Le droit des femmes à l’égalité dans l’héritage affole le Maghreb

Marche pour l'égalité entre les femmes et les hommes à Tunis, en mars 2018; © Reuters

Marche pour l’égalité entre les femmes et les hommes à Tunis, en mars 2018; © Reuters

Selon une interprétation littérale du Coran, les hommes se taillent la part du lion en matière d’héritage, au détriment des femmes. Depuis des décennies, le combat pour l’égalité successorale divise les sociétés musulmanes. Le président tunisien promet une loi très rapidement, déclenchant un tollé dans les rangs conservateurs au-delà de la Tunisie. Tour d’horizon des résistances au Maghreb.

a Tunisie va-t-elle encore une fois marquer l’Histoire et prouver qu’elle est à l’avant-garde des droits des femmes, comme aucun autre pays du monde arabo-musulman ? Son président, le nonagénaire Béji Caïd Essebsi, dont le mandat s’achève fin 2019, veut faire sauter l’inégalité entre les sexes devant l’héritage. Il a demandé aux parlementaires de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) de légiférer au plus vite pour une égalité successorale entre femmes et hommes de même degré de parenté. Le projet de loi doit être présenté cet automne au Parlement.

C’est osé, tant le sujet est hautement inflammable, tant les oppositions et les conservatismes sont forts au sein de la société tunisienne, comme dans toutes les sociétés musulmanes du Maghreb et au-delà. Et ce n’est pas acquis, même dans le « laboratoire de la démocratie », comme l’Occident aime à désigner désormais la Tunisie depuis la chute du dictateur Ben Ali en 2011, ce petit pays coincé entre l’Algérie et la Libye, qui en dépit d’un Parlement dominé par un parti islamiste (Ennahda), a su débarrasser globalement sa constitution de la référence à l’islam.

Il faut encore que le texte soit voté par un Parlement imprévisible, cacophonique, déjà très en retard sur de nombreux projets de loi, miné par l’absentéisme et les clivages entre modernistes et conservateurs, mais aussi entre membres d’une même famille politique, à l’instar du parti présidentiel Nidaa Tounes, ébranlé par des luttes internes de pouvoir.

Béji Caïd Essebsi, qui avait l’an dernier abrogé la circulaire de 1973 interdisant aux Tunisiennes d’épouser un non-musulman, poursuit sa lancée dans les pas modernistes et sécularistes de Habib Bourguiba, le pionnier de l’émancipation féminine en 1956, avec la réforme du code du statut personnel abolissant notamment la polygamie, la répudiation, le mariage avant 18 ans… Il va même plus loin que « le père de la nation » en s’attaquant à une inégalité reposant sur le Coran, le Sacré. La loi actuelle, qui prévoit qu’une femme hérite moitié moins qu’un homme du même rang de parenté, s’appuie sur le droit islamique. « Au fils, une part équivalente à celle de deux filles », consacre le Coran (sourate 4, verset 11).

Conscient du feu qu’il allume et pour ménager les plus rétrogrades, le chef de l’État tunisien propose de faire de l’égalité la règle par défaut et de l’inégalité, une dérogation, une exception. Il laisse la possibilité à ceux qui refusent que leurs filles héritent autant que leurs fils de le matérialiser de leur vivant par testament chez un huissier-notaire. Il suit ainsi les recommandations de la Commission pour les libertés individuelles et l’égalité, la Colibe, qui regroupe une dizaine d’islamologues, juristes et intellectuels de différentes sensibilités.

Chargée en 2017 de recenser les dispositions contraires aux principes de liberté et d’égalité consacrées par la Constitution de 2014, et de proposer des solutions pour les amender, la Colibe subit les foudres des milieux conservateurs depuis qu’elle a publié son rapport le 12 juin dernier. Elle y propose d’instaurer l’égalité devant l’héritage mais aussi de dépénaliser l’homosexualité ou de supprimer au moins les peines de prison, d’abolir la peine de mort, la dot, etc.

Deux jours avant l’annonce du président Essebsi, le 13 août dernier, lors de la « fête de la femme », jour férié en Tunisie qui célèbre la promulgation du code du statut personnel en 1956, plus de 5 000 personnes, emmenées par des associations religieuses, ont manifesté devant le Parlement tunisien contre les propositions de la Colibe, reprenant les plus folles rumeurs selon lesquelles la Colibe militerait pour la suppression de l’appel à la prière ou encore de la circoncision…

La première cible des attaques est la présidente de la Colibe, Bochra Belhaj Hmida. Députée indépendante et cofondatrice de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), l’une des associations féministes les plus en pointe, qu’elle a présidée de 1995 à 2001, Bochra Belhaj Hmida essuie insultes, menaces de mort et se voit diabolisée dans les prêches par de nombreux imams : « Ils pensent que je suis contre l’islam et que l’islam est contre l’égalité ! » s’indigne-t-elle auprès de Mediapart. Si « la fureur s’est un peu calmée », elle reste sous protection très rapprochée : « On veut même me rajouter des agents mais je résiste. »

Bochra Belhaj Hmida se veut « très confiante » : « On ne convaincra pas les dogmatiques, très bien organisés, qui manipulent les gens en jouant sur le sentiment religieux : “Viens manifester contre cette réforme ou tu finiras en enfer.” Mais nous pouvons l’emporter en faisant preuve de beaucoup de pédagogie. C’est le choc, la peur du changement, le “on a toujours vécu ainsi” qui paralysent. Il faut expliquer aux femmes comme aux hommes que nous avons tous intérêt à l’égalité. »

Depuis des décennies, la question de l’égalité dans l’héritage divise les sociétés musulmanes, où le religieux est un puissant marqueur identitaire, soulève les haines des plus fondamentalistes, qui voient là encore et toujours la main de l’étranger, de l’Occident. Au Maghreb, le débat va et vient, entre tabou et confusion, depuis les années 1990. Et les rares sondages continuent de donner « l’opinion publique » vent debout contre ce droit des femmes, au prétexte qu’il violerait la sunna, la loi de Dieu. Au Caire, l’initiative du président tunisien est considérée comme « une violation flagrante des préceptes de l’islam » par les autorités de la mosquée Al-Azhar, qui font référence dans le monde musulman sunnite.

