Perquisition administrative chez des maraîchers bio : « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? »

3352617198Etat d’urgence

Le 24 novembre, le préfet de Dordogne a ordonné la perquisition d’une ferme du Périgord vert. A la recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste », les gendarmes ont fait chou blanc. Sur les 1233 perquisitions administratives menées en France, les abus commencent à s’accumuler.

La ferme d’Elodie et Julien, à mi-chemin entre Périgueux et Angoulême, figure dans une plaquette de l’office de tourisme au chapitre « vente directe de fruits et légumes ». Il faut croire qu’on la trouve aussi dans les petits papiers du préfet de Dordogne. Mardi matin à 7h20, depuis sa chambre avec vue sur l’arrière de la maison, un ami hébergé par le couple entend des claquements de portières et aperçoit la lumière de lampes torches. C’est une perquisition administrative. « Quand on est descendus, les gendarmes étaient déjà dans la cuisine », raconte Elodie, 36 ans. Elle ne sait pas si l’ami «  a ouvert ou s’ils sont entrés tout seuls », de toute façon « la porte était ouverte ». Devant elle et son compagnon Julien, 34 ans, s’alignent « une dizaine » de gendarmes de Nontron, Ribérac et Verteillac.

Comme les maraîchers bio demandent des explications, les forces de l’ordre invoquent l’état d’urgence et leur montrent un ordre de perquisition signé par le préfet Christophe Bay (voir ci-dessous). Selon ce papier, faisant référence aux attentats du 13 novembre et à « la gravité de la menace terroriste sur le territoire national », « il existe des raisons sérieuses de penser » que chez eux « peuvent se trouver des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ». « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? », plaisante Elodie après coup. Installés depuis trois ans et demi en Dordogne, Julien et sa compagne ont une fille de deux ans, vendent des légumes de saison à la Biocoop et le samedi au marché.

« Le G8, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ? »

Pendant deux heures quarante, les gendarmes fouillent chaque pièce en regardant « dans les placards, les coffres, la bibliothèque, les recoins, les boîtes », détaille Elodie. Ils semblent « très intéressés par les petits carnets, les coupures de presse. Les livres moins. » Et demandent quelle surface fait la ferme, s’il y a des appentis. L’un d’eux prend les choses particulièrement au sérieux. « Il nous dit : “le G8, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?” et mentionne aussi la Cop21. Visiblement, la perquisition a un rapport avec nos activités militantes. »

Cette impression se confirme lorsque les gendarmes évoquent enfin «  un truc tangible », une action à laquelle Elodie et Julien ont participé il y a trois ans contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le blocage du péage autoroutier de Mussidan. «  Je ne pense pas avoir fait une seule manif depuis », résume la maraîchère. «  La petite a deux ans. Je ne veux pas jouer la Sainte Nitouche, mais manifestation ou pas, qu’est-ce qui justifie ça ? » Le gendarme zélé explique aux habitants de la ferme « qu’avec l’état d’urgence, tout rassemblement est interdit, et qu’organiser une manifestation est illégal ». Elodie demande : « Si vous trouvez un papier disant que j’organise une manifestation, vous m’arrêtez ? » La réponse est oui. Mais ils ne trouvent rien de tel.

Les ordinateurs de la maison sont raccordés « à un appareil qui ressemblait à un disque dur externe, apparemment pour en copier le contenu », sans même avoir besoin de demander les mots de passe. « Il y a un ordi sous Ubuntu [un logiciel libre, ndlr] , et là ça n’a pas marché. » «  Ils ont aussi branché les téléphones portables à une machine, en expliquant que le logiciel se déclenchait en fonction de mots-clés. » Un gendarme s’autorise une petite impertinence : « Je suis pas sûr que ça marche avec le péage de Mussidan. »

« Ils nous parlent d’extrême gauche et sous-entendent qu’on est islamistes ? »

Lorsqu’ils tombent sur des autocollants de la CNT, les gendarmes demandent de quoi il s’agit. « C’est mon syndicat », répond Elodie, affiliée à la fédération des travailleurs de la terre et de l’environnement. Pas de questions supplémentaires sur ce point. L’ami hébergé est fouillé sans insistance. Le matériel agricole ne semble pas non plus susciter leur curiosité. La conversation prend un tour plus inquiétant quand les gendarmes voient écrit « Bruxelles » dans un carnet et sur la carte d’identité de Julien, qui a travaillé en Belgique où il a encore des amis. Ils veulent savoir si le couple y va souvent. Ce signe de fébrilité agace Elodie : « On parle de quoi là ? Ils nous parlent d’extrême gauche et d’un coup sous-entendent qu’on est islamistes ? On ne sait pas ce qu’ils cherchent. » Pour seule réponse, les habitants récoltent un « voyez ça avec le préfet, nous on exécute les ordres ».

