Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press
Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.
Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence, que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.
C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.
Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter
A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.
* 190 000 visiteurs en 2010
Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.
A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné
A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.
Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.
Une mode en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.
Tumaco, Colombie, 2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images
Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.
Made in England
L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.
Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé «The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »
Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network
Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.
Sur la chaussée, on peut encore voir les multiples traces de freinage. Ce sont les seules signes du drame de la nuit précédente. Trois jeunes Anglo-Pakistanais d’une trentaine d’années, dont deux frères, Shazad et Munir Hussein, sont morts renversés par une voiture conduite par des personnes d’origine africano-carribéenne.
Il était environ une heure trente, ils sortaient de la mosquée toute proche et retournaient dans la rue pour protéger leurs commerces contre les adolescents pillards. Dudley Road, au nord-est du centre de Birmingham, est la rue principale du quartier pakistanais. La deuxième ville d’Angleterre accueille l’une des plus importantes communautés asiatiques du pays.
Ce mardi, elle est sous le choc. La police a établi un large périmètre de sécurité autour du lieu du drame. Des jeunes se regroupent non loin, la plupart du temps silencieux. Raj Rattum, travailleur social depuis dix ans dans le quartier, s’inquiète: «Aujourd’hui la communauté est très triste et blessée. Tout le monde se connaît ici. Elle risque de réagir.»
Les tensions sociales entre les deux communautés ne sont pas nouvelles selon lui: «En 2005, il y a déjà eu un mort. Ce soir, ce n’est pas sûr, mais il peut y avoir des affrontements. Les anciens appellent au calme mais les jeunes vont vouloir se venger».
«La police ne fait rien»
Devant la petite mosquée de Dudley, une simple maison anglaise typique, une trentaine de personnes sont présentes, dans l’attente. M. Raschid, la soixantaine, le président de l’association cultuelle qui gère la mosquée, appelle au calme: «Les gens sont frustrés. Ils ont prévenus la police depuis plusieurs jours mais elle n’a rien fait.»
Il n‘est pas vraiment surpris des attaques contre la communauté anglo-pakistanaise: «Le centre de Birmingham était trop protégé et les Africains ont toujours été jaloux des Asiatiques. Nous, nous réussissons socialement et professionnellement. Mais j’espère qu’il n’y aura pas d’affrontements ce soir. Nous devons plutôt coopérer avec la police».
Justement, il est 14h30 et il doit se rendre a la réunion avec les autorités locales dans le gymnase d’une école primaire à quelques centaines de mètres de là. On prend son taxi – son vrai métier. On passe devant le commissariat de quartier. Il critique en souriant, désabusé: «C’est le poste de police sans policiers. Le soir, il ferme à 5 heures et après nous sommes seuls».
Le gymnase est comble, deux cents personnes, en très grande majorité des hommes pakistanais. Au premier rang, les anciens, longues barbes et souvent tout de blanc vêtu. Au fond, debout, les jeunes, en jeans et sweat, portant casquettes ou chachias.
Meurtre
Face à eux, quelques policiers et la député locale, Shabana Mahmood. Elle prend la parole, elle dit que justice sera faite, qu’il faut avoir confiance. L’officier en chef Sean Russel, en uniforme, poursuit: «Trois personnes sont mortes hier. Nous n’aurions jamais voulu que cela arrive a notre communauté». Il tente de justifier l’inefficacité de la police: «Nous avions mal évalué la menace. Il y a eu 20 fois plus de troubles que lors d’une nuit normale, c’était un vrai challenge pour nos effectifs». Il semble sincère et ému. La foule se tait, à l’écoute. «Je peux déjà vous assurer que nous considérons que c’est un meurtre et des suspects ont été arrêtés.»
Applaudissements nourris. La communauté pakistanaise avait peur que cela soit classé comme un accident de la route. L’inspecteur Richard Russel continue: «Les coupables vont connaître le pouvoir de la loi. Ils ne resteront pas impunis.» Applaudissements à nouveau.