Si à Tunis, défilent aujourd’hui dans les rues, les médias, les foyers, les mosquées les “pour” et les “contre”, hier, c’était au Maroc. Dernier bastion de résistance à l’avènement de l’égalité entre les sexes, le droit successoral, à l’instar du droit de la famille, récuse toute séparation du civil et du religieux, devenant le lieu où s’écharpent traditionalistes et modernistes. « L’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) revendique une réforme depuis la fin des années 1990. À l’époque, même les associations féministes n’en parlaient pas, se souvient Khadija Ryadi, figure du militantisme au Maroc, qui anime la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains. Lors de la grande campagne en 1992 pour le changement de la Moudawana [le code de la famille marocain – ndlr], l’égalité devant l’héritage n’était pas au programme. Et déjà, sans cela, les femmes qui menaient cette campagne et osaient revendiquer leurs droits avaient été la cible de menaces ; dans les mosquées, des imams ont prêché, des fatwas de mort ont été prononcées. »

En octobre 2015, c’est une institution officielle, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), qui lançait le pavé dans la mare en dénonçant cette injustice qui « augmente la vulnérabilité des femmes à la pauvreté » et en appelant à une réforme pour que le Maroc soit enfin dans les clous de sa constitution et des conventions internationales qu’il a signées pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Tollé dans le royaume où les partisans du statu quo envoyaient, en tête de cortège, des femmes dire non à l’égalité devant l’héritage, avec toujours cet argument triomphant que l’on retrouve partout dans les pays arabo-musulmans : « C’est aux hommes de se tailler la part du lion, car c’est eux qui subviennent aux besoins du foyer », une réalité sociologique d’un autre âge.

Celui « de l’Arabie du VIIe siècle », pointe la sociologue et féministe Hanane Karimi, dans une tribune ici au site Middle East Eye« La finalité principale poursuivie par les lois successorales dans le Coran est d’assurer une répartition équitable et juste de la succession du défunt entre ses proches, écrit-elle. Après le paiement des frais de funérailles et d’enterrement, le paiement des dettes et des legs, le Coran propose un schéma de distribution de la succession qui correspond à la répartition économique des rôles dans les familles de l’Arabie du VIIe siècle. Dans ce contexte, la condition de l’application de l’héritage était l’entretien et la protection des parentes par les héritiers. Les hommes avaient pour responsabilité de subvenir aux besoins du foyer – femme et enfants –, ainsi que de tout membre féminin sous leur protection – sœur ou tante non mariée par exemple. Or aujourd’hui, dans un contexte où les femmes pourvoient aux besoins du foyer aux côtés des hommes et parfois seules, cet arrangement des rôles est caduc. L’évolution moderne de la famille marocaine ne permet plus de postuler d’une solidarité mécanique effective. »

Chefchaouen, Maroc, 2016. © Rachida El Azzouzi

Chefchaouen, Maroc, 2016. © Rachida El Azzouzi

« La dévalorisation des femmes est structurelle aux mentalités, toutes tendances confondues »

Parmi les plus farouches adversaires politiques d’un progrès, on trouve les islamistes du PJD au pouvoir (Parti de la justice et du développement), furieux de cette « recommandation irresponsable », mais pas seulement. En matière d’égalité femmes-hommes, au Maroc comme ailleurs, les lignes de fracture habituelles sont brouillées. Les plus progressistes des politiques, mais aussi des activistes ou des érudits, peuvent parfois apparaître comme de redoutables conservateurs. À l’opposé, un ancien prédicateur repenti comme le salafiste Mohamed Abdelouahab Rafiki, dit Abou Hafs, condamné à 30 ans de prison après les attentats de Casablanca en 2003, est devenu, lui, un premier soutien et appelle à l’ijtidhad – soit à une réinterprétation des textes sacrés, car « la question de l’héritage doit être cohérente avec les évolutions de la société ».

« Il y a une matrice commune de fond, où la dévalorisation des femmes est structurelle aux mentalités, toutes tendances confondues. Et sur cette question, précisément, il y a des divisions internes au sein même des moins conservateurs », remarque la théologienne marocaine Asma Lamrabet, l’une des personnalités les plus inspirantes du féminisme musulman, mondialement connue pour ses travaux de réinterprétation du Coran et sur la place des femmes en Islam (lire ici notre entretien avec elle).

« L’héritage est le nœud gordien de la question de l’égalité parce qu’elle touche au pouvoir matériel des hommes. Questionner cette donnée religieuse, c’est remettre en cause les fondements du patriarcat religieux arabo-musulman, à savoir l’autorité “absolue” des hommes sur les femmes et la subordination de ces dernières à cette autorité au sein des deux sphères politique et familiale. Autorité supposée être de droit divin et donc indiscutable », décrypte Asma Lamrabet.

