Le néolibéralisme est un fascisme

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Manuela Cadelli, présidente de l’association Syndicale des Magistrats

Le temps des précautions oratoires est révolu ; il convient de nommer les choses pour permettre la préparation d’une réaction démocrate concertée, notamment au sein des services publics.

Le libéralisme était une doctrine déduite de la philosophie des Lumières, à la fois politique et économique, qui visait à imposer à l’Etat la distance nécessaire au respect des libertés et à l’avènement des émancipations démocratiques. Il a été le moteur de l’avènement et des progrès des démocraties occidentales.

Le néolibéralisme est cet économisme total qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. C’est un extrémisme.

Le fascisme se définit comme l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste.

Je prétends que le néolibéralisme est un fascisme car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun.

L’austérité voulue par les milieux financiers est devenue une valeur supérieure qui remplace la politique. Faire des économies évite la poursuite de tout autre objectif public. Le principe de l’orthodoxie budgétaire va jusqu’à prétendre s’inscrire dans la Constitution des Etats. La notion de service public est ridiculisée.

Le nihilisme qui s’en déduit a permis de congédier l’universalisme et les valeurs humanistes les plus évidentes : solidarité, fraternité, intégration et respect de tous et des différences. Même la théorie économique classique n’y trouve plus son compte : le travail était auparavant un élément de la demande, et les travailleurs étaient respectés dans cette mesure ; la finance internationale en a fait une simple variable d’ajustement.

Déformation du réel

Tout totalitarisme est d’abord un dévoiement du langage et comme dans le roman de Georges Orwell, le néolibéralisme a sa novlangue et ses éléments de communication qui permettent de déformer le réel. Ainsi, toute coupe budgétaire relève-t-elle actuellement de la modernisation des secteurs touchés. Les plus démunis ne se voient plus rembourser certains soins de santé et renoncent à consulter un dentiste ? C’est que la modernisation de la sécurité sociale est en marche.

L’abstraction domine dans le discours public pour en évincer les implications sur l’humain. Ainsi, s’agissant des migrants, est-il impérieux que leur accueil ne crée pas un appel d’air que nos finances ne pourraient assumer. De même, certaines personnes sont-elles qualifiées d’assistées parce qu’elles relèvent de la solidarité nationale.

Culte de l’évaluation

Le darwinisme social domine et assigne à tous et à chacun les plus strictes prescriptions de performance : faiblir c’est faillir. Nos fondements culturels sont renversés : tout postulat humaniste est disqualifié ou démonétisé car le néolibéralisme a le monopole de la rationalité et du réalisme. Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : «  There is no alternative  ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Les vertus du débat et de la conflictualité sont discréditées puisque l’histoire est régie par une nécessité.

Cette sous-culture recèle une menace existentielle qui lui est propre : l’absence de performance condamne à la disparition et dans le même temps, chacun est inculpé d’inefficacité et contraint de se justifier de tout. La confiance est rompue. L’évaluation règne en maître, et avec elle la bureaucratie qui impose la définition et la recherche de pléthore d’objectifs et d’indicateurs auxquels il convient de se conformer. La créativité et l’esprit critique sont étouffés par la gestion. Et chacun de battre sa coulpe sur les gaspillages et les inerties dont il est coupable.

La Justice négligée

L’idéologie néolibérale engendre une normativité qui concurrence les lois du parlement. La puissance démocratique du droit est donc compromise. Dans la concrétisation qu’ils représentent des libertés et des émancipations, et l’empêchement des abus qu’ils imposent, le droit et la procédure sont désormais des obstacles.

De même le pouvoir judiciaire susceptible de contrarier les dominants doit-il être maté. La justice belge est d’ailleurs sous-financée ; en 2015, elle était la dernière d’un classement européen qui inclut tous les états situés entre l’Atlantique et l’Oural. En deux ans, le gouvernement a réussi à lui ôter l’indépendance que la Constitution lui avait conférée dans l’intérêt du citoyen afin qu’elle joue ce rôle de contre-pouvoir qu’il attend d’elle. Le projet est manifestement celui-là : qu’il n’y ait plus de justice en Belgique.

Une caste au-dessus du lot

La classe dominante ne s’administre pourtant pas la même potion qu’elle prescrit aux citoyens ordinaires car austérité bien ordonnée commence par les autres. L’économiste Thomas Piketty l’a parfaitement décrit dans son étude des inégalités et du capitalisme au XXIe siècle (Seuil 2013).

