Samedi
Le Sun, premier tabloïd britannique et navire amiral du groupe News International de Rupert Murdoch, est en sursis. Lundi 27 février, une enquêtrice de Scotland Yard a affirmé devant une commission parlementaire chargée de faire la lumière sur les dérives de la presse britannique qu’il existait « une culture au Sun de paiements illégaux » et de « corruption » de fonctionnaires. En quelques jours, fin janvier, début février, la police britannique a arrêté neuf journalistes expérimentés du quotidien, actuels et anciens. L’un d’eux avait reçu, selon la police, plus de 175 000 euros en liquide, sur plusieurs années, pour payer ses sources. Un policier, un employé du ministère de la défense et un officier de l’armée ont également été arrêtés.
La rédaction du quotidien à scandale, à cran, craint d’être lâchée par son propriétaire, M. Murdoch. Celui-ci avait brutalement fermé, en juillet, le tabloïd News of the World, lorsque le tapage provoqué par des écoutes illégales des messageries de téléphones portables de personnalités politiques, du show-biz et de victimes de faits divers est devenu incontrôlable.
Ce scandale lui coûte cher : lundi, le groupe de M. Murdoch a versé une indemnisation de 710 000 euros à la chanteuse britannique Charlotte Church et à ses parents, dont les conversations avaient été écoutées par des rédacteurs de New of the World à leur insu. Un fonds d’indemnisation a été mis en place par le groupe en vue d’éviter des procès coûteux, y compris en termes d’image. Cinquante cas ont déjà été réglés à l’amiable, mais News International refuse de préciser le nombre exact de personnes indemnisées ou les montants en jeu.
La semaine dernière, M. Murdoch s’est rendu à Londres pour rassurer les troupes du Sun : il a accompagné le lancement d’une édition dominicale du Sun, le 25 janvier. Censée remplacer le défunt News of the World, elle s’est vendue à plus de 3,2 millions d’exemplaires. Le Sun a diffusé des dizaines de photos de lecteurs heureux, journal en main, disant leur amour du titre. Mais le cœur n’y est pas.
Trahis par le propriétaire
Tout d’abord, les rédacteurs du Sun ne comprennent pas que Rupert Murdoch ait lui-même fourni à la police les informations qui ont permis d’arrêter leurs collègues. Accusé d’avoir voulu étouffer le scandale des écoutes de News of the World, sur lequel la police britannique enquête toujours, M. Murdoch a mis en place un comité indépendant, chargé de transmettre à la police toute information nécessaire, à commencer par trois cents millions de courriels échangés au sein du groupe depuis plusieurs années. Une soixantaine de policiers en ont parcouru seulement quelques millions à ce jour.
Ulcéré par ce qu’il considère comme une « chasse aux sorcières », l’une des figures du journal, Trevor Kavanagh, affirmait dans les colonnes du Sun, le 13 février, que le journal « n’est pas un marécage ayant besoin d’être assaini ». La justice, comme le propriétaire, qui a acquis le Sun en 1969 et s’y dit viscéralement attaché, se voyaient rappeler que la rédaction du tabloïd n’avait rien d’« un gang criminel ». M. Kavanagh a été accusé, mardi, par le parlementaire libéral-démocrate Simon Hughes d’avoir profité d’écoutes illégales pour le forcer à révéler son homosexualité, dans une interview accordée en 2006.
Lundi, Scotland Yard a affirmé devant les parlementaires que l’autorisation concernant les paiements illégaux du Sun était donnée à un « très haut niveau » au sein du journal. Rupert Murdoch a réagi immédiatement, rappelant que le Sun avait certes fauté, mais que ces pratiques n’y avaient désormais plus cours. « Les pratiques que [la vice-commissaire de police] Sue Akers a décrites devant la commission Leveson appartiennent au passé et n’existent plus au Sun« , a-t-il affirmé dans un communiqué. « Comme je l’ai déjà dit, nous avons promis de faire tout ce que nous pouvions pour tirer au clair tous les méfaits passés afin de revenir sur le droit chemin. Notre société en sort déjà renforcée », a-t-il déclaré.
M. Murdoch cherche surtout à éviter une contagion de cette affaire britannique au siège de son empire, News Corp, aux Etats-Unis. La justice américaine pourrait en effet utiliser la loi relative aux pratiques de corruption à l’étranger pour ouvrir une enquête.
Or, c’est à New York, au 1211, Avenue of the Americas, que sont basés les fleurons du groupe : la chaîne de télévision Fox News et l’agence de presse économique Dow Jones, d’où le groupe tire l’essentiel de ses profits, et le prestigieux Wall Street Journal, qui craint de voir les ennuis juridiques de sa maison-mère entâcher sa crédibilité. Le patron de Dow Jones, Les Hinton, qui dirigeait auparavant la branche britannique du groupe, avait dû démissionner en juillet.
En Grande-Bretagne, trois enquêtes, deux de Scotland Yard et l’une du Parlement, se poursuivent pour éclairer les agissements des rédactions de M. Murdoch. La Commission parlementaire Leveson doit livrer en septembre 2012 ses premières conclusions, mais ses auditions de policiers, de responsables du groupe et de figures politiques distillent jour après jour de nouvelles informations.
Le Monde.fr
Voir aussi : Rubrique Médias, Rupert Murdoch le scandale des écoutes,