Alors qu’elle travaillait depuis une dizaine d’années « à sortir d’une lecture traditionaliste rigide et profondément discriminatoire du Coran » et à faire bouger les lignes de l’intérieur de la Rabita Mohammedia des oulémas de Rabat, « citadelle de résistances religieuses », assiégée par les tenants conservateurs du patriarcat, elle a été contrainte à la démission au printemps dernier pour ses prises de positions en faveur de l’égalité dans l’héritage. C’est la médiatisation de ses propos après une conférence universitaire autour d’un nouvel ouvrage collectif sur le sujet au Maroc – L’Héritage des femmes, sous la direction de la psychologue Siham Benchekroun après Les hommes défendent l’héritage, porté en 2017 par la psychanalyste Karima Lebbar – qui a eu raison de son poste de directrice du Centre des études sur les femmes en islam de la Rabita.

Fin mars, aux côtés d’une centaine de personnalités marocaines, Asma Lamrabet a signé la pétition lancée par les auteurs de L’héritage des femmes appelant à mettre fin à l’une des plus terribles lois successorales inscrites dans le code marocain, celle du ta’sib. Souvent confondue avec celle de la demi-part, elle intime notamment aux héritières n’ayant pas de frère de partager la moitié de leurs biens avec les parents masculins du défunt, même très éloignés (oncles, cousins, etc.).

Abrogée en Tunisie en 1959 par Bourguiba, la loi du ta’sib provoque des drames humains considérables au Maroc. « Elle est à l’origine de beaucoup de problèmes sociaux. Des femmes sont chassées de leur maison, des oncles qui n’ont jamais rendu visite à leur frère débarquent le jour de sa mort pour prendre leur part d’héritage, décrit la militante des droits humains Khadija Ryadi. Aujourd’hui, les familles essaient de contourner la loi. Des couples, même très pieux, qui n’ont pas eu de garçon essaient de mettre tous leurs biens au nom de leurs filles. »

En Algérie, où le courant conservateur est aussi puissant et où la même injustice que le ta’sib sévit sous un autre nom, on rêve d’un président qui prendrait la même initiative que son homologue tunisien. D’autant, comme le rappelle le journaliste d’El Watan et romancier Adlène Meddi, « dans ce pays, les avancées concernant les droits des femmes se font en binôme avec le pouvoir. Car les résistances sont très fortes au sein de la société. Si tu ne travailles pas avec les autorités, toute la société va être contre toi, hommes et femmes réunies ».

Nadia Ait Zaï y travaille depuis des décennies, avec un optimisme à toute épreuve. Conférencière en droit de la famille à l’université d’Alger, militante reconnue des droits des femmes au Maghreb, avocate, elle dirige le Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme (Ciddef), qui a fait du combat pour l’égalité dans l’héritage une de ses obsessions, depuis les années 1990. C’est le Ciddef qui a soumis au débat public et aux autorités en 2010 le premier Plaidoyer pour une égalité de statut successoral entre homme et femme en Algérie. Sans que cela ne déclenche comme au Maroc ou en Tunisie de grandes discussions sociétales. « Aujourd’hui, il n’y a pas la même volonté politique en Algérie qu’en Tunisie, mais l’idée fait son bonhomme de chemin », concède Nadia Ait Zaï.

« Pour le moment, les mentalités régressent, en l’absence d’un discours politique clair, franc, voulant aller vers l’égalité effective, regrette-t-elle. Au lieu de construire des relations égalitaires entre hommes et femmes dans la famille, on continue à réfléchir hiérarchisation des sexes, puissance maritale, alors que les codes de la famille du Maghreb ont connu des changements. Les notions de chef de famille et de devoir d’obéissance ont été abrogées, remplacées par l’égalité entre les époux dans la gestion de la famille. Si la loi a connu des changements, la société est encore empreinte de conservatisme et le politique ne s’y attaque pas. »

Comme beaucoup de femmes mais aussi d’hommes à travers le monde arabe, du Maghreb à l’Égypte, en passant par le Liban, la Jordanie, la Mauritanie, Nadia Ait Zaï a le regard tourné vers la Tunisie : « Comment cette égalité va-t-elle être consacrée dans la loi ? Si c’est un choix entre l’égalité ou la permanence de l’inégalité inspirée de la charia tel qu’annoncé par le président tunisien, c’est ce qui existe déjà de nos jours du vivant de la personne qui veut et peut partager à parts égales son patrimoine entre fille et garçon. Il faut dire que des révolutions culturelles et religieuses ont déjà lieu en silence dans des familles. »

Chaque année, le Ciddef, confronté dans ses permanences à des injustices criantes en matière d’héritage fracturant les familles, appauvrissant les veuves, les filles, remet le combat au centre, rappelle qu’il est urgent de légiférer, que les femmes contribuent à la construction du patrimoine autant que les hommes. Mais le Ciddef se sent bien démuni dans l’arène publique, soutenu par encore trop peu de parlementaires, d’associations et de partis politiques. Le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) est le seul parti à s’être vraiment positionné. En septembre, le plus laïc des partis algériens a, lors de son colloque Les femmes progressistes en lutte pour l’égalité, réaffirmé la nécessité de l’égalité dans l’héritage, ce qui lui a valu une levée de boucliers des conservateurs. Pour le chef du syndicat algérien des imams, Djeloul Hadjimi, ce droit des femmes serait une source de « fitna » (« division »)…

Source : Médiapart 14/10/2018

Le cabinet de guerre de Donald Trump

 John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.) Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).


John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.)
Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).

En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État et John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, Donald Trump a profondément remanié l’équipe en charge de la politique étrangère des États-Unis. Et donné un poids accru aux « faucons ».