Malgré la crise de 2008, et les incantations éthiques qui ont suivi, rien ne s’est passé pour policer les milieux financiers et les soumettre aux exigences du bien commun. Qui a payé ? Les gens ordinaires, vous et moi.

Et pendant que l’État belge consentait sur dix ans des cadeaux fiscaux de 7 milliards aux multinationales, le justiciable a vu l’accès à la justice surtaxé (augmentation des droits de greffe, taxation à 21 % des honoraires d’avocat). Désormais pour obtenir réparation, les victimes d’injustice doivent être riches.

Ceci dans un Etat où le nombre de mandataires publics défie tous les standards mondiaux. Dans ce secteur particulier, pas d’évaluation ni d’études de coût rapportée aux bénéfices. Un exemple : plus de trente ans après le fédéralisme, l’institution provinciale survit sans que personne ne puisse dire à quoi elle sert. La rationalisation et l’idéologie gestionnaire se sont fort opportunément arrêtées aux portes du monde politique.

Idéal sécuritaire

Le terrorisme, cet autre nihilisme qui révèle nos faiblesses et notre couardise dans l’affirmation de nos valeurs, est susceptible d’aggraver le processus en permettant bientôt de justifier toutes les atteintes aux libertés, à la contestation, de se passer des juges qualifiés inefficaces, et de diminuer encore la protection sociale des plus démunis, sacrifiée à cet « idéal » de sécurité.

Le salut dans l’engagement

Ce contexte menace sans aucun doute les fondements de nos démocraties mais pour autant condamne-t-il au désespoir et au découragement ?

Certainement pas. Voici 500 ans, au plus fort des défaites qui ont fait tomber la plupart des Etats italiens en leur imposant une occupation étrangère de plus de trois siècles, Nicolas Machiavel exhortait les hommes vertueux à tenir tête au destin et, face à l’adversité des temps, à préférer l’action et l’audace à la prudence. Car plus la situation est tragique, plus elle commande l’action et le refus de « s’abandonner » (Le prince, chapitres XXV et XXVI).

Cet enseignement s’impose à l’évidence à notre époque où tout semble compromis. La détermination des citoyens attachés à la radicalité des valeurs démocratiques constitue une ressource inestimable qui n’a pas encore révélé, à tout le moins en Belgique, son potentiel d’entraînement et sa puissance de modifier ce qui est présenté comme inéluctable. Grâce aux réseaux sociaux et à la prise de parole, chacun peut désormais s’engager, particulièrement au sein des services publics, dans les universités, avec le monde étudiant, dans la magistrature et au barreau, pour ramener le bien commun et la justice sociale au cœur du débat public et au sein de l’administration de l’État et des collectivités.

Le néolibéralisme est un fascisme. Il doit être combattu et un humanisme total doit être rétabli.

Manuela Cadelli

Source : Le Soir 03/03/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Politique, rubrique Société Justice, rubrique UE, Belgique, rubrique Débat,

Considérant Calais

img-5721Par Sébastien THIERY

Vu la République, la fraternité en ses fondements, l’hospitalité à l’horizon.

Vu les bouleversements des temps présents, la perspective de mouvements migratoires extraordinaires à venir, la démultiplication annoncée de « jungles » dans les plis et replis de nos métropoles.

Considérant que la « jungle » de Calais est habitée par 5 000 exilés, non pas errants mais héros, rescapés de l’inimaginable, armés d’un espoir infini.

Considérant qu’ici-même vivent effectivement, et non survivent à peine, des rêveurs colossaux, des marcheurs obstinés que nos dispositifs de contrôle, procédures carcérales, containers invivables s’acharnent à casser afin que n’en résulte qu’une humanité-rebut à gérer, placer, déplacer.

Considérant que Mohammed, Ahmid, Zimako, Youssef, et tant d’autres s’avèrent non de pauvres démunis, mais d’invétérés bâtisseurs qui, en dépit de la boue, de tout ce qui bruyamment terrorise ou discrètement infantilise, ont construit en moins d’un an deux églises, deux mosquées, trois écoles, un théâtre, trois bibliothèques, une salle informatique, deux infirmeries, vingt-huit restaurants, quarante quatre épiceries, un hammam, deux salons de coiffure, des histoires d’humanité reléguées au statut d’anecdotes dans l’histoire officielle de la « crise des migrants ».

