Venezuela : quatorze pays américains demandent un calendrier électoral

6744297_03533811bc3fc15be661652389c445cbdf4fcd62_1000x625Les voisins continentaux, qui critiquent le régime Maduro, demandent également à Caracas de libérer les prisonniers politiques.

Quatorze pays du continent américain ont demandé jeudi au Venezuela «la libération des prisonniers politiques» et l’établissement d’«un calendrier électoral», dans une déclaration conjointe publiée par le ministère mexicain des Affaires étrangères.

Les signataires sont l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, les Etats-Unis, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay.

«Nous jugeons urgent que soit traitée de manière prioritaire la libération des prisonniers politiques, que soit reconnue la légitimité des décisions de l’Assemblée nationale, conformément à la Constitution, et que soit établi un calendrier électoral incluant les élections qui ont été reportées», déclarent les pays signataires.

L’élection présidentielle vénézuélienne est prévue pour décembre 2018. Les élections des gouverneurs et des maires, qui devaient avoir lieu en décembre dernier, ont été reportées à courant 2017 et leur date n’a pas encore été fixée. En décembre dernier, la Table de l’unité démocratique (MUD), la coalition d’opposition de centre droit, avait gelé ses négociations avec le gouvernement du président socialiste Nicolas Maduro.

Crise politique et économique

Ces discussions avaient lieu depuis octobre sous l’égide du Vatican et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur).
L’opposition, qui contrôle le Parlement depuis fin 2015 et exige des élections anticipées, accuse le président Maduro d’avoir plongé le pays dans une grave crise politique et économique.

La semaine dernière, le secrétaire général de l‘Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almagro, qui compare le Venezuela actuel à «une dictature», a publié un rapport de 75 pages sur la situation politique vénézuélienne.
Il a évoqué dans ce document la possibilité de suspendre le Venezuela de l’OEA s’il ne tenait pas rapidement des élections générales.

Le président Maduro a répliqué en accusant M. Almagro de promouvoir «une intervention internationale» contre le Venezuela.
Les 14 pays qui ont signé la déclaration rendue publique jeudi se déclarent «profondément préoccupés» par la situation de crise politique, économique et sociale qui règne au Venezuela. Ils indiquent qu’ils vont examiner «avec attention» le rapport du secrétaire général de l’OEA «dans le but de se mettre d’accord sur une stratégie d’action appropriée».

Ils appellent le gouvernement de Caracas à garantir la séparation effective des pouvoirs et le respect de l’Etat de droit et des institutions démocratiques. Ils soulignent que «la suspension d’un pays membre» de l’OEA est «l’ultime recours» et déclarent que le dialogue et la négociation sont «la voie appropriée pour parvenir à des solutions durables des problèmes» du Venezuela.

Source Leparisien.fr avec AFP 24/03/2017

Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Amérique Latine , Venezuela, Venezuela les raisons du chaos, rubrique Politique, Affaires, rubrique Economie,

Silence Radio | L’Uruguay fait l’impensable et rejette le TISA, équivalent du Tafta

uruguay-2015

Cette décision historique n’a rencontré aucun écho dans les médias.

Souvent désigné comme la Suisse de l’Amérique du Sud, l’Uruguay a, de longue date, l’habitude de faire les choses à sa façon. Il a été le premier état-providence d’Amérique latine. Il dispose également d’une importante classe moyenne, ce qui est inhabituel dans cette partie du monde ; et on y trouve pas d’importantes inégalités de revenu, contrairement à ses très grands voisins du nord et de l’ouest : le Brésil et l’Argentine.

Il y a deux ans, durant le mandat du président José Mujica, l’Uruguay a été le premier pays à légaliser la marijuana en Amérique latine, un continent déchiré par le trafic de drogue qui engendre violence et corruption de l’État.

Aujourd’hui, l’Uruguay a fait quelque chose qu’aucun autre pays neutre de cette planète n’avait osé faire : il a rejeté les avances de la corporatocratie mondiale.

