Pour Pablo Larraín ce film : « n’est pas une histoire sur Neruda, c’est une histoire nérudienne ». Le propos éclaire sur la portée de l’entreprise fictionnelle qui ne trahit pas l’histoire mais en use librement, subjectivement. Il ouvre l’espace magique porté par une puissante force poétique.
Situé à la fin des années 1940, le film ne reconstitue pas la fuite de Neruda, pourchassé par les sbires du président Gabriel González Videla. Il réinvente, le poète, personnage séducteur et facétieux, mais aussi l’homme d’Etat, l’insoumis, l’opposant communiste dans une course poursuite singulière où le fugitif valide l’existence de celui qui le poursuit.
Pablo Larraín place la fonction narrative du rêve au centre de la psychologie culturelle du peuple chilien. C’est la culture qui donne forme à l’esprit. La psychologie, omniprésente chez les Chiliens dont la mémoire se révise sans cesse dans la douleur, se consacre à la signification et devient inévitablement culturelle. Les vérités sont à chercher dans la condition humaine en s’intéressant à la psychologie populaire, celle des gens ordinaires. C’est leur vécu qui certifie l’histoire
. Le réalisateur indique d’ailleurs lui-même : « Je viens d’un pays qui est défini par les poètes. Sans Pablo Neruda, mais aussi bien d’autres, je ne sais plus qui nous sommes. »
« Ce qui m’intéresse essentiellement, ce sont les gens qui résistent au pouvoir. »
A Montpellier Le cinéaste et président de la Cinémathèque française Costa-Gavras était l’invité de la Librairie Sauramps pour la parution de son coffret DVD « Intégrale vol.1 (1965-1983) » chez Arte éditions.
Vous êtes né à Athènes en février 1933. Très jeune vous optez pour l’exil, dans quelle perspective arrivez-vous en France ?
Je suis arrivé en France en 1955, pour étudier. Je voulais écrire. Je me suis inscrit en licence de Lettres. A l’époque, c’était le seul pays où l’on pouvait entreprendre des études sans avoir d’argent, ce qui était mon cas. Sinon on était plutôt tenté par la belle vie en Amérique, telle qu’elle apparaissait à nos yeux.
A Paris, je fréquentais la Cinémathèque où j’ai découvert des cinéastes comme Jacques Becker, Erich von Stroheim, Renoir … qui m’ont permis de saisir que l’on pouvait travailler de nouvelles formes d’écriture avec des images. Par la suite j’ai voulu entrer à l’Idhec. Le concours d’entrée était très difficile. Il y avait un projet d’expo sur le théâtre grec ancien, on s’est adressé moi. Bien que n’étant pas formé – personne n’enseigne le théâtre antique en Grèce, ni la démocratie – je me suis lancé.
Lorsque vous quittez la Grèce en 1955, période où le pays voit le retour de la monarchie, le faites-vous aussi pour des raisons politiques ?
Oui, je fuyais la monarchie soutenue par les colonisateurs américains. Mon père était un démocrate anti -royaliste. Il avait fait la guerre en Asie mineure et il avait vu mourir autour de lui tous ses amis pour rien. Ce conflit soutenu par les royalistes, qui rêvaient de reconstruire l’empire byzantin, l’avait marqué profondément.
Après, durant la guerre civile tous ceux qui n’étaient pas conservateurs étaient considérés comme des communistes et ils ne disposaient pas des mêmes droits, leurs enfants n’avaient pas accès aux études.
Vous trouvez donc les moyens d’apprendre le cinéma notamment au côté de René Clément. Dans quelles circonstances réalisez-vous , « Compartiment tueur » votre premier film, sorti en 1965 ?
A l’origine, j’avais dans l’idée de faire une adaptation, un peu comme un exercice, parce qu’on ne travaillait pas sur les adaptations à l’Idhec. Il s’est trouvé qu’une secrétaire avait lu le livre de Sébastien Japrisot. Elle en a parlé au directeur des studios. Nous en avons discuté avec lui et il a fini par me dire : faisons un film.
Yves Montand s’est déclaré partant et Simone Signoret m’a dit : je te fais la vieille actrice. Tout cela était inattendu, après c’est devenu un film d’amis où se sont greffés Trintignant, Piccoli, Charles Denner, Bernadette Lafont… Daniel Gelin est venu faire de la figuration, simplement parce qu’il voulait être de l’aventure.