Et puis, petit a petit, l’atmosphère change lorsque débutent les questions. La colère remonte, la tension, palpable, explose. Un homme se lève, virulent: «Ou étiez-vous? Pourquoi n’êtes vous pas intervenus?» Un autre: «Nous appelons toujours la police, vous ne venez jamais!» L’officier en chef se défend: «Vous êtes traités comme les autres communautés, je vous l’assure.» Il n’est pas écouté. Un troisième: «Nous avons perdu trois frères cette nuit. Vous ne faites pas votre travail. Quand il y a des émeutes, vos hommes ont peurs de prendre des risques!»
«Qu’allez-vous faire contre les noirs ?»
Les hommes demandent encore et encore s’il y aura vraiment des poursuites, ce que fera la police, pourquoi elle n’a pas agi hier soir. La rumeur dit que l’ambulance a mis du temps à venir car elle a été retardée par les policiers. Les policiers se défendent comme ils peuvent, répétant toujours les mêmes phrases: «60 policiers sont mobilisés, c’est un triple meurtre».
Les gens s’indignent qu’il n’y ait pas déjà d’arrestations. «Ce ne serait pas pareil s’il y avait eu trois morts a Londres», crie l’un. Tonnerre d’applaudissements. Ils sont persuadés que les policiers de la ville sont envoyés ailleurs — pour protéger la capitale ou Manchester. Sean Russel assure le contraire: «Je suis fier de faire partie de la police de Birmingham, nous avons toujours fait notre travail!»
«Que devons-nous faire ce soir?», demandent-ils tous. «Vous devez soutenir la police». «Mais comment?» «Vous devez nous soutenir, nous faire confiance». «Qu’allez vous faire contre les noirs?» insiste un jeune homme, un sikh.
La réunion n’est plus qu’un vaste brouhaha, plus personne ne s’écoute. Des jeunes montrent du doigt les policiers qui demandent le calme. Une représentante de la communauté noire, Sybil Spence, la soixantaine, arrivée au bout d’une heure, tente de prendre la parole. Plusieurs hommes quittent la salle. Son discours est inaudible. Elle cite David Cameron. «Qu’a-t-il fait pour que cela n’arrive pas?», demande la foule.
«Escalade»
L’officier en chef, Sean Russel, optimiste et ferme au départ, plisse le front, visiblement très ennuyé. Un jeune hurle: «C’est la communauté qui a protégé la mosquée hier et qui le fera encore ce soir alors que c’est votre job! Si vous ne faites rien, vous allez voir les musulmans et les sikhs aller dans la rue et finir le travail que vous devriez faire!»
La réunion dure depuis un peu plus de deux heures. Les hommes quittent le gymnase mais restent en nombre dans la petite cour de l’école. Giz Kahn, 28 ans, remonte Dudley Road – ou s’enchaînent les magasins de tapis, les bureaux Western Union et les vendeurs de kebabs – vers le lieu du drame. Il n’est pas très optimiste: «Hier les gens voulaient juste protéger leurs maisons et leurs magasins. Maintenant, l’ambiance est complètement différente. Dans les deux ou trois jours, il peut y avoir des affrontements. Je pense que ca va être l’escalade».
Quelques dizaines de mètres plus loin, le supermarché jamaïcain est toujours ouvert. Cinq ou six personnes d’origine carribéenne se tiennent devant, silencieuses. La nuit tombe, les bobbies sont de plus en plus nombreux. Un homme de la police scientifique frotte le bitume avec un balai pour effacer toute trace du drame.
Quentin Girard Libération
Londres : l’insondable péril jeune
Les jeunes sont-ils au cœur des émeutes ? Sans doute, puisque la police londonienne a arrêté un gamin de 11 ans. Mais le premier à plaider coupable, hier, était un homme de 31 ans travaillant comme assistant dans une école primaire. Poursuivi pour s’être trouvé dans un magasin pillé, sans rien voler, il a été relâché en attendant son procès.