A 10 heures, après avoir fait signer un compte-rendu de perquisition reconnaissant qu’ils n’ont rien trouvé, les gendarmes repartent comme ils sont venus. Les maraîchers pensent quand même « qu’il faut que ça se sache ». Comme beaucoup de militants, ils craignent les conséquences de l’état d’urgence. « C’est vrai que notre préfet a la réputation d’être un peu rigide. Mais là on s’aperçoit que dès que la loi le permet, des individus se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sur leur territoire. Visiblement la brèche est ouverte. »

1233 perquisitions, 165 interpellations, 142 gardes à vue, 230 armes saisies

La préfecture, que nous avons contactée, refuse de commenter ce cas particulier. « Nous préparons un communiqué de presse pour la fin de la semaine sur le nombre de perquisitions administratives, mais rien d’autre », nous répond-on. Lundi, un premier bilan départemental avait été rendu public : 26 perquisitions administratives en Dordogne depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Une arme de collection, détenue illégalement, a été remise aux gendarmes et détruite. Impressionnant bilan pour la Dordogne.

Sur l’ensemble du territoire, on dénombrait mardi 1233 perquisitions administratives, conduisant à 165 interpellations, dont 142 gardes à vue, et la saisie de 230 armes. Un certain nombre d’abus et de bizarreries sont déjà signalés : citons par exemple une fillette de 6 ans blessée à Nice, un TGV évacué pour un film d’action, un trompettiste retenu sans motif Gare du Nord, un restaurant investi par la police en plein service… Au point que les recensions de ces dérapages ont été systématisées par La Quadrature du Net et remplissent les pages des journaux.

Le ministre de l’Intérieur croit-il désormais ce qu’il lit dans la presse ? Ce mercredi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les préfets « pour que ces perquisitions se fassent, même si on est dans un état d’urgence, dans le respect du droit ». C’est sûr que si personne ne prévient les préfets que les droits doivent être respectés…

Camille Polloni

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COP21 : « Annuler les manifs, c’est se déclarer vaincus face à la menace »

THOMAS SAMSON/AFP

THOMAS SAMSON/AFP

Les ONG n’ont même pas le temps d’avoir la gueule de bois. Au lendemain de l’annonce par la présidence de la COP21 de l’interdiction de toutes les marches pour le climat qui auraient dû avoir lieu, à Paris et dans d’autres villes de France, à la veille de l’ouverture des négociations, c’est un mélange de déception et de branle-bas de combat. Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot, lâche :

«  On n’a pas le droit de baisser les bras, mais là, ce sont plusieurs mois de boulot avec toutes les associations qui tombent à l’eau. On en était à un niveau d’organisation collective colossal. »

Mardi matin, moins de quatre jours après les attentats de Paris, les organisations de la société civile étaient réunies chez Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sous l’égide de qui se tiendra la réunion internationale sur le climat dans dix jours. Si les marches semblent alors déjà très compromises, y est évoqué un «  rassemblement statique  ». En aparté, les conseillers évoquent l’idée d’un stade où auraient pu se réunir les dizaines de milliers de personnes attendues initialement pour la marche du 29 novembre.

Choix cornéliens

Car pour les autorités françaises, assurer la sécurité de la COP21 elle-même et de tous les événements parallèles, deux semaines après les plus graves attentats qui aient jamais eu lieu sur le sol français, exige de faire des choix cornéliens. Techniquement, il y a d’un côté le site du Bourget où auront lieu les négociations, et les 22 000 personnes accréditées pour y entrer.

De l’autre, 20 000 acteurs de la société civile attendus dans la capitale en divers lieux, et initialement réunis dans une marche inaugurale. Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pe?nales et spécialiste de la sécurité intérieure, analyse :

«  On a un double casse-tête  : d’un côté, un lieu confiné qu’il va falloir rendre hermétique par des détecteurs de métaux, par le contrôle des allées et venues, et de l’autre la gestion de flux et de foules, ce qui est bien plus difficile.

En France, on a l’habitude de gérer des événements sur la voie publique, même de grande ampleur, comme les Journées mondiales de la jeunesse en 1997 ou la Coupe du monde de foot en 1998, mais deux semaines après ces attentats, avec une menace terroriste qui reste forte, c’est autre chose.  »

 

Alors que l’Assemblée nationale vient de donner son feu vert à la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois, que le Premier ministre, Manuel Valls, évoque devant les députés un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, que des centaines de perquisitions ont lieu, la tension reste très forte dans l’Hexagone. Et la crainte d’un nouvel attentat ne risque pas de faiblir avec l’arrivée de près de 120 chefs d’Etats étrangers, présents au Bourget le lundi 30 novembre, et de dizaines de milliers de représentants de la société civile.

