Régionales : la gauche de la gauche peut-elle éviter la « soupe de logos » ?

La gauche aimerait entonner un nouveau refrain lors des régionales en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Elle cite Podemos, Barcelone ou la mairie de Grenoble pour illustrer ce qu’elle tente de faire : rassembler diverses sensibilités et leur donner une patine « citoyenne ».

En préambule, Gérard Onesta, l’accent chantant, le cousinage célèbre, l’écologie au veston, assure qu’il ne s’agit pas de faire une « soupe aux logos ». Le rassemblement qu’il espère construire (et conduire) ne sera pas – inch’Allah – une collection de partis de gauche. Le tout ne sera pas la somme des parties. Mais quelque chose de neuf.

Jean-Luc Mélenchon et Marie-Pierre Vieu, en mars 2011 à Castanet-Tolosan

Jean-Luc Mélenchon et Marie-Pierre Vieu, en mars 2011 à Castanet-Tolosan

La communiste Marie-Pierre Vieu, conseillère régionale, abandonne même son matérialisme historique pour se lancer dans des métaphores vitalistes :

« Il faut qu’on énumère des points particuliers, mais la musique générale doit avoir la couleur de tout le monde. On doit y entendre chaque partition. »

 

 

Plus de 400 contributions à examiner

Peut-on encore dire que l’idée est originale ? Il s’agit de se mettre d’accord sur un programme avant de constituer la liste. Le « fond » avant les « hommes ». Si rien ne capote, cette démarche pourrait rassembler les Verts, les communistes, le Parti de Gauche (PG), les régionalistes et divers autres formations (Nouvelle gauche socialiste, Ensemble !). Mais aussi – décidément, c’est une obsession – des « citoyens ». Associatifs, syndicalistes, militants non-encartés.

Et encore. Parler de « programme » est prématuré. Ce dernier sera le produit d’une lente distillation. Il a d’abord été mis en place une plateforme au nom volontairement terne : Le Projet en commun. Sur ce site, les « citoyens » ont été encouragés à publier, tout au long de l’été, leurs contributions.

Il y en a plus de 400 en cette fin août. Tous les sujets sont abordés. Des pistes cyclables à la protection de l’ours brun en passant par la reconversion des ingénieurs licenciés par Airbus. Les contributions coulent agréablement, comme de la bonne pâte à tracts. Ce n’est pas trop bordélique et le langage est serré.

Le petit peuple est à fond, juré

Pour cause, le site est modéré (mais sans censure, me précise-t-on) et les propositions émanent des plus impliqués dans la politique locale, même si – juré – le petit peuple est à fond. Le résultat d’assemblées citoyennes, organisées en amont, a d’ailleurs été versé au dossier.

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Cécile Duflot et Gérard Onesta, en février 2011 à Toulouse (ERIC CABANIS/AFP)

Au téléphone, Gérard Onesta nous détaille la suite :

« Ces contributions vont être mise en forme dans des “pages consensus”, puis mises en ligne pour être commentées et éventuellement amendées avant que ne se dégage, début septembre, un socle programmatique. »

 

C’est à ce moment-là que l’on rentrera dans le dur, dans la constitution de la liste. Mais se joue dès maintenant le plus intéressant : la décantation du programme.

De la taille de l’Autriche

Quatre grandes thématiques ont émergé lors d’une réunion à Narbonne, en juillet. Du très classique : écologie, développement, culture et citoyenneté. A quoi vient s’ajouter une charte éthique inspirée de « Gouverner en obéissant » adoptée par Ada Colau, la maire de Barcelone issue des Indignés. Des référents « non encartés » ont été nommés pour animer les discussions. Ils ont été rejoints par des militants.

C’est par e-mails et au téléphone que l’alchimie doit se faire, dans une zone comparable à l’Autriche. La superficie n’est pas l’obstacle premier : il faut mettre d’accord des sensibilités aussi différentes que les écolos et les communistes (pensez au nucléaire !) et le Parti de Gauche et les régionalistes (pensez aux langues régionales !).