Le Highbury Corner Magistrates Court juge ainsi à la chaîne depuis mardi soir, nuit comprise, les centaines de personnes arrêtées lors des trois jours d’émeutes dans la capitale. Deux chambres correctionnelles sont mobilisées ; procureurs, juges et avocats y assurant une sorte de trois-huit. Suivait un étudiant de 19 ans coupable d’avoir piqué deux tee-shirts. Souvent, le dossier de l’accusation tient à peu de choses. Pour le trentenaire jugé hier vers midi, le procureur résume : «On l’a vu sortir d’un magasin qui était l’objet de pillages. Il n’avait pas d’article volé sur lui.» Un second rôle, mais suffisant pour être poursuivi. Cet homme a été relâché en attendant son procès au fond, le 19 septembre, devant une Crown Court, un tribunal qui peut délivrer des peines plus sévères. Et sa liberté a une condition : un couvre-feu. «Vous ne pouvez pas sortir de chez vous entre 19 heures et 7 heures du matin. Vous porterez un bracelet électronique. L’alarme sonnera si vous sortez et vous serez emprisonné», explique le juge.
Portrait-robot. Qu’est-ce qui motive les émeutiers anglais, ceux qui, contrairement à ces prévenus, ont été vraiment actifs ? Comme souvent, un mélange de colère et d’ennui, de provocation et d’opportunisme, une sorte de doigt majeur tendu à toutes les autorités, à commencer par la police, et un hommage à la société de consommation, via les pillages. Au-delà de la jeunesse, majoritaire, il est difficile de dresser un portrait-robot. Hier, le quotidien The Guardian résumait : «Qui fait cela ? Des jeunes venant de quartiers pauvres, mais pas seulement.» D’autant que ce petit monde compte nombre d’opportunistes qui profitent de l’ouverture d’un magasin pour s’offrir un cadeau. «Hé ! Les banquiers piochent bien dans l’argent public quand ils sont en difficulté. Pourquoi nous, on ne pourrait pas se servir ?» rigole un habitant du quartier populaire de Hackney.
Mehmet, 21 ans, qui tient avec son père un «Social Club» à Kingsland Road, a croisé une bande de «60 à 80» émeutiers qui assaillaient lundi soir son quartier de Dalston, après avoir tenté de brûler un bus. «Des jeunes de 15 à 16 ans, parfois moins, dit-il. Ce n’étaient que des gosses ! Ils nous disaient : « Ne vous inquiétez pas, on n’a rien contre vous les Turcs, c’est contre le gouvernement ! »» Ce qui a laissé Mehmet sceptique. D’après lui, il n’y avait pas de grand message politique : «Ils voulaient juste s’amuser, profiter de l’occasion !»
Sur Kingsland Street, ils ont trouvé à qui parler : les commerçants turcs qui s’étaient organisés. «Ils avaient des armes, nous aussi», raconte Mehmet, en tâtant sa barre de fer disposée sous le comptoir. Devant la résistance, la bande s’est vite divisée en petits groupes, puis a disparu : elle ne cherchait pas l’affrontement, ou alors à distance, seulement, en balançant des projectiles sur les flics. Car beaucoup ont surtout envie de se payer la police. De l’humilier comme ils estiment qu’elle les humilie, surtout quand ils sont noirs. Un quadragénaire de Hackney a une explication : «Ces jeunes, les policiers les arrêtent constamment, les fouillent en les traitant de « nègres » et de « salopes ». Ils veulent donc se venger de ce harcèlement.» Et pour eux, se retrouver en position de force constitue un moment jouissif : narguer des forces de l’ordre contraintes à l’impuissance, puis se régaler devant les images de commerces et de voitures en feu qui passent en boucle sur les télés et terrorisent les Londoniens. Une revanche de laissés-pour-compte, maîtres du jeu urbain pour quelques heures.
Contradictions. La presse conservatrice réclame à leur encontre la plus grande sévérité, estimant qu’il n’y a aucune justification à leurs actes. Pour le Times, les émeutes constituent «une honte pour la nation» et la police doit retrouver son «monopole» sur l’usage de la force.
