Justice: la Cour de cassation estime que les lanceurs d’alerte doivent bénéficier d’une « immunité » vis-à-vis de leur employeur
Les lanceurs d’alerte doivent bénéficier d’une « immunité » vis-à-vis de leur employeur, a estimé jeudi la Cour de cassation, alors que le parlement débat de l’instauration d’un statut protecteur pour les salariés qui dénoncent des actes illicites commis sur leur lieu de travail.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre en Guadeloupe. Cette dernière avait refusé d’annuler le licenciement pour faute lourde d’un salarié d’une association qui avait dénoncé à la justice les agissements de responsables de cette structure.
« En raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier du droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité », a justifié la Cour en soulignant que son arrêt constitue une première.
Dans une note explicative, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire précise que cette décision « est de nature à protéger les lanceurs d’alerte, dans la mesure où la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers ».
La Cour a en conséquence « annulé » l’arrêt qui avait débouté le salarié de ses demandes d’annulation de son licenciement et de réintégration dans ses fonctions et renvoyé l’affaire devant une autre composition de la cour d’appel de Basse-Terre pour être rejugée.
Engagé en tant que directeur administratif et financier par une association gérant un centre d’examen de santé, le salarié avait été licencié en mars 2011 pour faute lourde. Il venait de dénoncer au procureur les agissements du président et d’un membre du conseil d’administration susceptibles de constituer une escroquerie ou un détournement de fonds.
– « Éveilleurs de conscience »-
Cet arrêt de la Cour de cassation intervient au lendemain de la condamnation par la justice luxembourgeoise de deux anciens employés français d’une firme d’audit dont les fuites avaient été à l’origine de l’affaire LuxLeaks.
Ce scandale avait mis en lumière, en 2014, les accords passés par le Luxembourg avec des multinationales pour les attirer sur son sol, au détriment des finances publiques et alors que des efforts importants étaient réclamés aux citoyens face à la crise.
Si le juge luxembourgeois a reconnu que les révélations des deux Français relevaient bien de « l’intérêt général », il a également constaté qu’il n’existait « aucune protection en droit luxembourgeois », ni au « niveau européen » pour les lanceurs d’alerte, la nouvelle directive instaurant une protection européenne « n’ayant pas encore été adoptée par le Parlement européen ».
En France, la question du statut des lanceurs d’alerte constitue l’un des points forts de la loi Sapin II, largement approuvée le 14 juin par l’Assemblée nationale et qui doit maintenant être débattue au Sénat.
A l’unisson de députés saluant ces « éveilleurs de conscience », le ministre des Finances a salué dans l’hémicycle ceux qui « ont pris des risques et en souffrent ».
Selon le projet, le Défenseur des droits interviendra pour les lanceurs d’alerte victimes de discriminations. Le gouvernement s’est engagé, par la voix de M. Sapin, à renforcer ses moyens financiers censés contribuer aux avances de frais de justice.
Le texte prévoit également qu’un lanceur d’alerte licencié pourra saisir les prud’hommes pour tenter d’obtenir son maintien dans l’entreprise, ou, s’il ne le souhaite pas, la préservation de son salaire. Idem pour un agent public au tribunal administratif.
39% des salariés gardent le silence par peur des représailles, selon un sondage pour l’ONG Transparency International France.
François Hollande et Manuel Valls à l’Elysée, en janvier. Photo Sébastien Calvet
En se défaussant sur la préfecture de police, la présidence ne convainc pas. On attendrait de François Hollande qu’il assume un acte de cette importance.
Y’a-t-il un pilote dans l’avion ? Ou plutôt qui est-il ? Alors que la préfecture de police de Paris, fait historique, a interdit ce mercredi matin la manif syndicale de jeudi contre la loi travail – reprenant mot pour mot l’argumentaire de Matignon –, voilà que l’Elysée fait savoir en pleine tempête qu’il ne s’agit pas d’un «arbitrage» du chef de l’Etat mais d’«une décision de gestion opérationnelle de l’ordre public». Et l’entourage du président de la République de rappeler qu’il «appartient aux autorités préfectorales de décider». Courage, fuyons, alors que même la CFDT a dénoncé ce choix radical qui heurte de plein fouet la liberté de manifester !