Considérant qu’ici-même l’on habite, cuisine, danse, fait l’amour, fait de la politique, parle une vingtaine de langues, chante l’espoir et la peine, pleure et rit, contredit ô combien les récits dont indignés comme exaspérés s’enivrent, assoiffés des images du désastre, bourrés de plaintes, écoeurés par ce qui s’invente, s’affirme et déborde.

Considérant que chacun des habitats ici dressé, tendu, planté, porte l’empreinte d’une main soigneuse, d’un geste attentif, d’une parole liturgique peut-être, de l’espoir d’un jour meilleur sans doute, et s’avère une écriture bien trop savante pour tant de témoins dont les yeux n’enregistrent que fatras et cloaques, dont la bouche ne régurgite que les mots « honte » et « indignité ».

Considérant que quotidiennement depuis début septembre 2015 des centaines de britanniques, belges, hollandais, allemands, italiens, français, construisent dans la « jungle », distribuent vivres et vêtements, organisent concerts et pièces de théâtre, créent radios et journaux, dispensent conseils juridiques et soins médicaux, et le soir venu occupent les lits des campings alentours et de l’Auberge de Jeunesse de Calais, haut-lieu d’une solidarité active extraordinaire, centre de l’Europe s’il en est.

Considérant que jamais les associations calaisiennes n’ont enregistré autant de propositions de dons et de bénévolat, et que ne cesse pourtant d’être narré le récit d’une unanime exaspération collective, d’une violence et d’un racisme prétendument généralisés, d’une pourriture surexposée salissant une ville autant que les kilomètres de barbelés la défigurent.

Considérant que Calais est, de facto, une ville-monde, avant-garde d’une urbanité du 21e siècle dont le déni, à la force de politiques publiques brutales, témoigne d’un aveuglement criminel à l’endroit de ce qui vient, d’un mépris mortifère de ce qui s’affirme.

Considérant que la « jungle » ne disparaîtra pas, ni à la force d’une violence légale déployée comme si s’organisait là une bande de criminels, ni par la grâce des « solutions » abstraites de « l’hébergement pour tous », dont les containers du « Centre d’Accueil Provisoire » à 20 millions d’euros exposent, sidérante, l’absurdité.

Considérant que la faillite des acteurs publics et l’incurie de leurs solutions sont si vastes, que dans une semaine, un mois, un an, la « jungle » de Calais apparaîtra au centuple, et que demeurera comme seul trésor public le fruit de ce que calaisiens et exilés auront cultivé malgré tout, à savoir ce qui nous rapproche.

Déclare :

– 1 : Que la destruction annoncée par la Préfète du Pas-de-Calais de la partie sud de la « jungle » de Calais, comprenant notamment une école resplendissante, s’avère une infamie, un acte de guerre irresponsable conduit non seulement contre des constructions, mais aussi contre des hommes, des femmes, des enfants, des rêves, des solidarités, des amitiés, des histoires, une opération militaire écervelée conduite non seulement contre le bidonville, mais contre ce qui fait ville à Calais.

– 2 : Que résister nécessite de riposter enfin au déni de réalité généralisé, de contredire les professionnels de la plainte comme les promoteurs de l’exaspération, de rendre célèbre ce qui s’affirme aujourd’hui à Calais, de faire retentir le souffle européen qui s’y manifeste, de s’avérer autrement attentifs aux promesses d’avenir qui s’y dessinent, à la beauté des bâtisseurs, à la vie qui toujours invente.

– 3 : Que penser et agir de nouveau à Calais, au devant d’une situation-monde nous concernant tous, c’est s’inspirer des gestes de celles et ceux qui construisent inlassablement en dépit de la haine qui porte le nom de « politique publique », c’est poursuivre l’édification d’une cité-oasis du 21 siècle où trouver abris de droits, de culture, de joie et de fraternité, c’est risquer d’autres formes d’écritures politiques de l’hospitalité, de ce que nous avons en commun, de notre République.

