Henri Peña-Ruiz : « L’intégrisme religieux n’est pas seulement islamiste »

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« La religion n’engage et ne doit engager que les croyants. »
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Henri Peña-Ruiz. Le philosophe spécialiste de la laïcité est attendu ce soir aux Chapiteaux du livre à Sortie-Ouest à 21h. Le militant progressiste pour la tolérance rappelle quelques fondamentaux de la République.

Henri Peña-Ruiz est docteur en philosophie et agrégé de l’Université, maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris, ancien membre de la commission Stasi sur l’application du principe de laïcité dans la République. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le sujet et vient de signer le Dictionnaire amoureux de la laïcité chez Plon.

Sans en dévoiler le contenu, pouvez-vous précisez les grands axes de votre intervention dont l’intitulé « Culture et laïcité, des principes d’émancipation » recouvre un vaste champ de réflexion…

Dans ce titre, culture et laïcité sont des termes essentiels  sur lesquels je reviendrai pour évoquer le lien entre la culture et la laïcité. Qu’est-ce que la culture ? On peut l’envisager telle qu’elle se définit aux contacts des ethnologues, sociologues, anthropologues, soucieux de la cohérence des entreprises humaines. Il s’agit dans ce cas d’un ensemble d’usages et coutumes d’un groupe humain à un moment de son histoire. Ce sens est statique. Si on approche la culture de manière dynamique, on peut constater par exemple, que la domination des femmes par l’homme en 2005 a reculé par rapport au siècle dernier. En 1905, la coupe transversale de la société à cette époque correspond à un ensemble systématisé de traditions et cent ans plus tard on constate qu’un certain nombre de choses ont changé. Cela fait émerger une autre notion de culture. La culture  comme un processus par lequel l’homme transforme la nature et se transforme lui-même pour s’adapter à son environnement.

Quelle approche entendez-vous souligner de la laïcité ?

L’idée que je veux développer de la laïcité n’est pas contre la religion. Elle est favorable à la séparation de la religion et de la loi pour tous.

La religion n’engage et ne doit engager que les croyants mais dans un Etat qui doit faire vivre agnostiques, athées, et croyants la loi ne peut être la loi de toutes ses personnes si elle n’est pas indépendante de toute loi religieuse. Il n’y a là aucune hostilité à la religion. Les principes de la laïcité ne sont du reste pas seulement promues par des athées. Victor Hugo qui était chrétien et laïque disait : « Je veux l’Etat chez lui et l’église chez elle.» Je n’évoquerai pas la liberté de religion mais la liberté de conviction puisque la moitié de la société française déclare ne pas être adepte d’une religion et doit pouvoir jouir des mêmes droits. Marianne n’est ni croyante ni athée, elle n’a pas à dicter ce qui est la bonne spiritualité.

En se référant à une approche dynamique de la culture, on se dit que les principes de laïcité étaient plus prégnants dans l’esprit des hommes politiques de la IIIe République que dans ceux d’aujourd’hui…

A cette époque, la conquête était plus fraîche. Elle irriguait tous les esprits après les réformes successives ayant fait passer l’enseignement des mains des catholiques à la responsabilité de l’Etat et la loi de 1905. Ces principes souffrent aujourd’hui du clientélisme électoral et de l’ignorance. Beaucoup d’élus se réclament abstraitement de la laïcité sans en appliquer les principes.

N’existe-t-il pas une carence en matière d’éducation et de formation des enseignants ?

Avec un bac plus quatre ou cinq je suppose qu’ils le sont suffisamment. Il faudrait que la déontologie laïque leur soit rappelée mais comment voulez-vous que les choses se passent lorsqu’on viole la neutralité républicaine au plus haut niveau de l’Etat ?

Nicolas Sarkozy et Manuel Valls vous ont tous deux fait sortir de vos gonds…

Lors de son discours de Latran Nicolas Sarkozy bafoue la loi avec sa réflexion profondément régressive « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Manuel Valls fait de même lorsqu’il assiste officiellement au Vatican à la canonisation de deux papes. C’est scandaleux. Prétexter,  comme il l’a fait, que le Vatican est un Etat et qu’il agissait dans le cadre de relations diplomatiques est une plaisanterie. Le Vatican n’est pas un Etat comme les autres et l’événement auquel il a assisté était purement religieux. Il aurait bien sûr pu le faire librement à titre strictement privé. Il est par ailleurs très inconséquent vis à vis de G. Clémenceau qu’il dit admirer et qui prit une décision laïque exemplaire en 1918, alors qu’il était président du Conseil en refusant d’assister au Te Deum prévu en hommage à tous les morts de la guerre. Clemenceau dissuade le président Poincaré, de s’y rendre, et répond par un communiqué officiel qui fait date et devrait faire jurisprudence?: « Suite à la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le gouvernement n’assistera pas au Te Deum donné à Notre-Dame. »

Qu’en est-il lorsque que le maire de Béziers Robert Ménard invite le peuple biterrois à ouvrir la Feria par une messe au sein des arènes privées ?

