Egypte : après l’enthousiasme, les doutes. Revue de presse internationale

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Après les cris de joie et les feux d’artifice, après les images de ces drapeaux égyptiens portés à bout de bras s’étalant à la Une de toute la presse, l’enthousiasme a cédé la place au doute. Partout, les mêmes questions fleurissent à présent dans les colonnes des journaux : L’Egypte a-t-elle été le théâtre d’un coup d’Etat ? Le vrai Printemps arabe est-il en train de commencer ? Quelle lueur d’espoir apporter au monde arabo-musulman, entre la sombre cruauté des dictatures et l’obscurantisme des partis religieux ?

Quelle que soit la suite des événements, écrit L’ORIENT LE JOUR, la crise égyptienne ne fait finalement que souligner, dit-il, une série de paradoxes. Lorsque pour les uns, l’armée n’a fait que servir le peuple et l’a aidé à accomplir une deuxième révolution, pour d’autres, elle vient de commettre un coup d’Etat contre le premier président égyptien élu. ». En clair, pour les «gagnants» du jour c’est une victoire de la démocratie et pour les «perdants» c’est une atteinte à la démocratie.

Imaginez simplement, que toutes les forces qui sont sorties dans la rue, lançant le début des manifestations qui ont précipité le renversement de Morsi, s’étaient rendues dans le même nombre dans les bureaux de vote, pour sanctionner les candidats des Frères musulmans à la députation ? Un tel Parlement, analyse THE FOREIGN POLICY cité par SLATE aurait permis de mettre sur pied, un véritable équilibre des pouvoirs au sein d’institutions démocratiquement élues et empêché le président de confisquer tous les pouvoirs électoraux. La démocratie aurait fonctionné. Sauf qu’une fois de plus, c’est la loi du plus fort qui règne en Egypte se désole son confrère néerlandais LOYAUTE (TROUW), un principe qui menace de réduire à néant la jeune démocratie égyptienne à tous les niveaux.

Car même si l’ex président était sans doute le mauvais homme, à la mauvaise place, au mauvais moment, résume THE FINANCIAL TIMES, pour autant, prévient LE TEMPS de Genève, la neutralisation du président islamiste ne règle rien, elle propulse seulement l’Egypte dans le brouillard. Ainsi, l’Egypte se trouverait à nouveau à un carrefour dangereux, renchérit THE IRISH TIMES, sans la garantie qu’une seconde révolution ne s’avère plus réussie que la première. Car même si le pire a été évité, reconnaît THE FOREIGN POLICY, l’Egypte court désormais le risque réel de se retrouver entraîné dans une spirale sans fin d’échecs gouvernementaux, d’interventions de l’armée et de soulèvements populaires. Et d’en conclure, l’opposition a certes prouvé sa capacité à mobiliser la rue sur les questions de fond, mais elle demeure aussi divisée sur le plan intérieur qu’auparavant et n’a pas le moindre programme politique cohérent. En clair, l’intervention de l’armée est en soi l’admission de l’échec de toute la classe politique égyptienne, à commencer par les Frères Musulmans, lesquels ont laissé passer une chance historique.

Mais ce coup d’Etat ne concerne pas seulement, l’Egypte, ce pays central du monde arabe, non ses effets se répercutent aujourd’hui dans une région en plein bouleversement, prévient encore LE TEMPS de Genève. Et particulièrement dans l’émirat du Qatar, aussi minuscule qu’immensément riche. Il y a deux ans, c’est sur Al-Jazira, la chaîne établie dans l’émirat, qu’une bonne partie du monde s’enthousiasmait devant le courage des révolutionnaires de la place Tahrir du Caire. Or ces derniers jours, sur la même chaîne, il n’y avait pratiquement pas d’images de cette foule, pourtant bien plus considérable encore, réunie pour réclamer le départ du président Morsi.

A l’inverse, autre indice de l’état d’esprit dans la région, la rivale d’Al-Jazira, Al-Arabiya, la chaîne arabe appartenant à des membres de la famille royale saoudienne, cette fois-ci, a suivi avec passion les événements qui ont conduit à la chute du président Morsi. Car le sort du premier chef de l’Etat issu de la mouvance des Frères musulmans était devenu une question pratiquement existentielle pour des pays du Golfe qui ont multiplié les commentaires négatifs sur la manière dont les autorités égyptiennes dirigeaient le pays.

Et l’article de préciser, à la lumière des derniers évènements en Egypte, on voit donc bien comment la guerre est désormais pratiquement déclarée entre le petit émirat et les vrais poids lourds du Golfe que sont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. En l’occurrence, la démission de Morsi est un revers considérable pour le Qatar, l’émirat qui s’était profilé comme le parrain éclairé du monde arabe de demain, apportant un soutien d’autant plus appuyé aux mouvements révolutionnaires issus du Printemps arabe, que ceux-ci étaient proches de la mouvance des Frères musulmans.

