En rire pour éviter d’avoir à en pleurer

IMG_0845Album. Le dessinateur montpelliérain Aurel vient de faire paraître son quatrième ouvrage consacré à la vie politique sous Hollande : La droite complexée.

« J’ai fait un dessin hier soir disant qu’on ne pouvait pas pleurer, parce que les larmes sur un dessin, ça fait baver l’encre » confiait Aurel au lendemain des attentats du 7 janvier. Après la tristesse, il a repris le travail pour plusieurs titres* en suivant les frasques de nos politiques, histoire de se rétablir et nous soigner par l’humour.

L’entreprise débutée il y a quatre ans, retrace le soap opéra d’un quinquennat dramatique que la mise en évidence des dessins d’Aurel rend franchement comique. C’est une grande vertu du dessin de presse de nous faire rire là où un bon papier sur le même sujet nous fait fulminer.

Après Hollande et ses deux femmes, C’est dur d’être de gauche, et Un monde de merde, vient de paraître La droite complexée avec sur la couverture Hollande entouré de ses deux complices Valls et Macron. Placé sur le trône au cinquième étage de Bercy par notre auguste président, ce dernier rejeton de la banque d’affaire Rothschild, se taille la part du lion dans la première partie du recueil intitulée Un gouvernement qui aime l’entreprise.

Le journaliste politique Renaud Dély qui signe l’introduction des cinq chapitres, rappelle les mots du chouchou du CAC 40 venu en août dernier fustiger les 35h devant les patrons du MEDEF : « Il y a l’amour… et il y a les preuves d’amour », leur a-t-il susurré.

Après les numéros d’équilibre de la sainte trinité du patronat Hollande-Valls-Macron, Aurel se consacre à la foire d’empoigne qui sévit chez les nouveaux Républicains. Dépités que le PS leur ait piqué leur programme ils pillent celui de Marine. L’opus clownesque à pour titre: A droite toute, on y retrouve ceux qui s’étouffent d’entendre le ministre de la justice chanter La Marseillaise.

Le recueil se poursuit sur une question en forme d’état des lieux ; La gauche, pour ce qu’il en reste. On y voit un couple de quinquagénaires tout vert, tirer sur un pétard pour comprendre la logique du Gouvernement, ou le Premier ministre débouler à l’université du P.S en char d’assaut. C’est assurément lui qui tient le rôle de la vedette sur la ligne évolutive nous ayant conduit de l’union de la gauche, à la gauche plurielle pour arriver à la gauche plus rien.

L’ouvrage se conclut sur le désarroi des peuples français et grec « L’humour est vecteur de pédagogie. Le court-circuit du rire agit comme un précieux révélateur, » souligne Cécile Duflot invitée avec quelques politiques et journalistes ( Kosciusko-Morizet, Pécresse, Hortefeux, Sieffert…) à commenter la lecture d’un dessin.

C’est sur un conseil de Tignous que le dessinateur de presse avait frappé à la porte de La Marseillaise à Montpellier qui a publié ses premiers dessins. Il avait 18-19 ans. On s’en souvient toujours, Aurel qui dédit son livre  à Tignous, aussi.

JMDH

w * Aurel  dessine  pour Le Monde, Marianne et Politis, le nouvel Obs.

Aurel, La Droite complexée, Editions Glénat 15 euros

Source :  La Marseillaise 19/11/2015

Voir aussi : Rubrique Livre, BD, rubrique Politique, rubrique Médias, Dessin de presse,

Ces corps machine qui nous fascinent

Matt_Mullican_RD-MMUL-001 (2)

Matt Mullican : Le lynchage de l’empathie dans la représentation humaine

Art. L’ancienne faculté de pharmacie de Montpellier devenue La Panacée renoue avec son passé à l’occasion de l’expo d’art contemporain Anatomie de l’automate.