Même si les arènes sont privées, agissant en tant qu’élu, M. Ménard viole la laïcité. Ce qui montre que lorsque les gens du FN ou apparentés brandissent les principes de la laïcité pour donner du poids à leur idéologie, ils ne défendent pas la laïcité. Parce que sous ce titre, ils visent une certaine partie de la population. C’est une discrimination drapée dans le principe de l’égalité républicaine. De la même façon, la volonté des personnes souhaitant que l’on continue à privilégier le mariage hétérosexuel n’est pas universelle. Elles ont le droit de le pratiquer dans leur vie mais pas de l’imposer à tous. Cette confusion est aussi le fait des colons israéliens qui brandissent en Palestine la Bible comme un titre de propriété d’ordre divin. L’intégrisme religieux n’est pas seulement le fait de l’islamisme. Il est présent dans les trois religions monothéistes.

Le terme de laïcité n’est jamais utilisé par l’Union européenne au sein de laquelle de nombreux Etats ne le considèrent pas comme un principe fondateur. Certains pays ont milité en revanche pour intégrer les racines chrétiennes au sein de la Constitution…

Certains pays de l’Union européenne accordent des privilèges publics aux religions, comme les Britanniques ou les Polonais, et tous les pays n’entendent pas séparer l’Etat et l’église. La Suède a prononcé la séparation, l’Espagne a modifié l’article 16 de sa Constitution dans ce sens. Les mentalités évoluent sur cette question. La France a refusé que l’on intègre la notion de racines chrétiennes aux prétexte que ce n’est pas la seule mais une des racines qui pouvait être prise en compte. Si on écrit l’Histoire on ne peut pas mettre en avant un seul chapitre. Nous pourrions aussi évoquer la civilisation romaine sur laquelle se fonde notre justice, où la pensée libre et critique de Socrate et des philosophes grecs.

Quels effets bénéfiques nous apporte l’émancipation laïque ?

Le principe de paix entre les religions et entre les religions et l’athéisme. L’égalité des droits, le choix d’éthique de vie, de liberté sexuelle, elle permet de sortir de certains systèmes de dépendance.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Société, Religion, rubrique Politique, Pour une République qui n’a pas besoin de supplément d’âme, Aubry s’étonne, rubrique Science, Science politique, rubrique RencontreEntretien avec Daniel Bensaïd, Rubrique Livres, Essai,

Ce que le futur président de la Commission européenne a promis au Parlement

Photo The Guardian

Photo The Guardian

À l’image de ce qui se produit en Allemagne ou en Autriche, Jean-Claude Juncker a présenté un programme de « grande coalition » aux députés. Désormais élu, il a jusqu’à la fin du mois de juillet pour constituer son équipe.

Pendant une trentaine de minutes, Jean-Claude Juncker a exposé aux députés, mardi 15 juillet, les principaux axes du programme qu’il compte développer une fois à la tête de la Commission européenne.

Les idées détaillées sont le résultat de plusieurs jours de négociations avec les différentes familles politiques, aucune ne disposant de la majorité à elle seule au sein de l’hémicycle. Le groupe du Parti populaire européen (PPE), auquel appartient M. Juncker, ne détient que 221 sièges sur les 751.

Les lignes directrices proposées par le nouveau chef de l’exécutif reflètent ainsi le compromis noué avec le groupe des socialistes et démocrates européens (S&D, 191 sièges). Des concessions ont aussi été faites aux Libéraux (ALDE, 67 élus).

Pour tenter de convaincre les réfractaires, l’ancien Premier ministre luxembourgeois a pris soin d’envoyer un document explicatif d’une quinzaine de pages, traduit dans toutes les langues de l’UE, à chacun des élus.

Économie et finances

  • 300 milliards d’euros d’investissements publics-privés d’ici trois ans dans l’économie réelle. Une mesure à prendre avec des pincettes puisque le document laisse entendre qu’il s’agit avant tout de mieux utiliser l’argent existant. Une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI) est toutefois évoquée, même si elle n’est pas chiffrée. En 2012, 10 milliards d’euros avaient déjà été injectés au capital de la BEI pour cofinancer des projets d’infrastructures.
  • En lien avec ces investissements, Jean-Claude Juncker souhaite ramener la part de l’industrie de 16 à 20% dans le PIB communautaire.
  • Il propose aussi de stimuler le marché unique du numérique en harmonisant les réglementations des télécoms, du droit d’auteur, de la gestion des ondes radio, et de la protection des données. Il estime le gain à 250 milliards d’euros sur cinq ans.