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

Ecole du Chemin des Dunes, zone sud de la Jungle de Calais, Février 2016 © Sébastien Thiéry

NB : Le PEROU développe à Calais des « actes documentaires » associant huit équipes de chercheurs et étudiants d’universités et d’écoles d’enseignement supérieur ainsi que des photographes. Intitulé « New Jungle Delire » (voir sur le site du PEROU : www.perou-paris.org), ce travail est soutenu par le PUCA et la Fondation de France. Il est présenté chemin faisant au Pavillon de l’Arsenal (21 boulevard Morland, 75004 Paris) dans le cadre d’Ateliers Publics bi-mensuels. Le troisième Atelier Public du PEROU aura lieu le mardi 23 février à 18h30.

Sébastien THIERY

Source : Blog de Madiapart 14 févr. 2016

Voir aussi : Actualité France,  Rubrique Politique, Politique de l’immigration, Le camp de Grande-Synthe, rubrique Société, Justice,

L’envers du décor paradisiaque de Tahiti

file6og9qwepn8jiakkbo71François Hollande est attendu à Tahiti le 22 février. Il sera le premier chef d’Etat français depuis treize ans à s’y rendre. Une visite attendue car, cinquante ans après le premier essai nucléaire, la Polynésie française paye les conséquences sociales et environnementales de la présence des fonctionnaires et des soldats de la métropole

Un vent léger venu du large fait bruisser les arbres fruitiers qui entourent la maison de Marie-Noëlle Epetahui, dans la presqu’île de Tahiti iti, au sud-est de l’île de Tahiti. «Les femmes m’appellent de jour comme de nuit, quand elles se font frapper. Ma porte est toujours ouverte.» Dans la ville de Taravao, à une cinquantaine kilomètres de Papeete, la responsable de l’antenne locale de l’association Vahine Orama («Femme debout») accueille chaque année plusieurs centaines de victimes de violence domestique sous son toit. «Les coups ont toujours existé, mais ils sont de plus en plus nombreux. La société polynésienne est en profonde mutation, les structures traditionnelles sont en train de disparaître», explique-t-elle.

Depuis la fin des essais nucléaires, en 1995, et le départ des militaires de métropole, le travail se fait rare en Polynésie française. L’alcool et la drogue, le paka, la marijuana locale, forment un cocktail détonnant qui prospère avec la misère. «En presqu’île, la plupart des problèmes se produisent dans les lotissements sociaux de Taravao, construits en 2006 et 2007 par l’Office public de l’habitat (OPH)», poursuit Marie-Noëlle Epetahui. Ces logements accueillent des familles originaires d’archipels éloignés, venus à Tahiti dans l’espoir d’être embauché quelque part. Faute d’emplois à Papeete, beaucoup de ces déracinés ont été déplacés à Taravao, sur l’isthme qui sépare la presqu’île de la grande île de Tahiti Nui.

«Les populations des archipels des Tuamotu ou des Marquises ont commencé à arriver à Tahiti après l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), en charge des essais nucléaires français, dans les années 1960. A cette époque et jusqu’au milieu des années 1990, l’argent coulait à flot», souligne Maiana Bambridge, ancienne directrice de l’OPH, aujourd’hui vice-présidente de la Croix-Rouge de Polynésie française. «En l’espace de quarante ans, les gens ont oublié comment pécher et se nourrir des fruits de la forêt, ils sont devenus manutentionnaires ou sont passés derrière des bureaux. Et puis tout s’est écroulé d’un jour à l’autre

Les Polynésiens cultivent souvent le mythe d’un «âge d’or», antérieur aux essais nucléaires, mais il n’est pas facile pour autant de revenir vivre dans les îles les plus isolées. «Il n’existe pas de lycée généraliste dans les archipels des Gambier ou des Australes, poursuit Maiana Bambridge. Les jeunes viennent à Tahiti pour étudier, ils se logent chez des parents, mais la cohabitation est souvent difficile. Les femmes enceintes sont poussées à venir accoucher à l’hôpital de Papeete, afin de réduire en théorie la mortalité infantile. La Protection sociale rembourse les évacuations sanitaires, mais cet éloignement contribue à faire éclater les cellules familiales.»

Sur un modèle très français, le gouvernement autonome du «pays» a fait le choix de la centralisation, en concentrant toutes les infrastructures à Tahiti, alors que les 138 îles qui forment la Polynésie française sont éparpillées sur un immense territoire maritime de 5,5 millions de km2, aussi grand que l’Europe occidentale.