La nouvelle exposition d’art contemporain de la Panacée Anatomie de l’automate s’inscrit dans la continuité d’une ligne programmatique qui interroge notre époque. C’est aussi un retour aux sources, aux belles heures de la dissection qui se tenaient en ce lieu au XVe siècle. Conçue en collaboration avec le Musée d’art moderne et contemporain de Genève, Manco, l’expo a trouvé localement un partenaire logique avec l’Université de Montpellier. La ville dont dépend La Panacée y a vu une occasion intéressante de valoriser l’histoire de la médecine à Montpellier.

« L’exposition prend pour point de départ l’analogie du corps humain et de la machine pour explorer les imaginaires de la vie artificielle, indique le commissaire d’exposition Paul Bernard, l’homme a souvent été perçu comme une machine et la machine peut être perçue comme un homme « , hasarde le jeune commissaire.

On est proche du champ de réflexion du Post humain développé par des philosophes comme Gilbert Simondon, qui s’intéresse au mode d’existence des objets techniques ou comme Dominique Lecourt qui nous invite à réexaminer le système des valeurs admises et à inventer de nouvelles formes de vie qui intègrent les nouvelles techniques de procréation, et les NTIC.

Au-delà du contexte manufacturier, l’avancée des techniques issues de la robotique produit paradoxalement de l’émotion. Mais elle porte aussi en germe une multiplicité d’usages et de conséquences, plus ou moins prévisibles. On sait le peu d’attention que portent les chercheurs aux bouleversements sociaux et éthiques qui pointent. Avec Anatomie de l’automate, on ne doit pas s’attendre à une résistance d’ordre artistique.

Tout au contraire, l’intérêt de l’expo est de mettre en exergue la fascination de la relation homme machine à travers l’histoire depuis les Lumières. Descartes affirmait déjà  que l’animal n’est rien d’autre qu’une machine perfectionnée et ne voyait pas de différence fondamentale entre un automate et un animal.

Une trentaine d’oeuvres de provenance internationale sont mises en regard autour de ce thème, de la frappante dissection verticale du peintre médecin G Alexandre Chicotot, (XIX e) à nos jours. Des pièces sortent du lot comme celle de l’américain Matt Mullican qui réinvente le monde dans une logique post-conceptuelle. L’oeuvre exposée fait état du lynchage de l’empathie dans la représentation humaine. On croise le travail du japonais Tetsumi Kudo, marqué par la bombe atomique, avec une installation au sol pleine de force. On vogue dans l’étrangeté avec l’artiste autrichien Markus Schinwald qui invoque les fantômes contemporains.

Autour de Anatomie de l’automate, la Panacée propose des visites guidées thématiques durant toute la durée de l’exposition.  Et présente aussi des installation plus ludiques. On pourra ainsi se faire tirer le portrait par un robot, réjouissant non ?

JMDH

Source :  La Marseillaise 20/11/2015

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Montpellier, rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Science, rubrique Société, rubrique Philosophie,

“Les Français doivent se battre contre le projet d’une énième loi antiterroriste”, Giorgio Agamben

 Des militaires du camp de Satory à Versailles, au garde-à-vous, en attendant le discours du ministre de la Défense dans le cadre du plan Vigipirate alerte attentat. © Julien Muguet / IP3
Un “Patriot Act à la française” est-il souhaitable ? Pas pour le philosophe italien Giorgio Agamben, qui considère que, dans un Etat sécuritaire, la vie politique est impossible. Et la démocratie en danger.

Alors que Bernard Cazeneuve doit présenter de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme demain en Conseil des ministres, le philosophe Giorgio Agamben, pendant italien de Michel Foucault, a accepté d’évoquer avec nous les séquelles politiques de l’attaque contre Charlie Hebdo. Vilipendeur de l’état d’exception (qu’il a disséqué dans sa trilogie Homo Sacer), il a consacré une bonne partie de sa vie à pointer les dérives du biopouvoir, ce pouvoir qui s’exerce sur les corps et gouverne les hommes.