Le film rencontre un vif succès en France comme aux Etats-Unis. La critique salue vos talents de réalisateur et lance votre carrière. Comment s’est enclenché « Un homme de trop « , votre second long métrage ?
Après ce premier succès un producteur américain m’a demandé de lui proposer un projet je lui ai dit que je voulais adapter La condition humaine. J’ai commencé la préparation avec les acteurs, Piccoli Kremer, Claude Brasseur… et puis le producteur n’a pas donné suite, prétextant que le sujet était trop complexe. Il y avait trop de Chinois dans cette histoire pour les Américains.
A ce moment j’ai appris que Chabrol voulait faire un film sur la Résistance. C’est ainsi qu’on a basculé avec l’équipe sur Un homme de trop. Qui n’a pas bien marché. Chabrol ne voulait pas prendre position, il voulait aborder la Résistance sous l’angle de l’action. Les spectateurs attendaient sans doute autre chose sur ce sujet.
Avec Z, sorti en 1969, vous revenez vers vos origines à un moment clé, un an et demi après le coup d’Etat des colonels, aviez-vous conscience de la portée politique que ce film portait en germe ?
J’ai eu le livre de Vassilis Vassilikos dans les mains avant le coup d’Etat. Le film relate l’assassinat du député Lambrakis à Athènes en 1963. Nous l’avons écrit avec Jorge Semprun. C’était un peu comme un cri lancé sur un mur pour dire « à bas les colonels » Nous avons tourné à Alger, les acteurs ont accepté d’y participer sans condition. Je me souviens de Trintignant me disant, je le fais sans être payé.
Le succès a été immédiat. Le film est resté quarante semaines à Paris. Les gens applaudissaient à la fin. Nous étions sous le coup de la stupéfaction. Z a été une étincelle, les gens se sont éveillés. Il se sont exprimés comme l’a fait Melina Mercouri, mais les moments que j’ai vécus le plus intensément, sont liés à l’effet mobilisateur qu’a eu le film sur la population grecque qui avait vécu le coup d’Etat un peu passivement au début.
Quel rapport entretenez-vous avec l’engagement en tant que cinéaste ?
Ce qui m’intéresse essentiellement ce sont les gens qui résistent au pouvoir, d’où ma volonté d’adapter La condition humaine. Pour moi le cinéma est avant tout un spectacle, pas un préau où on fait des discours politiques ou académiques. Mais je n’ai jamais considéré le spectacle comme un amusement. Le cinéma doit parler de la société.
Dans l’Aveu en 1970, vous dénoncez les excès du stalinisme notamment en Tchécoslovaque. Ce film reflète-t-il aussi une désillusion d’une partie des artistes français de gauche ?
Notre génération était très attirée par les propositions soviétiques que nous ne considérions pas comme des ennemis mais comme des alliés. Nous discutions beaucoup avec Montand, Resnais, Chris Marker, Semprun… des vicissitudes de l’histoire mondiale.
A cette époque, on sentait le besoin d’un changement profond. Les communistes italiens nous paraissaient avoir fait un pas important. On sentait que cela pouvait se développer en France. Mais au sein du PCF d’alors aucune critique n’était possible. Certains acteurs avaient refusé de faire le film.
En 1973, avec Etat de siège, vous prenez pour cible la politique des Etats-Unis sur l’Amérique Latine ?
Au Guatemala, j’ai découvert l’existence de spécialistes de la déstabilisation politique. J’ai suivi cette piste qui m’a conduit à faire un film sur l’Uruguay dont la réflexion porte sur la violence révolutionnaire.
Après Claire de femme, vous revenez sur la thématique avec Missing ?
Claire de Femme est une adaptation d’un livre de Romain Gary qui interroge sur notre capacité à profaner le malheur avec l’amour. Pour Missing c’est venu d’une proposition américaine. Comme j’avais rencontré Allende plusieurs fois ça m’intéressait à la condition de faire la post production en France. Le film a marché.
Quand un film ne marche pas, ça m’est arrivé, c’est qu’on a loupé quelque chose…
Ces photos mythiques qui ont marqué l’histoire – Aujourd’hui, les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968.
