La rue égyptienne, sans la présence d’institutions étatiques solides, ne peut révoquer un élu avant la fin de son mandat sans générer l’instabilité ou risquer la manipulation, affirme l’éditorialiste.
Il y a quelques semaines, j’ai abordé la question du pouvoir et des contre-pouvoirs qui lui sont nécessaires pour garantir l’existence d’un Etat de droit et pour atténuer la tyrannie qu’une majorité politique peut exercer à l’encontre de celles et ceux qui n’ont pas voté pour elle.L’exemple à ce sujet étant la Turquie, où les victoires électorales successives de l’AKP [le parti islamiste au pouvoir] ont vraisemblablement convaincu le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qu’il est le maître absolu de son pays et de sa société. Pour résumer, il apparaît que le monde arabo-musulman n’est pas suffisamment attentif à la mise en place de contre-pouvoirs dès lors qu’il s’engage dans un processus de transition démocratique.La situation actuelle en Egypte permet de poursuivre la réflexion sur un autre plan, en abordant une autre question fondamentale pour la démocratie. Comment faire pour renvoyer celui qui a été élu sans attendre la prochaine échéance électorale ? Comment le faire sans générer de l’instabilité au sein des institutions ? Mais commençons d’abord par une mise au point.
Un président légitime
Rappelons donc que le président égyptien, Mohamed Morsi, a été démocratiquement élu par les Egyptiens au terme d’un scrutin qui, de l’avis de la majorité des observateurs, a été le plus régulier de l’histoire de l’Egypte indépendante (ce qui ne signifie pas qu’il a été parfait, loin de là). Cela n’est pas chose négligeable. Si l’on respecte la démocratie, si l’on respecte les règles du jeu que cette dernière impose, on est obligé de reconnaître la légitimité de sa présidence.Balayer cela d’un revers de manche au prétexte que l’on est un adversaire des islamistes et que l’on ne supporte pas leur présence au pouvoir, c’est adopter une attitude antidémocratique, et c’est se faire le partisan de scrutins censitaires où ne voteraient que les gens avec lesquels on serait d’accord. Des scrutins qui, par exemple, écarteraient les islamistes et leurs électeurs potentiels. C’est d’ailleurs ce dont rêvent, sans vraiment l’assumer, nombre de « démocrates » et autres « laïcs » dans le monde arabe.
Incapables de peser politiquement et électoralement face aux islamistes, ils préféreraient des élections débarrassées de ces puissants adversaires et cela sous la houlette d’un arbitre suprême, c’est-à-dire l’armée (ou, plus rarement, l’Occident). Relevons au passage cette (fausse ?) naïveté qui fait croire que l’armée égyptienne a chassé Morsi pour remettre le pouvoir à son opposition. En leur temps, les éradicateurs algériens opposés à la victoire de l’ex-Front islamique du salut (FIS) [en 1991] ont cru la même chose, persuadés qu’ils étaient que le pouvoir les récompenserait d’avoir contribué à sa propre survie. On connaît la suite…
Le “recall”, une procédure délicate
Pour autant, il doit être possible d’exiger le départ de celui qui a été élu si l’on considère qu’il a failli et si une majorité l’exige. Trop souvent, le mandat électoral est assimilé à un blanc-seing, une sorte de chèque en blanc qui interdirait la moindre remise en cause. D’ailleurs, le monde politique n’aime pas trop aborder cette question du “recall”, c’est-à-dire la procédure par laquelle les citoyens peuvent obtenir qu’un élu s’en aille avant la fin de son mandat ou, tout du moins, qu’il se présente de nouveau devant les électeurs.
Exception faite de quelques pays comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, le “recall” n’est guère ancré dans les mentalités, alors qu’il a existé dès les premiers temps de la démocratie athénienne. En France, ni la droite ni la gauche ne veulent en entendre parler, au nom de la nécessité d’éviter l’instabilité que cela peut générer. Il est vrai qu’un élu a besoin de temps pour agir, mais cela ne saurait lui garantir une impunité totale.
Il reste donc à savoir comment organiser et obtenir un tel rappel des électeurs. En investissant les places publiques et en recueillant plusieurs millions de signatures exigeant le départ de Morsi, l’opposition égyptienne a usé de deux moyens complémentaires mais aux conséquences et à l’efficacité différentes. Comme c’est le cas aux Etats-Unis, la collecte de signatures permet d’éviter le recours à des manifestations publiques et donc, in fine, à l’anarchie qu’elles pourraient provoquer.
Mais cette manière pacifique d’appréhender un “recall” est-elle possible pour des pays qui s’engagent à peine dans une transition démocratique ? En Egypte aujourd’hui, demain ailleurs, la capacité de précipiter les événements reste liée à la mobilisation de la rue, avec ce que cela peut entraîner comme dérapages et manipulations. C’est en cela que la situation égyptienne parle à la planète entière. Au monde arabe d’abord, du moins à celui qui est en mouvement, comme c’est le cas en Tunisie.
Mais aussi au monde développé, où la rupture entre électeurs et élus est manifeste. Car, au XXIe siècle, la démocratie, c’est, entre autres, permettre au peuple d’élire librement ses représentants. Mais c’est aussi lui permettre de leur signifier leur congé quand il le juge nécessaire, et cela sans avoir à attendre les habituels rendez-vous électoraux.
Après les cris de joie et les feux d’artifice, après les images de ces drapeaux égyptiens portés à bout de bras s’étalant à la Une de toute la presse, l’enthousiasme a cédé la place au doute. Partout, les mêmes questions fleurissent à présent dans les colonnes des journaux : L’Egypte a-t-elle été le théâtre d’un coup d’Etat ? Le vrai Printemps arabe est-il en train de commencer ? Quelle lueur d’espoir apporter au monde arabo-musulman, entre la sombre cruauté des dictatures et l’obscurantisme des partis religieux ?
Quelle que soit la suite des événements, écrit L’ORIENT LE JOUR, la crise égyptienne ne fait finalement que souligner, dit-il, une série de paradoxes. Lorsque pour les uns, l’armée n’a fait que servir le peuple et l’a aidé à accomplir une deuxième révolution, pour d’autres, elle vient de commettre un coup d’Etat contre le premier président égyptien élu. ». En clair, pour les «gagnants» du jour c’est une victoire de la démocratie et pour les «perdants» c’est une atteinte à la démocratie.
Imaginez simplement, que toutes les forces qui sont sorties dans la rue, lançant le début des manifestations qui ont précipité le renversement de Morsi, s’étaient rendues dans le même nombre dans les bureaux de vote, pour sanctionner les candidats des Frères musulmans à la députation ? Un tel Parlement, analyse THE FOREIGN POLICY cité par SLATE aurait permis de mettre sur pied, un véritable équilibre des pouvoirs au sein d’institutions démocratiquement élues et empêché le président de confisquer tous les pouvoirs électoraux. La démocratie aurait fonctionné. Sauf qu’une fois de plus, c’est la loi du plus fort qui règne en Egypte se désole son confrère néerlandais LOYAUTE (TROUW), un principe qui menace de réduire à néant la jeune démocratie égyptienne à tous les niveaux.
Car même si l’ex président était sans doute le mauvais homme, à la mauvaise place, au mauvais moment, résume THE FINANCIAL TIMES, pour autant, prévient LE TEMPS de Genève, la neutralisation du président islamiste ne règle rien, elle propulse seulement l’Egypte dans le brouillard. Ainsi, l’Egypte se trouverait à nouveau à un carrefour dangereux, renchérit THE IRISH TIMES, sans la garantie qu’une seconde révolution ne s’avère plus réussie que la première. Car même si le pire a été évité, reconnaît THE FOREIGN POLICY, l’Egypte court désormais le risque réel de se retrouver entraîné dans une spirale sans fin d’échecs gouvernementaux, d’interventions de l’armée et de soulèvements populaires. Et d’en conclure, l’opposition a certes prouvé sa capacité à mobiliser la rue sur les questions de fond, mais elle demeure aussi divisée sur le plan intérieur qu’auparavant et n’a pas le moindre programme politique cohérent. En clair, l’intervention de l’armée est en soi l’admission de l’échec de toute la classe politique égyptienne, à commencer par les Frères Musulmans, lesquels ont laissé passer une chance historique.