Tandis que certaines voix parlementaires réclament déjà un « Patriot Act à la française » (du nom de ce texte américain voté sept semaines après le 11 septembre 2001), il dresse le portrait sévère d’une société où le droit à la sécurité, à la sûreté préempte tous les autres, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la liberté d’expression. La conséquence des politiques ultra-sécuritaires ? Un système qui abandonne toute volonté de gouverner les causes pour n’agir que sur les conséquences.

Après le choc de Charlie, la classe politique nous parle beaucoup du « droit à la sécurité ». Faut-il s’en méfier ?

Au lieu de parler de la liberté de la presse, on devrait plutôt s’inquiéter des répercussions que les réactions aux actes terroristes ont sur la vie quotidienne et sur les libertés politiques des citoyens, sur lesquelles pèsent des dispositifs de contrôle toujours plus pervasifs. Peu de gens savent que la législation en vigueur en matière de sécurité dans les démocraties occidentales – par exemple en France et en Italie – est sensiblement plus restrictive que celle en vigueur dans l’Italie fasciste. Comme on a pu le voir en France avec l’affaire Tarnac, le risque est que tout dissentiment politique radical soit classé comme terrorisme.

Une conséquence négative des lois spéciales sur le terrorisme est aussi l’incertitude qu’elles introduisent en matière de droit. Puisque l’enquête sur les crimes terroristes a été soustraite, en France comme aux Etats-Unis, à la magistrature ordinaire, il est extrêmement difficile de pouvoir jamais parvenir à la vérité en ce domaine. Ce qui prend la place de la certitude juridique est un amalgame haineux de notice médiatique et de communiqués de police, qui habitue les citoyens à ne plus se soucier de la vérité.

On va vous accuser de faire le lit du conspirationnisme…

Non. Dans notre système de droit, la responsabilité d’un crime doit être certifiée par une enquête judiciaire. Si celle-ci devient impossible, on ne pourra jamais assurer comme certaine la responsabilité d’un délit. On fait comme si tout était clair et le principe juridique selon lequel personne n’est coupable avant le jugement est effacé. Les théories conspirationnistes qui accompagnent invariablement ce type d’événement se nourrissent de la dérive sécuritaire de nos sociétés occidentales, qui jette un voile de suspicion sur le travail politico-judiciaire.

A cet égard, la responsabilité des médias est flagrante. L’indifférence et la confusion qu’ils produisent nous font ainsi oublier que notre solidarité avec Charlie Hebdo ne devrait pas nous empêcher de voir que le fait de répresenter de façon caricaturale l’Arabe comme un type physique parfaitement reconnaissable rappelle ce que faisait la presse antisémite sous le nazisme, où on avait forgé dans le même sens un type physique du juif. Si aujourd’hui on appliquait ce traitement aux juifs, ça ferait scandale.

Avant les attentats, les spécialistes du renseignement répétaient tous : « La question n’est pas de savoir si la France sera touchée par un attentat, mais quand elle le sera.  » Présenter l’acte terroriste comme inéluctable est-il un premier moyen de conditionnement du citoyen ?

Le terrorisme est aujourd’hui un élément stable de la politique gouvernamentale des Etats, dont on ne saurait se passer. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il soit présenté comme inéluctable. Peut-on imaginer la politique étrangère des Etats-Unis sans le 11-Septembre ? Cela est tellement vrai qu’en Italie, qui a été dans les années dites « de plomb », le laboratoire pour les stratégies d’utilisation du terrorisme, on a eu des attentats, comme celui de Piazza Fontana à Milan, dont on ne sait toujours pas s’ils ont été commis par les services secrets ou par les terroristes. Et je crois que le terrorisme est par definition un système où services et fanatisme travaillent ensemble, parfois sans le savoir.