Cette irresponsabilité présidentielle revendiquée ne convainc pas et même inquiète, alors que ce bras de fer ultra sensible et 100% politique est forcément remonté jusqu’au Château. L’inverse serait pour le moins incongru. Plutôt que de s’abriter derrière une décision technique, on attendrait de François Hollande qu’il assume un acte de cette importance. On aurait surtout aimé qu’il contraigne son Premier ministre à trouver une issue, sur le mode «je décide et il exécute», refrain entonnéen son temps par Chirac contre Sarkozy – il est vrai sans succès. En l’espèce, Hollande se comporte davantage comme Emmanuel Macron, lorsque celui-ci s’est abrité, dans une affaire de moindre importance, derrière la «faute» de sa femme après la publication de photos privées et de propos polémiques dans Paris Match.
Si ce mercredi, les tirs contre cette (nouvelle) offense faite à la gauche se concentrent sur Manuel «coup de menton» Valls, qui a pesé de tout son poids en faveur de l’interdiction, l’Elysée semble faire le pari qu’il est possible de s’extraire de la polémique pour passer entre les gouttes. Une stratégie petit bras qui ne peut profiter au chef de l’Etat. Et une faiblesse qui n’augure rien de bon alors que, jeudi, l’interdiction de manifester sera forcément bravée. Et pas qu’un peu.
Lam Wing-kee s’adresse aux médias alors que la foule se rassemble pour une manifestation à hong Kong le 18 juin. Isaac Lawrence/ AFP
Lam Wing-kee, l’un des cinq libraires “disparus” de l’ex-colonie britannique, a secoué Hong Kong en accusant les autorités chinoises de l’avoir enlevé, détenu et interrogé durant des mois. La censure chinoise veut étouffer l’affaire.
Plus d’un millier de personnes ont manifesté aujourd’hui pour protester contre les atteintes à la liberté d’expression, rapporte le journal. Le libraire, qui se trouvait lui-même en tête du cortège, a affirmé que la Chine “veut réduire progressivement la liberté du peuple hongkongais”.
Ses révélations posent “toutes sortes de questions sur la légalité du traitement qu’il a subi, les lois qu’il aurait soi-disant enfreintes, son droit à une procédure régulière, et la capacité du gouvernement hongkongais de garantir la sécurité et la protection de ses citoyens”, souligne le South China Morning Post.
En définitive, la question se pose de savoir si cet épisode a mis à mal voire enterré le principe du ‘un pays, deux systèmes’, par lequel Pékin s’était engagé à assurer à la ville un haut degré d’autonomie, y compris judiciaire.”
“Tempête de condamnations”
Libéré sous caution, Lam Wing-kee a évoqué sa détention lors d’une conférence de presse à Hong Kong. “Si je ne parle pas, Hong Kong ne pourra plus rien faire. Ce n’est pas qu’une histoire personnelle”, a-t-il souligné. Il a par ailleurs assuré qu’un autre libraire, Lee Bo, lui avait confié avoir été lui aussi kidnappé à Hong Kong. Ce dernier affirme aider volontairement les autorités chinoises.
Les cinq libraires qui s’étaient volatilisés à l’automne dernier étaient tous liés à la maison d’édition “Mighty Current”, spécialisée dans les ouvrages sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir. Leur disparition avait provoqué l’effroi dans la région administrative spéciale. Trois d’entre eux avaient été arrêtés en Chine continentale et un en Thaïlande. Lee Bo était le seul à se trouver à Hong Kong.
Les gouvernements de Pékin et Hong Kong sont désormais confrontés à “une tempête de condamnations et de protestations dans toute la ville”, souligne encore le South China Morning Post, qui ajoute qu’aucun des deux n’a apporté de réponse.
Pékin a banni toute couverture de ces révélations dans les médias chinois, rapporte The Guardian. Le quotidien local Global Times avait publié un éditorial critiquant Lam Wing-kee mais le lien a été rapidement supprimé vendredi 17 juin.