Est-ce la bonne méthode ? Même sans slogans explicites autres que quelques tags «Fuck the pigs» («nique les porcs», la police), les émeutiers expriment une lutte contre le système établi. Jay Kast, 24 ans, travailleur social, a expliqué au Guardian que ce qui les unit, c’est le sentiment d’être «piégés par le système. Ils ne se sentent pas collectivement impliqués dans la société, ils s’en foutent». Parmi eux, Kast a vu des jeunes Noirs, mais aussi «des gamins turcs ou asiatiques, et des adultes blancs». Comment s’adresser à eux ? Un autre travailleur social, de Hackney, ne sait plus : «On nous dit qu’il faut les amener autour d’une table, discuter. Mais ça ne veut rien dire, pour eux, discuter autour d’une table…» Paradoxe : pour un père, «tout ce qu’ils demandent, c’est que quelqu’un les écoute. Pas qu’on leur dise « fais ceci, fais cela ». Ce rôle, les parents doivent le tenir».
Face à ces contradictions, personne ne semble avoir de solution. «Ce n’est pas seulement qu’ils veulent piller, il y a autre chose derrière», assure un animateur. Mais quoi ? Toute la difficulté est de le comprendre. «Le gouvernement doit concentrer ses efforts là-dessus», ajoute-t-il. Mais hier, la priorité de David Cameron, le Premier ministre, était ailleurs : l’urgence d’un retour à l’ordre (lire ci-dessus). Pour traiter les causes profondes, il faudra attendre.
Après une nuit calme, Cameron étend les pouvoirs de la police
Le Premier ministre britannique David Cameron a dévoilé jeudi de nouvelles mesures anti-émeutes, n’excluant pas le recours à l’armée à l’avenir, alors que le pays a connu sa première nuit calme après quatre jours consécutifs de violences.
Devant le Parlement réuni en session extraordinaire, M. Cameron a annoncé des pouvoirs supplémentaires pour les policiers, leur donnant le pouvoir d’enlever foulards, masques et autres cagoules dissimulant le visage des personnes soupçonnées d’activité criminelles. Nombre de pillards, qui ont semé la terreur ces derniers jours dans plusieurs villes d’Angleterre, avaient le visage caché, compliquant leur identification sur les images des caméras de vidéo-surveillance.
Face à ces émeutes, qui ont fait quatre morts, les autorités réfléchissent aussi aux conditions de mise en place d’un couvre-feu, a ajouté le Premier ministre conservateur, qui n’a pas exclu le recours à l’armée à l’avenir. «Ma responsabilité est de veiller à ce qu’on considère toute éventualité, y compris si il y a des tâches que l’armée peut assurer et qui laisserait les mains libres à la police sur la ligne de front», a déclaré M. Cameron qui avait déjà annoncé en début de semaine d’importants renforts de police et le recours possible aux canons à eau.
«Criminalité pure et simple»
Dans un discours ferme, le chef de gouvernement, rentré d’urgence de vacances mardi, a condamné «la criminalité pure et simple» des émeutiers. Il ne s’agit «pas de politique, ni de manifestation, mais de vol», a-t-il estimé. La mort d’un homme, tué par la police la semaine dernière à Londres, a été «utilisée comme excuse par des voyous opportunistes», a-t-il affirmé.
Les émeutiers ont vandalisé de samedi à mercredi de nombreux commerces et incendié des bâtiments dans plusieurs villes d’Angleterre, dont Londres, qui doit accueillir les jeux Olympiques de 2012. «A un an des Jeux, nous devons montrer que la Grande-Bretagne n’est pas un pays qui détruit, mais un pays qui bâtit, qui ne baisse pas les bras, un pays qui fait face, qui ne regarde pas en arrière mais toujours en avant», a estimé M. Cameron.
La facture des violences urbaines dépassera largement le seuil des 225 millions d’euros (321 millions de dollars), selon des chiffres encore provisoires jeudi des assureurs et de groupements professionnels. Le gouvernement a annoncé de son côté la création d’un fonds de 22 millions d’euros (32 millions de dollars) pour venir en aide aux commerçants dont les magasins ont été dévalisés.