Je partage entièrement la conviction de Marie-José Mondzain [une philosophe française spécialiste des l’image, ndlr] : il n’est pas vrai que nous sommes tous égaux face aux événements terroristes. Une majorité les vit uniquement sur le plan affectif, mais il y a aussi ceux qui veulent en tirer parti politiquement (on les voit déjà à l’œuvre). Il y a, enfin, une minorité qui essaie de comprendre et de réflechir aux causes véritables. Il faut travailler à ce que cette minorité devienne une majorité.

On a l’impression que les lois antiterroristes sont largement consensuelles à gauche comme à droite, mais que les citoyens ont déserté le débat public autour d’elles.

Pour comprendre l’unité systémique qui s’est établie entre Etat et terrorisme, il ne faut pas oublier que les démocraties occidentales se trouvent aujourd’hui au seuil d’un changement historique par rapport à leur statut politique. Nous savons que la démocratie est née en Grèce au Ve siècle par un processus de politisation de la citoyenneté. Tandis que jusque-là l’appartenance à la cité était définie avant tout par des conditions et des statuts de différentes espèces (communauté cultuelle, noblesse, richesse, etc.), la citoyenneté, conçue comme participation active à la vie publique, devient désormais le critère de l’identité sociale.

Nous assistons aujourd’hui à un processus inverse de dépolitisation de la citoyenneté, qui se reduit de plus en plus à une condition purement passive, dans un contexte où les sondages et les élections majoritaires (devenus d’ailleurs indiscernables) vont de pair avec le fait que les décisions essentielles sont prises par un nombre de plus en plus réduit de personnes. Dans ce processus de dépolitisation, les dispositifs de sécurité et l’extension au citoyen des techniques de contrôle autrefois reservées aux criminels récidivistes ont joué un rôle important.

Quelle place a le citoyen dans ce processsus ?

Le citoyen en tant que tel devient en même temps un terroriste en puissance et un individu en demande permanente de sécurité contre le terrorisme, habitué à être fouillé et vidéo-surveillé partout dans sa ville. Or il est évident qu’un espace vidéo-surveillé n’est plus une agora, n’est plus un espace public, c’est-à-dire politique. Malheureusement, dans le paradigme sécuritaire, les stratégies politiques coïncident avec des intérêts proprement économiques. On ne dit pas que les industries européennes de la sécurité, qui connaissent aujourd’hui un développement frénétique, sont les grands producteurs d’armements qui se sont convertis au business sécuritaire, qu’il s’agisse de Thales, Finmeccanica, EADS ou BAE Systems.

La France a voté quinze lois antiterroristes depuis 1986, certains appellent déjà de leurs vœux un « Patriot Act à la française », et pourtant, nous n’avons pu empêcher ni Merah, ni les frères Kouachi, ni Coulibaly. Comment expliquer la faillibilité de ces dispositifs ?

Les dispositifs de sécurité ont d’abord été inventés pour identifier les criminels récidivistes : comme on a pu le voir ces jours-ci et comme il devrait être évident, ils servent pour empêcher le deuxième coup, mais pas le premier. Or le terrorisme est par définition une série de premiers coups, qui peuvent frapper n’importe quoi et n’importe où. Cela, les pouvoirs politiques le savent parfaitement. S’ils persistent à intensifier les mesures de sécurité et les lois restrictives des libertés, c’est donc qu’il visent autre chose.

Ce qu’il visent, peut-être sans en avoir conscience, car il s’agit là de transformations profondes qui touchent l’existence politique des hommes, est le passage des démocraties de masse modernes à ce que les politologues américains appellent le Security State, c’est-à-dire à une societé où la vie politique devient de fait impossible et où il ne s’agit que de gérer l’économie de la vie reproductive. Le paradoxe est ici qu’on voit un libéralisme économique sans bornes cohabiter parfaitement avec un étatisme sécuritaire tout aussi illimité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet Etat, dont le nom renvoie étymologiquement à une absence de souci, ne peut au contraire que nous rendre plus soucieux des dangers qu’il entraîne pour la démocratie. Une vie politique y est devenue impossible, et une démocratie sans vie politique n’a pas de sens. C’est pour cela qu’il est important que les Français se battent contre le projet annoncé par le gouvernement d’une enième loi contre le terrorisme.