Social

  • “Révision ciblée” de la directive sur le détachement des travailleurs. Malgré la réforme de la fin de l’année 2013, les socialistes, en particulier français, ont poussé pour que le chantier soit à nouveau ouvert afin de réduire un peu plus les possibilités d’abus.
  • Extension de la garantie jeunesse de 25 à 30 ans. Cette disposition existe toutefois déjà. Chaque État est libre de la mettre en oeuvre.
  • Encourager les États à mettre en place un salaire minimum.

Énergie

  • Miser sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Lire  l’article.
  • Renforcer l’indépendance de l’UE, pour qu’elle soit “capable d’avoir accès” à d’autres ressources rapidement si les prix fixés par un partenaire deviennent trop élevés. Un message à peine voilé à l’intention de la Russie.

Institutions

  • Nommer un commissaire, qui aura le titre de vice-président, pour gérer la simplification et l’allègement de la législation européenne.
  • Réformer certaines procédures, comme celle d’autorisation des OGM, qui permet à la Commission d’autoriser une culture alors qu’une majorité d’États y est opposée.
  • Les contacts entre lobbyistes, commissaires ou représentants de la Commission européenne devront être publics. Le registre de transparence des institutions, qui existe depuis 2010, deviendra obligatoire,

Accord de libre-échange avec les États-Unis :

  • Jean-Claude Juncker s’est engagé à s’opposer à un abaissement des normes européennes. Il refuse également que les données personnelles soient incluses dans le traité. De plus, il rejettera la mise en place de juridictions qui règleraient les litiges entre entreprises et États et empiéteraient sur les systèmes nationaux.
  • Pour satisfaire aux demandes des Verts, M. Juncker a insisté sur le renforcement de la transparence. L’accès des députés aux documents sera plus grand.  L’UE n’a rien à cacher, a insisté le futur président de la Commission.

Élargissement et immigration :

  • «Aucun élargissement d’ici 2019”, a assuré M. Juncker. Même si les négociations avec les pays candidats à l’UE, en particulier les Balkans, se poursuivront. Aucune allusion directe à la Turquie.
  • Mise en place d’une politique migratoire européenne calquée sur les modèles américain ou canadien, qui permettent de faire venir des personnes pour répondre aux besoins de l’économie et “d’attirer les talents”.

Marathon jusqu’au 1er novembre

Un peu avant 13h, à l’issu d’un vote à bulletin secret, Jean-Claude Juncker a été officiellement élu à la présidence de la Commission européenne, avec 422 voix pour, 250 contre et 47 abstentions.

Parmi les partis français, l’UMP, et l’UDI-Modem ont voté en sa faveur. Le Front national et le Front de Gauche ont voté contre, et le PS s’est abstenu. Les Verts sont divisés, José Bové ayant soutenu le Luxembourgeois.

M. Juncker doit désormais constituer son équipe, le « collège des commissaires ». Lors de sa conférence de presse finale, il a pointé du doigt le manque de femmes parmi les noms proposés par les capitales.

L’objectif est d’arrêter une liste, et une répartition des portefeuilles, d’ici la fin du mois de juillet. Les 27 prétendants seront ensuite auditionnés par les députés entre le mois de septembre et le début du mois d’octobre. L’ensemble de l’équipe devra enfin être adoubé par le Parlement en séance plénière. La nouvelle équipe prendra ses fonctions le 1er novembre. Si tout va bien.

Source : Contexte 15/078/2014

Synthèse des principales propositions

Voir aussi : Rubrique UE, Juncker archives, rubrique Luxembourg, Politique Affaires, On Line : Élection de Juncker : méfiance au PS, confiance à l’Élysée,

L’extrême-droite remporte l’élection au Danemark à la surprise générale

Morten Messerschmidt, candidat du Parti du peuple danois. Source AFP

Morten Messerschmidt, candidat du Parti du peuple danois. Source AFP

Comme en France, une formation d’extrême droite anti-immigrés et eurosceptique, le Parti du peuple danois (DF), arrive en tête des élections européennes au Danemark avec 26,7 % des voix, soit plus du double de son score obtenu lors des élections de 2009.

Cette victoire spectaculaire permet à DF d’envoyer deux députés européens en plus des deux actuels à Strasbourg et Bruxelles. Deux tiers des gains réalisés l’ont été au dériment du parti libéral, affaibli par un scandale qui a touché son président. L’autre tiers provient des sociaux-démocrates, un parti à qui l’extrême droite n’hésite pas à faire des appels du pied.