Même analyse pour son confrère libanais L’ORIENT LE JOUR : En remplissant sa mission, l’armée égyptienne est en même temps en phase avec les derniers développements dans la région.  D’abord en Turquie, où le parti d’Erdogan était en quelque sorte le chef de file des Frères musulmans dans leur image modérée. Brusquement, et à travers les protestations populaires, cette image a été ébranlée. Puis ce fut le tour de l’Égypte d’être le théâtre d’un changement spectaculaire qui n’était même pas envisageable il y a quelques mois encore.

Or le risque prévient le quotidien flamand DER STANDAARD, c’est qu’il peut s’avérer dangereux et contre-productif de chasser les Frères Musulmans de la politique ou de les priver de leurs victoires électorales, deux ans seulement après leur arrivée au pouvoir. Car il y a une forte probabilité que des éléments radicaux au sein des Frères musulmans mais plus encore que des groupes salafistes y voient la preuve qu’il ne sert à rien de respecter les règles démocratiques. Certains pourraient alors faire dissidence et recourir à la violence.

Revue de presse de Thomas Cluzel

Source : France culture 05/07/13

Voir aussi : Rubrique Egypte, L’armé met fin au règne Morsi,

 

Wikileaks publie 400.000 documents secrets sur la guerre en Irak

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109.032 morts en Irak dont plus de 60% de civils

La coalition internationale a torturé des prisonniers irakiens et fermé les yeux sur des exactions commises par les forces irakiennes, a affirmé vendredi le site WikiLeaks, en publiant près de 400.000 documents secrets de l’armée américaine sur la guerre en Irak. «L’administration Obama a l’obligation (…) d’enquêter» sur ces révélations, a jugé le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak.

Après des semaines de suspense, le site spécialisé dans le renseignement a commencé à diffuser vendredi soir 391.831 documents qu’il a présentés comme «la plus grosse fuite de documents militaires secrets de l’Histoire». Les documents mettent en évidence «de nombreux cas de crimes de guerre qui semblent manifestes de la part des forces américaines, comme le meurtre délibéré de personnes qui tentaient de se rendre», accuse le site dans un communiqué.

Ces documents révèlent «la vérité» de la guerre en Irak, a déclaré le fondateur du site Julian Assange, samedi lors d’une conférence de presse à Londres. WikiLeaks évoque aussi le comportement de soldats américains «faisant sauter des bâtiments entiers parce qu’un tireur se trouve sur le toit».

Tortures

Les documents révèlent «plus de 300 cas de torture et de violences commis par les forces de la coalition sur des prisonniers», ajoute WikiLeaks, qui a aussi dénombré plus d’un millier d’exactions de la part des forces irakiennes. «On parle de cinq fois plus de morts en Irak, un vrai bain de sang comparé à l’Afghanistan», a déclaré sur CNN le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, jugeant que «le message de ces dossiers est puissant et peut-être un peu plus facile à comprendre que la complexe situation en Afghanistan».

L’AFP a pu consulter une partie des documents à Londres avant leur diffusion sur internet. Une grande partie des textes sont expurgés des noms pouvant mettre en danger des personnes, a expliqué WikiLeaks. WikiLeaks a également remis à l’avance ses documents à plusieurs médias internationaux comme le New York Times, le Guardian, le Monde, Der Spiegel et la chaîne Al-Jazira, qui a la première révélé leur contenu.

15.000 décès de civils non révélés

Selon la chaîne de télévision du Qatar, l’armée américaine a «couvert» des cas de torture de détenus par les autorités en Irak, où des centaines de civils ont en outre été tués à des barrages tenus par les alliés. Au vu des documents, «les autorités américaines n’ont pas enquêté sur les centaines de cas de violences, tortures, viols et mêmes des meurtres commis par des policiers et des militaires irakiens», écrit le Guardian.

Selon le communiqué de WikiLeaks, les documents secrets couvrent la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2009, après l’invasion américaine de mars 2003 qui a renversé le régime de Saddam Hussein.

Les documents révèlent que le conflit a fait 109.032 morts en Irak, selon le communiqué, qui précise que plus de 60% sont des civils, soit 66.081 personnes. Sur ce total, 15.000 décès de civils n’avaient jusqu’à présent pas été révélés, selon WikiLeaks.

Nouveaux cas impliquant la société Blackwater

Ces chiffres montrent «que les forces américaines disposaient d’un bilan recensant morts et blessés irakiens même si elles le niaient publiquement», a relevé Al-Jazira. Un bilan américain publié officiellement fin juillet faisait état de près de 77.000 Irakiens civils et militaires tués de 2004 à août 2008.

Selon Al-Jazira, les documents font également état de liens entre le Premier ministre irakien sortant Nouri al-Maliki et des «escadrons de la mort» qui semaient la terreur au début du conflit. D’autres documents «révèlent de nouveaux cas impliquant (l’ancienne société de sécurité américaine privée) Blackwater dans des tirs contre des civils», sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle.

«L’administration Obama a l’obligation d’enquêter»

Le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Manfred Nowak, a appelé le président américain Barack Obama à lancer une enquête sur les cas de torture révélés dans une série de documents de l’armée américaine publiés vendredi par le site WikiLeaks.

