L’inquiétude grandit au sein du « Sun »

Samedi 11 février, cinq employés du Sun ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur des pots-de-vin versés à la police et à des membres de l’administration. Avant eux, cinq autres journalistes avaient déjà été arrêtés dans cette même affaire de corruption. « Au rythme où vont les arrestations, il pourrait n’y avoir plus personne pour assurer la parution du journal dans douze mois », commentait ainsi The Guardian. Cette nouvelle affaire surpasse le scandale des écoutes qui avait déjà conduit à la fermeture, cet été, du journal News of the World. L’empire du magnat de la presse Rupert Murdoch est, plus que jamais, menacé « d’implosion ».

Le Sun, premier tabloïd britannique et navire amiral du groupe News International de Rupert Murdoch, est en sursis. Lundi 27 février, une enquêtrice de Scotland Yard a affirmé devant une commission parlementaire chargée de faire la lumière sur les dérives de la presse britannique qu’il existait « une culture au Sun de paiements illégaux » et de « corruption » de fonctionnaires. En quelques jours, fin janvier, début février, la police britannique a arrêté neuf journalistes expérimentés du quotidien, actuels et anciens. L’un d’eux avait reçu, selon la police, plus de 175 000 euros en liquide, sur plusieurs années, pour payer ses sources. Un policier, un employé du ministère de la défense et un officier de l’armée ont également été arrêtés.

La rédaction du quotidien à scandale, à cran, craint d’être lâchée par son propriétaire, M. Murdoch. Celui-ci avait brutalement fermé, en juillet, le tabloïd News of the World, lorsque le tapage provoqué par des écoutes illégales des messageries de téléphones portables de personnalités politiques, du show-biz et de victimes de faits divers est devenu incontrôlable.

Ce scandale lui coûte cher : lundi, le groupe de M. Murdoch a versé une indemnisation de 710 000 euros à la chanteuse britannique Charlotte Church et à ses parents, dont les conversations avaient été écoutées par des rédacteurs de New of the World à leur insu. Un fonds d’indemnisation a été mis en place par le groupe en vue d’éviter des procès coûteux, y compris en termes d’image. Cinquante cas ont déjà été réglés à l’amiable, mais News International refuse de préciser le nombre exact de personnes indemnisées ou les montants en jeu.

La semaine dernière, M. Murdoch s’est rendu à Londres pour rassurer les troupes du Sun : il a accompagné le lancement d’une édition dominicale du Sun, le 25 janvier. Censée remplacer le défunt News of the World, elle s’est vendue à plus de 3,2 millions d’exemplaires. Le Sun a diffusé des dizaines de photos de lecteurs heureux, journal en main, disant leur amour du titre. Mais le cœur n’y est pas.

Trahis par le propriétaire

Tout d’abord, les rédacteurs du Sun ne comprennent pas que Rupert Murdoch ait lui-même fourni à la police les informations qui ont permis d’arrêter leurs collègues. Accusé d’avoir voulu étouffer le scandale des écoutes de News of the World, sur lequel la police britannique enquête toujours, M. Murdoch a mis en place un comité indépendant, chargé de transmettre à la police toute information nécessaire, à commencer par trois cents millions de courriels échangés au sein du groupe depuis plusieurs années. Une soixantaine de policiers en ont parcouru seulement quelques millions à ce jour.

Ulcéré par ce qu’il considère comme une « chasse aux sorcières », l’une des figures du journal, Trevor Kavanagh, affirmait dans les colonnes du Sun, le 13 février, que le journal « n’est pas un marécage ayant besoin d’être assaini ». La justice, comme le propriétaire, qui a acquis le Sun en 1969 et s’y dit viscéralement attaché, se voyaient rappeler que la rédaction du tabloïd n’avait rien d’« un gang criminel ». M. Kavanagh a été accusé, mardi, par le parlementaire libéral-démocrate Simon Hughes d’avoir profité d’écoutes illégales pour le forcer à révéler son homosexualité, dans une interview accordée en 2006.

Lundi, Scotland Yard a affirmé devant les parlementaires que l’autorisation concernant les paiements illégaux du Sun était donnée à un « très haut niveau » au sein du journal. Rupert Murdoch a réagi immédiatement, rappelant que le Sun avait certes fauté, mais que ces pratiques n’y avaient désormais plus cours. « Les pratiques que [la vice-commissaire de police] Sue Akers a décrites devant la commission Leveson appartiennent au passé et n’existent plus au Sun« , a-t-il affirmé dans un communiqué. « Comme je l’ai déjà dit, nous avons promis de faire tout ce que nous pouvions pour tirer au clair tous les méfaits passés afin de revenir sur le droit chemin. Notre société en sort déjà renforcée », a-t-il déclaré.

M. Murdoch cherche surtout à éviter une contagion de cette affaire britannique au siège de son empire, News Corp, aux Etats-Unis. La justice américaine pourrait en effet utiliser la loi relative aux pratiques de corruption à l’étranger pour ouvrir une enquête.