Et tout cela sans dénaturer les propositions, comme l’explique Guilhèm Latrubesse, du Partit Occitan :

« C’est tout l’enjeu de ce travail de réécriture. De plusieurs centaines de pages, en faire quatre ou cinq. Certains sujets sont hyper-traités, d’autres non. Mais la relecture collective garantit que l’on ne dénature pas la matière de base. »

 

 

Une question de points de vue

Guilhèm Latrubesse, en septembre 2009 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Guilhèm Latrubesse, en septembre 2009 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Il reste tout de même des points à trancher, même si le premier texte sera vague. Par exemple, sur les investissements de la région. Faut-il exclure des entreprises qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires ?

Guilhem Serieys, du PG, fait partie du groupe « industrie » et détaille la recherche du compromis. Pour lui, les différences tiennent plus à des « façons d’entrer le débat » :

« Au Front de Gauche, on entre par une question de principe : celle de la défense du service public. Alors que les Verts ont plutôt l’habitude d’y entrer par du terre-à-terre.

Par exemple, la défense du ferroviaire en tant que service public fait partie de l’ADN du Front de Gauche. EELV se pose plus la question en termes de diminution de l’usage de la voiture. Mais le résultat est le même. »

 

Et le nucléaire ? Et l’occitan ?

« Les ADN sont compatibles », renchérit Marie-Pierre Vieu, qui veut croire que tout ce beau monde se retrouve sur des « bases fortes » – le féminisme ou la lutte contre les discriminations (je te vois lecteur de Michéa qui bondit en hurlant « sociétal, sociétal »).

Mais enfin, il y a bien des sujets de dissension ?

  • Le nucléaire  : Eh bien, les verts et les communistes ont réussi à dire quelque chose ensemble sur Mediapart en demandant la fermeture de Malvési, l’usine de fabrication de carburant nucléaire située dans l’agglomération de Narbonne. Dans ce texte, on sent le balancement constant entre le cœur de cible écolo (« politique d’économie d’énergie ») et le « maintien de l’emploi » mis en exergue par les communistes. Au prix de quelques phrases alambiquées…
  • Les langues régionales : sujet classique de dissension entre les régionalistes et le Parti de Gauche, attaché à un certain jacobinisme républicain. Dans le coin, la question se cristallise autour des Calandretas, ces écoles qui enseignent l’occitan. Mais tout le monde se retrouve sur l’envie de re-basculer cela vers le service public. Et le PG local est peut-être moins farouche sur ces questions que Jean-Luc Mélenchon.
  • La ligne à grande vitesse : les communistes étaient plutôt favorables, mais ils ne vont peut-être pas trop le dire.

Pour Guilhem Serieys, il ne s’agit pas de gommer les aspérités, mais de trouver des biais pour les dépasser. En espérant éviter des débats nationaux (comme sur la réforme territoriale, par exemple) :

« Pour les grands projets, nous proposons de passer par des votations citoyennes. Donc les désaccords seront tranchés par la souveraineté populaire. »

 

 

Le poids des mots

Mais l’essentiel semble tenir au choix des mots, qui permet de dissoudre des désaccords. Marie-Pierre Vieu :

« Chaque parti est codifié. Chaque parti a l’impression que s’il place ses quelques mots, ça y est, il a sauvé l’essentiel. Mon parti a ses mots : “formation”, “alternative”, “anticapitaliste”. Les Verts ont les leurs : “reconversion”, “innovation”. Il y a des réflexes. Nous, c’est la protection de l’emploi. Eux, c’est de passer à une autre ère. Il faut qu’on trouve un nouveau langage. […]

On a inventé un langage du Front de Gauche. Le PG a avancé la “planification écologique”. Nous, les communistes, la planification, ça nous rappelait l’Union soviétique. Nous n’étions pas pour au départ. Mais c’est un terme qui a été restauré dans un autre contexte. »

 

Guilhèm Latrubesse, du Partit Occitan (dont le maître mot est « fédéralisme »), parle aussi de « méta-langage » qu’il faut dépasser.