Donald Trump entend-il lancer une guerre contre la Corée du Nord ou plus probablement l’Iran ? Si l’on ne peut répondre à cette question de façon catégorique, une chose est sûre : il prépare le terrain à cette éventualité. En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État, puis John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, il a désigné deux des figures les plus belliqueuses du Parti républicain. Bolton, en particulier, incarne depuis trois décennies la propension à vouloir tout régler par la force militaire — hier contre Cuba ou en Irak, aujourd’hui contre l’Iran ou la Corée du Nord — au point de jouir, jusque dans des cercles républicains, du surnom de « Strangelove », le fameux Docteur Folamour du film de Stanley Kubrick, qui symbolise la folie nucléaire. Avec ces nominations (et celle de Gina Haspel à la tête de la CIA, une femme qui a personnellement dirigé un site américain de tortures après le 11-Septembre et a autorisé la destruction de cassettes montrant ces pratiques), Trump a mis en place l’équipe dirigeante la plus va-t-en-guerre de l’ère moderne américaine, une équipe idéologiquement très marquée à l’extrême droite, du moins pour les deux premiers nommés.

Depuis quarante ans, Bolton personnifie une vision unilatérale et exceptionnellement belliciste de la politique extérieure américaine, qui fait de la « guerre préventive », prohibée par le droit international, son fondement stratégique. Il appartient à l’école ultra-nationaliste agressive, dans la tradition de Douglas MacArthur, l’homme qui prônait en 1948 de lancer la bombe A sur la Chine pour contrer l’avancée communiste, puis en 1951 contre la Corée du Nord. Il incarne jusqu’à la caricature ce que le politologue Richard Hofstadter désigna dans un ouvrage célèbre de 19651 comme « le style paranoïaque » d’une droite radicale américaine où les théories du complot prolifèrent, accompagnées d’une insondable détestation pour tout ce qui viendrait enrayer la mission légitime des États-Unis de dominer le monde. Ainsi Bolton déclara-t-il à l’ONU : « Il faudrait recomposer le Conseil de sécurité et qu’il n’y ait plus qu’un seul membre permanent : les États-Unis »

La droite radicale qu’étudie Hofstadter n’hésite devant aucun mensonge ou fabrication pour justifier ses ambitions. Bolton non plus. Lorsqu’en 2002, George W. Bush invoqua son « axe du mal » entre la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, Bolton décréta immédiatement qu’il existait « des connexions puissantes entre les trois régimes » pour la fabrication d’armes de destruction massive. Ses outrances devinrent légendaires quand Bush le nomma ambassadeur à l’ONU, où il fit un passage éclair en 2005-2006. Vite marginalisé, y compris dans des milieux conservateurs, cela n’empêcha pas le Wall Street Journal puis Fox News, la chaîne de toutes les droites, de l’accueillir dès lors et jusqu’à ce jour avec bienveillance. L’homme eut tout loisir d’y déverser ses diatribes contre les innombrables menaces qu’affrontent les États-Unis — l’islam, l’Europe, la Chine, plus les ennemis intérieurs, eux aussi innombrables — et l’unique moyen qu’il connait pour les endiguer : frapper, encore et encore.

« Bombardons l’Iran »

Même si l’on se restreint au seul Proche-Orient, les citations affolantes de Bolton ne se comptent plus. Peu avant que l’accord international avec l’Iran sur le nucléaire militaire soit finalisé, il signe dans le New York Times un article titré : « Pour arrêter la bombe iranienne, bombardons l’Iran » (« To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran », 26 mars 2015). Cet appel advenait après des centaines d’autres. De 2002 à ce jour, Bolton n’a cessé d’annoncer que la menace nucléaire iranienne était « imminente ». En 2009, il déclare à l’université de Chicago : « Sauf si Israël est disposé à user de l’arme nucléaire contre le programme iranien, l’Iran aura une arme nucléaire dans un très proche avenir ». Comme l’écrit Uri Friedman dans The Atlantic (« McMaster is Out, and even Bigger North Korea Hawk is In », 22 mars 2018), c’est le seul cas connu où un politicien américain a justifié qu’un autre pays que les États-Unis, « puisse non seulement utiliser la bombe A, mais y est même encouragé. »

Car Bolton est également un grand ami d’Israël, ou plus précisément de sa fraction ultra. « La solution à deux États est un non-sens. Un État palestinien deviendrait inévitablement un État terroriste à la frontière d’Israël », a-t-il toujours expliqué, reprenant une vieille antienne israélienne. Sa nomination au Conseil national de sécurité américain a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement israélien. « Le président Trump continue de nommer de vrais amis d’Israël à de hautes positions, et Bolton ressort parmi eux », a déclaré Ayelet Chaked, ministre de la justice et membre de l’extrême droite coloniale religieuse. À l’opposé, Hanane Hachrawi, une figure intellectuelle du nationalisme palestinien, a jugé qu’avec Bolton, l’administration Trump « s’adjoint les sionistes extrémistes, les fondamentalistes chrétiens et les racistes blancs ». Quant à l’islam, il suffit de rappeler que Bolton, adepte du « choc des civilisations », fit l’éloge en 2010 d’un ouvrage, The Post-American Presidency, signé par deux islamophobes des plus radicaux, Robert Spencer et Pam Geller, cofondateurs du mouvement Stop Islamization of America. Ils y assurent que Barack Obama est un musulman masqué, suggérant que le gouvernement américain est « infiltré » par un « complot islamique secret ». Qui s’étonnera que le sénateur républicain Rand Paul, après la nomination de Bolton, ait vu en lui un homme « dérangé » ?