Mais ce coup d’Etat ne concerne pas seulement, l’Egypte, ce pays central du monde arabe, non ses effets se répercutent aujourd’hui dans une région en plein bouleversement, prévient encore LE TEMPS de Genève. Et particulièrement dans l’émirat du Qatar, aussi minuscule qu’immensément riche. Il y a deux ans, c’est sur Al-Jazira, la chaîne établie dans l’émirat, qu’une bonne partie du monde s’enthousiasmait devant le courage des révolutionnaires de la place Tahrir du Caire. Or ces derniers jours, sur la même chaîne, il n’y avait pratiquement pas d’images de cette foule, pourtant bien plus considérable encore, réunie pour réclamer le départ du président Morsi.
A l’inverse, autre indice de l’état d’esprit dans la région, la rivale d’Al-Jazira, Al-Arabiya, la chaîne arabe appartenant à des membres de la famille royale saoudienne, cette fois-ci, a suivi avec passion les événements qui ont conduit à la chute du président Morsi. Car le sort du premier chef de l’Etat issu de la mouvance des Frères musulmans était devenu une question pratiquement existentielle pour des pays du Golfe qui ont multiplié les commentaires négatifs sur la manière dont les autorités égyptiennes dirigeaient le pays.
Et l’article de préciser, à la lumière des derniers évènements en Egypte, on voit donc bien comment la guerre est désormais pratiquement déclarée entre le petit émirat et les vrais poids lourds du Golfe que sont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. En l’occurrence, la démission de Morsi est un revers considérable pour le Qatar, l’émirat qui s’était profilé comme le parrain éclairé du monde arabe de demain, apportant un soutien d’autant plus appuyé aux mouvements révolutionnaires issus du Printemps arabe, que ceux-ci étaient proches de la mouvance des Frères musulmans.
Même analyse pour son confrère libanais L’ORIENT LE JOUR : En remplissant sa mission, l’armée égyptienne est en même temps en phase avec les derniers développements dans la région. D’abord en Turquie, où le parti d’Erdogan était en quelque sorte le chef de file des Frères musulmans dans leur image modérée. Brusquement, et à travers les protestations populaires, cette image a été ébranlée. Puis ce fut le tour de l’Égypte d’être le théâtre d’un changement spectaculaire qui n’était même pas envisageable il y a quelques mois encore.
Or le risque prévient le quotidien flamand DER STANDAARD, c’est qu’il peut s’avérer dangereux et contre-productif de chasser les Frères Musulmans de la politique ou de les priver de leurs victoires électorales, deux ans seulement après leur arrivée au pouvoir. Car il y a une forte probabilité que des éléments radicaux au sein des Frères musulmans mais plus encore que des groupes salafistes y voient la preuve qu’il ne sert à rien de respecter les règles démocratiques. Certains pourraient alors faire dissidence et recourir à la violence.
Le Figaro (Pierre Rousselin) La sanction de l’échec des islamistes.
« Mohammed Morsi s’est révélé encore plus incapable de gérer son pays que ne l’avait été Hosni Moubarak. À la différence de son prédécesseur, qui s’était maintenu à la tête de l’Égypte pendant trente longues années, le président islamiste, élu dans la plus stricte légitimité ilyaunan, aura très vite soulevé la vague de contestation qui est en passe de l’emporter. Les événements auxquels nous venons d’assister place Tahrir ressemblent beaucoup à ceux qui s’y sont déroulés en 2011 et qui avaient conduit à la chute du dictateur. Maintenant comme à l’époque, les contestataires sont le fer de lance du mouvement révolutionnaire. Mais, en coulisse, c’est toujours l’armée qui a le dernier mot. Face au soulèvement de la jeunesse urbaine, les généraux avaient, il y a deux ans, lâché le patriarche en bout de course et son clan d’affairistes. Ainsi ont-ils préservé leurs prébendes et leurs intérêts économiques et industriels considérables, qui font de l’institution militaire un État dans l’État égyptien…Une fois installé au pouvoir, avec 51,7% des voix, Morsi a présidé une parodie de démocratie. Sans rien régler des problèmes économiques, sans tenir compte des intérêts du pays, il a imposé la loi de son propre mouvement, le droit de vote n’étant pour ses partisans, qu’un moyen de faire régner la dictature du plus grand nombre. En un an, l’opposition s’est mieux organisée. L’armée, qui s’était accommodée de Morsi, l’a finalement lâché, à son tour. La partie est délicate : il faut éviter l’apparence d’un putsch qui compromettrait l’aide américaine, éviter aussi que les islamistes se présenter en victimes d’un coup d’État contre une démocratie qu’ils n’ont jamais su, ni voulu, faire fonctionner. »
Libération (Fabrice Rousselot)
« Le spectre d’un retour vers le passé. La peur d’une guerre civile et d’un coup d’Etatmilitaire dans la violence comme l’Egypte en a malheureusement déjà connu. En un an de pouvoir, Mohamed Morsi n’a pas su faire la preuve qu’un islam modéré peut évidemment s’inscrire dans un cadre démocratique. Il a, au contraire, suivi sa propre dérive autoritaire, focalisant toutes les frustrations autour de sa réforme controversée de la Constitution, qui porte clairement atteinte aux libertés publiques et aux libertés religieuses. Et ravive les pires inquiétudes. Dans un pays exsangue,Mohamed Morsi n’a pas su répondre non plus aux aspirations économiques d’une population lassée de voir, depuis des décennies, les richesses se concentrer entre les mains de l’élite politique. Aujourd’hui donc, l’armée a repris la main, avec tous les dangers que cela comporte. Les militaires, qui se sont engagés à organiser une nouvelle élection présidentielle, ont la responsabilité de prendre la voie du dialogue et non celle des armes, afin que pouvoir et opposition trouvent une porte de sortie. »
AFP archives/Fred Dufour
Ouest France (Laurent Marchand)
« C’était devenu depuis quelques jours la seule issue prévisible. Sous la pression de la rue. Sous le poids de ses échecs économiques et politiques. Mohamed Morsi, le premier président civil élu démocratiquement de l’Égypte moderne, a été renversé. L’armée est à la manoeuvre, par le biais du général al-Sissi, le chef des armées et ministre de la Défense. La foule scandait son nom sur la place Tahrir depuis dimanche. Devant le risque croissant de guerre civile, l’intervention de l’armée était souhaitée par une large part de l’opinion. Officiellement, les militaires n’entendent pas gouverner, autrement dit revenir à la situation qui prévalait sous Moubarak, mais guider une transition. Tenter de la remettre sur les rails où les Frères musulmans n’ont pas su la tenir. Rédiger une nouvelle constitution…Ce qui est encore totalement imprévisible, c’est l’impact que ce retour du pouvoir de l’armée aura sur toutes les composantes de l’islam politique…Au Caire, c’est l’armée qui écoute la rue à présent. Tout en conservant sa position ultradominante sur l’économie, la sécurité et la politique égyptienne. C’est la révolution qui est permanente, ou la contre-révolution ? »
Le Journal de la Haute Marne (Patrice Chabanet)