« Quelque chose dans les gènes »…

On croit entendre en écho Pablo Iglesias. Le leader du mouvement ibérique a raconté comment ses étudiants – politisés – s’arrachaient les cheveux dans des assemblées où le mot « ouvrier » n’était pas prononcé :

« Les gens les regardaient comme des extraterrestres, et mes étudiants rentraient chez eux dépités. Voilà ce que l’ennemi attend de nous. Que nous employions des mots que personne ne comprend, que nous restions minoritaires, à l’abri de nos symboles traditionnels. »

 

Le reste est affaire de substrat. Gérard Onesta évoque Podemos ou les Indignés de Barcelone. Mais le contexte est différent – pas de mouvement du 15 Mai, pas de transition démocratique désenchantée. Il reste que la région est fertile. Sivens. Le Larzac. Les révoltes viticoles. Les paysans rouges-verts. Les régionalistes. « Il y a quelque chose dans les gènes », s’amuse l’écologiste.

Carole Delga, en juin 2015 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Carole Delga, en juin 2015 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

La gauche de la gauche espère donc piquer la vedette à Carole Delga, qui mène la bataille pour les socialistes (et les radicaux de gauche). Ce n’est pas impossible : aux européennes, les listes EELV ont atteint un étiage de 11-12% en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon. Le Front de Gauche était un peu en dessous, autour de 9% dans les deux anciennes régions.

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Faut-il faire les marchés ?

L’autre préoccupation est bien sûr la forme d’un tel rassemblement. On retrouve l’éternel débat entre le parti et le mouvement. Pour l’instant Le Projet en commun ne court pas le risque de se perdre dans l’« assembléisme ». Même si des personnes sans attache partisane se joignent à l’initiative, elle est surtout animée par les partis.

Membre du PG, Manon Le Bretton fait partie du groupe « citoyenneté ». Elle reconnaît volontiers que les non-encartés sont encore peu nombreux :

« Mais même s’il n’y a que quatre personnes “non encartées” dans la boucle, cela change la nature des échanges. On ne tombe pas dans les marchandages, le jargon ou les réflexes partisans. Et c’est un sas pour aller vers des gens qui ne sont pas dans ces circuits. »

D’où la question qui anime toutes les listes dites citoyennes et ouvertes : comment se dégager de la gangue partidaire ? Et puis, une fois l’élection passée, comment ne pas perdre le lien ? Faut-il faire les marchés comme la maire de Barcelone ? Lors d’une réunion, quelqu’un a proposé un système intégrant un tirage au sort pour constituer les listes… Mais ça n’a pas plu.

A la mode

Comment se mettre d’accord sur la liste, sur les noms ? C’est peut-être là le vrai obstacle. Plus que sur le programme. Dans Sud-Ouest, Jean-Luc Mélenchon a semblé fermer la porte à une alliance avec les Verts. Mais le PG local, par la voix de Guilhem Serieys, pense que cela va juste remettre sur le tapis la question de la tête de liste. On en revient donc à une question de personne.

Comme le dit avec prudence Maud Forgeot, cosecrétaire du PG dans le Tarn :

« Vous savez, les listes citoyennes, c’est à la mode… »

Rémi Noyon

Source : Rue 89 23/08/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Politique, Politique locale, rubrique Montpellier, Toulouse,

JO de 1968 : deux poings levés… et un troisième homme, acteur lui aussi

(Anonymous/AP/SIPA)

(Anonymous/AP/SIPA)

Ces photos mythiques qui ont marqué l’histoire – Aujourd’hui, les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968.