 

« Nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur »

Mike Pompeo, lui, est un radical d’un type différent, mais aux opinions similaires. Chrétien fondamentaliste, politicien de carrière — il a siégé huit ans à la Chambre — il a été proche de Steve Bannon, l’idéologue de l’« alter »-droite, et un leader important du Tea Party, mouvement qui a diffusé les attaques les plus désolantes et racistes contre l’ex-président Obama. Dès la victoire de Trump acquise, en novembre 2016, Pompeo s’exclame concernant l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les grandes puissances et validé par deux résolutions de l’ONU : « J’ai hâte d’abroger cet accord désastreux conclu avec le plus grand sponsor du terrorisme au monde ». Proche de Benyamin Nétanyahou, Pompeo déclarait en 2014, à Wichita, au Kansas, que le terrorisme islamiste « nous oblige à prier, nous battre et clamer que nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur, qu’il est vraiment la seule solution pour notre monde ». Sa vision apocalyptique d’un combat engagé entre le « bien » (l’Amérique telle que Pompeo la conçoit) et le « mal » (tous les autres et l’islam d’abord) a été sa référence constante — jusqu’à ce qu’il minore cet aspect une fois nommé à la tête de la CIA. Sa définition de la politique ? « Un combat jamais fini… jusqu’à parvenir au ravissement ». Ce thème du « ravissement », qui doit marquer le retour de Jésus sur terre, est très ancré dans l’évangélisme américain. Enfin, Pompeo s’est vu décerner un prix d’honneur par ACT for America !, autre association réunissant de grandes figures de l’islamophobie radicale aux États-Unis.

Pourquoi avoir nommé deux figures si « identitaires », l’une de la droite nationaliste extrême et l’autre de l’évangélisme militant ? Ces derniers mois, Trump a multiplié les gestes, y compris sur le terrain international, qui montrent qu’il se préoccupe d’abord… de politique intérieure. Des propos menaçant l’Iran (et la Corée du Nord) proférés aux Nations unies jusqu’aux mesures de taxation accrue de l’acier étranger en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la liste est longue des décisions prises récemment par Trump destinées, en premier lieu, à conforter sa base électorale — laquelle, grossièrement, unit précisément des nationalistes protectionnistes aux évangélistes radicaux. Avec, dans les deux camps, une obsession à défendre l’homme blanc américain menacé dans son identité, parce que progressivement dépossédé de son statut dominant. À l’approche d’échéances électorales, flatter cette base et ses espérances est, pour Trump, un impératif.

Comme le président Nixon au Vietnam

Qu’attendre, désormais, de nominations si inquiétantes ? On sent poindre, parmi les commentateurs américains, deux écoles. Soit Trump continue de « faire du Trump », soit on est réellement entré dans une phase nouvelle de son mandat. Qu’est-ce que « faire du Trump » ? L’Institution Brookings a révélé, en octobre 2017, une discussion privée à la Maison Blanche entre Donald Trump et ses conseillers. Elle tourne autour d’un ultimatum à la Corée du Nord. Trump s’emporte. « Non, non, vous ne leur donnez pas trente jours [pour accepter]. Vous leur dites que s’ils n’acceptent pas les concessions exigées dès maintenant, ce fou peut balancer l’affaire à chaque instant » ! Bref, Trump, simule la « dinguerie » pour mieux obtenir ce qu’il exige par l’effroi qu’il suscite, reprenant à son compte la fameuse « madman theory », la « théorie du dingo » que le président Nixon aurait imaginée en 1969 pour faire croire aux Nord-Vietnamiens qu’il pourrait lâcher sur eux la bombe A pour gagner la guerre. Dans cette vision, à la veille de négocier avec Pyongyang, de proposer un « plan de paix » au Proche-Orient qu’il entend imposer aux Palestiniens et de remettre en cause l’accord nucléaire avec Téhéran, Trump aurait nommé Pompeo et Bolton dans le seul but d’effrayer ses interlocuteurs récalcitrants, afin de négocier en position favorable.

La seconde tendance estime que même si cette analyse correspond à l’unique méthode que connait Trump en toute situation — s’imposer par la peur — cela ne répond pas aux interrogations. Car si cette option ne porte pas ses fruits — ce qui, dans les trois cas, est hautement probable —, alors la seule issue pour son instigateur consiste à battre en retraite piteusement ou à passer à l’acte. C’est ici que les « scénarios Folamour » deviennent plausibles et que, comme l’a déclaré Bob Corker, le président (républicain) de la commission des affaires étrangères du Sénat, Trump risque de « nous mener sur la voie d’une troisième guerre mondiale ».

Car, pour s’en tenir au Proche-Orient, on voit mal comment les Iraniens, en position de force au regard du droit international, accepteraient de faire la moindre concession pour réviser un accord validé par deux résolutions des Nations unies. Téhéran a déjà réagi avec mépris aux appels de Trump à renforcer les sanctions. Or, avec les nominations de Pompeo et Bolton, les observateurs sont unanimes : le 12 mai prochain, à l’échéance qu’il a lui-même fixée, Trump retirera de manière formelle la signature des États-Unis de l’accord approuvé par son prédécesseur. Dès lors, les options guerrières vis-à-vis de l’Iran seront à nouveau sur la table. Par ailleurs, alors que l’administration Trump entend toujours imposer un « accord » israélo-palestinien qui verrait Israël préserver l’essentiel de ses colonies et la vallée du Jourdain dans une Palestine réduite à plusieurs bantoustans discontinus avec une capitale sise dans un faubourg de Jérusalem, on ne voit pas, quelle que soit la manne financière qui accompagnerait cet illusoire « accord de paix », quel dirigeant palestinien — et même, à vrai dire, quel dirigeant arabe — viendrait l’adouber publiquement.

