Régionales : la gauche de la gauche peut-elle éviter la « soupe de logos » ?

La gauche aimerait entonner un nouveau refrain lors des régionales en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Elle cite Podemos, Barcelone ou la mairie de Grenoble pour illustrer ce qu’elle tente de faire : rassembler diverses sensibilités et leur donner une patine « citoyenne ».

En préambule, Gérard Onesta, l’accent chantant, le cousinage célèbre, l’écologie au veston, assure qu’il ne s’agit pas de faire une « soupe aux logos ». Le rassemblement qu’il espère construire (et conduire) ne sera pas – inch’Allah – une collection de partis de gauche. Le tout ne sera pas la somme des parties. Mais quelque chose de neuf.

Jean-Luc Mélenchon et Marie-Pierre Vieu, en mars 2011 à Castanet-Tolosan

Jean-Luc Mélenchon et Marie-Pierre Vieu, en mars 2011 à Castanet-Tolosan

La communiste Marie-Pierre Vieu, conseillère régionale, abandonne même son matérialisme historique pour se lancer dans des métaphores vitalistes :

« Il faut qu’on énumère des points particuliers, mais la musique générale doit avoir la couleur de tout le monde. On doit y entendre chaque partition. »

 

 

Plus de 400 contributions à examiner

Peut-on encore dire que l’idée est originale ? Il s’agit de se mettre d’accord sur un programme avant de constituer la liste. Le « fond » avant les « hommes ». Si rien ne capote, cette démarche pourrait rassembler les Verts, les communistes, le Parti de Gauche (PG), les régionalistes et divers autres formations (Nouvelle gauche socialiste, Ensemble !). Mais aussi – décidément, c’est une obsession – des « citoyens ». Associatifs, syndicalistes, militants non-encartés.

Et encore. Parler de « programme » est prématuré. Ce dernier sera le produit d’une lente distillation. Il a d’abord été mis en place une plateforme au nom volontairement terne : Le Projet en commun. Sur ce site, les « citoyens » ont été encouragés à publier, tout au long de l’été, leurs contributions.

Il y en a plus de 400 en cette fin août. Tous les sujets sont abordés. Des pistes cyclables à la protection de l’ours brun en passant par la reconversion des ingénieurs licenciés par Airbus. Les contributions coulent agréablement, comme de la bonne pâte à tracts. Ce n’est pas trop bordélique et le langage est serré.

Le petit peuple est à fond, juré

Pour cause, le site est modéré (mais sans censure, me précise-t-on) et les propositions émanent des plus impliqués dans la politique locale, même si – juré – le petit peuple est à fond. Le résultat d’assemblées citoyennes, organisées en amont, a d’ailleurs été versé au dossier.

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Cécile Duflot et Gérard Onesta, en février 2011 à Toulouse (ERIC CABANIS/AFP)

Au téléphone, Gérard Onesta nous détaille la suite :

« Ces contributions vont être mise en forme dans des “pages consensus”, puis mises en ligne pour être commentées et éventuellement amendées avant que ne se dégage, début septembre, un socle programmatique. »

 

C’est à ce moment-là que l’on rentrera dans le dur, dans la constitution de la liste. Mais se joue dès maintenant le plus intéressant : la décantation du programme.

De la taille de l’Autriche

Quatre grandes thématiques ont émergé lors d’une réunion à Narbonne, en juillet. Du très classique : écologie, développement, culture et citoyenneté. A quoi vient s’ajouter une charte éthique inspirée de « Gouverner en obéissant » adoptée par Ada Colau, la maire de Barcelone issue des Indignés. Des référents « non encartés » ont été nommés pour animer les discussions. Ils ont été rejoints par des militants.

C’est par e-mails et au téléphone que l’alchimie doit se faire, dans une zone comparable à l’Autriche. La superficie n’est pas l’obstacle premier : il faut mettre d’accord des sensibilités aussi différentes que les écolos et les communistes (pensez au nucléaire !) et le Parti de Gauche et les régionalistes (pensez aux langues régionales !).

