Jean- Claude Milner « La démocratie est jugée parfaite du coup on n’y réfléchit pas »

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A propos de son dernier livre et de la leçon inaugurale donnée à Montpellier dans le cadre des Rencontres Pétrarque, le philosophe et linguiste Jean-Claude Milner évoque la notion de révolution et son évolution.

L’invitation à la relecture que vous faites de la Révolution française, et à travers elle les autres, s’inscrit dans un présent politique atone. Vous dites vous même n’avoir pas songé un instant à la Révolution, devant votre écran le 11 septembre 2001…

A l’échelle internationale, je ne crois pas qu’on puisse parler d’atonie. La question des formes politiques est posée presque partout. La grande exception, ce sont les pays où la question est supposée résolue. Je pense au lac Atlantique Nord et à l’Europe occidentale. La démocratie élective y est jugée parfaite et même naturelle. Mais du coup on n’y réfléchit pas. Précisément parce qu’elle fait des droits naturels une solution, la Révolution française
doit commencer par les poser en problème. Elle contribue du même coup à revivifier la politique.

Pourquoi la Révolution française a-t-elle été considérée comme la mère des révolutions ?

On peut considérer que la monarchie française avait construit l’une des plus grandes puissances du monde, sinon la plus grande. En tant que forme politique, elle passait pour la plus solidement établie. Que ce soit justement là que la révolution se soit produite, et notamment l’abolition de la monarchie, ce fut la preuve que la révolution était possible au centre même du pouvoir et non pas aux marges, comme dans le cas des Etats-Unis ou, au XXe siècle, de la Russie et de la Chine.

En quoi les droits de l’homme et du citoyen qui fondent la singularité de la Révolution française sont-ils novateurs ?

Je me concentrerai sur un point. L’idée que les hommes naissent libres va contre l’un des dogmes majeurs du christianisme : les hommes naissent esclaves du péché. Rompre principiellement avec le christianisme, c’est aller plus loin encore que n’avait fait Luther, rompant avec le catholicisme. Tout le tissu de la réalité sociale se révèle, en un instant, contraire au droit. Mais aujourd’hui, la rupture n’est pas moindre.

Croyez-vous que de nos jours, on admette vraiment la liberté innée de chacun ?

Je pourrais commenter de la même manière les propositions « les hommes demeurent libres », « les hommes naissent égaux en droits » etc. Quant aux droits du citoyen, ils peuvent se ramener à un pouvoir : est citoyen celui qui a le droit d’opposer les droits de l’homme à toute décision d’un pouvoir légitime. Que les droits de l’homme existent, c’est une nouveauté, mais qu’ils soient reconnus comme opposables, c’en est une autre, non moins importante.

La violence qui succède à 1787 en Amérique, n’est pas de même portée, ni de même nature, expliquez-vous, que celle engendrée par la Révolution de 1789. Qu’est-il important de distinguer ici ?

Les événements succédant à 1787, n’ont de sens que par le siècle qui a suivi et qui a vu l’extension desdits États à un sous-continent. Cette histoire est faite de guerres et de massacres. Elle est surtout faite de conquêtes. L’histoire de la Révolution française est plus courte ; certains l’arrêtent en 1815, d’autres en 1799. Les violences dites révolutionnaires ne naissent pas de la conquête et de l’expansion ; au contraire, elles naissent de la défense du territoire. Qui plus est, elles ne relèvent pas de l’action militaire, mais de l’action politique.

La Grande Terreur, en particulier, dépend de la conviction que l’ennemi principal est intérieur à la politique révolutionnaire elle-même.

Concernant les systèmes politiques vous remontez aux théories de Polybe. Quel regard porterait ce penseur grec sur l’avènement du président Macron, auto-proclamé « antisystème » ?

Je pense qu’il relirait l’une de ses sources, l’historien Thucydide, et méditerait sur l’analyse que ce dernier fait du système de Périclès. Athènes était une démocratie, où le pouvoir, par rotation annuelle et tirage au sort, revenait à chaque citoyen ; une magistrature faisait exception : on pouvait être stratège sur la longue durée. Cela permit à Périclès d’établir son régime : une démocratie tempérée par la supériorité intellectuelle, morale, etc. , d’un seul. Polybe ajouterait que la Constitution de 1958 instaure un régime mixte ; elle contient, comme celle des États-Unis, un élément monarchique, tempéré par l’élection et la limitation chronologique du mandat présidentiel. Elle contient aussi un élément aristocratique : le gouvernement-des-meilleurs.

Or, qui sont ces meilleurs ? Longtemps, on les a trouvés chez les notables locaux et dans la haute fonction publique. Apparemment, Macron les cherche ailleurs, dans ce qu’il appelle la société civile. Mais on perçoit un déplacement : il n’y a plus de critère objectif du
meilleur, mais plutôt un critère circonstanciel : est meilleur celui ou celle que le Président définit comme tel, dans une circonstance donnée.

