminuer sa consommation. Mais, je le dis avec force, les agrocarburants ne sont pas la solution. Pour réduire la consommation d’énergie fossile, il faut drastiquement économiser l’énergie, favoriser les transports publics, développer les énergies solaires, éoliennes, géothermiques. L’année dernière, les États-Unis ont brûlé 138 millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé, pour produire des agrocarburants. En Suède, près de la moitié des voitures roulent au bioéthanol. Le réservoir moyen d’une voiture est de 50 litres. Il faut brûler 352 kilos de maïs pour produire 50 litres de ce carburant. Or, ces 352 kilos de maïs permettraient à un enfant en Zambie ou au Mexique, où le maïs est la nourriture de base, de manger et de vivre pendant un an !
Brûler des plantes nourricières sur une terre où 35 millions de personnes meurent tous les ans de la faim ou de ses suites immédiates est inadmissible.
Vous mettez en lumière les incidences géopolitiques de la folie spéculatrice, en mettant en parallèle la flambée des cours du blé avec les révolutions du monde arabe qui est la première région importatrice de céréales du monde ou encore l’utilisation de la faim comme une arme politique de destruction en Afghanistan, en Somalie, à Gaza…
Les fonds spéculatifs (hedge funds) et les grandes banques ont migré après 2008, délaissant des marchés financiers pour s’orienter vers les marchés des matières premières, notamment celui des matières premières agricoles. Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leur prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1 010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de gens. De plus, la spéculation provoque une autre catastrophe. En Afrique le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut plus acheter suffisamment de nourriture pour l’aide d’urgence en cas de famine : comme aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique où les fonctionnaires de l’ONU refusent chaque jour l’entrée à des centaines de familles, réfugiées de la faim, devant les 17 camps d’accueil installés dans la région. Il faudrait transférer ces spéculateurs, dont les actions aboutissent au désastre actuel, devant un tribunal de Nuremberg et les juger pour crime contre l’humanité.
C’est vrai ce que vous dites : l’explosion des prix des aliments de base – surtout du blé – a joué un rôle crucial dans les révolutions notamment tunisienne et égyptienne. La faim comme arme de guerre : les Israéliens l’utilisent à Gaza, les Shebabs musulmans en Somalie.
Peut-on envisager un mouvement social international qui puisse faire reculer la Banque mondiale, l’OMC et le FMI que vous qualifiez de cavaliers de l’Apocalypse ? La lutte pour la vie ne se joue-t-elle pas au niveau des États sur le terrain de la politique intérieure ?
Malgré son titre – Destruction massive – mon livre est un livre d’espoir. La faim est faite de main d’homme. Elle peut être éliminée par les hommes. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La France est une grande, vivante démocratie. II existe des mesures concrètes que nous, citoyens et citoyennes des États démocratiques d’Europe, pouvons imposer immédiatement ; interdire la spéculation boursière sur les produits alimentaires ; faire cesser le vol de terres arables par les sociétés multinationales; empêcher le dumping agricole ; obtenir l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres pour qu’ils puissent investir dans leur agriculture vivrière ; en finir avec les agrocarburants… Tout cela peut être obtenu si nos peuples se mobilisent. J’ai écrit Destruction massive, géopolitique de la faim pour fortifier la conscience des citoyens. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Je le répète, pendant que nous discutons, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Les charniers sont là. Et les responsables sont identifiables.
De plus, de formidables insurrections paysannes – totalement ignorées par la grande presse en Occident – ont lieu actuellement dans nombre de pays du Sud : aux Philippines, en Indonésie, au Honduras, au nord du Brésil. Les paysans envahissent les terres volées par les sociétés multinationales, se battent, meurent souvent, mais sont aussi parfois victorieux.
Georges Bernanos a écrit: « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». L’ordre cannibale du monde peut être détruit et le bonheur matériel assuré pour tous. Je suis confiant : en Europe l’insurrection des consciences est proche.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Jean Ziegler, auteur de Destruction massive, géopolitique de la faim, Éditions du Seuil ; et aussi : L’or du Maniema, roman, réédition dans la coll. Points, Seuil).
L’enivrant et lumineux festival Fiest’A Sète donne un sens au concept un peu fourre-tout de la world music. Colorée, variée et exigeante, la programmation concoctée par José Bel renoue avec les racines culturelles les plus profondes pour offrir des perles rares plus ou moins connues. Il faut saluer le travail primordial de passeur pour sa qualité autant qu’il faut rappeler que ce sont les artistes, par leur ouverture d’esprit, qui nourrissent cette aventure depuis maintenant 12 ans.
Sous les auspices de Francis Falceto, le directeur de la collections CD éthiopiques chez Buda Music, la soirée de mardi consacrée à l’Éthiopie entre directement dans les annales du festival avec un plateau unique associant deux monstres emblématiques de la musique, Alèmayèhu Eshèté et Mahmoud Ahmed venus spécialement d’Ethiopie. Quatre heures durant, on a vu Le Théâtre de la mer subjugué par une prestation bienveillante et enflammée des deux chanteurs magistralement accompagnés par l’orchestre breton Badume’s Band.
En grand spécialiste de la musique éthiopienne, le musicographe Francis Falceto, qui a remonté toutes les filières pour en rencontrer les témoins vivants, ne cache pas sa satisfaction. » Ce concert est un des plus beaux qui s’est fait. C’est drôle parce que je n’ai jamais anticipé sur ce phénomène. Passionnés par l’Ethiopie, les musiciens des Badume’s Band m’ont contacté un jour. Ils voulaient inviter Mahmoud Ahmed en Bretagne. Celui-ci a accepté, et après avoir répété trois heures, m’a demandé : pourquoi on ne jouerait pas avec eux ? « Depuis les liens se sont renforcés. » J’ai invité Badume’s Band à L’Ethiopian Music Festival que je programme depuis 7 ans à Addis Abeba. Je n’étais pas sûr de mon coup. Mais au bout de quelques morceaux, comme à Sète, ils avaient le public avec eux. C’est l’antithèse des musiciens de studio. Ils aiment vraiment ce qu’ils font. C’est un honneur pour eux de partager la scène avec les vétérans de l’âge d’or de l’ethio-groove « .
On a découvert à Sète un chaînon manquant de la musique africaine d’une grande singularité. » Du fait que l’Ethiopie n’ait jamais été colonisée, à l’exception d’une courte période par Mussolini, le pays a vécu en autarcie sans métropole pour faire haut-parleur. C’est une fierté qui participe, au même titre que le nationalisme, à l’identité éthiopienne. On doit la prendre d’un bloc « , indique Francis Falceto. Le public qui a goûté à la musique traditionnelle fortement teintée de soul de Alèmayèhu et aux subtilités de la voix de Mahmoud Ahmed, n’est pas prêt d’oublier la culture musicale éthiopienne.
Jean-Marie Dinh
La collection compte 20 CD à découvrir également les productions de ethioSonic