Dès lors, la politique du « retenez-moi où je fais un malheur » a toutes les chances de se briser sur les réalités internationales. Mais c’est à ce moment que s’ouvriront les options les plus terrifiantes. Car si Kim Jong-un refuse d’abandonner son maigre arsenal atomique qui constitue l’unique arme de dissuasion dont dispose son régime paranoïaque pour garantir sa survie, Trump se retrouvera face à l’obligation d’élever le niveau des pressions. Jusqu’où ? De même, une fois le traité avec l’Iran annulé et de nouvelles pressions américaines votées contre Téhéran, combien de temps l’Iran acceptera-t-il de préserver son respect d’un accord saboté par son principal interlocuteur ? C’est là que, quel que soit l’état d’esprit réel de Trump — joue-t-il au fou ou l’est-il vraiment ? — la question est de peu d’importance. On entrerait dans une zone de turbulences où les nominations de Pompeo et Bolton pourraient s’avérer décisives.

L’Irak et la Syrie nouveaux champs d’affrontement ?

Pour la plupart des analystes, une attaque contre les sites de production atomique de la Corée du Nord semble quasi impensable. Chinois, Japonais et Sud-Coréens ont depuis longtemps mis en garde Washington contre les risques qu’une telle opération leur ferait courir. Une offensive contre des sites en Iran serait l’option que l’équipe Trump-Pompeo-Bolton devrait privilégier. Elle serait soutenue, activement ou tacitement, par Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avec d’autant plus de facilité que l’Iran, lui, ne dispose pas de l’arme nucléaire. C’est là qu’un Bolton et un Pompeo, bellicistes déterminés, pourraient « envoyer la politique de sécurité nationale américaine vers des eaux inconnues », écrit Richard Silverstein dans Middle East Eye (14 mars 2018). Avant même leur nomination, Robert Malley, président de l’International Crisis Group et ex-conseiller d’Obama sur le Proche-Orient, s’inquiétait vivement de l’éventualité d’un accrochage militaire entre Iraniens et Américains dans la région, par exemple en territoire irakien, qui provoquerait une « escalade » potentiellement incontrôlable. Avec Pompeo et Bolton aux manettes, le pire serait à craindre.

Certes, au vu du fonctionnement de Trump, qui peut prédire ce que sera leur influence réelle ? Mais pour beaucoup d’analystes, l’attitude des Européens, et notamment des Allemands et des Français, face à la fuite en avant belliciste de l’administration Trump, sera déterminante. S’ils optent de manière déterminée pour préserver l’accord signé avec Téhéran, il leur faudra mener une diplomatie visant à isoler le plus possible Washington, dans l’espoir d’amener l’administration Trump à prendre conscience des conséquences néfastes pour elle-même de son attitude. Il n’est cependant pas sûr que des personnalités telles que Trump, Pompeo ou Bolton y soient sensibles. Au contraire, on peut s’attendre à ce que les Européens — qui, de plus, ont rarement manifesté un courage débordant et surtout une unité sans faille face aux Américains sur la scène proche-orientale — craignent qu’un tel isolement américain pousse Trump et ses proches à tenter de sortir par le haut en s’engageant dans un conflit armé contre l’Iran. Si cette éventualité advenait, les conséquences, à l’échelle régionale et peut-être planétaire, pourraient être incommensurables.

Restent plusieurs inconnues. Bolton aura-t-il l’influence qu’on lui octroie ? Le général James Mattis au Pentagone et les généraux de l’état-major hostiles à une aventure guerrière contre l’Iran pourraient-ils contenir les velléités de la Maison Blanche d’attaquer si l’ordre était donné ? Indubitablement, le bellicisme de Trump reste loin d’être majoritaire aux États-Unis. Mais on sait combien les opinions publiques peuvent basculer une fois un conflit engagé. À Paris, l’ancien directeur du département Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, Yves Aubin de la Messuzière, juge qu’il faut placer les États-Unis dans une situation d’isolement maximal. « La France, dit-il, s’honorerait en prenant l’initiative ambitieuse d’un appel commun entre Européens, Chinois et Russes sur le thème “respect de l’accord, rien que l’accord, tout l’accord” avec Téhéran, pour empêcher toute évolution guerrière aux conséquences imprévisibles ». Un tel appel bénéficierait de soutiens au sein même de la classe politique américaine. Car si les États-Unis attaquaient directement le territoire iranien, les Iraniens « pourraient réagir en bloquant le détroit d’Ormuz et en attaquant des cibles américaines en Irak et en Syrie. Les suites seraient inconnues ». Aubin veut croire que les dirigeants américains en sont conscients. La probabilité la plus grande, conclut-il, est que si Trump attaque les Iraniens, il lance une opération militaire contre eux en Syrie. « Ça n’aura pas le même poids, mais même là, les risques de dérapage incontrôlé et de conséquences à l’échelle régionale seront importants ».

1The Paranoid Style in American Politics ; traduit en français en 2012 sous le titre Le style paranoïaque dans la politique américaine, François Bourin éditeur.