Le « maintien de l’ordre à la française » connaît une nouvelle phase dans son évolution depuis 1995 avec la généralisation de l’usage des lanceurs de balle de défense et la multiplication des mutilations. Rarement condamnés, les policiers responsables des tirs évoluent dans une relative impunité, allant de pair avec la dureté de la répression des mouvements contestataires.
Pierre Douillard-Lefèvre a été mutilé par un tir de lanceur de balle de défense (LBD) en 2007 quand il était lycéen. Aujourd’hui étudiant en sciences sociales, il vient de publier un essai édifiant sur l’armement répressif du maintien de l’ordre : L’Arme à l’œil, aux éditions Le Bord de l’eau. Il a été « interdit de séjour »le 17 mai à Nantes.
Pierre Douillard-Lefèvre
Reporterre — À Rennes, le 28 avril dernier, un étudiant de 20 ans a perdu l’usage de l’œil gauche, atteint par le tir d’un lanceur de balle de défense (LBD) [1]. La presse parle de « nouvelle arme ». Pourtant ce fusil à balles de plastique dur n’a rien de nouveau.
Pierre Douillard-Lefèvre — J’ai moi même perdu un œil suite à un tir de cette arme dans une manifestation lycéenne, en 2007. Il y a presque dix ans… Il y a des journalistes mal informés, mais il y a aussi une stratégie d’enfumage savamment orchestrée par la police. Dans un premier temps, comme dans d’autres affaires de blessures par LBD, les autorités utilisent le conditionnel, disent qu’on n’est pas sûr, que la blessure pourrait provenir d’une pierre lancée par les manifestants eux-mêmes… Lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à Nantes le 22 février 2014, trois personnes ont été visées à l’œil et éborgnées. La justice a classé sans suite leurs plaintes, avançant que les faits n’étaient pas clairement établis, ajoutant : « la nature exacte du projectile n’a pu être déterminée, ou nous n’avons pas d’auteur identifié »…
Il y a aussi un paramètre de classe sociale : ces balles en caoutchouc existent depuis plus de vingt ans dans l’armement de la police mais n’ont d’abord servi que dans les quartiers populaires, ne s’attaquant aux manifestants qu’à partir de 2007. Dès 1998, un père de famille de Villiers-sur-Marne, Alexis Ali, perd un œil, touché par un tir de Flash-Ball, la première génération de ces armes, moins précise et moins puissante que le LBD. Mais on entretient la confusion, on parle toujours de Flash-Ball alors que la version améliorée, le Flash-Ball « Super Pro », n’est plus utilisée. Le déficit d’information est organisé. Avec l’usage massif de gaz lacrymogènes contre le mouvement opposé à la loi travail, les tirs de LBD, les grenades de désencerclement lançant des nuées de petits projectiles, assiste-t-on à un tournant de l’armement du maintien de l’ordre, ou est-ce une continuité ?
Le « maintien de l’ordre à la française » s’inscrit dans une séquence qui suit le traumatisme de Mai-68 et de la mort de Malik Oussekine, en 1986. Jusqu’alors, la doctrine était de refouler la foule, de la maintenir à distance. Le tournant a été pris par Claude Guéant, alors directeur général de la Police nationale, qui a équipé en 1995 les policiers de Flash-Ball. Le nouvel objectif est de frapper les corps. Cela a redonné aux policiers l’habitude de tirer, d’ouvrir le feu. On retrouve la logique à l’œuvre pour la répression de Fourmies, en 1891, où la troupe avait tué huit ouvriers par balles, ou contre la grèves des mineurs en 1948 quand le ministre socialiste Jules Moch a donné l’ordre aux Compagnies républicaines de sécurité (CRS), récemment créées, de tirer sur les ouvriers, faisant deux morts dans la Loire, un dans le Gard.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de balles réelles contre la foule, mais après les attentats du 13 novembre dernier, l’État a réarmé une unité aussi peu fiable que la BAC (Brigade anti-criminalité) avec des armes à feu létales superpuissantes [le fusil-mitrailleur HKG36, utilisé par les militaires en Afghanistan]. On voit aussi des policiers sortir leur arme de service et mettre en joue pour de simples contrôles. Un « geste décomplexé » impensable il y a quelques années.
Policiers en civil lors de la manifestation contre la loi travail le 9 avril, à Nantes.