Le traité dont on ne prononce pas le nom

Au début de ce mois, le gouvernement de l’Uruguay a décidé de mettre fin à sa participation aux négociations secrètes relatives à l’accord sur le commerce des services (TISA pour Trade In Service Agreement). Après plusieurs mois de pression exercée par les syndicats et d’autres mouvements populaires, avec un point d’orgue lors de la grève générale sur ce sujet, la première de ce genre au monde, le président uruguayen Tabare Vazquez s’est incliné face à l’opinion publique et a abandonné l’accord commercial voulu par les États-Unis.

Bien qu’elle soit, ou plutôt parce qu’elle est symboliquement importante, la décision historique de l’Uruguay a été accueillie par un silence assourdissant. Au-delà des frontières du pays, les grands médias ont refusé d’évoquer ce sujet.

Ce n’est pas vraiment une surprise étant donné que le commun des mortels n’est même pas supposé connaître l’existence du TISA ; bien qu’il soit, ou plutôt, une fois encore, parce qu’il est sans doute le plus important volet de la nouvelle vague d’accords commerciaux internationaux. Selon Wikileaks, il s’agit « de la plus grande composante du trio de traités “commerciaux” stratégiques des États-Unis », trio qui inclut également le Partenariat TransPacifique (Trans Pacific Partnership ou TPP) et le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TransAtlantic Trade and Investment Pact (TTIP).

Le TiSA concerne plus de pays que le TTIP et le TPP réunis : les États-Unis et les 28 pays membres de l’Union Européenne, l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, Hong-Kong, l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Corée du Sud, la Suisse, Taiwan et la Turquie.

Ensemble, ces 52 pays forment le groupe joliment nommé des “Très Bons Amis de l’accord sur les Services” qui représente quasiment 70% du commerce mondial des services. Jusqu’à sa récente volte-face, l’Uruguay était censé être le 53e “Bon Ami”.

Lilian

Source News360x 09/11/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Amérique Latine, Uruguay, rubrique Politique, Politique Internationale, Politique économique, rubrique Economie,

Alimentation : la faillite organisee

Faim. Photo Sousal

Depuis le 1er janvier, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – a un nouveau directeur général : José Graziano da Silva. L’ex sous-directeur de cette même structure par ailleurs monsieur « faim zéro » – programme mené au Brésil pour le président Lula – a d’emblée affirmé que « l’élimination totale de la faim et de la sous-alimentation dans le monde » était sa priorité. Un objectif louable et finalement normal pour cette organisation intergouvernementale créée en 1945 dont le mandat est précisément de «  veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active. « 

Pourtant, on ne peut qu’avoir une sensation de déjà entendu. Au sein de cette FAO ou à l’occasion des journées mondiales contre la faim du 16 octobre. Mais pas seulement. En 2000, les 193 Etats qui s’engagent sur les objectifs du millénaire pour le développement actent au premier chapitre, la réduction de moitié de la population souffrant de la faim en 2015.

Et pourtant. En 2007/2008 l’explosion des prix des produits alimentaires provoque une crise énorme : 40 millions de personnes supplémentaires souffrent désormais de la faim. Ce qui porte le total à 963 millions. L’été dernier, c’est la Corne de l’Afrique qui est menacée de famine. 12 millions de personnes sont en danger. Les pays riches réagissent, multiplient les conférences de donateurs… pour mieux peiner à obtenir 50% de promesses de dons sur le milliard et demi de dollars estimé comme nécessaire par l’ONU. L’actualité propose de nouvelles déclinaisons de cette faim dans le monde : une étude montre que 42% des enfants de moins de 5 ans en Inde sont sous-alimentés. Et ce, malgré la croissance impressionnante du PIB. Au Congo, le chiffre est de 26% : plus d’un quart des enfants de moins de 5 ans touchés par la malnutrition dénonce l’Unicef . Reste encore le Tchad à qui l’ONU vient d’allouer 6 millions de dollars d’aide d’urgence le 11 janvier dernier pour faire face à une crise alimentaire.