 

Mathieu Zagrodzki souligne :

«  Prendre la COP21 pour cible, ce serait très fort symboliquement et aurait une résonance mondiale  : l’impact médiatique et psychologique serait gigantesque. Mais annuler toutes les manifestations pour réduire ce risque, c’est également réduire la portée symbolique de ce sommet et se déclarer vaincus face à la menace, car manifester fait partie de notre vivre-ensemble  : pour les organisateurs, il y a un dilemme et un calcul à faire entre la sécurité et la portée symbolique de leurs choix.  »

 

«  Le moral est un peu cassé  »

 

Mercredi soir, le gouvernement a donc tranché. La société civile est toujours bienvenue au Bourget dans un espace de 27 000 m² où sont attendues plus d’une centaine d’organisations. Hors du Bourget, c’est une autre affaire. Les manifestations sont maintenues si elles ont lieu «  dans les espaces fermés et aisément sécurisables  », souligne le communiqué du secrétariat de la COP21.

Exit les marches du 29 novembre et du 12 décembre, en clôture des négociations. Exit même la possibilité d’un grand rassemblement dans un stade, un hippodrome ou une place parisienne, comme des rumeurs qui circulaient des cabinets ministériels aux ONG avaient pu laisser croire.

Les ONG représentées sein de la Coalition climat 21 enchaînent réunion sur réunion, explique Marie Yared, de Avaaz :

 

«  Cela fait plusieurs jours que nous sommes dans l’attente de la décision des autorités, nous avions réfléchi à un scénario où la marche serait maintenue, avec un service d’ordre blindé et une grande coordination avec la police. Pour la centaine de bénévoles de notre organisation qui ont tout mis en œuvre pour la réussite de notre mobilisation, c’est vrai que le moral est un peu cassé. Nos sentiments sont partagés entre les problèmes réels de sécurité et la volonté de nous exprimer au moment de la COP. »

 

En janvier, des dizaines de chefs d’Etat…

 

Dans les rangs des ONG, tout le monde ne tempère pas autant sa déception. Txetx Etcheverry, fondateur du mouvement Alternatiba, tonne :

«  Cette annulation sans aucune proposition alternative de la part des autorités est inacceptable. Au lendemain de Charlie Hebdo, des dizaines de chefs d’Etat ont participé à la manifestation nationale, le risque était-il moindre  ?

 

Le marché de Noël reprend sur les Champs-Elysées, les supermarchés sont ouverts, la foule se réunit dans les lieux de la société de consommation, et nous, nous ne pourrons même pas nous réunir ne serait-ce qu’à quelques centaines de personnes dans des endroits symboliques pour dénoncer les engagements trop faibles de certains pays, par exemple  ?  »

 

Dès mardi soir, le mouvement lançait un appel, désormais signé par plus de 14 000 personnes, pour maintenir la pression sur les pouvoirs publics. A Alternatiba, on espère toujours un revirement. Txetx Etcheverry gronde :

«  L’histoire nous jugera très durement si, à un moment aussi historique, nous avons baissé les bras. Cela signifierait que nous acceptons aussi de clore ce chapitre citoyen pour la décennie à venir, car cette situation va durer. »

 

Moins tempétueuses, d’autres organisations semblent avoir déjà pris leur parti des décisions des autorités et tentent de rebondir dans le court laps de temps qu’il reste. Mathieu Orphelin concède :

 

«  Même si nous avions eu la possibilité de nous rassembler dans un stade, nous n’avions pas le temps, en dix jours, de créer une dynamique de l’ampleur de ce que nous avions mis en place pour la marche. Aujourd’hui, il faut que nous trouvions les moyens de connecter la grosse cinquantaine de marches qui vont avoir lieu dans le monde avec ceux qui auraient aimé marcher mais qui ne pourront pas le faire.  »

 

A Avaaz également, on cogite tous azimuts pour imaginer des formes de mobilisations «  visuelles, mais pas dangereuses  ». Les idées ne manquent pas. Mais c’est surtout l’élan commun qui risque d’être mis à mal. «  Il y aura des synergies entre les différentes organisations, mais sans doute pas de la même force que ce que nous avions préparé  », déplore Marie Yared. Restent dix jours pour remobiliser les troupes, une gageure pour tous ceux qui veulent faire entendre la voix de la société civile mondiale.

 

Cecile Casenave

 

Source terraeco.net : 17/11/2015

 

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“Les Français doivent se battre contre le projet d’une énième loi antiterroriste”, Giorgio Agamben

 Des militaires du camp de Satory à Versailles, au garde-à-vous, en attendant le discours du ministre de la Défense dans le cadre du plan Vigipirate alerte attentat. © Julien Muguet / IP3
Un “Patriot Act à la française” est-il souhaitable ? Pas pour le philosophe italien Giorgio Agamben, qui considère que, dans un Etat sécuritaire, la vie politique est impossible. Et la démocratie en danger.

Alors que Bernard Cazeneuve doit présenter de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme demain en Conseil des ministres, le philosophe Giorgio Agamben, pendant italien de Michel Foucault, a accepté d’évoquer avec nous les séquelles politiques de l’attaque contre Charlie Hebdo. Vilipendeur de l’état d’exception (qu’il a disséqué dans sa trilogie Homo Sacer), il a consacré une bonne partie de sa vie à pointer les dérives du biopouvoir, ce pouvoir qui s’exerce sur les corps et gouverne les hommes.