Je pense aussi qu’il faut situer le prétendu affrontement entre le terrorisme et l’Etat dans le cadre de la globalisation économique et technologique qui a bouleversé la vie des sociétés contemporaines. Il s’agit de ce que Hannah Arendt appelait déjà en 1964 la « guerre civile mondiale », qui a remplacé les guerres traditionnelles entre Etats. Or ce qui caractérise cette situation, c’est justement qu’on ne peut pas distinguer clairement les adversaires et que l’étranger est toujours à l’intérieur. Dans un espace globalisé, toute guerre est une guerre civile et, dans une guerre civile, chacun se bat pour ainsi dire contre lui-même. Si les pouvoirs publics étaient plus responsables, ils se mesureraient à ce phénomène nouveau et essayeraient d’apaiser cette guerre civile mondiale au lieu de l’alimenter par une politique étrangère démentielle qui agit au même titre qu’une politique intérieure.

Comment résister à cette tentation sécuritaire ? Existe-t-il des garde-fous ?

Il est clair que, face à une telle situation, il nous faut repenser de fond en comble les stratégies traditionnelles du conflit politique. Il est implicite dans le paradigme sécuritaire que chaque conflit et chaque tentative plus ou moins violente pour le renverser n’est pour lui que l’occasion d’en gouverner les effets au profit des intérêts qui lui sont propres. C’est ce qui montre la dialectique qui lie étroitement terrorisme et réponse étatique dans une spirale vicieuse et virtuellement infinie. La tradition politique de la modernité a pensé les changements politiques radicaux sous la forme d’une révolution plus ou moins violente qui agit comme le pouvoir constituant d’un nouvel ordre constitué. Je crois qu’il faut abandonner ce paradigme et penser quelque chose comme une puissance purement destituante, qui ne saurait être capturée dans le dispositif sécuritaire et dans la spirale vicieuse de la violence.

Jusqu’à la modernité, la tradition politique de l’Occident etait fondée sur la dialectique entre deux pouvoir hétérogènes, qui se limitaient l’un l’autre : la dualité entre l’auctoritas du Sénat et la potestas du consul à Rome ; celle du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel au Moyen-Age ; et celle du droit naturel et du droit positif jusqu’au XVIIIe siècle. Les démocraties modernes et les Etats totalitaires du XXe siècle se fondent, par contre, sur un principe unique du pouvoir politique, qui devient ainsi illimité. Ce qui fait la monstruosité des crimes commis par les Etats modernes, c’est qu’il sont parfaitement légaux. Pour penser une puissance destituante, il faudrait imaginer un élément, qui, tout en restant hétérogène au système politique, aurait la capacité d’en destituer et suspendre les décisions.

Olivier Tesquet

Source Télérama 20/01/2015 Mis à jour le 17/11/2015

Voir aussi : Actualité nationale La France en première ligne dans la guerre terroriste Rubrique SociétéCitoyenneté,  Attentats de Paris : Le temps de la récolte est venu, rubrique Politique, Société civile. : rubrique Philosophie, Où sont les politiques ?,

Etat de siège, finis tes carottes.

– C’est la guerre !

Mon père a claqué la porte d’entrée. Il a crié ces mots sans enlever son manteau. Il a répété  » la guerre  » sur le seuil de chaque pièce. Le salon, la salle à manger. Nous étions dans la cuisine, ma mère et moi.

– C’est la guerre.

Mon père, immense, occupant tout le chambranle. J’épluchais trois carottes, ma mère préparait un poireau.

-Qu’est-ce que tu racontes ?

Il l’a regardée, sourcils froncés. Ma mère et ses légumes. Il était mécontent. Il annonçait la guerre, et nous n’avions qu’une pauvre soupe à dire.

– Ce que je raconte ?