« Un coup d’Etat militaire n’est jamais l’expression d’un bon bilan de santé démocratique. Mais entre deux maux il faut choisir le moindre. C’est du moins l’objectif que s’est assigné l’armée égyptienne en suspendant la Constitution du pays et en destituant le président Morsi. Ce dernier, démocratiquement élu c’est vrai, n’a pas su fédérer les énergies d’un pays exsangue. Il n’a pas été capable non plus d’endiguer la montée de groupes plus radicaux que les Frères musulmans, comme en témoignent les agressions contre les chrétiens coptes. L’armée a promis de retourner dans les casernes après une période de transition. Encore faut-il que la classe politique parvienne à réduire ses divisions et à mieux délimiter les prérogatives de la religion. L’Egypte entre donc dans une période d’incertitude où les extrémistes, les salafistes en particulier, vont pousser leurs pions…C’est le président de la Cour constitutionnelle qui assurera l’intérim à la tête de l’Etat. Et ce sont des experts civils qui formeront le gouvernement provisoire. Reste à savoir ce que fera l’Egypte des campagnes, fortement imprégnée de la propagande islamiste. Jusqu’à présent, c’est l’Egypte des villes qui s’est fait entendre. Un univers sépare les deux. Les nouveaux maîtres du Caire sauront-ils les rapprocher ? Rien n’est moins sûr. »
L’Est Républicain (Alain Dusart)
« Comme la société égyptienne, la place Tahrir au Caire, ressemble à un kaléidoscope, inquiétant car en fusion. On y voit des jeunes branchés sur le XXIe siècle, des quadras las d’une dictature chassant l’autre, de troubles larrons en quête de mauvais coups, d’ex-miliciens et autres nervis nostalgiques en quête d’un régime autoritaire. Sur cette place bigarrée, théâtre de tous les espoirs, on y rêve d’un avenir meilleur, on y viole de jeunes femmes en fleur. Ici réside tout le paradoxe de l’Égypte, entre quête de modernité et de démocratie, et bestialité d’une génération de frustrés élevés au biberon des tabous et des interdits. L’ultimatum de la toute puissante armée a expiré hier. L’impopulaire président islamiste Mohamed Morsi a finalement été renversé. Mais les militaires le savent bien: s’ils mènent un coup d’État à leur seul profit, ils perdront le soutien américain. Dans ce tourbillon, les Frères musulmans ont beaucoup à perdre. Certes, ils ont une légitimité démocratique, mais elle a fondu. Les islamistes ont agrégé toutes les colères en un an. Si les généraux déposent Morsi, les Frères musulmans garderont une capacité de nuire. Leurs partisans endoctrinés pourront saboter cette révolution bis, avec le risque jamais loin d’une guerre civile. »
Les Dernières Nouvelles d’Alsace (Dominique Jung)
« Parvenue aux commandes de l’Egypte après des décennies de brimades, de répressions et d’incarcérations, la confrérie des Frères musulmans n’a pas su tenir le choc du pouvoir. Cet échec pèsera dans son histoire. C’est parce qu’il a multiplié les promesses sans les appuyer sur une méthode solide que Mohamed Morsi a perdu sa présidence. Son bilan est calamiteux. Élu démocratiquement, il a présidé arbitrairement. Son erreur a été de penser que parce qu’il avait gagné un scrutin, il pouvait ignorer les attentes de la société civile. Or gouverner un pays, c’est comprendre qu’on devient le président de tous les citoyens, et pas juste de la frange qui vous a hissé au pouvoir. Morsi s’est comporté en otage d’un parti plus qu’en chef d’État, il a piétiné le pouvoir législatif, cela lui a été fatal. Pour autant, le déploiement de blindés constaté hier relève du coup d’État militaire. Morsi restera comme le premier civil égyptien porté à la présidence de la République après une succession de soldats, de Nasser à Moubarak. Il était aussi le premier Égyptien élu à travers une élection au suffrage universel direct. Son mandat avait tout juste un an. Quelle que soit la pression de la rue, aucun pays d’Europe n’admettrait que l’on pose un cercle de barbelés autour du chef de l’État pour l’assigner à résidence. Le respect des procédures et des calendriers est aussi une façon de mesurer le niveau démocratique d’un pays. L’armée est maintenant face à ses responsabilités. »
La République des Pyrénées (Jean-Marcel Bouguereau)
« C’est un paradoxe comme l’histoire les aime : en Egypte un mouvement démocratique qui a vu ces derniers jours des foules immenses descendre dans la rue en a appelé aux forces armées pour évincer un président démocratiquement élu, au nom de la défense de la révolution qui s’était faite contre l’armée ! C’est cette même armée, à l’origine de plusieurs décennies de régimes autoritaires, qui vient de mettre fin à une présidence jugée trop autoritaire ! Car c’est un coup d’état très en douceur qui a eu lieu hier en Egypte, même si les partisans du Président Morsi ont évidemment dénoncé une +rébellion militaire+ qu’ils sont prêts à combattre en versant leur sang. De quoi préparer un futur très incertain à une Egypte qui souffre économiquement, dont les institutions sont faibles et où aucun leader crédible n’émerge. Dans ce pays où l’armée a conservé un énorme crédit, on trouvait ces derniers jours des pancartes portant l’inscription +l’armée et le peuple, une seule main+, cette transition a été mûrement préparée. L’armée a multiplié les ultimatums. Mais en vain, Morsi ne se décidant à aucune concession. Jusqu’à celui intimant au président de +satisfaire les revendications du peuple+. Morsi a tenté, mais trop tard, une ultime ouverture en proposant la formation d’un gouvernement de consensus. Car ce dont les Frères Musulmans ne se sont pas rendus compte, c’est l’énorme coupure entre eux et le peuple qui voyait de plus en plus dans le régime des Frères la restauration d’un régime autoritaire. »
La Nouvelle République du Centre Ouest (Bruno Bécard)
« La charia ne saurait constituer un programme de gouvernement capable de sortir un pays de sa misère sociale et économique. Des dizaines de millions d’Égyptiens ont fait cette douloureuse expérience depuis un an. Et l’armée, forte d’un million d’hommes et dotée d’un matériel moderne imperméable à la crise, a tenu parole hier : fin de l’ultimatum pour obtenir le départ du président Morsi, prise de contrôle de la télévision, les Frères musulmans vissés dans leurs quartiers et les blindés de sortie pour faire bonne mesure. Cet épisode s’appelle un coup d’État militaire. Et maintenant, l’aventure commence ou plutôt continue. L’armée, en appui aux millions d’opposants à Mohamed Morsi, a-t-elle simplement voulu éviter une guerre civile ? Déjà 47 morts depuis trois jours. Son chef Abdel Fattah al-Sissi n’a tenu aucun compte de la proposition présidentielle, celle d’un gouvernement de coalition. Le président élu démocratiquement voici un an est blackboulé par la feuille de route du militaire. L’armée, échaudée par l’année de transition qu’elle a assumée entre 2011 et 2012, annonce déjà des élections anticipées et des avancées démocratiques. Mais montre aussi ses muscles pour que l’ordre règne. +Légitimité+ crie chacun des deux camps opposés. Mais aujourd’hui la place Tahrir manifeste plus de légitimité populaire que finalement celle hier du scrutin présidentiel. Espérons que ne surviendra pas demain l’heure des martyrs de tous bords ».
A l’étranger
L’avertissement égyptien qui fait le tour du Web américain
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les États-Unis ont laissé de mauvais souvenirs dans cette région du monde. Face à coup d’Etat « en douceur », le président Obama avait mercredi du mal à se positionner, hésitant entre le soutien au peuple égyptien et l’inquiétude de voir l’armée prendre le pouvoir et destituer un président élu malgré tout démocratiquement..