Cacao contre sorgho

Misère, guerre et sécheresse font, évidemment, parties des explications à cette faim dans le monde. Mais pas seulement. Il ne faut en effet surtout pas oublier que dans les quarante dernières années, le FMI et la Banque Mondiale ont fait en sorte que les gouvernements des pays du Sud détruisent les silos à grains qui alimentaient les marchés intérieurs en cas de crise ; qu’ils les ont poussé à supprimer les agences publiques de crédit aux agriculteurs ; qu’ils les ont convaincu de troquer les productions de blé, de riz, de maïs ou de sorgho pour des cultures de cacao, café ou thés qui s’exportent si bien ; qu’ils les ont enfin contraints à ouvrir leurs frontières aux exportations de pays occidentaux subventionnées massivement. Tout cela pour leur permettre d’obtenir les précieux dollars nécessaires au remboursement de la dette. Ces dernières années, la mode des biocarburants aidés par les pays du Nord ont eu raison de nouveaux hectares de cultures vivrières.

Il ne faut pas oublier non plus que la crise alimentaire de 2007/2008 résulte du boursicotage de quelques spéculateurs quittant la bulle immobilière qui venait d’exploser aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier enfin que depuis la crise financière, le G 20 tente de remettre le FMI en selle avec, cette fois, l’Europe pour terrain de jeu.

Dernier élément a aussi prendre en compte : les réformes agraires jamais menées dans certains pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui interdisent à des milliards de paysans d’avoir un accès direct à la terre et en font les première victime de la faim dans le monde.

Ceci posé, la FAO peut donc ambitionner d’éradiquer la faim dans le monde. De jolies phrases qui rendent plus supportable l’idée que, chaque année, de 3 à 5 millions d’enfants meurent à cause de la malnutrition dans le monde. Mais comment prendre au sérieux une lutte contre la faim qui fait l’impasse sur les causes de cette faim ?

Angélique Schaller (La Marseillaise)

Jean Ziegler : « L’ordre cannibale du monde peut être détruit »

Somalie

Les experts le savent bien, l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale.

Le 17 janvier dernier sur le campus de la Gaillarde, Montpellier SupAgro a accueilli  un des plus éminents défenseurs du droit à l’alimentation Jean Ziegler pour une conférence-débat animée par Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire UNESCO Alimentations du monde, partenaire de cette rencontre exceptionnelle, co-organisée avec la librairie Sauramps.

 

jean ziegler

Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il a consacré l’essentiel de son oeuvre à dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde. Professeur émérite de sociologie à l’Université de Genève, il a publié L’Empire de la honte (2005) et La Haine de l’Occident (2008). Dans son nouvel essai intitulé Destruction massive : géopolitique de la faim (Seuil, octobre 2011) le sociologue a dressé un état des lieux de la faim dans le monde et analysé les raisons de l’échec des moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour l’éradiquer. Il critique les ennemis du droit à l’alimentation aujourd’hui, à savoir la production d’hydro-carburants et la spéculation sur les biens agricoles.

Version intégrale d’un entretien avec Jean Ziegler publié dans La Marseillaise

Globalement, l’état des lieux que vous dressez de la situation fait pâlir. Quels sont les nouveaux paramètres de la sous-alimentation qui frappe notre planète au XXIe ?

Le massacre annuel de dizaines de millions d’être humains par la faim est le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant âgé de moins de dix ans meurt de faim, 37 000 personnes meurent de faim tous les jours et un milliard – sur les 7 milliards que nous sommes – sont mutilés par la sous-alimentation permanente… Et cela sur une planète qui déborde de richesses !

Le même rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO qui donne les chiffres des victimes dit que l’agriculture mondiale dans l’étape actuelle de ses forces de production pourrait nourrir normalement (2 200 calories/ individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, donc presque le double de l’humanité actuelle.

Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’existe donc aucune fatalité, aucun manque objectif. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.

Pendant huit ans, j’ai été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce livre est le récit de mes combats, de mes échecs, des mes occasionnelles fragiles victoires, de mes trahisons aussi.

Les populations les plus exposées sont les pauvres des communautés rurales des pays du Sud où se cumulent aux conditions environnementales une violence physique et économique ?