Or, c’est à New York, au 1211, Avenue of the Americas, que sont basés les fleurons du groupe : la chaîne de télévision Fox News et l’agence de presse économique Dow Jones, d’où le groupe tire l’essentiel de ses profits, et le prestigieux Wall Street Journal, qui craint de voir les ennuis juridiques de sa maison-mère entâcher sa crédibilité. Le patron de Dow Jones, Les Hinton, qui dirigeait auparavant la branche britannique du groupe, avait dû démissionner en juillet.

En Grande-Bretagne, trois enquêtes, deux de Scotland Yard et l’une du Parlement, se poursuivent pour éclairer les agissements des rédactions de M. Murdoch. La Commission parlementaire Leveson doit livrer en septembre 2012 ses premières conclusions, mais ses auditions de policiers, de responsables du groupe et de figures politiques distillent jour après jour de nouvelles informations.

Le Monde.fr

Voir aussi : Rubrique Médias, Rupert Murdoch le scandale des écoutes,

Royaume-Uni: le parlement se saisit du scandale des écoutes téléphoniques

Pépère Rupert

Ce scandale d’ampleur nationale embarrasse les médias, le magnat de la presse Rupert Murdoch et le Premier ministre, David Cameron.

Le parlement britannique s’est saisi mercredi de l’affaire des écoutes téléphoniques du tabloïde News of the World, devenue un scandale national aux multiples ramifications qui éclabousse les médias, le magnat de la presse Rupert Murdoch et embarrasse le Premier ministre.

Le chef du gouvernement David Cameron s’est déclaré « absolument dégoûté » par les dernières révélations sur les écoutes menées ces dernières années par le journal « qui ne visent plus simplement des politiques et des célébrités, mais aussi des victimes de crimes, voire d’attentats terroristes ». Il s’est prononcé « en faveur d’enquêtes » sur « l’éthique journalistique », tout en souhaitant que la priorité absolue soit donnée à « l’enquête de police de grande ampleur en cours ». Des assurances jugées totalement insuffisantes par le chef de l’opposition Ed Miliband, à l’aune « du plus grand scandale de presse des temps modernes ».

M. Miliband réclame des têtes au News of the World (NOTW) et la création d’une commission d’enquête. Il accuse les conservateurs de complaisance vis-à-vis de news Corp., le groupe de Rupert Murdoch notamment propriétaire du NOTW. Ce vif échange entre les deux hommes au Parlement a été suivi d’un débat de trois heures en urgence. A tour de rôle, les députés ont dénoncé qui « les dérives » de la presse et qui « l’indécence » de News Corp. Sortant de son silence, Rupert Murdoch a qualifié de « déplorables » et d' »inacceptables » les accusations contre le tabloïde et renouvelé dans un communiqué son soutien à l’actuelle direction du journal.

L’affaire des écoutes, qui remonte au début des années 2000, a déjà été marquée par l’interpellation de cinq journalistes, dont trois du NOTW, l’envoi en prison d’un correspondant royal et d’un détective privé et par plusieurs démissions. Dont celle en janvier, d’Andy Coulson, directeur de la communication de David Cameron après avoir été rédacteur en chef du NOTW. On savait que des centaines, voire des milliers de personnalités – membres de la famille royale, politiciens, vedettes de cinéma ou sportifs – avaient été écoutées.

Ecoutes sur des victimes

Il apparaît désormais que les écoutes ont aussi concerné les victimes d’affaires criminelles retentissantes et des proches de l’attentat qui avait fait 52 morts à Londres en 2005. Le détective Glenn Mulcaire, qui a déjà purgé 4 mois de prison, aurait aussi piraté le portable de Milly Drowler, écolière assassinée par un videur de boîte de nuit en 2002. Il serait allé jusqu’à effacer des messages pour faire de la place dans la boîte vocale, donnant le faux-espoir aux parents et enquêteurs que la fillette était encore en vie.

Mardi soir, il a dit avoir agi « sous la pression constante » de NOTW, le dominical qui tire à 2,8 millions d’exemplaires, champion des scoops obtenus notamment à l’aide de caméras cachées ou de journalistes déguisés. Le NOTW a aussi remis récemment à Scotland Yard des mails prouvant qu’il avait payé quelques policiers-informateurs entre 2003 et et 2007, date à laquelle Andy Coulson dirigeait la rédaction.

Et mercredi The Times, fleuron du groupe Murdoch, a demandé « que toute la lumière soit faite » sur des pratiques journalistiques longtemps justifiées par le sacro-saint droit du public à être informé. En attendant, le groupe commence à subir les premiers contrecoups commerciaux de l’affaire: plusieurs annonceurs –dont Ford et la banque Halifax– ont annoncé le retrait de leur budget publicitaire au NOTW, également cible d’appels au boycott sur twitter. Mais surtout, le scandale risque de retarder le feu vert gouvernemental au projet de rachat par Rupert Murdoch du bouquet satellitaire BSkyB, très contesté au nom du pluralisme.

AFP

 

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique Grande Bretagne,