La manifestation nantaise du 22 février 2014, où trois jeunes gens ont perdu un œil suite à des tirs de LBD, constitue-t-elle un tournant ?
Trois mutilés par la police en une seule après-midi, c’est du jamais vu. Les grenades lacrymogènes ont été envoyées par milliers dans une logique de saturation. On en avait rarement vu autant, mais il faudrait comparer avec les mouvements antinucléaires des années 1970, qui ont été largement réprimés à Chooz, Creys-Malville, Golfech ou Plogoff. La manifestation du 22 février 2014 à Nantes s’inscrit dans une suite de l’opération César à Notre-Dame-des-Landes et de manifs qui ont suivi à Nantes. Ces luttes sont clairement des laboratoires du maintien de l’ordre. Les hélicoptères en vol stationnaire au dessus de la ZAD ou des rues de Nantes, de Rennes, de Grenoble, de Paris lors du mouvement contre la loi travail… observent le sol comme une bataille. Chaque manifestation donne lieu à des « retours d’expérience » du « savoir-faire français », comme l’explique un lieutenant-colonel de gendarmerie auditionné le 5 mars 2015 par la commission parlementaire sur le maintien de l’ordre après la mort de Rémi Fraisse à Sivens. À Rennes, l’étudiant éborgné a porté plainte pour « violences aggravées ayant entraîné une infirmité permanente ». Pourtant, les condamnations des auteurs de ces mutilations sont rarissimes. Comment expliquer l’impunité des policiers après toutes les blessures et décès dont vous faites un inventaire effrayant dans votre étude ?
Michel Foucault expliquait déjà en 1977 que la justice est au service de la police. L’équilibre entre les pouvoirs de police et de justice est rompu depuis longtemps. Mais depuis trente ans, la primauté de la police s’accentue. Sarkozy, Valls, sont d’anciens ministres de l’Intérieur. C’est le poste important, celui qui permet d’accéder au pouvoir. Bien plus que garde des Sceaux. L’hégémonie policière en a fait un corps sanctifié, que célèbrent abondamment les émissions de télévision et les politiques. Comment analyser la manifestation de policiers « contre la haine antiflics » de ce mercredi 18 mai ?
Dans des moments où ils se trouvent mis en cause dans leurs pratiques, les policiers reprennent l’initiative. En ce moment, leurs actions sont contestées. Mais on retrouve une situation similaire en 2013, quand Manuel Valls a porté plainte, sous la pression des syndicats policiers, contre Amal Bentounsi, dont le frère avait été tué d’une balle dans le dos par un policier, sous prétexte qu’elle avait mis en ligne une vidéo parodique dénonçant l’impunité policière. Un an plus tôt, juste après ce drame et en pleine campagne présidentielle, les policiers avaient défilé sur les Champs-Élysées sirènes hurlantes pour réclamer la « présomption de légitime défense ». Dans ces cas-là, les policiers font bloc.
En parallèle à l’escalade de l’armement, il y a une guerre des mots qui masque les potentiels de violence…
Lors de la guerre d’Algérie, et plus généralement lors des guerres coloniales, on parlait de « pacification ». Pour le maintien de l’ordre, une grenade devient un « dispositif manuel de protection ». La police parle de « cibles », d’« objectifs à neutraliser », un terme qui, en jargon militaire, signifie donner la mort. Ce lexique illustre la disparition de la différence entre opérations de guerre extérieure et maintien de l’ordre intérieur. Cette « guerre sociale » semble avoir ciblé au moins trois types de populations, les jeunes des quartiers populaires, les militants dans les manifs et les supporters de football, dont on parle peu. Y en a t-il d’autres ?
On constate déjà la généralisation : un cégétiste perd un œil à Paris en juin 2015, un pompier à Grenoble, en janvier 2014… Mais, généralement, ce ne sont pas les manifestants ou les militants qui sont visés en tant que tels, mais plutôt les mouvements incontrôlables, dont font partie les ZAD ou le mouvement contre la loi travail. Le récit médiatique utilise la formule « en marge de la manifestation », mais c’est faux, le mouvement est jeune, en avant du cortège, pas forcément pour être violent, mais pour être là, pour tenir la rue. Et ça, ça dérange profondément. L’armement policier procède-t-il par expérimentations, s’étendant ensuite à toutes les situations ?