A Montpellier, lors de votre Leçon inaugurale des Rencontres Pétrarque, vous
compariez l’émergence de la société civile au Tiers-Etats, comment les tenants de ce vaste ensemble peuvent-ils construire leur légitimité, et être associés à la gouvernance ?

La grande découverte que fit la Révolution française, c’est que le Tiers-État n’existait pas. C’était une construction imaginaire. Elle avait joué un rôle essentiel pour accéder à la gouvernance, mais dès que le but fut atteint, les divisions réelles se firent jour. Après tout
l’opposition entre Montagnards et Girondins est interne au Tiers-État.

De même, la société civile est une entité imaginaire. Dès que la question de la gouvernance sera posée, des groupes et des individus apparaîtront. Cela commence.

Vous avez aussi évoqué cette possibilité (apanage du XXIe siècle) de parler de révolution sans contrôle. La révolution numérique, ou la révolution macroniste, telles qu’on les qualifie aujourd’hui, vous paraissent-elles ouvrir des perspectives émancipatrices révolutionnaires ?

L’émancipation résulte de décisions. La révolution numérique modifie les conditions matérielles de la décision, mais elle ne détermine pas la décision. La révolution macroniste, selon moi, repose sur la fluidification des rapports sociaux. Selon le macronisme, cette fluidification constitue par elle-même une émancipation ; je ne le crois pas. Condition nécessaire peut-être, mais sûrement pas suffisante.

Réalisé par Jean-Marie Dinh

«Relire la Révolution ». Éditions Verdier 16 euros

Source : La Marseillaise 29/07/2017

 

Voir aussi : Rubrique livre, Essai, rubrique Histoire, rubrique Philosophie, Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique, Société civile, Politique économique, rubrique Rencontre Jean-Claude Milner. Les institutions est centrale dans la République, Michela Marzano, Daniel Bensaïd, Bernard Noël, Patrick Boucheron,

Les raids saoudiens pulvérisent le patrimoine du Yémen

yemen-640x360La guerre contre le Yémen est une guerre occultée : plus de 4 mille morts, un million de personnes déplacées en interne, 21 millions de personnes sans accès constant à l’eau et la nourriture. À la dévastation subie par la population civile s’en ajoute une autre : celle des immenses richesses archéologiques et architecturales d’un pays qui a été le berceau de la civilisation arabe et islamique. Sanaa, Marib, Aden : des villes dont chaque coin raconte l’histoire du monde arabe et sa rencontre avec les peuples d’Asie et d’Afrique, sont en ruines. “Paradis”: c’est cela que signifie en arabe le nom d’Aden, la ville portuaire du sud, cible des violents raids de la coalition anti-Houthi menés par l’Arabie saoudite.

“Riyad fait ce que l’Isis fait à Palmyre. Un patrimoine unique, produit de la rencontre de cultures et de peuples divers, est en grand danger. 43 le nombre de sites déjà endommagés ou détruits.”

Ce que l’État islamique est en train de faire en Irak et en Syrie, effaçant Palmyre et Nimrud, Riyad est en train de le faire au Yémen, dans le silence du monde. Nous en avons parlé avec Lamya Khalidi,  archéologue états-unienne d’origine palestinienne au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France. Lamya a vécu au Yémen pendant huit ans et le suit depuis 2001. Aujourd’hui elle surveille les dommages causés par le conflit en cours.

Après plus de cinq mois de guerre, est-il possible de faire un bilan des sites détruits ou endommagés, estimer les pertes pour le patrimoine yéménite?

Il est difficile de donner des chiffres exacts, même les autorités locales ne sont en mesure de se déplacer sur le terrain pour documenter les dommages. À l’heure actuelle, cependant, le bilan est terrible. Le dernier rapport du Ministère de l’Intérieur remonte au 19 juillet et comprend 43 sites (mosquées, sites archéologiques et lieux touristiques). Je crois que ce nombre a augmenté de façon spectaculaire au cours des deux derniers mois en raison de la violence des bombardements. Il est impossible d’estimer le nombre d’objets endommagés ou détruits. Nous pouvons le faire dans le cas du Musée de Dhamar, pulvérisé dans un raid aérien : nous connaissions avant le nombre d’objets qui y sont stockés, nul besoin d’autres estimations, tout est perdu. Et n’oublions pas que les raids, le chaos et la pauvreté facilitent le pillage de sites et musées. Ensuite, il y a des sites qui ont été bombardés à plusieurs reprises, comme l’ancien barrage de Marib ou les sites de Baraqish et Sirwah, datant du premier millénaire avant JC.

Parmi les sites les plus connus, symboles de l’impact de la destruction d’un patrimoine mondial, dès lors lesquels sont-ils  perdus à jamais?