Tandis que certaines voix parlementaires réclament déjà un « Patriot Act à la française » (du nom de ce texte américain voté sept semaines après le 11 septembre 2001), il dresse le portrait sévère d’une société où le droit à la sécurité, à la sûreté préempte tous les autres, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la liberté d’expression. La conséquence des politiques ultra-sécuritaires ? Un système qui abandonne toute volonté de gouverner les causes pour n’agir que sur les conséquences.

Après le choc de Charlie, la classe politique nous parle beaucoup du « droit à la sécurité ». Faut-il s’en méfier ?

Au lieu de parler de la liberté de la presse, on devrait plutôt s’inquiéter des répercussions que les réactions aux actes terroristes ont sur la vie quotidienne et sur les libertés politiques des citoyens, sur lesquelles pèsent des dispositifs de contrôle toujours plus pervasifs. Peu de gens savent que la législation en vigueur en matière de sécurité dans les démocraties occidentales – par exemple en France et en Italie – est sensiblement plus restrictive que celle en vigueur dans l’Italie fasciste. Comme on a pu le voir en France avec l’affaire Tarnac, le risque est que tout dissentiment politique radical soit classé comme terrorisme.

Une conséquence négative des lois spéciales sur le terrorisme est aussi l’incertitude qu’elles introduisent en matière de droit. Puisque l’enquête sur les crimes terroristes a été soustraite, en France comme aux Etats-Unis, à la magistrature ordinaire, il est extrêmement difficile de pouvoir jamais parvenir à la vérité en ce domaine. Ce qui prend la place de la certitude juridique est un amalgame haineux de notice médiatique et de communiqués de police, qui habitue les citoyens à ne plus se soucier de la vérité.

On va vous accuser de faire le lit du conspirationnisme…

Non. Dans notre système de droit, la responsabilité d’un crime doit être certifiée par une enquête judiciaire. Si celle-ci devient impossible, on ne pourra jamais assurer comme certaine la responsabilité d’un délit. On fait comme si tout était clair et le principe juridique selon lequel personne n’est coupable avant le jugement est effacé. Les théories conspirationnistes qui accompagnent invariablement ce type d’événement se nourrissent de la dérive sécuritaire de nos sociétés occidentales, qui jette un voile de suspicion sur le travail politico-judiciaire.

A cet égard, la responsabilité des médias est flagrante. L’indifférence et la confusion qu’ils produisent nous font ainsi oublier que notre solidarité avec Charlie Hebdo ne devrait pas nous empêcher de voir que le fait de répresenter de façon caricaturale l’Arabe comme un type physique parfaitement reconnaissable rappelle ce que faisait la presse antisémite sous le nazisme, où on avait forgé dans le même sens un type physique du juif. Si aujourd’hui on appliquait ce traitement aux juifs, ça ferait scandale.

Avant les attentats, les spécialistes du renseignement répétaient tous : « La question n’est pas de savoir si la France sera touchée par un attentat, mais quand elle le sera.  » Présenter l’acte terroriste comme inéluctable est-il un premier moyen de conditionnement du citoyen ?

Le terrorisme est aujourd’hui un élément stable de la politique gouvernamentale des Etats, dont on ne saurait se passer. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il soit présenté comme inéluctable. Peut-on imaginer la politique étrangère des Etats-Unis sans le 11-Septembre ? Cela est tellement vrai qu’en Italie, qui a été dans les années dites « de plomb », le laboratoire pour les stratégies d’utilisation du terrorisme, on a eu des attentats, comme celui de Piazza Fontana à Milan, dont on ne sait toujours pas s’ils ont été commis par les services secrets ou par les terroristes. Et je crois que le terrorisme est par definition un système où services et fanatisme travaillent ensemble, parfois sans le savoir.

Je partage entièrement la conviction de Marie-José Mondzain [une philosophe française spécialiste des l’image, ndlr] : il n’est pas vrai que nous sommes tous égaux face aux événements terroristes. Une majorité les vit uniquement sur le plan affectif, mais il y a aussi ceux qui veulent en tirer parti politiquement (on les voit déjà à l’œuvre). Il y a, enfin, une minorité qui essaie de comprendre et de réflechir aux causes véritables. Il faut travailler à ce que cette minorité devienne une majorité.

On a l’impression que les lois antiterroristes sont largement consensuelles à gauche comme à droite, mais que les citoyens ont déserté le débat public autour d’elles.

Pour comprendre l’unité systémique qui s’est établie entre Etat et terrorisme, il ne faut pas oublier que les démocraties occidentales se trouvent aujourd’hui au seuil d’un changement historique par rapport à leur statut politique. Nous savons que la démocratie est née en Grèce au Ve siècle par un processus de politisation de la citoyenneté. Tandis que jusque-là l’appartenance à la cité était définie avant tout par des conditions et des statuts de différentes espèces (communauté cultuelle, noblesse, richesse, etc.), la citoyenneté, conçue comme participation active à la vie publique, devient désormais le critère de l’identité sociale.