En fin de soirée mercredi, les Etats-Unis ont d’ailleurs ordonné l’évacuation de leur ambassade au Caire en Egypte quelques heures après le renversement du président Morsi par l’armée, a indiqué un responsable américain sous couvert d’anonymat. Il y a quelques jours, le département d’Etat avait autorisé le personnel diplomatique non essentiel à quitter le pays. Côté officiel, le président Obama ne s’était toujours pas exprimé mercredi à minuit.
Mais les Egyptiens, eux, n’ont pas manqué de faire passer leur message.Une banderole a été déployée écrite en anglais et en arabe. En quelques heures elle est devenue l’un des sujets les plus discutés sur le réseau social Reddit, très utilisé outre-Atlantique:
De la part du peuple égyptien Aux politiciens américains: sortez vos sales pattes de l’Egypte A l’ensemble du peuple américain: la seule chose que nous ayons pour vous, c’est de l’amour
Un message qui a beaucoup fait parler sur le réseau social. Certains déplorant l’anti-américanisme du scandale, mais la majorité se réjouissant que le peuple égyptien soit capable de faire la part des choses entre le gouvernement américain d’une part, et les Américains d’autre part.
Il faut dire que l’affaire Prism, révélée par Edward Snowden, est en train de créer une rupture entre les Américains et leurs représentants, coupables de les avoir mis sur écoute en toute discrétion.
Source : Le HuffPost 04/07/13
L’armée, colonne vertébrale de la nation égyptienne
Des soldats egyptiens prennent position. 3/07/13 Reuters /Amr Abdallah
Décidément, Nasser n’est pas mort. Soixante et un ans presque jour pour jour après la révolution de juilet 1952, lorsque les « officiers libres » ont mis fin au règne du roi Farouk, un militaire – le chef d’état-major Abdel Fattah Al-Sissi – écarte le premier président démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte – Mohamed Morsi – sous les applaudissements d’une majorité de la population.
De 1952 à 2013, l’armée égyptienne est restée la colonne vertébrale de la nation égyptienne. Peu importe la paix signée avec Israël dans les années 1970, peu importe l’enrichissement des hauts gradés dans les années 1980-1990 et 2000 ou la répression menée après la révolution de février 2011, une fois Hosni Moubarak tombé et durant la transition sous l’égide du maréchal Tantaoui, à la tête du SCAF, l’acronyme du Conseil suprême des forces armées.
Peu importent les tests de virginité pratiqués de force sur les manifestantes, les 12 000 procès militaires, la complaisance révélée tardivement lors de la mémorable bataille des chameaux place Tahrir, l’armée reste, dans l’imaginaire de la majorité des Egyptiens, la « fille du peuple » et le seul vecteur du changement politique. Le chemin vers la démocratie est encore long en Egypte…
Christophe Ayad
Source : Le Monde 3 juillet 2013
L’aide US à l’Egypte va être réexaminée
L’aide annuelle d’un montant d’un milliard et demi de dollars que les Etats-Unis allouent à l’Egypte va être réexaminée en tenant compte de l’éviction du président Mohamed Morsi, a indiqué mercredi le sénateur Patrick Leahy qui préside la sous-commission chargée du contrôle de l’aide américaine à l’étranger.
« Les chefs militaires égyptiens affirment ne pas avoir l’intention, ni le désir de gouverner, et j’espère qu’ils tiendront leurs promesses », a commenté Leahy dans un communiqué.
« En attendant, notre droit est clair: l’aide américaine est suspendue lorsqu’un gouvernement démocratiquement élu est déposé par un coup d’Etat ou un décret militaire », a-t-il rappelé.
Des étoiles plein la tête
L’orient du Jour ( Christian Merville)
Mardi soir, les téléspectateurs avaient eu droit, quarante-cinq minutes durant, au spectacle pathétique d’un homme seul, lâché par ses alliés salafistes et par l’armée, désavoué par une importante fraction de son peuple et, le dos au mur, agrippé à une légitimité désormais vidée de toute substance. Une semaine durant, l’Égypte a donné l’impression de vivre un remake des heures de janvier-février 2011 qui avaient débouché sur l’éviction de Hosni Moubarak : le même rejet au niveau de la rue, le même refus obstiné de voir l’évidence, peut-être aussi les mêmes baltaguiyah stérilement acharnés à contre-manifester et au bout du compte la même institution/arbitre, même si son chef – ironie du sort – doit sa promotion à ce président qu’il s’est employé avec succès à renvoyer à ses équerres d’ingénieur. Exit donc l’homme qui avait endossé l’espace d’une courte année un habit trop grand pour lui.
Peut-être pas, après tout, un remake fidèle car, tout comme l’histoire ne repasse jamais les mêmes plats, cette fois les cartes étaient différentes et différente la conjoncture. L’ancien raïs avait mis 30 ans à dilapider le capital qui lui était offert sur le plateau de la présidence. Mohammad Morsi, lui, sera parvenu à se constituer un impressionnant passif fait de décisions improvisées, de faux pas, de mesures impopulaires et d’un blitzkrieg administratif mené tambour battant pour prendre le contrôle de l’appareil étatique. Les messages se multipliaient pourtant, venant de la rue qui lui a rappelé à plus d’une reprise son rejet de toute forme de dictature remplaçant celle de son prédécesseur. Sans résultat, à preuve les dernières nominations de gouverneurs (11 Ikhwane pour un total de 17, dont un responsable venu des rangs de la Gamaa islamiya mais lâché par celle-ci, une trahison qui a achevé de dissiper le peu de crédibilité qui restait au titulaire de la fonction suprême, devenue si dérisoire.
Par le biais du Parti de la construction et du développement, sa branche politique, la Gamaa est entrée sur le tard dans la danse du scalp : son porte-parole, Tarek el-Zommor, a fini par se prononcer pour une élection présidentielle anticipée, précédée toutefois d’un référendum sur son opportunité. Il était clair que les extrémistes islamiques n’avaient pas été saisis d’un soudain prurit démocratique, motivés plutôt par la conviction que les Frères musulmans, devenus décidément infréquentables, pourraient fort bien, lors d’inévitables législatives à venir, leur céder la place, bien sûr en toute fraternité. L’absence d’un ciment unificateur est tout aussi évident dans les rangs de Tamarrod, assemblage hétéroclite de laïcs, de déçus par l’expérience religieuse, d’activistes du mouvement Kefaya et du Front du salut national, d’opportunistes aussi comme il y en a dans tous les courants dits révolutionnaires. Le chef de l’État sortant (ou plutôt sorti) a tenté de jouer sur cette disparité pour proposer à maintes reprises un dialogue, sachant pertinemment que la coalition ne pouvait lui opposer qu’un néo-« front du refus » sans réelle consistance.
Finalement, le camp du « non » a revêtu l’armure du chevalier jusqu’au-boutiste, le régime s’est barricadé dans sa détermination à exciper du verdict des urnes et l’armée s’est posée en gardienne du temple. La conséquence ? Désastreuse à long terme pour tout le monde, puisque aucun des acteurs du psychodrame n’est en mesure de reprendre à son compte le flambeau. Fort heureusement, le ton, très digne, du communiqué de l’armée a permis d’éviter ce qui tournait à la pantalonnade. On a entendu, par exemple, Morsi adopter des accents dignes de Danton pour clamer haut et fort qu’il préférait la mort violente à une condamnation par l’histoire. Salvador Allende, réveille-toi…
Et puisque l’on donne dans la grandiloquence, que faut-il penser du serment prêté par les chefs de l’armée, le général Abdel Fattah Sissi en tête : « Nous jurons devant Dieu que nous sacrifierons notre sang pour l’Égypte et son peuple contre tous les groupes terroristes, extrémistes et ignorants » ? Vaste programme aurait dit le général de Gaulle. Il importe de rappeler pour l’occasion que pas plus que le jugement des urnes, les sacrifices ne sauraient tenir lieu de programme d’action. D’ailleurs, ils ont dû déchanter ceux qui, au soir de dimanche dernier, avaient cru déceler un acte de candidature dans le lâcher de drapeaux au-dessus de la foule agglutinée place Tahrir par des hélicoptères. Non, décidément, l’armée n’a pas des envies de revenez-y. Chiche !