Un geste de défi
1968, année césure. Même si l’événement se veut apolitique, les Jeux olympiques de Mexico ne sont pas épargnés par la bourrasque de révolte qui souffle alors. Sur cette photo, restée gravée dans les esprits, deux des trois gagnants de la très prisée épreuve du 200 mètres brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol.
Il s’agit de Tommie Smith et de John Carlos, respectivement premier et troisième, qui s’érigent ce jour-là contre le racisme et l’exclusion dont sont toujours victimes les afro-américains aux Etats-Unis. Le geste en soi peut sembler banal. Mais ce 17 octobre 1968, les deux athlètes défient leur pays et la bienséance des Jeux sous les caméras du monde entier, par ce triomphe honteux et accusatoire. Le scandale sera immédiat, et les sanctions aussi cinglantes que l’écho.
« Dénoncer l’injustice »
La ségrégation, théoriquement abolie en 1964 par le Civil Rights Act, est encore bien présente dans les mentalités en 1968. L’intolérance et les crimes racistes empoisonnent toujours l’intégration de la communauté noire : le 4 avril, soit cinq mois avant les JO, Martin Luther King est assassiné, et une énième vague d’émeutes embrase le pays qui semble éternellement promis à la violence. Il y a une quarantaine de morts.
Tommie Smith et John Carlos, s’ils n’appartiennent pas de fait à l’un des groupes du Black Power, en deviennent les emblèmes. Ce fameux poing levé, ceint de noir, est en fait l’apanage d’une des formations les plus actives et radicales de l’époque, le Black Panther Party. Et si c’est ce geste qui laissera l’opinion bouche bée, les athlètes ne s’en sont pas contentés. Leur regard, qui se détourne du drapeau américain pendant que l’hymne national retentit fièrement, guide le nôtre vers leurs pieds drapés de longues chaussettes noires.
Ceci, énoncera Tommie Smith, « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ». Pareillement, le foulard qu’il porte ainsi que le maillot ouvert de son camarade John Carlos sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des leurs. Un asservissement dont les chaînes jugulent encore la liberté des afro-américains.
Un impact instantané
Ce moment, figé par le photographe John Dominis, ne laisse pas apparaître l’incroyable agitation qui s’ensuit. Car l’effet escompté ne se fait pas attendre. Les audacieux coureurs viennent, en un instant, de clamer en silence la souffrance et l’injustice séculaires de tout un peuple, sous les yeux du monde entier. La foule hurle, crache, les organisateurs hoquètent.
Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt sanctionnés
Le poing levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux, L’Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne l’immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.
Leurs carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d’abord suspendus temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie Smith vient pourtant d’établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les 200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant 1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.
Du podium à l’enfer
Les choses empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des menaces de mort. Smith se fait tout bonnement « virer » de son emploi de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s’avère quasi-impossible. Même l’armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du médaillé d’or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.
Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action, et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que dans les années 90-2000.
Le « troisième homme », acteur à part entière
Si l’attention s’est portée de fait sur la mutique provocation des deux afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium photographié par John Dominis. Ce troisième, c’est l’Australien Peter Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière de la scène.
L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.
Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.
Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.
Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.
L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.
Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.
Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.
Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.
Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_
Il n’auront de cesse de louer la noblesse du « seul sportif blanc qui eut assez de cran » pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et rassembleur. John Carlos déclarera lors de l’inhumation: « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour ».
Franck Tenaille dans les coulisses de Fiest’A Sète
Franck Tenaille. Entretien avec le président de Zone Franche, le réseau des Musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique à l’occasion du festival Fiest’A Sète 2015.
Titulaire d’une licence d’ethnologie et d’un doctorat de sociologie, Franck Tenaille est journaliste spécialisé dans les musiques du monde, conseiller artistique, responsable de la commission des musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Il est aussi président du réseau Zone Franche.
Lors de votre conférence sur la musique durant les années de l’indépendance donnée à Fiest’A Sète, vous avez souligné que l’Afrique musicale précède l’Afrique politique. Que voulez-vous dire ?