Et tout cela sans dénaturer les propositions, comme l’explique Guilhèm Latrubesse, du Partit Occitan :

« C’est tout l’enjeu de ce travail de réécriture. De plusieurs centaines de pages, en faire quatre ou cinq. Certains sujets sont hyper-traités, d’autres non. Mais la relecture collective garantit que l’on ne dénature pas la matière de base. »

 

 

Une question de points de vue

Guilhèm Latrubesse, en septembre 2009 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Guilhèm Latrubesse, en septembre 2009 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Il reste tout de même des points à trancher, même si le premier texte sera vague. Par exemple, sur les investissements de la région. Faut-il exclure des entreprises qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires ?

Guilhem Serieys, du PG, fait partie du groupe « industrie » et détaille la recherche du compromis. Pour lui, les différences tiennent plus à des « façons d’entrer le débat » :

« Au Front de Gauche, on entre par une question de principe : celle de la défense du service public. Alors que les Verts ont plutôt l’habitude d’y entrer par du terre-à-terre.

Par exemple, la défense du ferroviaire en tant que service public fait partie de l’ADN du Front de Gauche. EELV se pose plus la question en termes de diminution de l’usage de la voiture. Mais le résultat est le même. »

 

Et le nucléaire ? Et l’occitan ?

« Les ADN sont compatibles », renchérit Marie-Pierre Vieu, qui veut croire que tout ce beau monde se retrouve sur des « bases fortes » – le féminisme ou la lutte contre les discriminations (je te vois lecteur de Michéa qui bondit en hurlant « sociétal, sociétal »).

Mais enfin, il y a bien des sujets de dissension ?

  • Le nucléaire  : Eh bien, les verts et les communistes ont réussi à dire quelque chose ensemble sur Mediapart en demandant la fermeture de Malvési, l’usine de fabrication de carburant nucléaire située dans l’agglomération de Narbonne. Dans ce texte, on sent le balancement constant entre le cœur de cible écolo (« politique d’économie d’énergie ») et le « maintien de l’emploi » mis en exergue par les communistes. Au prix de quelques phrases alambiquées…
  • Les langues régionales : sujet classique de dissension entre les régionalistes et le Parti de Gauche, attaché à un certain jacobinisme républicain. Dans le coin, la question se cristallise autour des Calandretas, ces écoles qui enseignent l’occitan. Mais tout le monde se retrouve sur l’envie de re-basculer cela vers le service public. Et le PG local est peut-être moins farouche sur ces questions que Jean-Luc Mélenchon.
  • La ligne à grande vitesse : les communistes étaient plutôt favorables, mais ils ne vont peut-être pas trop le dire.

Pour Guilhem Serieys, il ne s’agit pas de gommer les aspérités, mais de trouver des biais pour les dépasser. En espérant éviter des débats nationaux (comme sur la réforme territoriale, par exemple) :

« Pour les grands projets, nous proposons de passer par des votations citoyennes. Donc les désaccords seront tranchés par la souveraineté populaire. »

 

 

Le poids des mots

Mais l’essentiel semble tenir au choix des mots, qui permet de dissoudre des désaccords. Marie-Pierre Vieu :

« Chaque parti est codifié. Chaque parti a l’impression que s’il place ses quelques mots, ça y est, il a sauvé l’essentiel. Mon parti a ses mots : “formation”, “alternative”, “anticapitaliste”. Les Verts ont les leurs : “reconversion”, “innovation”. Il y a des réflexes. Nous, c’est la protection de l’emploi. Eux, c’est de passer à une autre ère. Il faut qu’on trouve un nouveau langage. […]

On a inventé un langage du Front de Gauche. Le PG a avancé la “planification écologique”. Nous, les communistes, la planification, ça nous rappelait l’Union soviétique. Nous n’étions pas pour au départ. Mais c’est un terme qui a été restauré dans un autre contexte. »

 

Guilhèm Latrubesse, du Partit Occitan (dont le maître mot est « fédéralisme »), parle aussi de « méta-langage » qu’il faut dépasser.

« Quelque chose dans les gènes »…

On croit entendre en écho Pablo Iglesias. Le leader du mouvement ibérique a raconté comment ses étudiants – politisés – s’arrachaient les cheveux dans des assemblées où le mot « ouvrier » n’était pas prononcé :

« Les gens les regardaient comme des extraterrestres, et mes étudiants rentraient chez eux dépités. Voilà ce que l’ennemi attend de nous. Que nous employions des mots que personne ne comprend, que nous restions minoritaires, à l’abri de nos symboles traditionnels. »

 

Le reste est affaire de substrat. Gérard Onesta évoque Podemos ou les Indignés de Barcelone. Mais le contexte est différent – pas de mouvement du 15 Mai, pas de transition démocratique désenchantée. Il reste que la région est fertile. Sivens. Le Larzac. Les révoltes viticoles. Les paysans rouges-verts. Les régionalistes. « Il y a quelque chose dans les gènes », s’amuse l’écologiste.