La recette pour une démocratie réussie est fort simple : prendre des démocrates ; adopter une ligne de conduite (et non pas une « feuille de route ») ; donner, mais pas trop, du temps au temps avant de servir, tiède de préférence. Et surtout éviter d’agiter. Scénario à la Nasser : samedi 26 juillet 1952, le roi Farouk, qui vient de signer son acte d’abdication, quitte le palais de Ras el-Tine pour le yacht Mahroussa à bord duquel il doit s’embarquer. Au pied de la passerelle, le général Naguib fait le salut militaire pendant que la fanfare exécute l’hymne national et qu’une salve de 21 coups de canon est tirée. C’est qu’ils savaient, quand il le fallait, y mettre les formes, les hommes en uniforme. Et demain ? On verra bien…
Christian Merville
Source L’Orient du Jour 04/07/13
Silence prudent d’Israël après la chute du président égyptien
AFP | 04/07/2013
Le gouvernement israélien gardait un silence prudent jeudi après la mise à l’écart par l’armée égyptienne du président islamiste Mohamed Morsi.
Selon les médias, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a donné la consigne à ses ministres de ne pas faire le moindre commentaire officiel pour le moment sur la crise en Egypte, pays avec lequel Israël signé un traité de paix en 1979.
« Le gouvernement suit de très près la situation en Egypte mais ne fait pas de prévisions car les choses sont en train d’être décidées », a déclaré à l’AFP un responsable israélien sous couvert de l’anonymat.
« Il est important que le peuple égyptien puisse accéder à un niveau de liberté et d’auto-gestion (…) mais la situation actuelle envoie des ondes de choc dans tout le monde arabe d’où une certaine inquiétude en Israël », a-t-il ajouté.
« Israël fait attention d’éviter même l’apparence d’une interférence avec les événements en Egypte », soulignait le spécialiste militaire du quotidien Haaretz Amos Harel.
Israël et l’Egypte entretenaient des liens réguliers sous la présidence de l’ancien président Hosni Moubarak, chassé du pouvoir par une révolte populaire en février 2011, notamment dans le domaine sécuritaire.
Alors que certains prédisaient une remise en question du traité de paix avec la chute du régime Moubarak, des sources militaires, citées par les médias israéliens, ont affirmé que le bon fonctionnement de la coopération sécuritaire avait continué sous la présidence Morsi.
Selon ces sources, la proximité du mouvement islamiste palestinien Hamas, au pouvoir à Gaza, avec les Frères musulmans avait notamment permis à M. Morsi de lutter plus efficacement que ne l’avait fait son prédécesseur contre les islamistes radicaux dans la péninsule du Sinaï et contre les tunnels de contrebande entre Israël et la bande de Gaza.
Les commentateurs relevaient que les principales inquiétudes israéliennes portent sur les risques d’instabilité accrue dans le Sinaï.
« L’incertitude sur l’avenir de l’Egypte est très important et il est plus difficile pour l’Egypte, occupé par des problèmes intérieurs, de s’occuper des problèmes sécuritaires, et notamment des groupes terroristes dans le Sinaï », a déclaré un responsable israélien non identifié, cité par la radio militaire.
La sécurité dans le Sinaï s’est fortement dégradée et la péninsule a connu une recrudescence d’activités de la part des mouvement islamistes radicaux, jihadistes et salafistes.
Égypte : l’Allemagne parle d’un « échec majeur pour la démocratie »
Le ministre des Affaires étrangères voit dans ce renversement un « réel danger que le processus de transition démocratique soit sérieusement altéré ».
Le renversement du président islamiste égyptien Mohamed Morsi par l’armée égyptienne mercredi constitue un « échec majeur pour la démocratie », a déclaré jeudi le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle. « Il est urgent que l’Égypte retourne aussi vite que possible à un ordre constitutionnel (…), il y a un réel danger que le processus de transition démocratique en Égypte soit sérieusement altéré », a-t-il dit, alors que le président du Conseil constitutionnel égyptien, Adly Mansour, a prêté serment dans la matinée comme président du Conseil par intérim.
« Nous appelons toutes les parties à renoncer à la violence. Nous allons suivre de très près les évolutions en Égypte. Et nous allons prendre nos décisions politiques en tirant nos conclusions », a ajouté M. Westerwelle, qui a rencontré dans la matinée le Premier ministre grec pour le soutenir dans sa politique de réformes. « Les arrestations politiques et une vague de répression doivent être évitées à tout prix. Tout doit être mis en oeuvre pour retourner sur le chemin de l’ordre démocratique » a ajouté le ministre. À Londres, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a indiqué de son côté jeudi matin que le Royaume-Uni allait « travailler » avec le nouveau pouvoir en place en Égypte, tout en réaffirmant que Londres ne soutenait pas « les interventions militaires ».
AFP 14/07/13
Assad: la crise en Egypte incarne « la chute » de « l’islam politique »
« Quiconque utilise la religion dans un but politique ou pour favoriser certains par rapport à d’autres, est condamné à l’échec »
Le président syrien Bachar al-Assad a assuré que les manifestations monstres contre son homologue égyptien déchu Mohamed Morsi marquent la fin de l’islam politique, selon des extraits d’une interview à un journal syrien à paraître jeudi
« Ce qui se passe en Egypte est la chute de ce que l’on connaît comme étant l’islam politique », a déclaré le chef de l’Etat syrien au journal officiel As-Saoura.
« Où que ce soit dans le monde, quiconque utilise la religion dans un but politique ou pour favoriser certains par rapport à d’autres, est condamné à l’échec », a ajouté M. Assad, dont les extraits ont été diffusés sur sa page Facebook.
L’armée égyptienne a annoncé dans un message télévisé mercredi soir avoir écarté M. Morsi, suspendu la Constitution et annoncé la tenue d’une élection présidentielle anticipée en Egypte.
Les propos de Bachar al-Assad ont été publiés quelques heures après une déclaration de son ministre de l’Information, Omrane al-Zohbi, dans laquelle il avait assuré que le départ de Mohamed Morsi était nécessaire à la résolution de la crise égyptienne.
L’animosité entre le régime de Damas et les Frères musulmans dure depuis de longues années et l’appartenance à la confrérie est condamnée de la peine de mort en Syrie depuis les années 1980.
La branche syrienne des Frères musulmans joue aujourd’hui un rôle crucial dans le coalition nationale de l’opposition syrienne en exil, qui est reconnue comme représentante légitime du peuple syrien par plus d’une centaine d’Etats et organisations.
L’Egypte est un pays sunnite, de même que la plupart des rebelles syriens hostiles au régime de Bachar al-Assad tenue par la communauté alaouite, une branche de l’islam chiite, dont est issue le président syrien.
Mohamed Morsi de son côté a, comme de nombreux dirigeant arabes, appelé Bachar al-Assad à démissionner.
Depuis le début en mars 2011 du conflit en Syrie, qui a débuté par un soulèvement populaire pacifique et s’est militarisé face à la répression menée par le régime, plus de 100.000 personnes ont péri selon une ONG syrienne.
AFP 04/07/13
Neutralité chinoise
L’agence de presse officielle chinoise Xinhua se contente d’un communiqué annonçant l’entrée en fonction d’Adli Mansour, le nouveau président égyptien par intérim.