Geste brusque. Le journal est tombé sur la table, au milieu des épluchures.

 » Coup de force militaire à Alger  » titrait France Soir, publiant les photos de trois soldats.     » Les militaires rebelles proclament l’état de siège. »

J’ai regardé le titre à l’encre noire, mon père, ma mère.

– C’est la guerre, maman ?

Ma mère a plié le journal et l’a posé sur l’évier.

– Finis tes carottes.

– C’est ça, finis tes carottes, s’est moqué mon père.

Elle grattait la terre du poireau, coupait ses racines à petits gestes secs, découpait le blanc en fine rondelles. Moi je râpais les légumes avec un économe. Et lui nous observait.

– C’est tout ce que tu apprends à ton fils ? La cuisine ?

Ce dimanche 23 avril 1961, j’étais un enfant. Né douze ans, un mois et six jours plus tôt. Je préparais la soupe de la semaine avec ma mère et baissais la tête devant mon père.

Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Extrait de Profession du père, son dernier roman paru aux Editions Grasset.

Voir aussi : Rubrique Livres, Lecture, littérature française, Rubrique Rencontre, Sorj Chalandon,

« VatiLeaks » : la justice vaticane enquête sur deux journalistes italiens

Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels ». TONY GENTILE / REUTERS

Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels ». TONY GENTILE / REUTERS

Nouvelle secousse place Saint-Pierre. Le Vatican a annoncé, mercredi 11 novembre, l’ouverture d’une enquête sur la possible complicité de deux journalistes italiens « dans le délit de divulgation de nouvelles et de documents confidentiels », et examine d’autres complicités éventuelles.

Les deux journalistes, Gianluigi Nuzzi et Emiliano Fittipaldi, ont publié la semaine dernière deux livres, Chemin de croix (Flammarion) et Avarizzia (non traduit), jetant une lumière crue sur l’administration du Saint-Siège. Ils s’appuient sur des fuites de documents à l’intérieur du petit Etat, provenant nécessairement du proche entourage du pape. Les deux auteurs y décrivent également la mauvaise gestion et les dérives financières constatées par les équipes nommées par François.

Dans Chemin de croix, dont Le Monde a publié de larges extraits, Gianluigi Nuzzi, journaliste du Corriere della sera et auteur de Sa Sainteté et Vatican SA, dresse effectivement le tableau d’un Etat à la dérive, agité par un violent affrontement entre le pape, aidé d’une petite équipe d’ecclésiastiques et de laïques, et une administration vaticane jalouse de ses prérogatives, assise sur ses petits secrets et ses grands privilèges.

Le souvenir de 2012

A la fin d’octobre, le Saint-Siège a annoncé l’arrestation par la gendarmerie du Vatican, le 2 novembre, d’un prêtre espagnol, Vallejo Balda, et d’une experte des réseaux sociaux, Francesca Chaouqui, dans le cadre d’une enquête pour soustraction et divulgation d’informations et de documents confidentiels. Mme Chaouqui a été libérée en raison de sa collaboration avec la justice.

A Rome, cette double arrestation a fait resurgir le souvenir des VatiLeaks, tels qu’avaient été appelées, en 2012, les fuites, dans la presse, de documents confidentiels volés dans le bureau du pape par son majordome. Des faits qui avaient assombri les derniers mois du pontificat de Benoît XVI.

Dimanche, le pape François a pris à témoin les fidèles rassemblés place Saint-Pierre, à Rome, pour répondre à cet épisode :

« Je veux vous assurer que ce triste événement ne me détourne certainement pas du travail de réforme que nous effectuons avec mes collaborateurs et avec le soutien de vous tous. »

Source : Le Monde.fr avec AFP 11/11/2015
Lire Les extraits de « Chemin de croix », de Gianluigi Nuzzi

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Vatican, rubrique Politique, Affaires, rubrique Société, Religion, rubrique LivresEst-ce Dieu qui guide cette main ?, Essais,