Compte tenu de l’ampleur de la destruction, nous devons diviser les dommages à des patrimoines tangibles en cinq catégories : les villes ; les monuments comme des mosquées, des citadelles, des forts ; les sites archéologiques ; les repères archéologiques ; et les musées.

Le musée de Dhamar est un exemple significatif de l’ampleur de la perte. Le musée abritait des dizaines de milliers de repères, dont le catalogue avait requis la collaborations de nombreux archéologues yéménites et étrangers. Il se trouvait dans un site archéologique, fouillé avant la construction du musée. Il a été pulvérisé en une seconde, je ne peux pas comprendre comment personne ne puisse  réagir. Si le Musée national égyptien au Caire aurait été bombardé, le monde se mobiliserait, choqué et dégoûté. Lorsque le musée à Mossoul a été vandalisé, les vidéos ont fait le tour du monde et la réaction des gens a été très dure. Ici nous parlons de musées nationaux, des institutions nationales qui protègent des trésors inestimables.

Les sites archéologiques sont nombreux, beaucoup ont été frappés au début de la guerre par la coalition saoudite puis bombardés de nouveau, malgré les efforts de l’UNESCO et des archéologues pour protéger un patrimoine mondial. Ceux-ci incluent le barrage de Marib, toujours ciblé, il est un exploit du génie architectural du premier millénaire avant JC quand le Yémen était gouverné par la dynastie des Sabéens. Une autre ville de la même époque, Baraqish, restaurée par une équipe italienne, a été frappée il y a quelques jours: le temple de Nakrah complètement restructuré par les Italiens, le temple de Athtar, les murs de la ville et aussi la maison utilisée par l’équipe, sont réduits à néant.

Si nous parlons des villes, classées sites de l’UNESCO pour leur architecture étonnante, unique, la liste est longue: il est difficile de trouver au Yémen un village qui n’ait pas sa particularité. L’acte de vandalisme le plus évident sont les raids contre les vieilles villes de Sana’a et Shibam, les deux patrimoine mondial. Moins connues sont Zabid, Wadi Dhahr et Saada, sur la liste d’admission à l’UNESCO.

Et puis il y a les monuments, les mosquées et les citadelles, les tombeaux sacrés, détruits par les raids aériens ou vandalisés par des groupes comme Al-Qaïda et Isis, qui y voient des formes d’idolâtrie. Ce n’est pas quelque chose de nouveau au Yémen : depuis que j’y travaille, depuis 15 ans, les miliciens wahhabites arrivent souvent de l’Arabie saoudite pour détruire le patrimoine du Yémen. Mais ces mosquées et tombeaux font partie d’une identité très riche et ancienne, qui tisse l’Islam religieux et celui culturel.

Beaucoup ne savent pas combien le patrimoine yéménite soit étendu, de son universalité. C’est un pays avec une culture qui est une mosaïque d’éléments, depuis l’Asie du sud-ouest, depuis l’Afrique de l’Est, du Moyen-Orient. C’est un incroyable mélange de peuples, de sons, de goûts, d’esthétique, d’architecture qui se sont rejoints naturellement, d’une très belle manière, sur le fond de l’un des paysages les plus variés dans le monde. Maintenant, tout ceci est en danger.

Pensez-vous que, dans l’avenir, il sera possible de récupérer une partie de cet héritage? Ou bien s’agit-il de dommages irréparables?

La principale tragédie ce sont les victimes civiles et la profondeur des dégâts aux infrastructures et aux habitations. Lorsque la crise sera finie, la récupération de ce patrimoine ne sera pas une priorité. Dans tous les cas, on pourra récupérer seulement ce qui existe encore. Ce qui a été détruit, est perdu à jamais, est irremplaçable. Les bombardements continus contre certains sites et la démolition complète des autres laissent peu d’espoir. Ce que l’Isis est en train de faire en Syrie et en Irak contre les patrimoines locaux est exactement la même chose que ce que Riyad fait au Yémen.

Y a-t-il des organisations internationales qui tentent de faire pression sur les Saoudiens pour protéger ce patrimoine?

Ce qui se passe au Yémen se passe dans le silence les plus absolu du monde. Il n’y a  même pas une bonne couverture médiatique. Pendant ce temps, les gens sont terrifiés, les raids sont si violents et frappent lourdement des zones peuplées, des familles entières ne savent où aller ou quoi faire. Ceci est la preuve que la coalition bombarde sans discernement, sans se soucier des vies humaines, du patrimoine ou du droit international. Les témoignages d’amis et de collègues restés  au Yémen me rappellent l’attaque israélienne sur Gaza l’été dernier.