Le choc de la Seconde guerre mondiale a fait craquer l’ordre colonial avec de sanglants soubresauts entre l’indépendance promise et l’indépendance octroyée. Durant cette période, la musique n’a eu de cesse d’affirmer l’identité culturelle niée par la colonisation. Elle a su faire entendre les plaies dans les consciences de l’oeuvre civilisatrice et faire vivre un patrimoine humain commun.
La musique accompagne aussi directement les mouvements politiques des indépendances…
Au tournant des années 60 se profile la proclamation des indépendances. En 1957, la Gold Coast rebaptisée Ghana en référence à l’ancien empire africain, devient le premier pays indépendant d’Afrique subsaharienne. E.T. Mensah, un pharmacien de métier, monte un grand Orchestre et devient le roi du highlife. Le genre musical s’épanouit dans un cadre en pleine effervescence. Dans ce contexte, la musique constitue le complément artistique au projet panafricain du premier ministre indépendantiste NKrumah.
En Guinée qui accède à l’indépendance un an plus tard, Joseph Kabassele Tshamala, le fondateur de l’African Jazz, compose le fameux Indépendance Cha Cha. Le premier président Guinéen Sékou Touré déclare : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté que l’opulence dans la servitude », et s’engage dans la modernisation des arts et notamment de la musique pour en faire le fer de lance de l’authenticité culturelle. « La culture est plus efficace que les fusils », dira-t-il encore. Le titre Indépendance Cha Cha devient le premier tube panafricain. On l’écoute dans la majorité des pays africains qui accèdent à l’indépendance : du Congo au Nigéria, du Togo au Kenya, du Tanganyika à Madagascar. Les indépendances des années 1960 passent par la musique et ouvrent tous les possibles.
Outre votre travail d’auteur et de journaliste vous êtes membre fondateur de Zone Franche. Quels sont les objectifs poursuivis par ce réseau ?
Zone Franche existe depuis 1990, C’est un réseau consacré aux musiques du monde qui réunit toute la chaîne des métiers de la musique, de la scène au disque et au médias, et rassemble 300 membres répartis majoritairement sur le territoire français mais aussi dans une vingtaine de pays. Nous travaillons sur la valorisation des richesses de la diversité culturelle et des patrimoines culturels immatériels, les droits d’auteurs, la circulation des oeuvres et des artistes, le soutien à la création artistique…
Que recoupe pour vous le terme « musiques du monde » ?
Les musiques du monde sont la bande son des sociétés, des mémoires, des anthropologies culturelles… Si on veut faire dans le cosmopolitisme, on dira que 80% des musiques écoutées sur la planète sont des musiques du monde. Après il y a les styles musicaux, les genres, les architectures, les syncrétisations… Zone Franche est un réseau transversal, on est un peu l’écosystème professionnel des musiques du monde.
N’est-ce pas difficile d’agir à partir d’intérêts différents et parfois contradictoires ?
On entre dans le réseau à partir d’une structure. Chaque nouvelle adhésion est votée en AG, et chaque membre adhère à la charte des musiques du monde. On n’est pas dans « l’entertainment », l’esprit serait plus proche de l’éducation populaire, un gros mot que j’aime utiliser. Nous avons rejeté quelques candidatures pour non respect des artistes ou des législations existantes. On n’est pas non plus à l’expo coloniale. Notre financement provient des cotisations calculées en fonction des revenus de la structure et d’un partenariat tripartite entre le ministère de la Culture, celui des Affaires Étrangères et d’organisations de la société civile comme la Sacem, Adami, Spedidam.
Comment conciliez-vous toutes les esthétiques ?
A peu près tous les genres de musiques sont représentés, de la musique savante, ethnique, à la world, le rap, les musiques inscrites dans le in situ en fonction des communautés et les emprunts conjoncturels divers et variés que j’appelle les illusions lyriques, mais au final, tous les gens inscrits dans le réseau sont des passeurs.
Intervenez-vous face au refus de visa qui reste un frein puissant à la mobilité des artistes ?