Le juge égyptien Adli Mansour a prêté serment jeudi en tant que président par intérim de l’Egypte après l’évincement de Mohamed Morsi. Il avait prêté serment plus tôt dans la journée en tant que chef de la Cour constitutionnelle suprême (CCS).
« Je prête serment devant Dieu tout-puissant de protéger sincèrement l’ordre républicain et de respecter pleinement la Constitution et l’état de droit, de prendre soin des intérêts du peuple, de préserver l’indépendance du pays et la sécurité de ses territoires », a proclamé M. Adli lors de la cérémonie.
Il a également promis de diriger « un pays moderne, constitutionnel, national et civil ».
Au moins 11 personnes ont été tuées et plus de 500 autres blessées mercredi soir dans des affrontements entre partisans et opposants du président évincé Mohamed Morsi.
Le politologue franco-libanais Antoine Sfeir, est le directeur fondateur des Cahiers de l’Orient. Il est l’auteur de » L’islam contre l’islam L’interminable guerre des sunnites et des chiites « .
Dans votre dernier essai, vous décryptez le monde arabe à travers la fracture chiites/ sunnites. Qu’apporte cet éclairage et pourquoi est-il si peu mis en avant ?
C’est un prisme de lecture qui devient incontournable parce qu’il donne des clés essentielles de compréhension. La question de la désinformation est liée au recul de la culture générale. Tout commence à l’école dans le rapport que nous avons avec les autres.
Comment masque-t-on son ignorance ?
En mettant en exergue les lieux communs. Nous sommes actuellement en guerre au Mali. Sommes-nous informés ? On nous inonde d’images martiales et d’interventions diverses
mais on ne dit rien sur les véritables enjeux, sur la culture des populations concernées, sur leurs composantes politiques économiques, sociologiques…
Au-delà de la dimension historique que vous abordez dans l’ouvrage, quelles sont les traits philosophiques à distinguer entre ces deux grands courants de l’islam ?
Dans le sunnisme, l’effort d’interprétation des textes sacrés s’est arrêté depuis le XI e siècle. Ce courant considère que la révélation est close avec la parole du prophète Mahomet. Tandis que les chiites poursuivent l’interprétation de manière permanente à travers les imams en attendant le retour de Mahdi, l’imam caché.
Le sunnisme se considère comme un aboutissement. Tout recul est impossible. Le changement d’apostolat peut être sanctionné par la peine de mort. Je tire mon chapeau aux musulmans sunnites qui font leur propres interprétations. Autrement dit l’alliance de l’Occident avec les sunnites wahhabites depuis 1945 est une erreur stratégique.
En 1979, la révolution iranienne réveille la fracture entre chiites et sunnites que vous qualifiez aujourd’hui de guerre mondiale…
Avec l’émergence de la République islamique iranienne, les chiites trouvent leur «Vatican». Après avoir été longuement opprimés, ils relèvent la tête. Afghanistan,Pakistan, Turquie, Inde, Irak, Syrie, Koweît, Bahreïn, Iran, Chine… sont autant de pays où s’affrontent
les sunnites et les chiites, sans parler des luttes entre les quatre grands courants sunnites.
L’antagonisme s’est rallumé en Afghanistan, berceau de la montée en puissance de Ben Laden. Dans ce conflit mondial l’Occident à du mal à donner des leçons. Il a toujours instrumentalisé les parties à son profit, et l’histoire se répète.
Quelle alternative voyez-vous à Bachar El-Assad ?
Tout le monde prédit la chute du régime syrien mais cette optique n’est pas vraiment d’actualité. Ayant été enlevé et torturé sur ordre de son père, je suis le premier à la souhaiter mais deux ans après l’ouverture des combats, on constate une relative passivité de la communauté internationale. Assad conserve des partisans au sein de la population et des alliés de poids comme la Russie, la Chine et l’Iran.
La reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat observateur de l’ONU n’empêche pas l’étouffement économique de Gaza…
C’est vrai, Israël poursuit la colonisation et fait blocus sur l’économie. Mais aujourd’hui, la stratégie palestinienne est de dire : Si nous ne parvenons pas à développer notre Etat, nous demandons la nationalité israélienne et les projections de Gaza et de la Cijordanie
indiquent que les Palestiniens seront les plus nombreux.
Vous ne donnez aucun crédit à la thèse d’une intervention armée en Iran…
C’est une affabulation. Il n’y a que Netanyhaou pour y penser. Avez-vous déjà vu Israël annoncer à l’avance qu’elle allait frapper ? J’ai croisé il y a peu un dirigeant israélien dans l’antichambre du président Ahmadinejad. Alors que je m’étonnais de sa présence, il m’a répondu: que croyez-vous, il n’y a pas une journée depuis 1979 où le contact ait été rompu…
Netanyhaou est isolé et Israël n’est plus dans le cours de l’histoire. Appuyé par Bagdad, Damas, Tyr, l’Iran est devenu pour la première fois, une vraie puissance méditerranéenne.
C’est un cadeau du ciel et des Etats-Unis. L’indépendance énergétique des Etats-Unis liée au gaz de schistes modifie en profondeur la stratégie américaine au Proche-Orient.
L’alliance historique avec les sunnites pourrait-elle s’inverser au profit des Chiites ?
Difficile de le dire, ce retrait prévisible à l’horizon 2015/2016 pourrait aboutir au démantèlement de l’Arabie Saoudite comme cela s’est passé en Syrie ou au Liban. Cette indépendance pourrait amener les Américains à mettre en place une stratégie reposant sur de petites entités alliées comme Israël, l’Iran, la Turquie…
Le retrait américain laisse la France et L’UE face à la problématique ?
Vue des pays arabes l’UE n’existe pas au-delà du guichet de subventions. C’est une vrai question, saura- t-elle bâtir une architecture de diplomatie et de sécurité ou continuera-t-elle à utiliser la diplomatie du chéquier ?
Où va la France au Mali ?
Au départ, François Holande faisait entendre à tout le monde qu’il n’irait pas. Il a attendu que l’ensemble de ses alliés se déclarent favorables à l’intervention française pour prendre sa décision. Il a même réussi à convaincre Bouteflika qui a suivi face à l’unanimité.
L’objectif déclaré est de libérer le Nord du Mali. Y arrivera-t-il ?
Cela reste une question. Car il ne s’agit pas de répéter ce qui s’est passé en Lybie : libérer, tuer, s’en aller. Il faut accompagner le Mali qui doit parvenir à la sédentarisation
des Touaregs et leur donner les moyens de se défendre.
Nous sommes encore loin du cahier des charges qui suppose la mise en oeuvre d’un plan Marshall pour tous les pays du Sahel.
Depuis le 1er janvier, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – a un nouveau directeur général : José Graziano da Silva. L’ex sous-directeur de cette même structure par ailleurs monsieur « faim zéro » – programme mené au Brésil pour le président Lula – a d’emblée affirmé que « l’élimination totale de la faim et de la sous-alimentation dans le monde » était sa priorité. Un objectif louable et finalement normal pour cette organisation intergouvernementale créée en 1945 dont le mandat est précisément de « veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active. «
Pourtant, on ne peut qu’avoir une sensation de déjà entendu. Au sein de cette FAO ou à l’occasion des journées mondiales contre la faim du 16 octobre. Mais pas seulement. En 2000, les 193 Etats qui s’engagent sur les objectifs du millénaire pour le développement actent au premier chapitre, la réduction de moitié de la population souffrant de la faim en 2015.