Dans le cas du patrimoine historique, les raids sont aveugles mais aussi très précis. Certains sites sont au milieu du désert, comme le barrage de Marib. Vous pouvez la frapper seulement à condition d’avoir les coordonnées précises. Et puis vous le refaites, pendant des semaines : c’est clairement une destruction délibérée parce que ce site-là ne menace personne. Il n’y a pas de routes en proximité ou des villages autour. L’UNESCO a livré à l’Arabie saoudite une liste de sites protégés, mais Riyad est indifférente. La pression qui est faite sur les Saoudiens est nulle : les tentatives de protection ne sont pas proportionnelles à l’ampleur de la destruction. L’UNESCO cherche à faire sa part, mais il n’a pas d’influence. Personne ne l’écoute.

Dans un éditorial dans le New York Times, vous avez parlé de “vandalisme saoudien”. Quel est le but de Riyad quand elle détruit les symboles d’un pays avec une histoire millénaire ? Imposer son récit, son autorité?

Je ne sais pas quel est l’objectif, mais je peux dire qu’il s’agit d’une destruction calculée : je connais ces sites, où ils se trouvent, ceux qui sont habités et ceux qui ne le sont pas, et je sais qu’il n’est pas facile de les frapper, sauf si on le veut. De l’autre côté nous avons des villes comme Sana’a et Shibam, sites de l’

Les raids saoudiens pulvérisent le patrimoine du Yémen

clairement très peuplés : il est clair qu’ils sont bondés de civils et qu’ils abritent un patrimoine important. Les Saoudiens, qui ont en main une liste d’interdiction de vol (no-fly), ne répondent pas aux questions de pourquoi ils sont en train d’accomplir une telle destruction. Je ne pense pas qu’ils le feront jusqu’à quand leurs alliés, les Etats-Unis et l’Europe, leur enverront un équipement de haute précision qui provoque des destructions de masse. Personne ne les accuse de crimes contre l’humanité. C’est du pur vandalisme, exactement ce que fait l’Isis en Syrie.

Traduction de l’italien au français par le Blog Mediapart

Source : NenaNews 27/06/2017

Voir aussi : Actualité internationaleinternational, Moyen-Orient, Yémen, Un hôpital de Médecins sans frontières visé par des frappes aériennes, Arabie saoudite,

1917, année russe. Après la révolution bolchevique, “les femmes ont pu se réaliser dans tous les domaines”

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La muse et son amant poète : Lili Brik et Vladimir Maïakovski à Yalta, en 1926. Photo APIC/GETTY IMAGES

Les bolcheviques voulaient en finir avec le modèle familial bourgeois. Leur prise de pouvoir a donné le coup d’envoi à une révolution aussi bien féministe que sexuelle. Entretien avec l’historien Alexandre Rojkov, spécialiste de la vie quotidienne, de la jeunesse et de l’histoire sociale.

LENTA.RU : Dans leur modèle de société, quelle place réservaient à l’amour les idéologues du marxisme ?

ALEXANDRE ROJKOV : L’amour s’intégrait dans le “grand récit” marxiste ou révolutionnaire, en lien avec les questions économiques ou politiques essentielles. Marx estimait que le rapport de l’homme à la femme était l’étalon de mesure du niveau de culture de l’individu. Il était partisan de l’émancipation en général (y compris des femmes), et prônait assez fermement la libéralisation du divorce. Engels a écrit que la destruction des fondements économiques de la famille bourgeoise allait modifier le caractère même des relations familiales : le soin des enfants deviendrait l’affaire de la collectivité, qu’ils soient nés d’un mariage ou d’une union civile. Dans le même temps, il reconnaissait ne pas savoir exactement ce qui remplacerait les piliers détruits du mariage.

Qu’en pensaient les bolcheviques ?

Ils ont été constants dans leur volonté d’accorder aux femmes l’égalité des droits. Et les femmes ont eu, en effet, la possibilité de se réaliser dans tous les domaines. Mais il a fallu de nombreuses années pour détruire le fameux “foyer familial” et libérer les femmes de “l’esclavage de la cuisine”, en développant ces réseaux de maternités, de restauration collective, de crèches, de maternelles et d’écoles dont rêvaient les bolcheviques. Comme l’a écrit Trotski en 1936 dans La Révolution trahie, en parlant de “Thermidor au foyer” [la bureaucratisation de l’État ouvrier ayant fait selon lui reculer les acquis de la révolution], le renversement de l’ancien modèle familial avait échoué.

Parmi les ouvrages des penseurs de la sexualité, Douze commandements sexuels du prolétariat, d’Aron Zalkind, publié en 1924, est celui qui a eu le plus de succès. Ce freudo-marxiste enjoignait le prolétariat à préserver son énergie sexuelle afin de garder ses forces pour la lutte des classes. Il convenait selon lui de faire passer le collectif des travailleurs avant l’amour : “Il faut que le collectif soit plus attractif qu’un partenaire sexuel.” Dans le même temps, Zalkind ne concevait la relation sexuelle que dans le sentiment amoureux, et l’acte sexuel comme le stade ultime de l’émotion amoureuse. Il faut également noter les exigences énoncées en matière de fréquence des accouplements, de fidélité envers son partenaire et de responsabilité face à une éventuelle grossesse. Les perversions sexuelles étaient taboues, tout comme le flirt et la jalousie.