Un fléau particulier qui frappe les paysans depuis peu est l’accaparement des terres arables dans les pays du Sud – surtout en Afrique – par les sociétés transcontinentales privées.

Selon la Banque mondiale, l’année dernière, 41 millions d’hectares de terres arables ont été accaparés par des fonds d’investissements et des multinationales uniquement en Afrique. Avec pour résultat, l’expulsion des petits paysans. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le rôle de la Banque mondiale, mais aussi celui de la Banque africaine de développement, qui financent ces vols de terre. Pour se justifier, elles ont une théorie pernicieuse qui est de dire que la productivité agricole est très basse en Afrique. Ce qui est vrai. Mais ce n’est pas parce que les paysans africains sont moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français. C’est parce que ces pays sont étranglés par leur dette extérieure. Ils n’ont donc pas d’argent pour constituer des réserves en cas de catastrophes ni pour investir dans l’agriculture de subsistance. Il est faux de dire que la solution viendra de la cession des terres aux multinationales.

3,8 % des terres arables d’Afrique sont irriguées. Sur tout le continent, il n’existe que 250 000 animaux de trait et quelques milliers de tracteurs seulement. Les engrais minéraux, les semences sélectionnées sont largement absents.

Ce qu’il faut faire, c’est mettre ces pays en état d’investir dans l’agriculture et de donner à leurs paysans les instruments minimaux pour augmenter leur productivité : les outils, l’irrigation, les semences sélectionnées, les engrais…

Un autre scandale dont souffrent les populations rurales dans l’hémisphère sud est le dumping agricole pratiqué par les États industriels. L’année dernière, les pays industriels ont versé à leurs paysans 349 milliards de dollars à titre de subsides à la production et à l’exportation. Résultat : sur n’importe quel marché africain, on peut acheter des fruits, des poulets et des légumes français, grecs, portugais, allemands, etc. au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Face au dumping agricole, le paysan africain qui cultive son lopin de terre n’a pas la moindre chance de vendre ses fruits ou ses légumes à des prix compétitifs.

Or, de 54 pays africains 37 sont des pays presque purement agricoles.

L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale : d’une part, ils organisent la faim en Afrique et, d’autre part, ils rejettent à la mer, par des moyens militaires, des milliers de réfugiés de la faim qui, chaque semaine, tentent d’atteindre la frontière sud de la forteresse Europe.

Face à ce drame de chaque instant, vous évoquez la notion de faim structurelle et de faim conjoncturelle ainsi que les notions d’Histoire visible et invisible comme les effets de la malnutrition…

La faim structurelle est celle qui tue quotidiennement à cause des forces de production insuffisamment développées dans les campagnes de l’hémisphère sud. La faim conjoncturelle par contre frappe lorsqu’une économie s’effondre brusquement par suite d’une catastrophe climatique ou de la guerre.

Regardons ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Certains pays comme la Somalie, le nord du Kenya, Djibouti, l’Érythrée et l’Éthiopie se trouvent dans une situation de cauchemar. Ils doivent faire face à une faim à la fois conjoncturelle, liée à la sécheresse ou à la guerre, et structurelle en raison de l’explosion des prix mondiaux des denrées alimentaires. Impossible donc pour eux d’acquérir suffisamment de nourriture pour alimenter toutes leurs populations. Dans la Corne de l’Afrique, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim ou de ses suites immédiates depuis avril 2011.

Cette conscience que vous faites émerger se heurte souvent à une opinion publique indifférente. Comment peut-on s’expliquer la disproportion insensée d’implications entre les 2 700 victimes du WTC et les centaines de millions de morts de la faim ?

Vous avez raison. L’opinion publique dans son immense majorité, en Europe, oppose son indifférence au meurtre collectif par la faim qui se déroule dans l’hémisphère sud.