Et pourtant. En 2007/2008 l’explosion des prix des produits alimentaires provoque une crise énorme : 40 millions de personnes supplémentaires souffrent désormais de la faim. Ce qui porte le total à 963 millions. L’été dernier, c’est la Corne de l’Afrique qui est menacée de famine. 12 millions de personnes sont en danger. Les pays riches réagissent, multiplient les conférences de donateurs… pour mieux peiner à obtenir 50% de promesses de dons sur le milliard et demi de dollars estimé comme nécessaire par l’ONU. L’actualité propose de nouvelles déclinaisons de cette faim dans le monde : une étude montre que 42% des enfants de moins de 5 ans en Inde sont sous-alimentés. Et ce, malgré la croissance impressionnante du PIB. Au Congo, le chiffre est de 26% : plus d’un quart des enfants de moins de 5 ans touchés par la malnutrition dénonce l’Unicef . Reste encore le Tchad à qui l’ONU vient d’allouer 6 millions de dollars d’aide d’urgence le 11 janvier dernier pour faire face à une crise alimentaire.
Cacao contre sorgho
Misère, guerre et sécheresse font, évidemment, parties des explications à cette faim dans le monde. Mais pas seulement. Il ne faut en effet surtout pas oublier que dans les quarante dernières années, le FMI et la Banque Mondiale ont fait en sorte que les gouvernements des pays du Sud détruisent les silos à grains qui alimentaient les marchés intérieurs en cas de crise ; qu’ils les ont poussé à supprimer les agences publiques de crédit aux agriculteurs ; qu’ils les ont convaincu de troquer les productions de blé, de riz, de maïs ou de sorgho pour des cultures de cacao, café ou thés qui s’exportent si bien ; qu’ils les ont enfin contraints à ouvrir leurs frontières aux exportations de pays occidentaux subventionnées massivement. Tout cela pour leur permettre d’obtenir les précieux dollars nécessaires au remboursement de la dette. Ces dernières années, la mode des biocarburants aidés par les pays du Nord ont eu raison de nouveaux hectares de cultures vivrières.
Il ne faut pas oublier non plus que la crise alimentaire de 2007/2008 résulte du boursicotage de quelques spéculateurs quittant la bulle immobilière qui venait d’exploser aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier enfin que depuis la crise financière, le G 20 tente de remettre le FMI en selle avec, cette fois, l’Europe pour terrain de jeu.
Dernier élément a aussi prendre en compte : les réformes agraires jamais menées dans certains pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui interdisent à des milliards de paysans d’avoir un accès direct à la terre et en font les première victime de la faim dans le monde.
Ceci posé, la FAO peut donc ambitionner d’éradiquer la faim dans le monde. De jolies phrases qui rendent plus supportable l’idée que, chaque année, de 3 à 5 millions d’enfants meurent à cause de la malnutrition dans le monde. Mais comment prendre au sérieux une lutte contre la faim qui fait l’impasse sur les causes de cette faim ?
Angélique Schaller (La Marseillaise)
Jean Ziegler : « L’ordre cannibale du monde peut être détruit »
Somalie
Les experts le savent bien, l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale.
Le 17 janvier dernier sur le campus de la Gaillarde, Montpellier SupAgro a accueilli un des plus éminents défenseurs du droit à l’alimentation Jean Ziegler pour une conférence-débat animée par Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire UNESCO Alimentations du monde, partenaire de cette rencontre exceptionnelle, co-organisée avec la librairie Sauramps.
jean ziegler
Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il a consacré l’essentiel de son oeuvre à dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde. Professeur émérite de sociologie à l’Université de Genève, il a publié L’Empire de la honte (2005) et La Haine de l’Occident (2008). Dans son nouvel essai intitulé Destruction massive : géopolitique de la faim (Seuil, octobre 2011) le sociologue a dressé un état des lieux de la faim dans le monde et analysé les raisons de l’échec des moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour l’éradiquer. Il critique les ennemis du droit à l’alimentation aujourd’hui, à savoir la production d’hydro-carburants et la spéculation sur les biens agricoles.
Version intégrale d’un entretien avec Jean Ziegler publié dans La Marseillaise
Globalement, l’état des lieux que vous dressez de la situation fait pâlir. Quels sont les nouveaux paramètres de la sous-alimentation qui frappe notre planète au XXIe ?
Le massacre annuel de dizaines de millions d’être humains par la faim est le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant âgé de moins de dix ans meurt de faim, 37 000 personnes meurent de faim tous les jours et un milliard – sur les 7 milliards que nous sommes – sont mutilés par la sous-alimentation permanente… Et cela sur une planète qui déborde de richesses !
Le même rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO qui donne les chiffres des victimes dit que l’agriculture mondiale dans l’étape actuelle de ses forces de production pourrait nourrir normalement (2 200 calories/ individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, donc presque le double de l’humanité actuelle.
Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’existe donc aucune fatalité, aucun manque objectif. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.
Pendant huit ans, j’ai été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce livre est le récit de mes combats, de mes échecs, des mes occasionnelles fragiles victoires, de mes trahisons aussi.
Les populations les plus exposées sont les pauvres des communautés rurales des pays du Sud où se cumulent aux conditions environnementales une violence physique et économique ?
Un fléau particulier qui frappe les paysans depuis peu est l’accaparement des terres arables dans les pays du Sud – surtout en Afrique – par les sociétés transcontinentales privées.
Selon la Banque mondiale, l’année dernière, 41 millions d’hectares de terres arables ont été accaparés par des fonds d’investissements et des multinationales uniquement en Afrique. Avec pour résultat, l’expulsion des petits paysans. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le rôle de la Banque mondiale, mais aussi celui de la Banque africaine de développement, qui financent ces vols de terre. Pour se justifier, elles ont une théorie pernicieuse qui est de dire que la productivité agricole est très basse en Afrique. Ce qui est vrai. Mais ce n’est pas parce que les paysans africains sont moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français. C’est parce que ces pays sont étranglés par leur dette extérieure. Ils n’ont donc pas d’argent pour constituer des réserves en cas de catastrophes ni pour investir dans l’agriculture de subsistance. Il est faux de dire que la solution viendra de la cession des terres aux multinationales.
3,8 % des terres arables d’Afrique sont irriguées. Sur tout le continent, il n’existe que 250 000 animaux de trait et quelques milliers de tracteurs seulement. Les engrais minéraux, les semences sélectionnées sont largement absents.
Ce qu’il faut faire, c’est mettre ces pays en état d’investir dans l’agriculture et de donner à leurs paysans les instruments minimaux pour augmenter leur productivité : les outils, l’irrigation, les semences sélectionnées, les engrais…
Un autre scandale dont souffrent les populations rurales dans l’hémisphère sud est le dumping agricole pratiqué par les États industriels. L’année dernière, les pays industriels ont versé à leurs paysans 349 milliards de dollars à titre de subsides à la production et à l’exportation. Résultat : sur n’importe quel marché africain, on peut acheter des fruits, des poulets et des légumes français, grecs, portugais, allemands, etc. au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Face au dumping agricole, le paysan africain qui cultive son lopin de terre n’a pas la moindre chance de vendre ses fruits ou ses légumes à des prix compétitifs.
Or, de 54 pays africains 37 sont des pays presque purement agricoles.
L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale : d’une part, ils organisent la faim en Afrique et, d’autre part, ils rejettent à la mer, par des moyens militaires, des milliers de réfugiés de la faim qui, chaque semaine, tentent d’atteindre la frontière sud de la forteresse Europe.
Face à ce drame de chaque instant, vous évoquez la notion de faim structurelle et de faim conjoncturelle ainsi que les notions d’Histoire visible et invisible comme les effets de la malnutrition…
La faim structurelle est celle qui tue quotidiennement à cause des forces de production insuffisamment développées dans les campagnes de l’hémisphère sud. La faim conjoncturelle par contre frappe lorsqu’une économie s’effondre brusquement par suite d’une catastrophe climatique ou de la guerre.