Birmingham appelée au calme
Et l’émotion était grande à Birmingham (centre), où trois jeunes hommes qui tentaient de protéger leur quartier des pillards ont été écrasés dans la nuit de mardi à mercredi par une voiture.
En soirée, des centaines de personnes se sont rassemblées dans le calme, bougies à la main, pour une cérémonie d’hommage. Tariq Jahan, dont le fils Haroon, 21 ans, figure parmi les victimes, a appelé à «respecter la mémoire de nos fils» en mettant fin aux violences.
La police a ouvert une enquête pour meurtre. Elle a arrêté un suspect, un homme de 32 ans.
Un homme de 68 ans, agressé par des jeunes lundi soir en essayant d’éteindre un incendie à Ealing, dans l’ouest de Londres, restait dans un état grave.
Dans les villes touchées par les troubles, les tribunaux continuaient toute la nuit à juger des centaines de personnes interpellées pour violences et pillages.
Plus d’un millier de personnes au total ont été arrêtées dans le pays depuis samedi. A Londres seule, 820 personnes ont été arrêtées et 279 inculpées, a annoncé Scotland Yard.
Pour faire face à l’afflux de personnes à juger, des tribunaux sont restés ouverts pendant la nuit. A la barre se sont notamment succédé un garçon de 11 ans qui a reconnu le vol d’une poubelle d’une valeur de 57 euros (81 dollars) et un aide-maternelle, également accusée de vol, qui a plaidé coupable.
Vingt-quatre heures après une première mise en garde aux fauteurs de troubles, David Cameron est revenu à la charge mercredi, promettant qu’il ne laisserait pas une «culture de la peur s’instaurer dans les rues».
Les policiers seront autorisés à utiliser «toute tactique qu’ils jugent nécessaire», a averti le chef du gouvernement, notamment des canons à eau jusqu’à présent réservés aux troubles en Irlande du Nord.
«Il fallait une riposte et la riposte est en cours», a poursuivi sur un ton très offensif le Premier ministre conservateur, faisant fi des inquiétudes «bidons concernant les droits de l’Homme» après la publication par la police de photos de pilleurs présumés.
Sillonnée par 16.000 policiers, Londres était restée calme mardi soir malgré la tension toujours perceptible.
La nuit de mardi à mercredi avait en revanche été le théâtre de violences et de pillages dans plusieurs autres villes, atteignant pour la première fois Manchester (nord-ouest), la troisième ville du pays, ainsi que Nottingham, Birmingham (centre) et sa banlieue, Liverpool, Salford (nord-ouest), Bristol et Gloucester (sud-ouest).
Compliquant encore la situation, des groupes d’autodéfense se sont constitués à Londres.
Crise difficile pour Cameron
Ces émeutes, les plus graves dans le pays depuis plus de vingt ans, constituent sans doute la pire crise à laquelle doit faire face David Cameron en quinze mois de pouvoir.
Déjà en position très délicate au début de l’été à cause du scandale des écoutes et de ses liens avec le groupe de presse de Rupert Murdoch, il a été vivement critiqué pour n’avoir écourté que mardi ses vacances alors que les émeutes faisaient rage depuis trois jours.
Et dans les villes saccagées, des habitants se plaignent que le gouvernement ne parvienne pas à reprendre la situation en main.
L’opposition se garde pour l’instant de jeter de l’huile sur le feu et condamne sans ambiguïtés les violences. Certains travaillistes commencent toutefois à dire que le plan de rigueur du gouvernement, incluant des baisses d’effectifs dans la police, a contribué à faire monter la tension sociale.
Mais selon un sondage diffusé jeudi, seuls 8% des Britanniques pensent que c’est la politique d’austérité qui a entraîné les émeutes. La majorité accuse la criminalité (42%) et la culture des gangs (26%). 5% désignent le chômage, et la même proportion les tensions raciales. Ils sont aussi nombreux à critiquer le gouvernement, accusé d’avoir mal géré la crise (57%).