Lors de son discours du 1er mai, le président de DF, Kristian Thulesen Dahl, avait été jusqu’à leur lancer un appel direct : « Les travailleurs danois ont beaucoup à gagner si DF et les sociaux-démocrates se rapprochent l’un de l’autre. » Un calcul en partie électoraliste, mais qui témoigne aussi de la volonté de DF – qui prend garde de se démarquer systématiquement du FN …

Source Le Monde 26/05 2014

Voir aussi : Actualité internationale, Rubrique UE, Danemark , rubrique Politique, Politique de l’immigration,

 

Un jour d’enfer. L’UE fait semblant

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Félicitation aux aveugles, aux borgnes aux abstentionnistes.

Bravo les partis politiques, bravo les médias… La nature de cette campagne n’a pas été démocratique. On a tenu et on continue de tenir sur l’Europe des discours qui ne correspondent pas à la réalité de ce qui est fait et de ce qu’il est actuellement permis de faire.

Personne n’assument et tout le monde fait semblant. j’entends l’intellingentsia minimiser le phénomène attent on la phase suivante (montée de la violence) pour bien nous « sécuriser » ?

Chez nous comme ailleurs les partis ont fait une campagne nationale avec comme seule vision leur tambouille qui n’interesse personne. Bonjour la démocratie représentative…

C’est bien de demander aux Français ce qu’ils pensent ce serait mieux de leur donner les moyens de penser…

Un jour d’enfer

10390968_337630266384901_1797103334691636331_nJ’arrive pas à m’y faire, j’ai passé une journée de merde sans pouvoir planifier quoi que ce soit.

Je me dis que les Français n’ont peut-être pas envie, après tout, de connaître la vérité sur ce qui se passe. Et refusent même en toute bonne foi d’y croire lorsqu’ils l’ont sous les yeux.

Camouflage en bleu blanc rouge, c’est pas si grave, vivement le Mundial… Pas de justice, ni de moralité à chercher dans tous ça, comme si c’était écrit.

Les vautours décrivent des cercles autour du vide. Ils attendent que les coeurs s’arrêtent.

Quant à moi, je suis un peu comme le mec assis sur la photo avec au premier plan le FN et l’UMP qui se roulent des pelles…

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Politique, Européennes : le PS et l’UMP menacés par un séisme présidentiel, Politique localeMunicipales : Dans le Gard, victoire du FN à Beaucaire, défaite à Saint-Gilles, rubrique Société, Société civile, Vauvert. Festival contre les discriminations, Rubrique Rencontre, Alain Hayot la contre offensive,

La politique de François Hollande, une menace pour l’Europe

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Pour le président de la République, qui s’exprime dans les colonnes du Monde à l’occasion du 8 mai,  »l’Europe, c’est la paix ». Il invite les Français, à l’approche des élections du 25 mai, à partager sa foi dans l’Union : qui pourrait préférer la guerre ? Cet européen fervent entend ainsi conjurer les tentations nationalistes ou souverainistes, soit la sortie de l’euro et le protectionnisme. Et si la plus grande menace qui pèse en France sur l’idéal européen, c’était plutôt, paradoxalement, la politique de François Hollande lui-même ? Car la fin de la Deuxième guerre mondiale, ce n’est pas seulement la paix ; c’est aussi la victoire contre le nazisme – soit un espoir démocratique (du moins en métropole). Or, en faisant désespérer de la politique, la politique actuelle sape les fondements mêmes de la démocratie.

DÉSESPÉRER DE LA POLITIQUE

Certes, le président célèbre  »le plus vaste ensemble d’États démocratiques et la plus grande économie du monde » ; mais le problème actuel, n’est-ce pas justement la tension entre démocratie et marché ? Le néolibéralisme produit des inégalités croissantes que les socialistes au pouvoir, loin de combattre, contribuent encore à creuser. C’est favoriser l’avènement d’une oligarchie. Mais il y a plus : si la démocratie est fragilisée, c’est parce que le ralliement enthousiaste de François Hollande au néolibéralisme, avec l’austérité imposée au plus grand nombre et le pacte de responsabilité offert aux patrons, efface toute différence avec son prédécesseur.  »Hollande dit souvent », confie un ancien conseiller ministériel à Mediapart,  »qu’il faut faire la même politique que Nicolas Sarkozy, mais en douceur… » Il faut bien parler d’un sarkozysme à visage humain.
On se souvient du slogan de campagne de François Hollande :  »Le changement, c’est maintenant ». Une fois élu, opter pour la continuité, c’est vider le suffrage de toute signification. Les électeurs en concluent qu’il n’est pas de différence entre la majorité et l’opposition : dès lors, à quoi bon voter ? C’est encourager l’abstention, surtout dans les classes populaires – d’où, de facto, un suffrage censitaire.