En 1923, Alexandra Kollontaï publie un célèbre article, “Place à l’Éros ailé”. Quelle est sa thèse ?

Il n’y est pas tant question d’amour et d’érotisme que de la lutte idéologique acharnée entre deux cultures, celle de la bourgeoisie et celle du prolétariat. Kollontaï explique qu’avec la paix est venu le temps d’ouvrir la voie à l’Éros ailé (l’amour sentimental), car pendant la guerre civile [1917-1923] régnait “l’instinct primitif de reproduction” ou “l’Éros sans ailes”. Il fallait alors préserver les forces morales du prolétariat des “émotions secondaires”. Pour Kollontaï, l’idéologie prolétarienne doit cultiver le sentiment amoureux entre les sexes, dans l’esprit d’une camaraderie solidaire. Et l’amour des uns envers les autres au sein du collectif ouvrier doit se subordonner à un sentiment supérieur – l’amour-devoir envers le collectif.

Dans les années 1920, les jeunes ont créé beaucoup de communautés. Était-ce un environnement favorable pour l’amour du collectif ?

Les années 1923-1924 ont correspondu à l’apogée des communautés. Elles pouvaient se composer de quelques personnes, comme de dizaines, voire de centaines d’individus. “Nous ne voulons plus vivre à l’ancienne?!”, voilà le slogan de la jeunesse étudiante de l’époque. Mais la vie en communauté entrait rapidement en contradiction avec les aspirations personnelles. Généralement ne survivaient que les communautés où la volonté sociale des étudiants répondait à des objectifs plus pragmatiques qu’idéologiques, à savoir la mise en commun de maigres revenus pour ne pas mourir de faim.

Restait-il de la place pour l’amour ?

Nos contemporains imaginent sûrement les communautés comme des foyers de vie sexuelle débridée. Bien sûr, ce n’étaient pas des monastères. Mais deux facteurs au moins faisaient obstacle à la fondation de familles. Le premier était moral : les communards ne se définissaient pas comme maris et femmes, mais comme frères et sœurs. Le deuxième était matériel : les communards, comme tous les Soviétiques, souffraient du manque de logements.

Du reste, chaque communauté avait ses règles. Dans la communauté no 2 de l’université de Moscou, par exemple, il était même interdit de penser à l’amour. Un communard a ainsi voulu inviter au théâtre une komsomol qui lui avait tapé dans l’œil. Le comptable de la communauté a refusé de lui donner l’argent des billets, arguant que ces fonds devaient servir à réparer les semelles “et non à financer l’individualisme”.

Le collectif empêchait donc les couples de se former ?

Pour reprendre l’heureuse métaphore du démographe Anatoli Vichnevski, qui compare la situation du paysan dans la société à une poupée russe (paysan, famille, communauté, État), les communards ne voulaient pas qu’à l’intérieur de la “grande matriochka” de la communauté apparaissent de petites “matriochkas familiales”. La famille et l’amour risquaient de détruire l’unité de la communauté, et les communards s’opposaient instinctivement à toute aspiration séparatiste.

Quels ont été les changements dans la manière d’entamer une relation sexuelle ?

L’entremêlement chaotique de différentes pratiques sexuelles, le retour de la question de l’amour libre et la destruction rapide des anciens principes de morale sexuelle permettent de parler de changements explosifs et dionysiaques. Le rapport aux relations sexuelles a surtout évolué dans la psychologie féminine. Une étudiante des années 1920 reconnaissait avec fierté :

Nos filles savent parfaitement ce qu’elles attendent des gars. Beaucoup d’entre elles s’accouplent avec eux sans ‘remords’ particulier, suivant leur inclination naturelle.”

Deux décrets bolcheviques, adoptés les 19 et 20 décembre 1917, ont été les pierres angulaires de cette révolution sexuelle : le décret “Sur le divorce” et celui “Sur l’union civile, les enfants, et l’inscription à l’état civil”, que Lénine voyait comme une révolution du mariage. On considérait désormais comme mari et femme tout couple qui vivait d’un commun accord en concubinage. L’homme perdait son pouvoir sans limites au sein de la famille, la femme devenait un partenaire égal en droits au sein du couple.

On ne peut pas analyser ce phénomène sans prendre en compte ce que l’on appelle la seconde phase de transition démographique, avec le passage de la famille nombreuse à une famille plus réduite, lié à la nécessité de planifier et de réguler la natalité – qui a conduit, dès le début, le régime soviétique à autoriser l’avortement. Cela est essentiel pour comprendre les raisons, les conditions et la teneur de la révolution sexuelle, bien plus que les jeunes femmes nues dans les rues de Petrograd exhibant des banderoles “À bas la pudeur !”