C’est le choc des images : celles de Londres en proie aux pires émeutes de mémoire de Londonien, et celles de la Bourse et de ces visages atterrés de traders sous le choc. Qu’est-ce que ces deux scènes sans rapport apparent nous disent sur notre monde ?
La crise financière et la violence urbaine : le rapprochement est hasardeux, et pourtant, inévitable, ne serait-ce que parce que ces deux sujets se disputent la une des journaux sans qu’il soit aisé de les analyser à chaud.
Le rapprochement, pourtant, s’impose, car réduire les émeutes de Londres, comme le font de nombreux politiciens et journalistes britanniques, à de simples actes criminels, sans prendre en considération le contexte économique et social dans lequel elles se produisent, relève de l’aveuglement. Même si les scènes de pillage, la dégradation gratuite, et la violence sans but évident brouillent le sens et facilitent les analyses réductrices, comme en France en 2005, lors de l’explosion des banlieues.
« Observez et pleurez pour notre avenir »
C’est dans le Daily Telegraph, le vieux quotidien conservateur, pourtant, qu’à côté des éditoriaux « law and order », on trouve cette analyse de Mary Riddell, chroniqueuse du journal :
« Ce n’est pas une coïncidence si les pires violences que Londres a connues en plusieurs décennies se déroulent dans un contexte d’économie mondiale en train de s’effondrer.
Bien que l’épicentre de l’actuelle crise soit dans la zone euro, les gouvernements britanniques successifs se sont employés à cultiver la pauvreté, les inégalités, et l’inhumanité qui sont aujourd’hui exacerbées avec la crise financière.
L’absence de croissance de la Grande-Bretagne n’est pas un sujet de discussion ni même un argument pour accabler George Osborne [le chancelier de l’échiquier ou ministre de l’Economie et des Finances britannique, ndlr], pas plus que notre force de non-travail sans formation, démotivée et sous-éduquée, n’est une variable d’ajustement de notre bilan national.
Observez les équipes de casseurs à l’action dans les rues de nos villes, et pleurez pour notre avenir. La génération perdue s’entraîne pour la guerre. »
Excessif ? Réaction trop émotionnelle sous le coup des images des bâtiments en flamme et de l’« anarchie » qui monte, comme le titrent plusieurs quotidiens ? Toujours plus d’austérité ?
La crise sociale a bon dos pour justifier des pillages insensés, répondent les apôtres de la répression et du « Kärcher » pour régler les problèmes. Mais la répression suffirait-elle pour résoudre la question du chômage massif (en Grande-Bretagne comme dans les quartiers défavorisés de France, comme en Espagne ou en Grèce), l’absence de perspective, des budgets sociaux décroissants, de l’insécurité ?
C’est là que la crise financière et la panique actuelle entrent en jeu. La crise financière, centrée sur la question de la dette et des équilibres budgétaires, pousse tous les gouvernements européens à plus d’austérité, à des réductions de dépenses publiques, à rogner et à diluer le modèle de société bâti dans l’après-guerre.
Comme l’ont joliment exprimé les « indignados » de Madrid, « nous ne sommes pas contre le système, c’est le système qui est anti-nous »…
Ces politiques, présentées comme inévitables pour « rassurer les marchés » et mettre fin à l’« esclavage » de la dette et du déficit, sont perçues par une part croissante de la population, en Europe, comme le prix payé par les pauvres pour un système qui est devenu fou, celui de la finance-reine.
En 2008-2009, les citoyens ont assisté au sauvetage des banques qui avaient participé au système et avaient manqué d’y laisser leur peau ; en 2011, c’est à eux qu’on présente l’addition.
Les émeutes de Londres ne sont pas directement liées aux derniers épisodes de la crise financière, qu’il s’agisse des soubresauts de la zone euro ou de la dégradation de la note de la dette américaine… Mais elles font assurément partie du paysage social d’une Europe ultra-libéralisée et paupérisée (c’est en particulier vrai en Grande-Bretagne après les périodes choc de Thatcher et Blair), en train de subir des électrochocs (Irlande, Portugal, Grèce…) peut-être insupportables.