 

Un geste de défi

 

1968, année césure. Même si l’événement se veut apolitique, les Jeux olympiques de Mexico ne sont pas épargnés par la bourrasque de révolte qui souffle alors. Sur cette photo, restée gravée dans les esprits, deux des trois gagnants de la très prisée épreuve du 200 mètres brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol.

Il s’agit de Tommie Smith et de John Carlos, respectivement premier et troisième, qui s’érigent ce jour-là contre le racisme et l’exclusion dont sont toujours victimes les afro-américains aux Etats-Unis. Le geste en soi peut sembler banal. Mais ce 17 octobre 1968, les deux athlètes défient leur pays et la bienséance des Jeux sous les caméras du monde entier, par ce triomphe honteux et accusatoire. Le scandale sera immédiat, et les sanctions aussi cinglantes que l’écho.

« Dénoncer l’injustice »

 

La ségrégation, théoriquement abolie en 1964 par le Civil Rights Act, est encore bien présente dans les mentalités en 1968. L’intolérance et les crimes racistes empoisonnent toujours l’intégration de la communauté noire : le 4 avril, soit cinq mois avant les JO, Martin Luther King est assassiné, et une énième vague d’émeutes embrase le pays qui semble éternellement promis à la violence. Il y a une quarantaine de morts.

Tommie Smith et John Carlos, s’ils n’appartiennent pas de fait à l’un des groupes du Black Power, en deviennent les emblèmes. Ce fameux poing levé, ceint de noir, est en fait l’apanage d’une des formations les plus actives et radicales de l’époque, le Black Panther Party. Et si c’est ce geste qui laissera l’opinion bouche bée, les athlètes ne s’en sont pas contentés. Leur regard, qui se détourne du drapeau américain pendant que l’hymne national retentit fièrement, guide le nôtre vers leurs pieds drapés de longues chaussettes noires.

Ceci, énoncera Tommie Smith, « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ». Pareillement, le foulard qu’il porte ainsi que le maillot ouvert de son camarade John Carlos sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des leurs. Un asservissement dont les chaînes jugulent encore la liberté des afro-américains.

Un impact instantané

 

Ce moment, figé par le photographe John Dominis, ne laisse pas apparaître l’incroyable agitation qui s’ensuit. Car l’effet escompté ne se fait pas attendre. Les audacieux coureurs viennent, en un instant, de clamer en silence la souffrance et l’injustice séculaires de tout un peuple, sous les yeux du monde entier. La foule hurle, crache, les organisateurs hoquètent.

Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt sanctionnés

 

Le poing levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux, L’Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne l’immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.

Leurs carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d’abord suspendus temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie Smith vient pourtant d’établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les 200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant 1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.

Du podium à l’enfer

 

Les choses empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des menaces de mort. Smith se fait tout bonnement « virer » de son emploi de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s’avère quasi-impossible. Même l’armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du médaillé d’or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.

Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action, et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que dans les années 90-2000.

Le « troisième homme », acteur à part entière

 

Si l’attention s’est portée de fait sur la mutique provocation des deux afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium photographié par John Dominis. Ce troisième, c’est l’Australien Peter Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière de la scène.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Il n’auront de cesse de louer la noblesse du « seul sportif blanc qui eut assez de cran » pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et rassembleur. John Carlos déclarera lors de l’inhumation: « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour ».

Quentin Sedillo

Source L’OBS 10/08/2015

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Photo, rubrique Etats-Unis, Société

 

Libre de faire de l’art sans les paillettes

Sylvie  la présidente des Anartistes

Sylvie Roblin  la présidente des Anartistes

Dessin. Yaka, 1er festival de la liberté les 21/22/23 août à Monblanc. La manifestation est organisée par une assos citoyenne pour la culture en milieu rural.