Carole Delga, en juin 2015 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

Carole Delga, en juin 2015 à Toulouse (PASCAL PAVANI/AFP)

La gauche de la gauche espère donc piquer la vedette à Carole Delga, qui mène la bataille pour les socialistes (et les radicaux de gauche). Ce n’est pas impossible : aux européennes, les listes EELV ont atteint un étiage de 11-12% en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon. Le Front de Gauche était un peu en dessous, autour de 9% dans les deux anciennes régions.

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Faut-il faire les marchés ?

L’autre préoccupation est bien sûr la forme d’un tel rassemblement. On retrouve l’éternel débat entre le parti et le mouvement. Pour l’instant Le Projet en commun ne court pas le risque de se perdre dans l’« assembléisme ». Même si des personnes sans attache partisane se joignent à l’initiative, elle est surtout animée par les partis.

Membre du PG, Manon Le Bretton fait partie du groupe « citoyenneté ». Elle reconnaît volontiers que les non-encartés sont encore peu nombreux :

« Mais même s’il n’y a que quatre personnes “non encartées” dans la boucle, cela change la nature des échanges. On ne tombe pas dans les marchandages, le jargon ou les réflexes partisans. Et c’est un sas pour aller vers des gens qui ne sont pas dans ces circuits. »

D’où la question qui anime toutes les listes dites citoyennes et ouvertes : comment se dégager de la gangue partidaire ? Et puis, une fois l’élection passée, comment ne pas perdre le lien ? Faut-il faire les marchés comme la maire de Barcelone ? Lors d’une réunion, quelqu’un a proposé un système intégrant un tirage au sort pour constituer les listes… Mais ça n’a pas plu.

A la mode

Comment se mettre d’accord sur la liste, sur les noms ? C’est peut-être là le vrai obstacle. Plus que sur le programme. Dans Sud-Ouest, Jean-Luc Mélenchon a semblé fermer la porte à une alliance avec les Verts. Mais le PG local, par la voix de Guilhem Serieys, pense que cela va juste remettre sur le tapis la question de la tête de liste. On en revient donc à une question de personne.

Comme le dit avec prudence Maud Forgeot, cosecrétaire du PG dans le Tarn :

« Vous savez, les listes citoyennes, c’est à la mode… »

Rémi Noyon

Source : Rue 89 23/08/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Politique, Politique locale, rubrique Montpellier, Toulouse,

Hypothèses sur les raisons du moindre attrait des idées du FN

Chronique publiée dans Le Monde (17/01/10)

Les idées du FN perdent du terrain », a titré Le Monde à la « une » de son édition du 15 janvier. Le fait est indéniable, si l’on s’en tient – ce dont il s’agissait alors – aux résultats du sondage TNS Sofres/Logica pour Le Monde et « A vous de juger »/France 2, réalisé les 4 et 5 janvier auprès de 1 000 personnes. Comparé à une enquête similaire effectuée en décembre 2006, il montre que le taux d’adhésion global aux idées de Jean-Marie Le Pen est passé, en trois ans, de 26 % à 18 %. Chacune des propositions suggérées a connu un recul sensible au cours de cette même période, de – 3 points (« Il faut rétablir la peine de mort ») à – 15 points (« Il y a trop d’immigrés en France »).

Le débat commence à s’ouvrir lorsqu’on s’interroge sur les raisons de ce moindre attrait des idées du FN. On peut avancer une explication de type sociétal, qui rejoindrait la thèse récemment développée par le démographe Emmanuel Todd dans ces colonnes (Le Monde du 28 décembre 2009). « La réalité de la France est qu’elle est en train de réussir son processus d’intégration (…) grâce à un taux élevé de mariages mixtes », assurait M. Todd, qui ajoutait : « Le signe de cet apaisement est précisément l’effondrement du Front national. » Si l’on peut penser qu’il est effectivement à l’oeuvre, dans la durée et les tréfonds de la société, ce facteur ne suffit toutefois pas à expliquer l’infléchissement observé après décembre 2006.