Les dirigeants politiques européens actuels, concentrés sur l’objectif prioritaire de sauver ce qui peut l’être du système monétaire et de leur crédit, comme ceux qui aspirent à diriger leurs pays demain, auraient tort de négliger les signaux qui sont envoyés par les populations. Sous la forme éminemment sympathique des « indignados » de Madrid, ou sous celle, sinistre, des émeutiers de Londres.
Arthur Nauzyciel met en scène « Jan Karski mon nom est une fiction ». La création interpelle le rôle des alliés face au génocide des juifs.
Karski a des vertiges. Ses nuits sont blanches. Sa vie a basculé un jour de 1942, lorsqu’il est entré clandestinement dans le ghetto de Varsovie. Résistant polonais, il était chargé de fournir au gouvernement polonais en exil, un compte-rendu de la situation en Pologne. En deux mois, les Allemands ont déporté 300 000 Juifs du ghetto vers les camps de la mort. A Varsovie les 100 000 Juifs qui sont restés sur place sont livrés à eux-mêmes et à la barbarie de leurs gardiens.
« C’était une sorte d’enfer, les rues étaient sales, crasseuses, et pleines de gens squelettiques, la puanteur vous suffoquait, il régnait de la tension, de la folie dans ce lieu. Des mères allaitaient leurs bébés dans la rue, alors qu’elles n’avaient pas de seins. Les dépouilles étaient déposées, nues, à même le sol, car les familles n’avaient pas les moyens pour leur payer une sépulture… »
Les chefs de la résistance juive demandent que les alliés mènent une action pour informer le peuple allemand de ce qui se passe. Profondément choqué par ce qu’il constate sur place, Karski n’aura de cesse de porter ce message ainsi que son témoignage personnel mais à Londres et à Washington, il se heurte à une fin de non recevoir.
Le metteur en scène Arthur Nauzyciel se saisit des faits historiques en s’appuyant sur les paroles de Karsky recueillies par Claude Lanzmann* dans son film Shoah. Il s’inspire également du livre du diplomate polonais « Story of a Secret State » publié dès 1944 et prolonge son approche par une fiction qui explore les pensées du témoin.
Karski dénonce la perte d’humanité qui signe la victoire du mensonge
Cette démarche structure la pièce en trois parties. Dans le premier acte, on retrouve un Karski hésitant face à la caméra. Dans la seconde partie les faits sont répétés et enrichis par une voix off accompagnée par une vidéo de Miroslaw Balka qui se borne longuement sur les frontières urbaines du ghetto de Varsovie dont la surface occupait un quart de la ville. La méthode use d’une certaine radicalité qui trouble le confort du spectateur autant qu’elle l’imprègne de la réalité des faits. Le cœur de la pièce, arrive avec le dernier acte qui marque le retour de la théâtralité et du vrai questionnement. Ici l’inqualifiable réalité factuelle développée précédemment ne se limite pas comme lors du procès de Nuremberg à considérer les victimes juives et les bourreaux nazis. Il interroge l’abandon des juifs d’Europe par les alliés de la démocratie.
Assis dans le couloir d’un opéra, Karski, qui ne trouve plus le sommeil, dénonce la perte d’humanité qui signe la victoire du mensonge. Le témoin du massacre et aussi celui de l’inaction calculée. Les alliés ne voulaient pas accueillir les Juifs d’Europe, c’est une chance pour eux qu’Hitler ait décidé de les anéantir plutôt que de leur envoyer, dit en substance l’homme qui ne peut plus fermer les yeux. Il est seul dans l’antichambre à deux pas de lui se joue toujours le spectacle du monde.
La fiction dépasse la réalité et le propos résonne, au-delà de la Shoah, aux quatre coins de la planète.