La veille des élections départementales, on se souvient que le comité interministériel à la ruralité avait opportunément réuni 11 ministres sous la présidence de Manuel Valls dans une agglo de 40 000 habitant pour évoquer l’attractivité du monde rural et annoncer une batterie de mesures en faveur des territoires ruraux concernant l’accès à la santé les services publics ou le développement à l’accès au numérique et la connexion au téléphone mobile, rien en revanche sur l’accès à la culture.

Le maillage culturel du le monde rural souffre pourtant d’importantes zones d’ombres qui se sont considérablement élargies cette année, avec la réduction des dotations d’État aux communes et aux intercommunalités. Les élus concernés s’en plaignent mais en bout de course, finissent souvent par tailler dans les budget culturels. Et les citoyens sont en reste.

Sur la petite commune héraultaise de Montblanc la présidente de l’Assos’ Thau Mate les Anartistes, Sylvie Roblin, se bat pour créer un îlot culturel exigeant sur son lieu de vie, à raison d’une proposition de spectacle par semaine. « Ce type de bénévolat demande beaucoup de temps et d’implication, confit-elle, mais je pense que la culture est un droit fondamental comme l’accès à l’eau ou au logement. Un droit oublié qui figurait dans le programme du Conseil National de la Résistance. »

Ironie du sort son association organise ce week-end à Montblanc le premier festival Yaka du dessin de presse, au moment où le village fête la Libération avec le sempiternelle bal du dimanche soir. « L’association vient de poser ses valises à Montblanc, indique Sylvie Roblin, en 2014 nous avons organisé le festival Femme plurielle, à Roujan sans aucune subvention. On a dû éponger 20 000 euros de dette. Cette année nous partons une nouvelle fois sans subvention avec un budget plus modeste mais toujours beaucoup d’exigence. »

Le dessin réalisé par le dessinateur belge Soudron pour l'affiche du festival

Le dessin réalisé par le dessinateur belge Soudron pour l’affiche du festival

Les Anartistes reçoivent notamment la dessinatrice Nadia Khiari, sur la liste noire des salafistes, dont le chat Willis from Tunis est devenus un personnage de la révolution tunisienne.

« L’idée du festival est venue après les attentats de janvier. On connaissait Tignous, on a été très touché. On travaille avec le festival international du dessin de presse de L’Estaque. Le dessinateur algérien Fathy Bourayou, son fondateur sera parmi nous. Après les attentats, beaucoup de festivals de dessin de presse ont été annulé pour des causes de sécurité. C’est un peu la double peine. »

Durant le festival les artistes animeront des ateliers de dessin pour les enfants. Il y aura des expos et des concerts. Comme le disait les membres du CNR le combat citoyen pour un équilibre moral et social ne doit pas prendre fin à la Libération.

JMDH

www.les-anartistes.fr/yaka-festival/

Source : La Marseillaise  19/08/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Festival, Politique, Politique Culturelle, Bouillon cube dans l’air du temps Faut jeter l’art dans la piscine comme les taureaux , Politique locale, Rubrique Médias,

L’homme révolté et la non-obéissance civile au quotidien

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Devant l’effondrement de l’Empire occidental et face à la dégradation de son environnement social et humain, un seul comportement citoyen responsable : la non-obéissance civile au quotidien.

La non-obéissance est d’abord une attitude individuelle, au quotidien, par lequel un individu entend se conformer rigoureusement à des principes de vie et de moralité, quitte à désobéir aux instructions venues d’en haut quand elles violent ouvertement ces principes.