C’est aussi donner raison au Front national qui dénonce sans relâche l’UMPS. D’ailleurs, les récentes élections municipales ont confirmé le mépris du président pour la logique électorale, voire pour l’électorat : après le désaveu dans les urnes, tout se passe en effet comme si… rien ne s’était passé. Le président avait entendu le message, disait-on pourtant. On connaît la devise du conservatisme éclairé, selon Le guêpard :  »Pour que tout reste en l’état, il faut que tout change ». On a découvert, avec la nomination de Manuel Valls à Matignon, celle du socialisme néolibéral selon François Hollande :  »Le changement, c’est ne rien changer ».

Sans doute le chef de l’État, dans sa tribune, évite-t-il de reprendre le mantra de Margaret Thatcher :  »Il n’y a pas d’alternative ! » Aussi déclare-t-il :  »il n’y a pas qu’une seule Europe possible. » Il aura cependant bien du mal à convaincre que celle qu’il promeut  »met fin à l’austérité aveugle », ou  »encadre la finance avec la supervision des banques ». Nul ne doute effectivement que  »c’est une Europe qui protège ses frontières », mais qui peut croire à l’inverse que c’est  »en préservant la liberté de se déplacer et en garantissant le respect du droit d’asile » ? De fait, l’Europe forteresse qui coûte la vie à des dizaines de milliers de migrants dans la Méditerranée est la négation de l’Europe qui prétendait en finir avec les murs en 1989.

UN PÉRIL MANIFESTE POUR LA DÉMOCRATIE

Pour la démocratie, le péril est manifeste. Le chef de l’État vient de nommer un Premier ministre cité à comparaître devant le tribunal correctionnel le 5 juin pour provocation à la discrimination et à la haine raciales, en raison de propos tenus en 2013. Il répétait en particulier :  »Les Roms ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie ». Or le porte-parole de son gouvernement, Stéphane Le Foll, en reprend la substance : les Roms, a-t-il déclaré sur RTL le 15 avril, « il faut chercher à les faire retourner d’où ils viennent, en Roumanie ou en Bulgarie, et éviter qu’il y en ait qui reviennent ou qui viennent ». La continuité avec Brice Hortefeux, Éric Besson et Claude Guéant est claire2. Qu’en est-il donc de la liberté de circuler ? Oui aux hommes d’affaires roumains, non aux Roms misérables ?

Et qu’en est-il des leçons du 8 mai ? En 2010, Viviane Reding, commissaire européenne aux Droits de l’homme, s’indignait de la politique française à l’égard des Roms, quand  »des personnes sont renvoyées d’un État membre juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième Guerre mondiale. » Elle découvrait alors une circulaire que le gouvernement français avait cachée à l’Europe. Aujourd’hui, c’est, à la suite du Premier ministre, le porte-parole du gouvernement qui s’exprime ouvertement. Et le pire est sans doute qu’on n’entend plus protester – comme le faisait l’opposition à l’époque du discours de Grenoble, à commencer par Manuel Valls :  »on désigne des populations à la vindicte ». Même l’Europe est désormais silencieuse.

Le président de la République peut bien, en invoquant la crise, tenter de justifier ses choix économiques en affirmant qu’ils n’en sont pas. Mais il sera plus difficile de faire croire que, pour gérer 18 000 habitants de bidonvilles, on n’a pas d’autre choix que de les repousser sans fin, d’un pont d’autoroute à une décharge publique. Quelle est la rationalité de la persécution des Roms ? Auraient-ils  »vocation » à être les boucs-émissaires du néolibéralisme ? Et cette politique de la race serait-elle l’envers d’une politique économique que François Hollande emprunte à Nicolas Sarkozy, au risque de tuer la démocratie dont il se veut l’ardent défenseur ?

Les europhiles néolibéraux font aujourd’hui le jeu des nationalistes europhobes. Avec de tels amis, l’Europe démocratique n’a pas besoin d’ennemis.

Eric Fassin (Sociologue)

Source : Le Monde 09 05 2014

Voir aussi : Rubrique Politique, Fin de l’indétermination démocratiqueUn plan d’austérité injuste, dangereux et illégitime, rubrique UE, Un rapport accablant sur l’activité de la troïka, rubrique Société, Les Roms ont dû intégrer la mobilité, pour s’adapter au rejet”,