Il reste les explications de nature politique. L’usure du Front national, le vieillissement de son chef, ont certes pu contribuer à réduire son champ d’influence. L’hypothèse que l’on retiendra ici est que l’élément moteur est la campagne présidentielle victorieuse menée en 2007 par Nicolas Sarkozy. C’est bien l’ombre de ce dernier qui apparaît en filigrane des courbes du baromètre. Pour se convaincre de son rôle en la matière, il suffit d’observer l’évolution – atypique – de l’adhésion à la proposition « Il faut donner beaucoup plus de pouvoirs à la police », qui est passée de 76 % en mai 2002 à 53 % en novembre 2003, alors que M. Sarkozy était ministre de l’intérieur depuis dix-huit mois. Le futur chef de l’Etat avait alors mis à profit son passage Place Beauvau pour engager ce qui reste, à ce jour, la seule véritable « rupture » qu’il ait menée à bien : être le héraut d’une droite dite « décomplexée ». Traduction : une droite qui ne tourne plus le dos aux électeurs du FN, mais s’efforce, au
contraire, de prendre en compte leurs aspirations et leurs préoccupations, afin de les ramener dans son giron.

Ce fut une volte-face. Jusqu’alors, sous l’impulsion de Jacques Chirac et Alain Juppé, la direction du RPR avait déployé d’intenses efforts pour imposer à ses élus ainsi qu’à une base récalcitrante une stratégie de cordon sanitaire. Le point d’orgue de cette bataille eut lieu lors des élections régionales de 1998, alors que le RPR était présidé par Philippe Séguin, et avait pour secrétaire général… M. Sarkozy. Pour contenir – puis condamner – les alliances nouées avec le FN par certains élus (ex-UDF), comme Charles Millon en Rhône-Alpes, le discours tenu depuis les instances dirigeantes du RPR jusqu’au plus haut sommet de l’Etat fut clair et net. Le 23 mars 1998, dans une allocution télévisée, M. Chirac avait dénoncé la « nature raciste et xénophobe » du parti de Jean-Marie Le Pen, et « désapprouvé » le choix de « celles et ceux qui ont préféré les jeux politiques à la voix de leur conscience ». Non sans courage et abnégation, les lointains héritiers du mouvement gaulliste ont alors fait feu de tout
bois contre l’extrême droite, ses élus, et ses idées. A cette époque, le taux d’adhésion à ces mêmes idées, tel que le mesurait déjà notre baromètre, progresse dans la société française.

Hypothèse : une idée est d’autant plus attrayante qu’elle est dénoncée par le pouvoir en place. Le 23 janvier 2001, mettant un terme à une longue traversée du désert, M. Sarkozy publie un ouvrage, Libre, dans lequel il s’interroge : « Pourquoi donc serait-il noble d’être de gauche, et faudrait-il s’excuser d’être de droite ? » Sa réponse est dans la question. Elle va guider, jusqu’à la présidentielle de 2007, sa conquête de l’électorat de droite ; et d’une bonne partie de celui de l’extrême droite. Electoralement payante, la tactique a un prix. Non pas en termes d’alliances, ni même de programme : un abîme sépare fort heureusement la politique conduite par le gouvernement des préconisations de l’extrême droite. Mais parce que rien n’est gratuit, la facture à payer est sur le terrain des idées et des mots. Pour gagner l’adhésion des anciens électeurs du FN, puis s’employer à ce qu’ils ne quittent pas le navire, M. Sarkozy a dû – et doit encore – leur envoyer des « signes ». L’un des principaux a été la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, puis le lancement d’un « grand débat »
sur ce thème. « On ne se sent plus vraiment chez soi en France » : le taux d’adhésion des Français à cette affirmation a chuté de 9 points depuis décembre 2006. Hypothèse : une idée est nettement moins attrayante dès lors qu’elle semble suggérée par le pouvoir en place. Les idées du FN ont-elles vraiment perdu du terrain ? Le débat reste ouvert.

Jean-Baptiste de Montvalon

Voir aussi : Rubrique politique Sarkozy discours de Latran, Le corpus nationaliste de Sarkozy ,