La non-obéissance civile consiste à faire prévaloir la légitimité sur la légalité, quand cette dernière en transgresse les principes. En clair, le citoyen non-obéissant, en son âme et conscience, est habilité à faire prévaloir les Droits de l’homme sur les lois qui les bafouent (article 2 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme version 1948)

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Les Droits de l’homme en guise de viatique

 

La lecture attentive des 30 articles de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme 1948, que chacun devrait en permanence posséder par devers lui, permet aisément de déterminer un comportement citoyen responsable, de rappeler quelques évidences et d’en tirer des exemples d’applications pratiques immédiates :

  • Tous les hommes, les femmes, les chrétiens, les juifs, les musulmans, les athées, les blancs, les noirs, les Roms, les avec ou sans papiers, autochtones ou migrants… « sont libres et égaux en dignité et en droits » (article 1).
  • Le devoir de tout citoyen est de porter secours à tout individu victime de « toute discrimination qui violerait la présente Déclaration », ainsi que le firent ceux qui protégèrent les familles juives traquées par les lois de Vichy dans les années quarante, ou le font aujourd’hui les combattants de l’ombre de RESF pour les migrants déracinés (article 7).
  • Chaque citoyen est fondé de chercher à échapper à toutes « immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance », fussent-elles autoritairement décrétées par la puissance publique (article 12).
  • Tout individu à le droit d’arborer le signe distinctif qu’il entend, que celui-ci soit d’ordre philosophique, politique, religieux, et tout individu est libre tout autant de n’en point porter si bon lui semble (article 18).
  • Tout citoyen, maintenu arbitrairement en-dessous du seuil de pauvreté, est légitimé à assurer, par quelques moyens que ce soit, « sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25).

Le rire de l’homme révolté

 

Comme « l’homme révolté » de Camus — « homme » entendu bien sûr au sens générique, tous sexes confondus — le citoyen non-obéissant, avec tous les moyens à sa disposition, défend son territoire contre toute violation des principes moraux qui le régissent. Il ne désobéit pas par vocation, il refuse simplement d’obéir quand ses convictions le lui intiment.

En ce sens, l’homme révolté s’oppose au « révolté métaphysique », anti tout par posture, dont le seul et unique but n’est pas de faire valoir un monde d’après acceptable, mais de prétendre vouloir détruire celui qu’il dit exécrer. L’attitude pseudo-révolutionnaire du révolté métaphysique s’assimile au final à une expression vengeresse de rancœur, doublée d’une étonnante soumission, tout juste rageuse pour faire genre, à l’autorité prétendûment détestée.

L’homme révolté ne vise pas à détruire, mais à construire. Il sait qu’en l’état actuel de délabrement social et moral, il ne peut compter ni sur les autorités politiques corrompues, ni sur les pouvoirs judiciaires ou médiatiques qui leur sont totalement acquis. Il n’attend rien de ces derniers et ne leur demande rien.

L’homme révolté sait évaluer les rapports de force. En attendant que ceux-ci lui soient favorables, il cultive patiemment et sans faiblir son jardin, sème avec opiniâtreté ses petites graines sans attendre un Grand soir illusoire ou une intervention divine. La grande force de l’homme révolté, être solitaire par nature, est de savoir se constituer en réseaux avec ses congénères : associations, réseaux sociaux, circuits courts…

L’homme révolté ne se tape pas la tête contre les murs, ne pleurniche, ni ne geint. Il trace son bonhomme de chemin, tisse ses réseaux et sait se montrer patient. Aux côtés de sa colère, il y a son rire.

Par Le Yéti

12/08/2015 sur le site de Politis

« Une forme de Roméo et Juliette au féminin »

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

La belle saison de Catherine Corsini sortie national mercredi 19 août

Cinéma. Catherine Corsini présente en avant première à Montpellier son dernier film  La belle saison. Une histoire d’amour entre deux femmes au début des années 70 en pleine éclosion du féminisme.

Le cinéma français produit des histoires d’amour qui ne finissent pas toujours mal. Ni toujours bien d’ailleurs, ce qui compte, et qui plait, ce sont les hésitations sentimentales qui mettent en péril les êtres et les principes de la raison. Le dernier film de Catherine Corsini, La belle saison, projeté en avant première à Montpellier  jeudi au cinéma Diagonal, est de ceux là.