C’est un peu comme le fichage ADN, au départ annoncé comme dédié uniquement aux violeurs récidivistes. En moins de 10 ans, il est devenu appliqué à tout le monde. Le Flash-Ball équipe au départ les troupes de choc contre le banditisme. Désormais, toutes les voitures de la BAC en ont un à bord. Des unités comme le Raid ou le GIPN (Groupe d’intervention de la police nationale) interviennent contre des squats avant la COP21. L’arsenal extra-judiciaire offert par l’État d’urgence – assignations à résidence, interdiction de manifestation – est utilisé pour une répression qui n’a rien à voir avec l’anti-terrorisme. Outre l’armement accru de la police, son anonymisation se généralise…
C’est une curiosité esthétique. Les policiers du maintien de l’ordre se cagoulent de plus en plus et pas seulement la BAC. Quasiment tous les policiers du maintien de l’ordre ont un foulard noir sous leur casque. À mesure qu’on veut décagouler les manifestants, on protège par un mouvement inverse l’anonymat des policiers qui sont de plus en plus surarmés…
En civil ou en uniforme, des policiers masqués (Nantes, novembre 2014)
Vous reprenez l’expression d’armement « rhéostatique ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est un concept anglo-saxon qui dépasse l’opposition binaire entre létal et non létal. Un rhéostat, c’est ce qui permet de moduler le courant électrique, de la même manière, une arme peut désormais blesser plus ou moins lourdement, offrant un gradation de la douleur à la blessure, et de la blessure à la mort. Selon la distance, la partie du corps qui est ciblée, le policier peut blesser légèrement, mutiler ou tuer. C’est ça, le maintien de l’ordre du XXIe siècle. Dans les rues de Nantes, depuis le début du mouvement contre la loi travail, il y a énormément de blessures aux jambes. Quand la police veut faire mal, elle vise la tête. Les grenades lacrymogènes ont aussi cette modulation possible, dosage plus ou moins concentré et agressif, de la gêne à la suffocation. Le lanceur de grenades lacrymogènes, le Cougar, est doté d’une crosse courbée qui est conçue pour empêcher les tirs tendus. Les policiers l’utilisent en retournant l’arme, crosse vers le haut, pour pouvoir justement réaliser des tirs tendus…
Est-ce que vous ne pensez pas que la lecture de cet ouvrage pourrait paraître démoralisante, jusqu’à décourager d’aller manifester…
Justement, j’ai essayé d’éviter le fatalisme en montrant qu’il y a des pistes pour résister. Bloquer les usines d’armement, comme ça s’est fait à Pont-de-Buis, en novembre 2015. Les rencontres entre blessés par la police donnent de la force. Même s’il est très réprimé, le mouvement actuel montre que les jeunes n’ont pas peur. Le LBD, c’est fait pour faire peur, atomiser. On voit que ça ne marche pas du tout.
L’arme à L’oeil. Violences D’Etat Et Militarisation De La Police
Pierre Douillard-Lefevre
Automne 2014, un manifestant est tué par une grenade lancée par un gendarme à Sivens. L’armement de la police fait, pour la première fois, la une de l’actualité. Loin de susciter de réactions à la hauteur, ce drame est l’occasion pour le pouvoir de renforcer ses stratégies de maintien de l’ordre en faisant interdire et réprimer implacablement les mobilisations qui suivent. La mort de Rémi Fraisse n’est ni une « bavure », ni un accident. Elle est le produit d’une logique structurelle, qui s’inscrit dans un processus d’impunité généralisée et de militarisation de la police en germe depuis deux décennies.
Sur fond d’hégémonie culturelle des idées sécuritaires, la police française se dote de nouvelles armes sous l’impulsion des gouvernements successifs : taser, grenades, flashballs, LBD. On tire à nouveau sur la foule. D’abord expérimentées dans les quartiers périphériques, puis contre les mobilisations incontrôlables, les armes de la police s’imposent aujourd’hui potentiellement contre tous. « En blesser un pour en terroriser mille », telle est la doctrine des armes de la police.