Nous assistons aujourd’hui à un processus inverse de dépolitisation de la citoyenneté, qui se reduit de plus en plus à une condition purement passive, dans un contexte où les sondages et les élections majoritaires (devenus d’ailleurs indiscernables) vont de pair avec le fait que les décisions essentielles sont prises par un nombre de plus en plus réduit de personnes. Dans ce processus de dépolitisation, les dispositifs de sécurité et l’extension au citoyen des techniques de contrôle autrefois reservées aux criminels récidivistes ont joué un rôle important.

Quelle place a le citoyen dans ce processsus ?

Le citoyen en tant que tel devient en même temps un terroriste en puissance et un individu en demande permanente de sécurité contre le terrorisme, habitué à être fouillé et vidéo-surveillé partout dans sa ville. Or il est évident qu’un espace vidéo-surveillé n’est plus une agora, n’est plus un espace public, c’est-à-dire politique. Malheureusement, dans le paradigme sécuritaire, les stratégies politiques coïncident avec des intérêts proprement économiques. On ne dit pas que les industries européennes de la sécurité, qui connaissent aujourd’hui un développement frénétique, sont les grands producteurs d’armements qui se sont convertis au business sécuritaire, qu’il s’agisse de Thales, Finmeccanica, EADS ou BAE Systems.

La France a voté quinze lois antiterroristes depuis 1986, certains appellent déjà de leurs vœux un « Patriot Act à la française », et pourtant, nous n’avons pu empêcher ni Merah, ni les frères Kouachi, ni Coulibaly. Comment expliquer la faillibilité de ces dispositifs ?

Les dispositifs de sécurité ont d’abord été inventés pour identifier les criminels récidivistes : comme on a pu le voir ces jours-ci et comme il devrait être évident, ils servent pour empêcher le deuxième coup, mais pas le premier. Or le terrorisme est par définition une série de premiers coups, qui peuvent frapper n’importe quoi et n’importe où. Cela, les pouvoirs politiques le savent parfaitement. S’ils persistent à intensifier les mesures de sécurité et les lois restrictives des libertés, c’est donc qu’il visent autre chose.

Ce qu’il visent, peut-être sans en avoir conscience, car il s’agit là de transformations profondes qui touchent l’existence politique des hommes, est le passage des démocraties de masse modernes à ce que les politologues américains appellent le Security State, c’est-à-dire à une societé où la vie politique devient de fait impossible et où il ne s’agit que de gérer l’économie de la vie reproductive. Le paradoxe est ici qu’on voit un libéralisme économique sans bornes cohabiter parfaitement avec un étatisme sécuritaire tout aussi illimité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet Etat, dont le nom renvoie étymologiquement à une absence de souci, ne peut au contraire que nous rendre plus soucieux des dangers qu’il entraîne pour la démocratie. Une vie politique y est devenue impossible, et une démocratie sans vie politique n’a pas de sens. C’est pour cela qu’il est important que les Français se battent contre le projet annoncé par le gouvernement d’une enième loi contre le terrorisme.

Je pense aussi qu’il faut situer le prétendu affrontement entre le terrorisme et l’Etat dans le cadre de la globalisation économique et technologique qui a bouleversé la vie des sociétés contemporaines. Il s’agit de ce que Hannah Arendt appelait déjà en 1964 la « guerre civile mondiale », qui a remplacé les guerres traditionnelles entre Etats. Or ce qui caractérise cette situation, c’est justement qu’on ne peut pas distinguer clairement les adversaires et que l’étranger est toujours à l’intérieur. Dans un espace globalisé, toute guerre est une guerre civile et, dans une guerre civile, chacun se bat pour ainsi dire contre lui-même. Si les pouvoirs publics étaient plus responsables, ils se mesureraient à ce phénomène nouveau et essayeraient d’apaiser cette guerre civile mondiale au lieu de l’alimenter par une politique étrangère démentielle qui agit au même titre qu’une politique intérieure.

Comment résister à cette tentation sécuritaire ? Existe-t-il des garde-fous ?

Il est clair que, face à une telle situation, il nous faut repenser de fond en comble les stratégies traditionnelles du conflit politique. Il est implicite dans le paradigme sécuritaire que chaque conflit et chaque tentative plus ou moins violente pour le renverser n’est pour lui que l’occasion d’en gouverner les effets au profit des intérêts qui lui sont propres. C’est ce qui montre la dialectique qui lie étroitement terrorisme et réponse étatique dans une spirale vicieuse et virtuellement infinie. La tradition politique de la modernité a pensé les changements politiques radicaux sous la forme d’une révolution plus ou moins violente qui agit comme le pouvoir constituant d’un nouvel ordre constitué. Je crois qu’il faut abandonner ce paradigme et penser quelque chose comme une puissance purement destituante, qui ne saurait être capturée dans le dispositif sécuritaire et dans la spirale vicieuse de la violence.