A proximité de Papeete, les pistes de l’aéroport de Faa’a ont été construites sur des terrains remblayés: d’un côté, le lagon, désormais inaccessible à la population, de l’autre le quartier de squatteurs de Hotuarea, que l’Etat veut évacuer depuis des années. «Ces gens se sont installés il y a plusieurs décennies, souvent avec l’accord tacite des propriétaires, explique Moetai Brotherson, adjoint au maire de la ville, l’indépendantiste Oscar Temaru. Aujourd’hui, cela pose des difficultés. Beaucoup de familles veulent récupérer leurs terrains.»

Drogue, obésité et diabète

 

La commune de Faa’a concentre tous les problèmes sociaux de la Polynésie: drogue mais aussi obésité et diabète, «la» maladie du pays, qui toucherait près d’un Polynésien sur deux. En quelques décennies, le régime alimentaire des îles a été totalement transformé, alors que presque tous les produits sont importés. Le beurre, l’huile et les boissons gazeuses occupent désormais une place de choix sur les tables de la population.

«Les essais nucléaires ont bien sûr contaminé le Pacifique et causé des dommages environnementaux irréversibles, mais ils nous ont aussi enfermés dans une terrible dépendance économique et culturelle à l’égard de la France», s’indigne Roland Oldham, un militant qui a participé à sa première manifestation contre les essais en 1966, l’année de ses 16 ans et du premier tir sur l’atoll de Moruroa. Il dirige aujourd’hui l’association des anciens travailleurs du nucléaire, qui se bat pour l’indemnisation des victimes. «Nous avons déposé près de 900 dossiers, mais la plupart ont été rejetés, en raison de l’article 4 de la loi de 2010, qui introduit la notion de «risque négligeable»: les victimes doivent apporter la preuve que leur cancer est bien dû aux essais, ce qui scientifiquement impossible!» Pour lui, le programme nucléaire français, pourtant arrêté depuis vingt ans, est un «cancer» qui continue de ronger la société polynésienne.

Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, Papeete

Source : Le Temps, 15/02/2016

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« L’Europe ne doit pas rester silencieuse après le meurtre de Giulio Regeni en Égypte »

La famille de Giulio Regeni, son père Claudio, sa mère Paola et sa soeur Irene, lors de ses funérailles à Fiumicello, en Italie, le 12 février. Paolo Giovannini / AP

La famille de Giulio Regeni, son père Claudio, sa mère Paola et sa soeur Irene, lors de ses funérailles à Fiumicello, en Italie, le 12 février. Paolo Giovannini / AP

Par Thibaut Poirot *

Silence, silence pesant et obsédant de l’Union européenne depuis que le 3 février le corps supplicié de Giulio Regeni a été retrouvé en Égypte. Ce jeune chercheur italien de 28 ans, doctorant en économie à l’université de Cambridge, disparu depuis le 25 janvier, portait de nombreuses traces de tortures toutes plus atroces. Les circonstances plus que floues qui entourent sa mort, les doutes sur l’identité de ses tortionnaires ont soulevé l’indignation de nombreux universitaires et chercheurs à travers le monde. Les hommages sont nombreux, les questions également.

Ainsi, l’Europe, que fait-elle ? Certes, les crises diplomatiques ne manquent pas, l’actualité en compte chaque jour. Mais l’Italie semble bien seule, quand ses autorités politiques et diplomatiques réclament toute la vérité à l’Égypte. Alors même que de lourds soupçons pèsent sur la situation des droits de l’Homme, cinq ans après la révolution et l’éviction du régime de Moubarak, la diplomatie européenne serait-elle (re) devenue indifférente à la situation du pays le plus peuplé du monde arabe ? Par le passé, cette indifférence aux assassinats de l’ombre, aux meurtres sans coupables, aux crimes passés sous silence a rendu l’Europe incapable de saisir immédiatement l’aspiration profonde des printemps arabes.

Cette mort a pourtant quelque chose de terrible, pour une génération qui parcourt le monde, tente de le comprendre et de le saisir dans toute sa complexité. Cette génération européenne qui a le visage de Giulio Regeni, citoyen italien chercheur d’une université britannique, cette génération pour laquelle un parcours se construit à l’échelle du continent et du monde, n’a-t-elle pas droit d’attendre que l’Union européenne tienne un discours offensif sur la liberté de chercher, d’interroger avec méthode et conviction les problèmes de notre époque ?