Source :  Orient XXI 02/04/2018

À l’ONU, l’isolement américain se confirme sur Jérusalem

L’ambassadeur Riyad Mansour, observateur permanent de la Palestine aux Nations-Unies, lors de l’assemblée générale à New York. / SPENCER PLATT/AFP

L’ambassadeur Riyad Mansour, observateur permanent de la Palestine aux Nations-Unies, lors de l’assemblée générale à New York. / SPENCER PLATT/AFP

Une large majorité d’États membres a approuvé le texte dénonçant la décision américaine sur la Ville Sainte, un nouveau camouflet pour Washington

Comme prévu par les connaisseurs avisés de l’ONU, la résolution sur Jérusalem a recueilli une large majorité des suffrages parmi les 193 membres de l’Assemblée générale. Au total, 128 États ont approuvé ce texte soumis au vote jeudi 21 décembre, à New York, et condamnant la reconnaissance américaine de la Ville Sainte comme capitale d’Israël. Aussi, 35 pays ont décidé de s’abstenir et 9 l’ont rejeté.

Dans la foulée, les Palestiniens ont vu dans cette large majorité la preuve d’un soutien international dont ils se sont félicités. Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, avait quant à lui rejeté les résultats par avance, qualifiant les Nations unies de « maison de mensonges ».

Réaction au véto américain

Le vote résulte d’une proposition commune du Yémen et de la Turquie, que les deux pays ont faite au titre de la présidence du Groupe des pays arabes à l’ONU pour le premier, et du sommet de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) pour le second. Dans une lettre datée de lundi 18 décembre, leurs représentants aux Nations unies avaient demandé « la poursuite urgente » de la session spéciale de l’Assemblée à générale « à la lumière du véto des États-Unis » intervenu un peu plus tôt le même jour.

À (re) lire : La décision sur Jérusalem « illégale » pour les musulmans

Isolement américain

Une référence au rejet par Washington d’un projet de texte présenté au Conseil de sécurité par l’Égypte afin de rendre « nulle et non avenue » la décision de Donald Trump. Des quinze membres du Conseil de sécurité, les États-Unis avaient alors été les seuls à s’opposer à la résolution égyptienne. Les quatorze autres, qu’ils soient permanents comme la Chine, la Russie, la France et le Royaume-Uni, ou non, comme le Sénégal, la Suède ou le Japon, l’avaient approuvé. Un camouflet pour les États-Unis qui, malgré leur droit de veto, ont alors pu mesurer leur isolement diplomatique.

Menaces vaines

Pour éviter un nouveau revers jeudi 21 décembre, Washington avait multiplié les pressions à l’approche du vote de l’Assemblée générale où, si les textes approuvés ne sont pas contraignants, aucun veto n’est possible contrairement au Conseil de sécurité. « Nous nous en souviendrons quand on nous demandera encore une fois de verser la plus importante contribution », avait menacé Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU, avant même le scrutin. Plus tôt, elle avait déjà prévenu : « Le président observera attentivement ce vote et il a demandé que je lui signale les pays qui auront voté contre nous », avait ainsi prévenu Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU. Des menaces qui n’ont pas porté leurs fruits.

Marianne Meunier
Source La Croix 21/12/2017
Source

Jérusalem. Mot d’ordre commun contre la provocation

L’erreur de Trump a produit un mouvement de solidarité. Photo JMDI

La déclaration du président des Etats-Unis sur Jérusalem a soulevé une vague d’indignation à travers le monde. Mobilisé dimanche sur la Place de La Comédie à Montpellier, le Collectif 34 Palestine s’est joint au concert d’indignation.

« ?L’absence de rationalité que l’on prête au président américain n’empêche pas que sa démarche s’inscrive dans une certaine logique? », faisait valoir hier à Montpellier un ancien militant de la cause palestinienne ayant répondu à l’appel du Collectif 34 Palestine. Un propos qu’il est aisé de constater dans les faits. En trois semaines, le gouvernement des Etats-Unis a attaqué le peuple palestinien sur trois fronts. Le 18 novembre, l’administration du président des Etats-Unis a annoncé sa décision de fermer le bureau diplomatique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington. Le 5 décembre, le Congrès des Etats-Unis a voté à l’unanimité l’adoption de la loi Taylor Force, qui vise à bloquer, de 2018 à 2024, l’aide apportée à l’Autorité palestinienne, à moins que cette dernière ne cesse de verser des prestations aux familles de militants palestiniens morts au combat ou inculpés. Mais c’est le troisième affront, le 6 décembre, qui risque de s’avérer le plus dévastateur pour les initiatives de paix. Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis reconnaissaient officiellement Jérusalem comme capitale d’Israël en provoquant une onde de choc dont la structure ondulatoire devient très apériodique.

«?Jérusalem est et restera éternellement la capitale de l’Etat de Palestine?», a affirmé le président palestinien Mahmoud Abbas suivi par les leaders musulmans qui appellent, le président Turc Erdogan en tête, le monde à reconnaître Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine. Pour les 350 millions d’Arabes et les 1,5 milliard de musulmans dans le monde, la ville sainte constitue une question primordiale.

Trump avec les purs et durs

Même si elle n’a pas déclenché la spirale de violence redoutée, les violences suscitées par la décision américaine, ont causé la mort de huit palestiniens depuis le 6 décembre. Dont quatre décès et des centaines de blessés ce vendredi dans la bande de Gaza où l’armée israélienne a tiré à balles réelles sur les manifestants. Pour l’ancien militant montpelliérain qui précise que son accent américain n’a aucune importance?: «?Trump a pactisé avec les tenants du sionisme pur et dur, ceux qui iront jusqu’au bout...?» Une version corroborée par le New York Times qui avance que le président américain aurait décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël après un dîner à la Maison-Blanche avec le milliardaire Sheldon Adelson, magnat des casinos de Las Vegas et principal financier du Parti républicain.