Jusqu’à la modernité, la tradition politique de l’Occident etait fondée sur la dialectique entre deux pouvoir hétérogènes, qui se limitaient l’un l’autre : la dualité entre l’auctoritas du Sénat et la potestas du consul à Rome ; celle du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel au Moyen-Age ; et celle du droit naturel et du droit positif jusqu’au XVIIIe siècle. Les démocraties modernes et les Etats totalitaires du XXe siècle se fondent, par contre, sur un principe unique du pouvoir politique, qui devient ainsi illimité. Ce qui fait la monstruosité des crimes commis par les Etats modernes, c’est qu’il sont parfaitement légaux. Pour penser une puissance destituante, il faudrait imaginer un élément, qui, tout en restant hétérogène au système politique, aurait la capacité d’en destituer et suspendre les décisions.

Olivier Tesquet

Source Télérama 20/01/2015 Mis à jour le 17/11/2015

Voir aussi : Actualité nationale La France en première ligne dans la guerre terroriste Rubrique SociétéCitoyenneté,  Attentats de Paris : Le temps de la récolte est venu, rubrique Politique, Société civile. : rubrique Philosophie, Où sont les politiques ?,

« Nous préparons la plus grande action de désobéissance pour le climat »

arton8311-8fdd3La Coalition Climat 21, « l’un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place », a prépare des mobilisations pendant la COP21. L’artiste et activiste John Jordan dévoile les grandes lignes des actions visant à « avoir le dernier mot ».

Figure des milieux alternatifs depuis une vingtaine d’années, John Jordan fait la jonction entre le monde de la création et celui de l’activisme. Après un parcours dans l’art et le théâtre, il a impulsé le mouvement altermondialiste Reclaim the streets en Angleterre, avant de cofonder puis de déserter l’armée des clowns, dont les brigades de joyeux activistes ont essaimé dans le monde. Depuis quelques années, il est installé en Bretagne, et pilote avec Isabelle Frémeaux le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle (Labofii), une sorte d’incubateur d’idées mêlant activisme politique et création artistique. Rencontre avec un personnage hors cadre et hors norme, au cœur du bocage de Notre-Dame-des-Landes.

John Jordan, Notre-Dame-des-Landes, 13 octobre 2015.

Reporterre – Pourquoi mêler art et activisme ?

John Jordan – Je pense qu’on doit toujours renouveler les formes que prennent les luttes. L’État et la police s’adaptent souvent ; il faut sans cesse nous réinventer. L’armée des clowns est née de cette réflexion. Le personnage du clown est désobéissant, il questionne toujours le pouvoir. Et il est un être hypersensible. Pour moi, le militantisme commence avec la sensibilité, aux injustices par exemple. Par ailleurs, le temps militant et le temps artistique sont très différents. Dans le militantisme, tout va vite car il y a urgence à agir. Il en va autrement pour le temps artistique : tu peux passer des années sur une recherche. Depuis 20 ans je tente de mêler art et activisme, d’appliquer le côté créatif et artistique à l’action directe et à la désobéissance civile. Aujourd’hui, avec le Labofii, on essaye de créer des formes d’actions belles, inattendues, nouvelles. Et efficaces.

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Quelle différence fais-tu entre action directe et désobéissance ?

L’action directe, c’est le fait d’agir directement sur un problème : si tu vois des gens à la rue, tu n’écris pas une lettre à ton élu, tu agis toi-même et tu ouvres un squat. La désobéissance civile est souvent plus symbolique. Par exemple, lors de la lutte pour les droits civiques aux États Unis, le boycott des bus était de l’action directe alors que les marches de Selma étaient, selon moi, de la désobéissance. Dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre à Paris, on utilise le terme de désobéissance civile, car les actions vont entrer plutôt dans ce cadre .

Sur la COP justement, quels sont les objectifs de la Coalition Climat 21 ?

La Coalition Climat 21 est un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place, avec environ 150 organisations, ONG, syndicats ainsi que des groupes plus radicaux, comme Climate Justice Action (CJA). Trois moments sont prévus : une grande marche le 29 novembre, un week-end de présentation des alternatives les 5 et 6 décembre, et une journée d’actions le 12 décembre. Dès à présent, il est clair que les gouvernements sont en train de négocier un accord au rabais : il n’aura pas pour objectif de plafonner le réchauffement planétaire à 2°C, comme c’est nécessaire, mais probablement plus. L’objectif de la Coalition est d’avoir le dernier mot, car c’est le peuple qui a les solutions, et sûrement pas les gouvernements, achetés par les multinationales du pétrole, de la croissance, etc. Rappelons que la COP est financée par 35 sponsors dont Engie, Nissan, EDF, Suez…

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Qui compose Climate Justice Action ?