Pourquoi ? A cause de la théorie néolibérale qui empoisonne l’opinion. Or, les ennemis du droit à l’alimentation sont la dizaine de sociétés transcontinentales privées qui dominent complètement le marché alimentaire. Elles fixent les prix, contrôlent les stocks et décident qui va vivre ou mourir puisque seul celui qui a de l’argent a accès à la nourriture. L’année dernière, par exemple, Cargill a contrôlé plus de 26 % de tout le blé commercialisé dans le monde. Ensuite, ces trusts disposent d’organisations mercenaires : l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont les trois cavaliers de l’Apocalypse. S’ils reconnaissent que la faim est terrible, ils estiment que toute intervention dans le marché est un péché. A leurs yeux, réclamer une réforme agraire, un salaire minimum ou le subventionnement des aliments de base, par exemple, pour sauver les vies des plus pauvres est une hérésie. Selon les grands trusts qui, ensemble, contrôlent près du 85 % du marché alimentaire, la faim ne sera vaincue qu’avec la libéralisation totale du marché et la privatisation de tous les secteurs publics.

Cette théorie néolibérale est meurtrière et obscurantiste. L’Union soviétique a implosé en 1991 (c’était une bonne chose). Jusque-là, un homme sur trois vivait sous un régime communiste et le mode de production capitaliste était limité régionalement. Mais en vingt ans, le capitalisme financier s’est répandu comme un feu de brousse à travers le monde. Il a engendré une instance unique de régulation : le marché mondial, la soi-disant main invisible. Les États ont perdu de leur souveraineté et la pyramide des martyrs a augmenté. Si les néolibéraux avaient raison, la libéralisation et la privatisation auraient dû résorber la faim. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La pyramide des martyrs ne cesse de grandir. Le meurtre collectif par la faim devient chaque jour plus effrayant.

L’ONU devrait soumettre à un contrôle social étroit les pieuvres du commerce mondial agroalimentaire.

Le rapport FAO estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Évoque-t-il les modalités de mise en œuvre d’un plan réaliste pour faire face à ce fléau ?

Non. La FAO est exsangue. Elle se contente de la mise en œuvre de quelques programmes de coopération régionale. Elle n’a pas la force ni d’affronter les pieuvres du négoce alimentaire ni les spéculateurs boursiers.

Le développement des biocarburants qui s’impose comme « une arme miracle » ne répond pas aux défis environnementaux et accentue de manière catastrophique la famine dans le monde affirmez-vous ?

Vous avez raison de poser la question des agrocarburants, car il existe en cette matière une formidable confusion. La théorie généralement diffusée est la suivante : le climat se détériore et la principale raison en est l’utilisation de l’énergie fossile. Il faut donc diminuer sa consommation. Mais, je le dis avec force, les agrocarburants ne sont pas la solution. Pour réduire la consommation d’énergie fossile, il faut drastiquement économiser l’énergie, favoriser les transports publics, développer les énergies solaires, éoliennes, géothermiques. L’année dernière, les États-Unis ont brûlé 138 millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé, pour produire des agrocarburants. En Suède, près de la moitié des voitures roulent au bioéthanol. Le réservoir moyen d’une voiture est de 50 litres. Il faut brûler 352 kilos de maïs pour produire 50 litres de ce carburant. Or, ces 352 kilos de maïs permettraient à un enfant en Zambie ou au Mexique, où le maïs est la nourriture de base, de manger et de vivre pendant un an !

Brûler des plantes nourricières sur une terre où 35 millions de personnes meurent tous les ans de la faim ou de ses suites immédiates est inadmissible.

Vous mettez en lumière les incidences géopolitiques de la folie spéculatrice, en mettant en parallèle la flambée des cours du blé avec les révolutions du monde arabe qui est la première région importatrice de céréales du monde ou encore l’utilisation de la faim comme une arme politique de destruction en Afghanistan, en Somalie, à Gaza…

Les fonds spéculatifs (hedge funds) et les grandes banques ont migré après 2008, délaissant des marchés financiers pour s’orienter vers les marchés des matières premières, notamment celui des matières premières agricoles. Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leur prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1 010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de gens. De plus, la spéculation provoque une autre catastrophe. En Afrique le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut plus acheter suffisamment de nourriture pour l’aide d’urgence en cas de famine : comme aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique où les fonctionnaires de l’ONU refusent chaque jour l’entrée à des centaines de familles, réfugiées de la faim, devant les 17 camps d’accueil installés dans la région. Il faudrait transférer ces spéculateurs, dont les actions aboutissent au désastre actuel, devant un tribunal de Nuremberg et les juger pour crime contre l’humanité.