Les jeunes hommes percevaient-ils les femmes comme enfin plus accessibles ?

Dans certains cercles de jeunes prolétaires, le viol des “bourgeoises”, des nobles, était perçu comme le triomphe de la justice de classe. Et, au début, le droit révolutionnaire ne punissait pas plus sévèrement ces viols que le vol d’un hareng. De même, les “camarades” du Komsomol semblaient accessibles (ou du moins étaient perçues comme telles par les hommes). Il était considéré plus normal d’avoir une relation sexuelle sans amour avec un membre du Komsomol que de payer une prostituée.

Dans les années 1920, le nombre de viols a explosé, au point de devenir une menace réelle pour l’ordre public. Beaucoup de komsomols, en particulier à la campagne, se distinguaient par leur débauche sexuelle. Les filles qui refusaient d’avoir des rapports avec les fonctionnaires du Komsomol étaient souvent exclues de l’organisation sous un faux motif. Les persécutions prenaient diverses formes, allant jusqu’au meurtre pour avoir refusé “l’amour libre komsomol”.

Comment a évolué le rapport à l’homosexualité ?

Avant la révolution, l’homosexualité masculine était interdite en Russie, mais les pratiques homosexuelles des personnalités riches et célèbres n’étaient pas réprimées par la police [le lesbianisme, lui, n’était pas puni par la loi]. Avant comme après la révolution, la société, à l’exception des milieux bohèmes de la capitale, percevait l’homosexualité comme une anomalie, une dépravation, mais sans agressivité particulière. On fermait les yeux.

En arrivant au pouvoir, les bolcheviques n’ont pas inscrit les rapports homosexuels consentis entre majeurs au Code pénal de 1922. Il faut noter que cette attitude progressiste découle d’un rapport négatif à l’Église orthodoxe russe. D’ailleurs, dans le Caucase et en Asie centrale, la pénalisation de l’homosexualité a été maintenue. Puis, en 1934, elle a été réintroduite discrètement dans le Code pénal soviétique [et est restée en vigueur jusqu’en 1993].

Dans les années 1930, nombre des acquis de la révolution sexuelle ont été emportés par une vague conservatrice. Qu’est-ce qui a déclenché ce processus ?

Au milieu des années 1920, le discours des idéologues du pouvoir sur l’amour, la famille et le mariage devient plus nuancé. Dans les discours et les écrits de Nikolaï Boukharine, Anatoli Lounatcharski, Léon Trotski, on décèle la volonté de calmer les ardeurs des prolétaires. Le concept d’amour libre est désormais présenté comme une sorte d’ivresse révolutionnaire dont il est temps de se débarrasser. Au milieu des années 1930, on assiste véritablement au gel du discours officiel sur la question sexuelle. Les autorités introduisent dans la conscience collective l’idée d’ascétisme et de désérotisation. Jusqu’aux années 1990, le moralisme va régner dans la sphère de l’intime, atteignant son apogée avec la fameuse thèse : “Il n’y a pas de sexe en Union soviétique.”

Maria Soboleva
Source Le courrier International, 02/08/2017, Lenta.ru Moscou

TROIS ÉGÉRIES RÉVOLUTIONNAIRES

AlexandraKollontaiAlexandra Kollontaï (1872-1952) – Commissaire du peuple à l’Assistance publique dans le gouvernement bolchevique, de novembre 1917 à mars 1918, elle a été la première femme ministre de l’histoire. Surnommée la “Walkyrie de la révolution”, elle préconisait “la légalisation de la bigamie et de la polyandrie”. On lui doit la formule : “Pour un communiste, l’acte sexuel doit être aussi simple que boire un verre d’eau.”

 

AVT_BRIK-LILI_8770Lili Brik (1891-1978) – Muse et grand amour du poète révolutionnaire Vladimir Maïakovski, la sœur d’Elsa Triolet a aussi été l’inspiratrice de nombre de grands artistes de l’avant-garde russe. Son époux Ossip Brik a dû accepter toutes ses liaisons, quitte à vivre en ménage à trois. “Si Kollontaï a fait l’époque, Brik en a été le plus pur produit”, écrit le magazine féminin russe Aprel.

1753-21Inès Armand (1874-1920) – Après avoir épousé la cause socialiste, cette Française d’origine a été la maîtresse de Lénine, cohabitant un temps avec ce dernier et son épouse, Nadejda Kroupskaïa. “Si Kollontaï et Brik étaient des praticiennes de la révolution sexuelle, Armand en était la théoricienne”, écrit Arpel. “Elle a été à l’origine de la création de la section féminine du Comité central, qui travaillait à élaborer une politique d’émancipation et de libération sexuelle. Mais après sa mort, il ne s’est trouvé personne pour prendre sa relève.”