CJA est un réseau de mouvements écologiques radicaux. Il y a des gens issus des Camps climat, de Blockupy, des personnes et des mouvements qui luttent contre des grands projets inutiles et imposés… C’est vraiment la base anticapitaliste du mouvement.

Concrètement, qu’est ce qui se prépare ?

Tout simplement la plus grande action de désobéissance menée pour le climat !
Au-delà de la marche appelée par la Coalition le 29 novembre, des groupes comme CJA, Attac, 350.org, ou la Confédération paysanne ont pris en main des actions prévues à la fin de la COP. Le pire serait que le 12 décembre, François Hollande parade dans les médias en disant qu’il est l’homme qui a sauvé la planète, alors qu’en 20 ans, les émissions de CO2 ont augmenté de 63 %. Le 12 décembre va matérialiser notre refus par une action autour des Red lines (télécharger à droite le document de présentation, en anglais), ainsi qu’avec un autre outil, les Climates Games.

Qu’est-ce que les Red Lines ?

Les Red Lines, c’est l’idée des « lignes rouges » qu’on ne peut pas franchir, qui définissent les limites nécessaires et minimales pour une planète juste et vivable. Chacun au sein du mouvement vient avec ses propres lignes, comme par exemple, « pas de marché carbone », ou encore « ne peut pas dépasser 1,5 °C de réchauffement »… Concrètement, le projet est de faire exister ces lignes avec des structures gonflables. On va encercler la COP avec des milliers de corps désobéissants, bloquer les routes et le transport pendant la dernière plénière. Nous voulons détourner l’attention médiatique des négociations vers les mouvements. Car la COP va être la grande fausse solution.

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Et les Climates Games ?

Il s’agit d’un outil ludique développé il y a deux ans à Amsterdam par un groupe qui s’appelle Groen Front. Cet outil mélange l’Internet et la rue, et l’un de ses buts est d’amener de nouvelles personnes à la désobéissance et l’action directe. En amont, nous avons regroupé des artistes, des activistes, des hackers, des codeurs et des designers pour améliorer l’outil lors de trois sessions. Il y aura des équipes constituées en groupes affinitaires, et une carte sur le Web mise à jour par les joueurs. Et il y a des cibles. Chaque équipe définit sa cible et son action, puis en fait mention sur la carte. En face, il y a l’équipe bleue (la police), et les joueurs sont invités à indiquer les positions des bleus sur la carte. On a aussi imaginé des prix pour l’action la plus drôle, celle la plus inattendue, ou la plus efficace. C’est le côté pédagogique pour montrer comment élaborer une action efficace.

Des limites ont-elles été posées pour ces actions ?

Le mode d’action choisi, c’est la désobéissance créative, et il doit respecter la vie. Pour la journée du 12 décembre, il y a un consensus d’action, écrit et validé collectivement par 150 organisations, qui propose un cadre de désobéissance déterminée mais non-violente. Pour les Climate Games, il y a une équipe modératrice, et on sera un peu obligés de poser des règles. Tout dépend de la façon dont sont imaginées les actions : si elles sont ludiques et créatives, elles seront mises en lignes. Il ne s’agit pas d’une question morale, mais pour nous protéger, afin d’être encore en capacité de continuer dans les années à venir.

« Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent sur les profits »

Quelle perspective ce mouvement a-t-il après la COP ?

La COP n’est qu’une étape. En 2016, nous avons prévu de mener une série d’actions de masse contre les infrastructures des énergies fossiles et les grands projets inutiles. Il y aura des grandes journées de blocages massifs prévues au printemps.

Pour être efficace, l’action directe doit toucher à l’argent : cela coûte beaucoup d’argent de militariser une zone pour protéger des projets imposés. C’est ainsi qu’en Angleterre, on a réussi à faire capoter 700 projets d’autoroutes. Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent directement sur les profits. Et créer une culture de résistance qui soutienne ces actions de désobéissance, pour montrer que c’est possible.

Quelles sont les revendication politiques portées par les Climate Games ?

Les Climate Games sont juste un outil. Mais on peut penser que ce sont la désobéissance et l’action qui changent le monde et non pas les partis politiques ou les gouvernements. Si on revendique quelque chose, c’est : « Nous sommes la Nature qui se défend. » L’important, c’est d’avoir ces deux pôles complémentaires et indispensables que sont la création d’alternatives et la résistance. En ça, l’idée de ZAD, qui incarne la réunion de ces deux aspects, est un exemple parfait.

Pour toi, comment être plus efficaces dans les luttes ?

En créant des liens, des bordures entre les espaces de lutte. Les endroits les plus forts sont les lisières. Les haies, le littoral, les frontières entre forêts et prairies, là où il y a la plus grande biodiversité. Il y a, dans ces espaces, une force révolutionnaire et créative : c’est dense, solide et résilient. La beauté d’un lieu et d’une lutte comme Notre-Dame-des-Landes, c’est d’être une lisière entre agriculteurs, squatteurs, militants… À nous d’adapter nos stratégies aux situations, sans tomber dans les automatisme, afin de créer et maintenir le rapport de force.