Ce problème se pose de façon crucial et il s’est généralisé. Il n’y a pas d’homogénéisation des politiques et les guichets pour obtenir un visa sont très différents. Dans le cas des tournées, il est rare d’entrer et de ressortir par le même endroit. Nous nous battons pour clarifier les textes, les procédures et les références. Souvent les politiques paraissent lisibles mais les marges de manoeuvre d’application le sont beaucoup moins. De par notre savoir-faire et notre expertise, nous parvenons à débloquer un certain nombre de situations sur le terrain,. On a souvent joué les pompiers face aux abus de pouvoir ou au manquement des managers.
Votre objet politique se présente-t-il comme une alternative à la diplomatie économique qui a transformé les diplomates en VRP de luxe ?
Qu’est ce que la mondialisation culturelle ? Est-ce le résultat d’un consensus libéral établi sur le plus petit dénominateur commun des particularismes de l’homo economicus culturel ? Sous cette forme de mondialisation digeste, nous aurions Victor Hugo pour la France, Cervantès pour l’Espagne et Shakespeare pour le R.U et pourquoi s’enquiquiner a éditer d’autres auteurs et à plus forte raison à produire de la musique Inuite…
Nous négocions régulièrement avec les agents publics de la diplomatie pour défendre la portée éminemment politique des enjeux esthétiques et leur diversité. C’est un combat permanent, à la fois une résistance et une conquête. La base, c’est celui qui n’a pas de conscience est vaincu.
On travaille sur la transmission dans le temps long. Je peux citer beaucoup de patrimoines musicaux en voix de disparition qui sont revenus à la vie, des Lobi du Burkina à la musique de Bali en passant par les Marionnettes sur l’eau du Vietnam. A partir de là, une nouvelle génération peut se rapproprier ces ressources uniques et les renouveler.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Franck Tenaille est notamment l’auteur de : Les 56 Afrique, 2 t. : Guide politique 1979 Éditions Maspéro. Le swing du caméléon 2000 Actes Sud, La Raï 2002 Actes Sud
" N'ayons pas la mémoire courte. " Photo David Maugendre
Sous l’étendard de l’association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France (Aseref*), une centaine de personnes se sont rassemblées hier sur la place de la Comédie, en soutien au juge Baltasar Garzon condamné par la justice espagnole pour avoir voulu enquêter sur les crimes amnistiés du franquisme. Plusieurs rassemblement se sont déroulés ce même jour, à Béziers, Paris, Barcelone… attestant d’une amplification du mouvement. « Nous exigeons la nullité de la sentence et le rétablissement d’une vrai justice en Espagne qui reconnaisse les crimes contre l’humanité des franquistes, indique Eloi Martinez de l’Aseref, La loi d’amnistie de 1977 doit être abrogée. Elle a mis sur un pied d’égalité les victimes et les bourreaux aux mépris des lois internationales. »
La condamnation de Baltasar Garzon pour écoutes illégales interdit au juge d’exercer son métier en Espagne pendant onze ans. Elle a soulevé un mouvement d’indignation en Espagne mais aussi en France. Dans la région, où ont été internés des milliers d’exilés républicains dans le camps de Rivesaltes, leurs descendants n’ont pas manqué d’épingler le silence du gouvernement français en rappelant les 10 000 républicains morts dans les camps français. « La France grandirait à reconnaître ses responsabilités, immense dans cette tragédie, notamment par la décision de non intervention pendant la guerre d’Espagne ce qui permis au fascistes de mettre à terre la république espagnole et ensuite d’occuper la France. »
Le juge Garzon, est aussi célèbre en Amérique latine pour avoir traqué l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet et d’anciens tortionnaires sud-américains. En 2011, il a été nommé comme consultant, à Bogota, auprès de la mission locale de l’Organisation des Etats Américains (OEA) où il devrait poursuivre sa mission liée au processus de démobilisation des milices paramilitaires d’extrême droite, accusées du massacre de dizaines de milliers de civils dans les années 1990.
A Montpellier on notait hier, la présence d’élus du PRG et du NPA ainsi que celles de diverses associations régionales liées à la mémoire des républicains espagnols et des victimes du fascismes au Chili. la mobilisation a donné lieu à des témoignages de survivants. Expression de souvenirs douloureux, malheureusement pas coupés de l’actualité à l’heure où le réseau idéologique de l’extrême droite européenne se reconstitue progressivement.
JMDH
* Une pétition de soutien est disponible sur le site de l’Aseref