«L’administration Obama a l’obligation, quand surgit des accusations sérieuses de torture contre un responsable américain, d’enquêter et d’en tirer les conséquences… Cette personne devrait être traduit en justice», a déclaré M. Novak sur la radio BBC 4.

M. Nowak a cependant reconnu qu’il ne pourrait s’agir que d’une enquête américaine. Des poursuites par la Cour pénale internationale (CPI) ne sont pas possibles car les Etats-Unis ne reconnaissent pas la cour, a-t-il admis.

Au cours de la même conférence de presse, un responsable de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, a annoncé la diffusion prochaine de nouveaux documents militaires américains, sur la guerre en Afghanistan cette fois.

AFP

Voir aussi : Rubrique Médias Wikileaks fait péter un câble à Washington, Irak Un premier bilan de la guerre, Bagdad : une série d’attentat marque l’ouverture du scrutin, Pétrole contre nourriture : l’Irak réclame des réparations, rubrique Afghanistan Enlisement total, Rubrique politique internationale Le président Irakien à Paris pour une normalisation des contrats, rubrique Rencontre Michel Terestchenko Torture une pratique institutionnelle

Il était une fois le Hezbollah

Un état des lieux sur le Hezbollah qui tombe à point nommé pour ceux qui souhaitent se faire une idée plus précise sur cet acteur incontournable du Moyen-Orient. Et accessoirement sortir du prisme médiatique occidental perturbant dans lequel on le cantonne. Livre instructif, au moment où le Liban se trouve en prise à de vives tensions et où le président Sarkozy tente une rupture de la politique arabe française pour adopter une vision de la construction européenne plus pro américaine.

Le livre est le fruit d’un travail collectif mené à l’Institut français du Proche-Orient  à Beyrouth. Soucieuse d’objectivité, la démarche tente de brosser un panorama large des acquis de la recherche en sciences sociales sur le Hezbollah.

Souci de documentation

Le mouvement est abordé à partir d’articles thématiques qui couvrent les champs social, politique et religieux où il se déploie. L’ouvrage retrace l’histoire du Hezbollah, depuis sa genèse, avec l’émergence du mouvement islamique chiite transnational, fondé dans les années 1960 et partisan d’une troisième voie entre le communisme et le libéralisme. Il explique sa construction dans les années 1980, suite à la victoire de la révolution islamique en Iran et à l’occupation israélienne du Sud Liban en 1982. Et aborde la phase de libanisation qui commence en 1992 avec la participation du Hezbollah aux législatives et se prolonge après la guerre de juillet 2006 et la destruction, par l’aviation israélienne, du périmètre de son quartier général. Aujourd’hui, le parti s’est redéployé aux quatre coins de la banlieue sud de Beyrouth. On croise une actualité encore plus proche dès le premier chapitre dans lequel la politiste Olfa Lamloum démontre l’importance que le Hezbollah donne aux médias dans sa stratégie politique.

Guerre de l’info

Il est connu aujourd’hui que la guerre de l’info précède et accompagne la guerre physique. De tous les partis islamistes, le Hezbollah est celui qui a le plus investi l’espace médiatique en diversifiant les modes de production, de diffusion et de circulation de son message.   » Deux constantes résument la démarche du Hezbollah en matière de communication. D’une part assurer sa visibilité auprès des médias nationaux et internationaux, de l’autre, se doter d’un appareil médiatique autonome en mesure de rapporter fidèlement ses positions. « 

A l’instar de son inégalable concurrent américain, l’information de guerre est conçue dès les années 1980 comme arme et outil de mobilisation en faveur de la résistance.

Quand on apprend par ailleurs que Beyrouth figure depuis les années 70 comme un laboratoire de la presse indépendante arabe et un refuge des plumes proscrites par tous les régimes autoritaires de la région, on comprend que la récente mise hors la loi du réseau de communication du Hezbollah au Liban s’inscrit bien dans une logique de guerre.

L’affaire Al-Manâr

Logique qui a trouvé son pendant en France, avec l’affaire de la chaîne de télévision Al-Manâr en novembre 2003. Invité par le CRIF, Jean-Pierre Raffarin s’était indigné publiquement du caractère  » antisémite  » d’un programme diffusé sur Al-Manâr. L’offensive du Premier ministre se termine en décembre 2004, avec la résiliation par le CSA de la convention signée avec la chaîne de télé. Olivier Koch, docteur en science de l’information à Paris XIII rappelle que cette sanction présente  » un caractère exceptionnellement sévère  » et résulte en fait, d’une campagne internationale pour limiter la diffusion de l’idéologie politique du Hezbollah. La chaîne al-Jazira, s’est trouvée confrontée aux même types de problèmes.

Quand l’espace arabe se donne à voir par lui-même et appréhende les conflits et le monde à travers un prisme qui lui est propre, tout est fait pour limiter son territoire de diffusion.

On en conclut que l’image du parti chiite qui se diffuse au sein de l’espace géopolitique de l’information occidentale gagnerait à être un peu plus nette.

Le Hezbollah, chez Actes Sud dans la collection Sindbad, 24 euros

Un des principaux acteurs de la scène politique moyen-orientale

 

Photo : Marwan Naamani