Regardons ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Certains pays comme la Somalie, le nord du Kenya, Djibouti, l’Érythrée et l’Éthiopie se trouvent dans une situation de cauchemar. Ils doivent faire face à une faim à la fois conjoncturelle, liée à la sécheresse ou à la guerre, et structurelle en raison de l’explosion des prix mondiaux des denrées alimentaires. Impossible donc pour eux d’acquérir suffisamment de nourriture pour alimenter toutes leurs populations. Dans la Corne de l’Afrique, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim ou de ses suites immédiates depuis avril 2011.
Cette conscience que vous faites émerger se heurte souvent à une opinion publique indifférente. Comment peut-on s’expliquer la disproportion insensée d’implications entre les 2 700 victimes du WTC et les centaines de millions de morts de la faim ?
Vous avez raison. L’opinion publique dans son immense majorité, en Europe, oppose son indifférence au meurtre collectif par la faim qui se déroule dans l’hémisphère sud.
Pourquoi ? A cause de la théorie néolibérale qui empoisonne l’opinion. Or, les ennemis du droit à l’alimentation sont la dizaine de sociétés transcontinentales privées qui dominent complètement le marché alimentaire. Elles fixent les prix, contrôlent les stocks et décident qui va vivre ou mourir puisque seul celui qui a de l’argent a accès à la nourriture. L’année dernière, par exemple, Cargill a contrôlé plus de 26 % de tout le blé commercialisé dans le monde. Ensuite, ces trusts disposent d’organisations mercenaires : l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont les trois cavaliers de l’Apocalypse. S’ils reconnaissent que la faim est terrible, ils estiment que toute intervention dans le marché est un péché. A leurs yeux, réclamer une réforme agraire, un salaire minimum ou le subventionnement des aliments de base, par exemple, pour sauver les vies des plus pauvres est une hérésie. Selon les grands trusts qui, ensemble, contrôlent près du 85 % du marché alimentaire, la faim ne sera vaincue qu’avec la libéralisation totale du marché et la privatisation de tous les secteurs publics.
Cette théorie néolibérale est meurtrière et obscurantiste. L’Union soviétique a implosé en 1991 (c’était une bonne chose). Jusque-là, un homme sur trois vivait sous un régime communiste et le mode de production capitaliste était limité régionalement. Mais en vingt ans, le capitalisme financier s’est répandu comme un feu de brousse à travers le monde. Il a engendré une instance unique de régulation : le marché mondial, la soi-disant main invisible. Les États ont perdu de leur souveraineté et la pyramide des martyrs a augmenté. Si les néolibéraux avaient raison, la libéralisation et la privatisation auraient dû résorber la faim. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La pyramide des martyrs ne cesse de grandir. Le meurtre collectif par la faim devient chaque jour plus effrayant.
L’ONU devrait soumettre à un contrôle social étroit les pieuvres du commerce mondial agroalimentaire.
Le rapport FAO estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Évoque-t-il les modalités de mise en œuvre d’un plan réaliste pour faire face à ce fléau ?
Non. La FAO est exsangue. Elle se contente de la mise en œuvre de quelques programmes de coopération régionale. Elle n’a pas la force ni d’affronter les pieuvres du négoce alimentaire ni les spéculateurs boursiers.
Le développement des biocarburants qui s’impose comme « une arme miracle » ne répond pas aux défis environnementaux et accentue de manière catastrophique la famine dans le monde affirmez-vous ?
Vous avez raison de poser la question des agrocarburants, car il existe en cette matière une formidable confusion. La théorie généralement diffusée est la suivante : le climat se détériore et la principale raison en est l’utilisation de l’énergie fossile. Il faut donc diminuer sa consommation. Mais, je le dis avec force, les agrocarburants ne sont pas la solution. Pour réduire la consommation d’énergie fossile, il faut drastiquement économiser l’énergie, favoriser les transports publics, développer les énergies solaires, éoliennes, géothermiques. L’année dernière, les États-Unis ont brûlé 138 millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé, pour produire des agrocarburants. En Suède, près de la moitié des voitures roulent au bioéthanol. Le réservoir moyen d’une voiture est de 50 litres. Il faut brûler 352 kilos de maïs pour produire 50 litres de ce carburant. Or, ces 352 kilos de maïs permettraient à un enfant en Zambie ou au Mexique, où le maïs est la nourriture de base, de manger et de vivre pendant un an !
Brûler des plantes nourricières sur une terre où 35 millions de personnes meurent tous les ans de la faim ou de ses suites immédiates est inadmissible.
Vous mettez en lumière les incidences géopolitiques de la folie spéculatrice, en mettant en parallèle la flambée des cours du blé avec les révolutions du monde arabe qui est la première région importatrice de céréales du monde ou encore l’utilisation de la faim comme une arme politique de destruction en Afghanistan, en Somalie, à Gaza…
Les fonds spéculatifs (hedge funds) et les grandes banques ont migré après 2008, délaissant des marchés financiers pour s’orienter vers les marchés des matières premières, notamment celui des matières premières agricoles. Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leur prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1 010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de gens. De plus, la spéculation provoque une autre catastrophe. En Afrique le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut plus acheter suffisamment de nourriture pour l’aide d’urgence en cas de famine : comme aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique où les fonctionnaires de l’ONU refusent chaque jour l’entrée à des centaines de familles, réfugiées de la faim, devant les 17 camps d’accueil installés dans la région. Il faudrait transférer ces spéculateurs, dont les actions aboutissent au désastre actuel, devant un tribunal de Nuremberg et les juger pour crime contre l’humanité.
C’est vrai ce que vous dites : l’explosion des prix des aliments de base – surtout du blé – a joué un rôle crucial dans les révolutions notamment tunisienne et égyptienne. La faim comme arme de guerre : les Israéliens l’utilisent à Gaza, les Shebabs musulmans en Somalie.
Peut-on envisager un mouvement social international qui puisse faire reculer la Banque mondiale, l’OMC et le FMI que vous qualifiez de cavaliers de l’Apocalypse ? La lutte pour la vie ne se joue-t-elle pas au niveau des États sur le terrain de la politique intérieure ?
Malgré son titre – Destruction massive – mon livre est un livre d’espoir. La faim est faite de main d’homme. Elle peut être éliminée par les hommes. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La France est une grande, vivante démocratie. II existe des mesures concrètes que nous, citoyens et citoyennes des États démocratiques d’Europe, pouvons imposer immédiatement ; interdire la spéculation boursière sur les produits alimentaires ; faire cesser le vol de terres arables par les sociétés multinationales; empêcher le dumping agricole ; obtenir l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres pour qu’ils puissent investir dans leur agriculture vivrière ; en finir avec les agrocarburants… Tout cela peut être obtenu si nos peuples se mobilisent. J’ai écrit Destruction massive, géopolitique de la faim pour fortifier la conscience des citoyens. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Je le répète, pendant que nous discutons, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Les charniers sont là. Et les responsables sont identifiables.
De plus, de formidables insurrections paysannes – totalement ignorées par la grande presse en Occident – ont lieu actuellement dans nombre de pays du Sud : aux Philippines, en Indonésie, au Honduras, au nord du Brésil. Les paysans envahissent les terres volées par les sociétés multinationales, se battent, meurent souvent, mais sont aussi parfois victorieux.
Georges Bernanos a écrit: « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». L’ordre cannibale du monde peut être détruit et le bonheur matériel assuré pour tous. Je suis confiant : en Europe l’insurrection des consciences est proche.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Jean Ziegler, auteur de Destruction massive, géopolitique de la faim, Éditions du Seuil ; et aussi : L’or du Maniema, roman, réédition dans la coll. Points, Seuil).