 

Keith Haring parcours fulgurant

IMG_3679« ll était le premier artiste public véritable au sens complet du terme, et son art et sa vie ont changé notre conception de l’art et de la vie au XXe siècle. »

Andy Warhol

 

Né en 1958 à Pittsburgh, Keith Haring découvre le dessin à l’âge de quatre ans. Il ne cessera de dessiner en s’inspirant de cartoons de Walt Disney et de comics de Batman alors qu’adolescent, il écoute en boucle Led Zeppelin, Aerosmith, Grateful Dead.

Après trois années passées dans la Visual Arts School de Pittsburgh, en 1978, il s’installe à New York pour poursuivre ses études. La nuit, comme les graffeurs Futura 2000 et Jean-Michel Basquiat dont il se lie d’amitié, Keith Haring s’enferme dans le métro pour couvrir de dessins et peintures les panneaux d’affichage et les rames de métro. Dès 1980, il participe à la première exposition consacrée au Street art au Club 57. S’enchaînent les expositions dans le monde entier et des fresques murales dans le métro de New York qu’il décide en 1986 de ne plus réaliser, lassé d’être arrêté pour acte de vandalisme urbain par les policiers dont certains connaissent et apprécient son oeuvre.

Jean-Michel Basquiat lui a présenté Andy Warhol, comme lui natif de Pittsburgh, qu’il nomme amicalement Andy Mouse. Malgré son exposition en 1984 à la célèbre galerie Leo Castelli qui avait présenté l’avant garde américaine des années cinquante et le Pop art, Keith Haring préfère suivre l’exemple de la Factory de Warhol en ouvrant sa boutique d’objets dérivés Pop Shop au 292 Lafayette Street ; ses amies Madona et Grace Jones en sont les marraines de ce lieu inédit où l’artiste ne se soucie que de la démocratisation de son art.

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C’est lors d’un voyage au Japon qu’il apprend la mort par overdose de son ami J.M. Basquiat le 12 aout 1988. Dans l’avion, il remarque que sa peau est constellée de taches qu’il associe immédiatement au virus du sida. Il lui reste deux ans à vivre qu’il consacre à réaliser des commandes publiques monumentales, des sculptures et des fresques murales dont la célèbre « The Crak is Wack » sur un terrain de handball pour sensibiliser les adolescents de plus en plus addicts aux drogues de synthèse. Il crée la Keith Haring Foundation dont l’objectif est de venir en aide aux enfants et de soutenir les organisations qui luttent contre le sida. Des oeuvres caritatives sont crées aux quatre coins de la planète en dénonçant le racisme, l’apartheid, l’homophobie, la discrimination. Avec frénésie, jusqu’à son dernier souffle, l’artiste réalise des oeuvres avec des enfants à l’hôpital Necker de Paris, des orphelinats à New York, ou pour le Centième anniversaire de la Statue de la Liberté. Il meurt en février 1990, tout juste âgé de 31 ans.

Keith Haring (1958-1986) Parcours fulgurant

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Collection Lambert à Avignon jusqu’au 5 novembre

Source Collection Lambert

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Après «120 BPM», épargnez-nous vos louanges

Des militants d'Act Up à Paris, en 1995. Photo Christian Poveda. Agence VU

Des militants d’Act Up à Paris, en 1995. Photo Christian Poveda. Agence VU

Le cofondateur d’Act Up salue la récompense accordée à Cannes au film de Robin Campillo, mais rappelle que l’engagement a mis ces militants «au ban de la société».

 

TRIBUNE

1026338-portrait-litterature-hommosexualiteIl y a encore deux mois, ma mère me disait à table?: ­«Didier, tu as tout fait contre le sida, c’est bien, maintenant, il faut que tu tournes la page et que tu écrives sur autre chose.» Je lui ai répondu?: «Mais je sais maman?! Tous mes amis me le disent depuis des années, rassure-toi, je n’ai plus rien à raconter.» Et bingo, 120 Battements par ­minute reçoit le grand prix à Cannes. Et Robin Campillo remercie dans son speech les fondateurs et les présidents d’Act Up, et tout bascule instantanément sur Internet avec un déluge de messages. Le film préféré de Cannes sur Twitter entre dans l’histoire de l’épidémie du sida, et des milliers de personnes, séropositives ou non, sont clairement remerciées pour des années d’engagement qui les ont profondément marquées. On sent toute une génération qui s’approprie le grand prix pour ce qu’il est?: un remerciement de la société à une idée, comme le rappelait un récent documentaire sur Arte.