La réalisatrice porte à l’écran une histoire d’amour entre une jeune parisienne, militante féministe libérée (Cécile de France), et une fille de paysans creusois, qui peine à s’émanciper (Izïa Higelin). Les rapports amoureux et les questionnements sur l’identité sexuel jalonnent l’oeuvre de Catherine Corsini qui s’inscrit discrètement mais pleinement dans le paysage du cinéma français contemporain.

« Le cinéma c’est des hommes qui ont filmé des femmes », disait Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinéma, mais peut on être sensible à l’art cinématographique sans l’être à l’ouverture sur le monde et à la diversité que le cinéma véhicule?

Avec La belle saison Catherine Corsini aborde pour la première fois frontalement l’homosexualité féminine en appréhendant à la fois le contexte politique et le contexte social. Elle situe une grande partie de l’action dans l’environnement rural, loin des avancées idéologiques qui percent dans le monde urbain de l’après soixante-huit. Avancée qui comme l’on sait, ne sont jamais acquises.

ENTRETIEN

« Je reste attentive
au cinéma de mes consoeurs »

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Catherine Corsini  Photo Dr

Le film offre trois entrées, le féminisme des années 70, la vie et les valeurs du monde rurale de l’époque et l’histoire d’amour entre deux femmes, comment avez vous joué et imbriqué ces trois thèmes ?

J’avais depuis longtemps l’envie de faire une grande histoire d’amour entre deux femmes, contrariée par le drame de l’empêchement, une forme de Roméo et Juliette au féminin. Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire ce sont les manifestations contre l’adoption du mariage pour tous et l’homophonie latente qu’elles ont véhiculé. J’ai préféré situer l’action au début des années 70 parce que je ne tenais pas à retomber dans les mêmes prismes du débat sociétal et politique. Cet épisode m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que beaucoup d’acquis sur lesquels nous vivons, nous les devons aux féministes de cette époque parmi lesquelles il y avait de nombreuse homosexuelles.

Et concernant le choix de tourner dans le Limousin ?

La campagne, c’était le désir de retrouver une partie de ma jeunesse. J’ai choisi le paysage dont émane une sensualité très forte plutôt que les chambres. Cela permettait aussi de faire des allers et venues entre deux mondes. Celui de Delphine qui veut reprendre l’exploitation, – ce qui ne se faisait pas. On est femme d’agriculteur mais pas agricultrice – et celui de Carole, la prof parisienne engagée plus âgée, que la jeune fille va complètement perturber. Il y a une dimension initiatique qui joue dans les deux sens. Delphine initie Carole à l’homosexualité et Carole fait découvrir le combat féministe à Delphine qui s’y engage sans retenue. Elle se libère à Paris mais de retour à la ferme, elle choisit la terre. C’est viscérale.

Comment avez vous abordez les scènes de nu ?

Je voulais éviter le regard voyeur dans les scènes. L’angle est volontairement frontal presque en un seul plan. J’ai travaillé de façon picturale, comme dans les tableaux de Renoir et Manet, avec respect, surtout pour Izïa Higelin qui n’était pas à l’aise. Je ne savais pas si j’allais trouver la justesse et la rigueur de ton.

Vous montrez les hommes sous un beau jour…

Le propos n’est pas de placer les hommes dans un rapport antagoniste, bien au contraire. Ils sont plutôt chevaleresques, attentifs. Manuel le petit ami de Carole se demande s’il s’agit d’une expérience et quand il comprend sa dépendance amoureuse, il l’a met face à ses contradictions. Il est blessé mais ce n’est pas un salaud. Dans le personnage de l’éconduit, Antoine est très attachant. Il berce dans l’ironie dramatique.

Quel regard portez-vous sur le cinéma français en tant que réalisatrice ?

J’ai eu la chance de réaliser tous mes projets. Beaucoup de mes amies ont connu des interruptions de carrière après avoir eu un enfant. Je reste attentive au cinéma de mes consoeurs.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 15/08/2015

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