Cet essai passe en revue l’armement de la police pour comprendre ce que les armes disent de notre temps, quelles sont les logiques politiques qu’elles suggèrent, au-delà des spécificités françaises d’un maintien de l’ordre présenté comme irréprochable.
Paris, le 17 mai 2016 — « Face à un mur, il faut savoir faire autre chose que se taper la tête contre. Après des années de violence légale, de défaites et de recul des libertés fondamentales, face à une représentation politique dont la seule logique est sécuritaire, La Quadrature du Net refuse de perdre davantage de temps à tenter d’influencer rationnellement ceux qui ne veulent rien entendre et choisit de réorienter ses actions. » (suite du communiqué)
Fatiguée des fausses consultations, des lobbies et des lois « liberticides », l’association change de stratégie. Explications d’Adrienne Charmet, la coordinatrice des campagnes de la Quadrature.
L’association de défense des droits et des libertés sur Internet, La Quadrature du Net – connue notamment pour sa lutte contre l’état d’urgence ou la loi renseignement – change son fusil d’épaule.
Elle l’annonce dans un texte intitulé « La Quadrature sort de l’état d’urgence ». L’association « refuse de perdre d’avantage de temps à tenter d’influencer rationnellement » les politiciens. Pour en savoir plus, on a posé trois questions à la coordinatrice de ses campagnes, Adrienne Charmet.
Adrienne Charmet lors d’une manifestation contre le projet de loi renseignement, le 13 avril 2015 – Ash Crow/WikimediaCommons/CC
En fait vous jetez l’éponge ?
« Notre texte est assez cash, on a pesé chaque mot. On a constaté qu’on avait un problème avec le gouvernement et les parlementaires. Ces deux dernières années il y a eu une inflation de lois sécuritaires, la loi renseignement, l’état d’urgence.
Il y a une pression infernale du risque terroriste, au point que la défense des droits fondamentaux est reçue comme une quasi-complicité de terrorisme.
On est une petite équipe avec sept permanents, et on s’est rendu compte qu’on n’avait plus un impact suffisant dans l’élaboration des lois.
On s’épuisait à changer un quart de phrase dans un amendement et à réagir aux annonces farfelues des politiques. »
Vous aviez l’impression d’être instrumentalisés ?
« L’impression de pédaler dans le vide plutôt. On a en général une classe politique qui comprend ce qu’on dit en privé mais qui est incapable de l’assumer politiquement. Et ça, c’est fatiguant.
Là, avec les élections présidentielles, les partis sont en ordre de bataille. On nous aurait demandé, comme ça nous est arrivé, de faire le programme numérique d’untel ou untel, mais sans que rien ne soit appliqué à la fin. Après, si des politiques veulent venir utiliser nos idées parce qu’ils y croient, ils sont les bienvenus.
Autre exemple : la loi numérique. Le processus a duré deux ans. On a fait un rapport détaillé avec le Conseil national du numérique, mais très peu de choses ont ensuite été reprises dans le projet de loi.
Rebelote avec la consultation des internautes, on a été force de proposition. Mais finalement ce sont les lobbies traditionnels qui ont gagné, les télécoms et les ayant-droits. On a fait le job mais la vieille politique continue de faire ce qu’elle fait de pire.
La vie politique et parlementaire part complètement en vrille, avant même de parler de la loi travail. Je pense que ça ne concerne pas que nous, c’est la même histoire dans d’autres domaines, le social ou l’environnement par exemple. »
Et maintenant, qu’allez-vous faire pour changer les choses ?
« On n’est pas un lobby traditionnel, uniquement centré sur le législatif. Donc on va se concentrer sur la réflexion qui était un peu en souffrance par manque de temps, sur la question du droit au chiffrement, du big data, des plateformes…
On va continuer à faire des recours juridiques au niveau européen, où on a une jurisprudence favorable, contre les lois qui portent atteintes aux droits, la loi renseignement notamment.
Surtout, on va continuer à sensibiliser, former, organiser des ateliers. On veut donner des compétences au plus de monde possible pour produire de l’empowerment.
On préfère faire monter ces sujets dans la société civile, et se dire que les politiques de demain auront été sensibilisés en tant que citoyens, plutôt que de former les politiciens.