C’est vrai ce que vous dites : l’explosion des prix des aliments de base – surtout du blé – a joué un rôle crucial dans les révolutions notamment tunisienne et égyptienne. La faim comme arme de guerre : les Israéliens l’utilisent à Gaza, les Shebabs musulmans en Somalie.

Peut-on envisager un mouvement social international qui puisse faire reculer la Banque mondiale, l’OMC et le FMI que vous qualifiez de cavaliers de l’Apocalypse ? La lutte pour la vie ne se joue-t-elle pas au niveau des États sur le terrain de la politique intérieure ?

Malgré son titre – Destruction massive – mon livre est un livre d’espoir. La faim est faite de main d’homme. Elle peut être éliminée par les hommes. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La France est une grande, vivante démocratie. II existe des mesures concrètes que nous, citoyens et citoyennes des États démocratiques d’Europe, pouvons imposer immédiatement ; interdire la spéculation boursière sur les produits alimentaires ; faire cesser le vol de terres arables par les sociétés multinationales; empêcher le dumping agricole ; obtenir l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres pour qu’ils puissent investir dans leur agriculture vivrière ; en finir avec les agrocarburants… Tout cela peut être obtenu si nos peuples se mobilisent. J’ai écrit Destruction massive, géopolitique de la faim pour fortifier la conscience des citoyens. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Je le répète, pendant que nous discutons, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Les charniers sont là. Et les responsables sont identifiables.

De plus, de formidables insurrections paysannes – totalement ignorées par la grande presse en Occident – ont lieu actuellement dans nombre de pays du Sud : aux Philippines, en Indonésie, au Honduras, au nord du Brésil. Les paysans envahissent les terres volées par les sociétés multinationales, se battent, meurent souvent, mais sont aussi parfois victorieux.

Georges Bernanos a écrit: « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». L’ordre cannibale du monde peut être détruit et le bonheur matériel assuré pour tous. Je suis confiant : en Europe l’insurrection des consciences est proche.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Jean Ziegler, auteur de Destruction massive, géopolitique de la faim, Éditions du Seuil ; et aussi : L’or du Maniema, roman, réédition dans la coll. Points, Seuil).

Voir aussi : Rubrique Politique Internationale, rubrique Géopolitique, rubrique Rencontre

Dilma Rousseff investie présidente du Brésil

dilma-rousseff

Dilma Rousseff a prêté serment samedi en tant que première présidente du Brésil devant le Congrès. Mme Rousseff, qui succède au président sortant Luiz Inacio Lula da Silva, a été investie par le président du Sénat José Sarney lors d’une cérémonie solennelle pour devenir la première femme à diriger le Brésil. Mme Rousseff a promis de maintenir, de défendre et de renforcer la constitution fédérale, de respecter les lois, de promouvoir le bien-être au peuple  brésilien et de maintenir l’union, l’intégrité et l’indépendance du Brésil.

Plusieurs dirigeants étrangers, dont le président vénézuélien Hugo Chavez, le président colombien Juan Manuel Santos, le président uruguayen José Mujica, le président palestinien Mahmoud Abbas et le Premier ministre portugais José Socrates ont assisté à l’investiture de Mme Rousseff.

Plus tard dans la journée, Mme Rousseff a reçu l’écharpe présidentielle des mains de Lula devant le palais de Planalto, lors d’une cérémonie qui a été suivi par des milliers de Brésiliens qui se sont réunis sur la place des Trois pouvoirs à côté du palais. Avec un taux d’approbation record de 87 %, Lula a quitté le pouvoir après deux mandats consécutifs de quatre ans, le maximum autorisé par la loi brésilienne.

Selon un sondage publié cette semaine, 64% des Brésiliens estiment que le Brésil s’est considérablement développé sous la direction de Lula.

Xinhua

Voir aussi : Rubrique Brésil : Lula : changer la géographie du monde, Rencontre Bernardo Carvalho,