- Propos recueillis par Isabelle Rimbert

 

Source Reporterre 22/10/2015 / Entretien avec John Jordan

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L’insoutenable pression mondiale sur la société civile

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Selon un nouveau rapport, six personnes sur sept vivent dans des pays où les libertés civiques sont menacées, alors que les organisations qui les défendent connaissent des difficultés financières et font l’objet de pressions politiques et d’autres formes de harcèlement.

Dans son rapport sur l’état de la société civile (2015 State of Civil Society Report), CIVICUS, une alliance mondiale d’organisations de la société civile, estime que partout dans le monde, les organisations de la société civile ont également été touchées par les attaques portées à la liberté d’expression, poussant son directeur exécutif, Dhananjayan Sriskandarajah, à qualifier la situation « d’insoutenable ».

Mandeep Tiwana, responsable des politiques et du plaidoyer chez CIVICUS, a expliqué aux journalistes d’Equal Times que, ces dernières années, des organisations de la société civile – qui comprennent des organisations non gouvernementales, des syndicats et des groupes confessionnels – se sont battus en première ligne lors de nombreuses urgences humanitaires, y compris à l’occasion de la crise d’Ebola et des bombardements à Gaza.

« Alors que les organisations de la société civile n’ont eu de cesse de prouver leur valeur lors de crises mondiales, notamment lors d’actions humanitaires à la suite de catastrophes, dans la résolution de conflits, dans les phases de reconstruction après un conflit et pour combler l’important déficit démocratique dans le monde, le secteur de la société civile tout entier connaît de graves problèmes de moyens », explique-t-il.

« Il s’agit d’une insuffisance de fonds, surtout pour les petites organisations de la société civile qui en ont besoin pour garantir leur pérennité à long terme, mais aussi d’environnements réglementaires restrictifs qui empêchent la mobilisation de ressources au niveau national comme international. »

Le rapport s’inquiète également du faible niveau de financement public consacré à la société civile : sur les 166 milliards de dollars US destinés à l’aide publique au développement par les principaux pays bailleurs de fonds en 2013, seulement 13 % – soit 21 milliards de dollars US – ont été attribués à la société civile.

Plus de fonds pour les dissidents

Pour certains défenseurs des droits humains, l’une des raisons de la situation est que les gouvernements veulent affaiblir les organisations de la société civile exprimant une opinion différente et faisant campagne pour un changement de politiques, et réduire leur financement.

Dans un essai intitulé The Clamp-down on Resourcing (Coup de frein aux ressources), Maina Kiai, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, écrit : « Couper les ressources financières est une façon facile pour un gouvernement de réduire au silence une organisation de la société civile qui se montre un peu trop critique. »

Maina Kiai donne l’exemple de l’Éthiopie où les autorités ont adopté une loi en 2009 qui interdit aux organisations de la société civile qui travaillent dans les domaines de l’égalité et des droits des enfants de recevoir plus de 10 % de leur financement de sources étrangères.

Des actes similaires ont également eu lieu au Pakistan, en Turquie et en Russie, où, plus tôt dans l’année, Amnesty International a critiqué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait introduit une loi qualifiant d’indésirables les organisations étrangères représentant une menace pour la « sécurité de l’État » ou « l’ordre constitutionnel ».

Pour Marta Pardavi, une prééminente défenseuse des droits humains hongroise, les conclusions de CIVICUS sont cohérentes avec ce que vivent les organisations en Hongrie.

« Le secteur des ONG indépendantes, qui comptent sur des financements étrangers et qui adoptent souvent des positions critiques envers les politiques gouvernementales, subit des contrôles sans précédent de la part des autorités, comme des enquêtes fiscales, et est victime d’insinuations politiques dévalorisantes », explique-t-elle.

« Réagir à toutes ses attaques, aux critiques non fondées et aux actions en justice constitue une charge de travail supplémentaire pour nombre d’ONG, les empêchant de mener à bien leurs projets et les entraînant dans une politisation d’activités essentiellement non partisanes. »

Dhananjayan Sriskandarajah estime que cette réaction violente à l’échelle mondiale contre la société civile est très inquiétante.

« Malgré le travail incroyable que mène la société civile, elle est toujours attaquée. Rien qu’en 2014, nous avons prouvé de graves atteintes à “l’espace civique” – libertés d’expression, syndicale et de réunion – dans pas moins de 96 pays du monde entier », poursuit-il.

« Pour noircir encore le tableau, les organisations ayant le plus besoin de fonds, principalement basées dans l’hémisphère sud, ne reçoivent qu’une partie des milliards de dollars attribués au secteur. C’est une situation insoutenable. Nombre de bailleurs de fonds savent que la société civile accomplit un travail essentiel, mais il faut faire preuve d’encore plus de courage pour garantir la survie de celles et ceux qui se battent en première ligne. »

by Mischa Wilmers

Source : Equal Times 31/08/2015

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