Au-delà du cinéma, c’est le début d’un phénomène populaire qui va s’amplifier à la sortie du film dans les salles, à la fin du mois d’août. La première fois que cela s’est produit pour Act Up il faut remonter à… 1994 avec l’engagement de Cleews Vellay lors du premier Sidaction. Son visage, sa manière de s’exprimer, sa sincérité avaient provoqué une fixation populaire amoureuse qui nous avait tous surpris, lui en premier. A force d’entendre les messages sur le répondeur d’Act Up qui disaient?: «Merci pour ­votre combat?!» c’était devenu une blague interne déclinée en multiples parodies qui survenaient pendant les moments les plus embarrassants de l’activisme (et il y en avait beaucoup).

Nous avons créé ce mouvement au milieu des insultes 

Déjà sur Facebook, les anciens ­redoutent une mania affective qui serait bien différente du mépris que nous avons dû subir de tous les côtés pendant nos années d’engagement. Nous avons créé ce mouvement au milieu des insultes. Alors please, ne recommençons pas la même blague, c’est gênant pour tout le monde. 120 Battements par minute ­raconte une histoire commune que la société a oubliée. Parmi les jeunes LGBT, une très grande majorité n’a aucune idée d’Act Up, la plupart ne connaissant même pas le nom de l’association. Et comme ce film a pour but (entre autres) de susciter un moment de partage et de réconciliation avec l’histoire, ma réponse est désormais la suivante. Si tout le monde parle de transmission de l’activisme, où en sommes-nous du projet d’archives LGBT que la Mairie de Paris promet depuis presque deux décennies et qui reste au point mort?? Mes propres archives du début d’Act Up, je les lègue à qui?? Faudrait-il manifester devant l’Hôtel de Ville pour obtenir enfin un centre de documentation comme d’autres villes européennes en disposent ??

La mémoire est un enjeu politique 

Ce film raconte à quel point le tissu associatif sida était puissant en France dans les années 80 et 90, ce qui a permis à notre pays d’obtenir en priorité les multithérapies qui ont sauvé tant de vies. Anne Hidalgo, allez-vous enfin vous réveiller?? Les anciens présidents d’Act Up sont désormais vieux. Dans le film, nous sommes tous jeunes, ce qui est d’ailleurs une adaptation de l’histoire du groupe puisque nous avons tous été fortement marqués par l’intervention de personnes plus âgées qui nous ont éduqués avec leur savoir et leur expérience.

Mais quand ­Robin Campillo parle de précarité pour rappeler que les séropositifs d’aujourd’hui sont confrontés à la dureté du vieillissement et la mise à l’écart de la société, il a raison. Qui soutient l’association Grey Pride qui est le seul groupe qui travaille sur la question du vieillissement des personnes LGBT?? Qui ose parler de notre appauvrissement social?? Je dois être la seule personne de presque 60 ans qui a monté les marches du tapis rouge de Cannes tout en étant au RSA (oui, les mots «Cannes» et «RSA» dans la même phrase). Je suis au chômage depuis dix ans, c’est marqué sur mon profil Twitter. Et les seules personnes qui écrivent ­encore sur le sida et le militantisme, comme Christophe Martet ou Gwen Fauchois, sont dans la même situation.

«Les autres baisaient, nous, on passait nos soirées en réunion»

Ne vous trompez pas, notre engagement associatif nous a mis au ban de la société. Nous sommes marginalisés précisément parce que nos années de travail n’ont pas été récompensées. L’Etat et les gays haut placés n’ont rien fait pour nous, absolument rien. Personne n’a reçu de médaille à Act Up. Si on nous avait demandé, il y a dix ans, de coordonner le Centre d’archives LGBT, il serait déjà ouvert. C’est précisément parce que nous avons prouvé que nous savions faire les choses que nous avons été mis au placard. La mémoire est un enjeu politique. Les archives de Têtu ne sont pas en ligne, et j’adresse directement mes reproches à Pierre Bergé. Nous avions la possibilité d’offrir le plus grand portail de news LGBT francophones depuis 1995 et nous l’avons laissé partir en fumée.

C’est injuste et cruel. Nous avons consacré les plus belles années de nos vies à ce combat. Les autres baisaient, nous, on passait nos soirées en réunion. Nous avons servi d’exemple. Excusez-moi de faire la drama queen, mais Act Up a précisément réussi grâce à elles. Alors, épargnez-moi les louanges, je ne sais pas y répondre de toute manière. On veut juste travailler et écrire sur ce qui nous passionne encore. On ne veut pas la charité (et dieu sait que je survis grâce à elle), on veut juste participer encore à la société. Nous méritons un travail comme tout le monde. Nous avons toujours traversé la France pour éduquer, discuter, apporter la bonne parole. Gratuitement. Et ça commence à bien faire. Nos vies servent à faire des livres et des films. Il est temps d’être Paid in Full, comme Eric B. & Rakim, classique de 1987, l’année du début d’Act Up aux Etats-Unis, il y a juste trente ans.

Didier Lestrade Journaliste, écrivain, cofondateur d’Act Up et de Têtu

Publié dans LIbération le 30/05/2017

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