Solution attendue de l’extérieur

«?Après l’annonce du 6 décembre, le message est clair, explique le militant montpelliérain, on impose aux palestiniens la version israélienne de Netanyahou et de ses alliés d’extrême droite.?» Pour ce militant avisé du conflit israélo-palestinien la mobilisation significative du peuple israélien qui a réuni des centaines de milliers de manifestants à Tel Aviv pour demander la démission du chef de gouvernement n’est pas en mesure de faire basculer la balance. «?A travers le monde, tous les observateurs s’accordent à reconnaître que la solution viendra de l’extérieur.?»

Loin de servir les intérêts de son pays, la conversion du président américain à la vision israélienne exclut les Etats-Unis de l’histoire du Moyen-Orient et ouvre le champ à l’UE. «?L’erreur de Trump produit un grand mouvement de solidarité à travers le monde, souligne Isabelle Boissora la présidente du Collectif 34 Palestine, La France a manifestement une carte à jouer. Face à Netanyahou, Mr Macron et ses formules diplomatiques est apparu un peu tiède?».

JMDH

Source La Marseillaise 18/12/2017

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Macron reçoit Netanyahu sur fond de crise sur le statut de Jérusalem

Photo archive

Ce dimanche 10 décembre, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu est reçu à l’Elysée par le président Macron. Les deux hommes participeront à un déjeuner de travail. Une visite qui intervient en pleine crise au Proche-Orient suite à la déclaration du président américain Donald Trump sur le statut de Jérusalem.

Benyamin Netanyahu avait déjà été invité au mois de juillet pour commémorer le 75e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, en France, sous le régime de Vichy. Le président Macron et le Premier ministre israélien avaient alors multiplié les gestes d’amitié. Benyamin Netanyahu a d’ailleurs déclaré samedi qu’il partait rencontrer son «ami», le président Macron, c’est le terme utilisé. Les deux hommes se sont d’ailleurs téléphoné à plusieurs reprises depuis le mois de juillet.

Cette fois, c’est d’abord de l’Iran dont il devrait être question. Benyamin Netanyahu martèle dans chaque discours à l’étranger que c’est la principale menace sécuritaire qui pèse sur Israël. Sur la table, donc, ce dimanche à Paris, le programme balistique de Téhéran et sa politique régionale au Liban et aussi en Syrie.

Mais un autre sujet est venu s’intercaler dans cet agenda déjà chargé : la reconnaissance de Jérusalem par le président américain, comme capitale officielle d’Israël. Une décision saluée par Benyamin Netanyahu et que le chef de l’Etat français n’a pas condamné mais immédiatement qualifiée de « regrettable ».

Paris souhaite que son hôte réitère l’engagement qu’il avait pris de travailler à la solution à deux Etats, entérinée par l’ONU. Solution qui prévoit la coexistence pacifique d’Israël et de la Palestine dans les frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale commune.

Pour Frédérique Schillo, spécialiste d’Israël et auteure de La politique française à l’égard d’Israël (1946-1959), la diplomatie française a une carte à jouer en ce moment au Proche-Orient. « Les Français ont de vraies chances à saisir. Parce que la France, finalement, est peut-être plus présente sur le terrain que ne le sont les Américains. Les Américains ont déserté le terrain moyen-oriental. Or, les Français sont présents. C’est une présence historique au Liban et ils sont présents aussi via la force de la FINUL, qui est une force d’interposition entre le Hezbollah et Tsahal. Donc, Netanyahu a tout intérêt à prendre en considération la position française ». Et ce d’autant que concernant le Hezbollah, il y a entre la France et Israël une totale convergence de vue.

Paris comme médiateur ?

Cette rencontre pourrait être aussi l’occasion pour le président français de jouer les médiateurs dans la crise, poursuit Frédérique Schillo.

« Macron peut saisir une opportunité, parce qu’en effet, la France a toujours souhaité promouvoir la solution à deux Etats, analyse l’historienne. Elle est la première à dire qu’il faut à la fois un futur Etat palestinien et un Etat d’Israël reconnu et sûr dans ses frontières », explique-t-elle.

Selon Frédérique Schillo, la prise de position américaine comporte le risque pour Washington de perdre une carte maîtresse : celle de l’apparente neutralité. Une situation dont le chef de l’Etat français peut éventuellement profiter, bien que sa marge de manœuvre soit limitée.

« Le président Macron a une carte à jouer, celle du rôle de médiateur que les Français ont toujours voulu mettre en avant. Le problème c’est : quelles sont ses possibilités ? Elles sont en réalité assez limitées. On en restera beaucoup aux symboles », conclut-elle.

Les attentes pour les Palestiniens

Le militant Issa Amro, défenseur des droits de l’homme palestinien de Hébron, où il organise une résistance pacifique à l’expansion de la colonisation,  espère pour sa part que le président français prendra une position claire en faveur du processus de paix et d’un Etat palestinien.

« Nous avons besoin d’un grand pays tel que la France pour nous donner de l’espoir et nous soutenir pour poursuivre le processus de paix. Trump a détruit le processus de paix, on a besoin que d’autres pays s’engagent pour défendre les droits des Palestiniens, en respectant le droit international, et le consensus et qu’ils reconnaissent Jérusalem-Est comme la capitale de la Palestine. »

« Je suis sûr que de nombreux pays emboiteront le pas de la France pour reconnaitre la Palestine en tant qu’Etat. Cela nous aiderait et cela atténuerait les réactions violentes contre la guerre que Trump a lancées contre la paix. J’espère que Macron dira à Netanyahu qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut, ou ce qu’il croit au nom de son idéologie fanatique et extrémiste. »

Geoffroy Van Der Hasselt

Source AFP 09/12/2017

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