Défense des libertés académiques

Peut-on considérer sans frémir les rumeurs grotesques à la suite du drame sur une supposée affaire d’espionnage, voire une affaire de mœurs, d’une « mauvaise rencontre » ? Chaque révélation sur les circonstances de sa disparition, ses recherches de terrain sur les syndicats égyptiens rendent plus pressante cette seule question : Giulio Regeni a-t-il été tué parce qu’il était chercheur ? C’est cette simple question que la diplomatie européenne doit poser au côté de l’Italie aujourd’hui.

Il y a depuis plusieurs siècles une belle expression pour décrire ce vaste espace d’échanges et de savoirs sur le continent européen et au-delà, celle de « République des Lettres » et de « République des Sciences ». Les échanges intellectuels à une échelle toujours plus vaste qui permettent à la recherche d’avancer sont la définition même du projet européen. Discuter, débattre, confronter des méthodes, révéler et dévoiler des domaines inconnus, déconstruire des représentations, relire les événements et relier l’espace, c’est ce que beaucoup de jeunes Européens font et doivent pouvoir continuer à faire, sans crainte, sans remparts, sans obstacles. Nous le devons à Giulio Regeni, citoyen européen, nous le devons aux étudiants qui demain reprendront la route

Espérons que l’Europe se mobilise à la hauteur des réactions dignes et graves de la société civile en Italie et en Grande-Bretagne. Espérons que la France, si elle croit toujours en la défense des libertés académiques et en la défense des libertés tout court, soutiendra l’Italie pour demander toute la vérité aux autorités égyptiennes. Pour cela, la communauté universitaire française doit se mobiliser, elle doit revendiquer avec le monde ces simples mots : vérité et justice.

* Thibaut Poirot est professeur agrégé d’histoire, il est doctorant chargé de cours à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Source Le Monde 17/02/2016

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Documentaire au Cinéma Diagonal. « La fête et finie » ou l’angle aveugle du développement urbain

janv-15-et-17_OC_ENT-DAV_la-fete-est-finie-413x219Diagonal. L’instrumentalisation de l’art et de la culture au service des promoteurs.

A l’invitation des Amis du Monde Diplomatique et du cinéma Diagonal le réalisateur marseillais Nicolas Burlaud est venu présenter à Montpellier son film La fête est finie. Ce documentaire réalisé avec très peu de moyens, se saisit de l’exemple marseillais pour évoquer l’angle aveugle du développement urbain.

Vendu par les édiles locales de tous bords comme créateur d’emplois, vecteur de progrès et de croissance économique, partout dans le monde, les plans de rénovation urbaine relèguent aux oubliettes la notion même du rôle politique dans la cité. A savoir, les actions possibles, anticipées, par les individus et les groupes sociaux, situés les uns à l’égard des autres en réciprocité de perspectives dans un environnement partagé.

Le film traite de la destruction du Marseille populaire et de l’entrée féroce des promoteurs avec comme cheval de Troie « Marseille Capitale Européenne de la Culture » mise en place par CCI, la ville de Marseille et les fonds d’investissements du grand capital.

Usant des moyens de voyous qu’Audiard décrit dans De battre mon coeur s’est arrêté, les promoteurs déplacent les pauvres de leurs lieux de vie pour développer des zones sous hautes surveillance réservées aux marchands.

L’intérêt du film est aussi d’interroger l’instrumentalisation de la culture et de ses acteurs. Nicolas Burlaud filme sa ville avec amour et nous invite à résister en prenant conscience des liens qui nous unissent.

JMDH

Source : La Marseillaise 20/01/2016

Présentation du film

Marseille est en passe de devenir une ville comme les autres. Sous les assauts répétés des politiques d’aménagement, elle se lisse, s’embourgeoise, s’uniformise. Cette transformation se fait au prix d’une exclusion des classes populaires, repoussées toujours plus au Nord. Son élection en 2013 au titre de «Capitale européenne de la culture» a permis une accélération spectaculaire de cette mutation. Là où brutalité et pelleteuses avaient pu cristalliser inquiétude, résistance et analyses, les festivités nous ont plongés dans un état de stupeur. Elles n’ont laissé d’autre choix que de participer ou de se taire…

Contact : lafeteestfinie@primitivi.org ou 06 62 46 14 06

Voir aussi : Actualité locale, Rubrique Cinéma, Petite virée dans le cinéma social français, rubrique Politique, Société civile, Politique culturelle, Politique économique, Politique locale, rubrique Société, Citoyenneté, Consommation,