Jean-Marie Dinh
« Jan Karski Mon nom est une fiction », Festival d’Avignon Opéra Théâtre jusqu’au 16 juillet.
Ce scandale d’ampleur nationale embarrasse les médias, le magnat de la presse Rupert Murdoch et le Premier ministre, David Cameron.
Le parlement britannique s’est saisi mercredi de l’affaire des écoutes téléphoniques du tabloïde News of the World, devenue un scandale national aux multiples ramifications qui éclabousse les médias, le magnat de la presse Rupert Murdoch et embarrasse le Premier ministre.
Le chef du gouvernement David Cameron s’est déclaré « absolument dégoûté » par les dernières révélations sur les écoutes menées ces dernières années par le journal « qui ne visent plus simplement des politiques et des célébrités, mais aussi des victimes de crimes, voire d’attentats terroristes ». Il s’est prononcé « en faveur d’enquêtes » sur « l’éthique journalistique », tout en souhaitant que la priorité absolue soit donnée à « l’enquête de police de grande ampleur en cours ». Des assurances jugées totalement insuffisantes par le chef de l’opposition Ed Miliband, à l’aune « du plus grand scandale de presse des temps modernes ».
M. Miliband réclame des têtes au News of the World (NOTW) et la création d’une commission d’enquête. Il accuse les conservateurs de complaisance vis-à-vis de news Corp., le groupe de Rupert Murdoch notamment propriétaire du NOTW. Ce vif échange entre les deux hommes au Parlement a été suivi d’un débat de trois heures en urgence. A tour de rôle, les députés ont dénoncé qui « les dérives » de la presse et qui « l’indécence » de News Corp. Sortant de son silence, Rupert Murdoch a qualifié de « déplorables » et d' »inacceptables » les accusations contre le tabloïde et renouvelé dans un communiqué son soutien à l’actuelle direction du journal.
L’affaire des écoutes, qui remonte au début des années 2000, a déjà été marquée par l’interpellation de cinq journalistes, dont trois du NOTW, l’envoi en prison d’un correspondant royal et d’un détective privé et par plusieurs démissions. Dont celle en janvier, d’Andy Coulson, directeur de la communication de David Cameron après avoir été rédacteur en chef du NOTW. On savait que des centaines, voire des milliers de personnalités – membres de la famille royale, politiciens, vedettes de cinéma ou sportifs – avaient été écoutées.
Ecoutes sur des victimes
Il apparaît désormais que les écoutes ont aussi concerné les victimes d’affaires criminelles retentissantes et des proches de l’attentat qui avait fait 52 morts à Londres en 2005. Le détective Glenn Mulcaire, qui a déjà purgé 4 mois de prison, aurait aussi piraté le portable de Milly Drowler, écolière assassinée par un videur de boîte de nuit en 2002. Il serait allé jusqu’à effacer des messages pour faire de la place dans la boîte vocale, donnant le faux-espoir aux parents et enquêteurs que la fillette était encore en vie.
Mardi soir, il a dit avoir agi « sous la pression constante » de NOTW, le dominical qui tire à 2,8 millions d’exemplaires, champion des scoops obtenus notamment à l’aide de caméras cachées ou de journalistes déguisés. Le NOTW a aussi remis récemment à Scotland Yard des mails prouvant qu’il avait payé quelques policiers-informateurs entre 2003 et et 2007, date à laquelle Andy Coulson dirigeait la rédaction.
Et mercredi The Times, fleuron du groupe Murdoch, a demandé « que toute la lumière soit faite » sur des pratiques journalistiques longtemps justifiées par le sacro-saint droit du public à être informé. En attendant, le groupe commence à subir les premiers contrecoups commerciaux de l’affaire: plusieurs annonceurs –dont Ford et la banque Halifax– ont annoncé le retrait de leur budget publicitaire au NOTW, également cible d’appels au boycott sur twitter. Mais surtout, le scandale risque de retarder le feu vert gouvernemental au projet de rachat par Rupert Murdoch du bouquet satellitaire BSkyB, très contesté au nom du pluralisme.