30 ans de Rivages/Noir au cinéma

« Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. Vous êtes la fenêtre dans l’inconnu. L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. » (Victor Hugo)

« C’est un monde qui ne sent pas très bon, mais c’est le monde dans lequel nous vivons. » (Raymond Chandler)

Lorsqu’elle voit le jour en 1986, la collection Rivages/Noir a pour objectif essentiel de publier les inédits des grands auteurs du roman noir (Jim Thompson, David Goodis, Jonathan Latimer, Charles Williams, William Irish, W. R. Burnett, Donald Westlake) et de faire découvrir des voix, nouvelles pour le lecteur français, mais déjà bien connues aux États-Unis (Tony Hillerman, James Ellroy).

Très vite, en 1988, grâce au succès de la « trilogie Lloyd Hopkins » de James Ellroy, la collection va pouvoir accélérer son rythme de production et s’ouvrir au noir mondial, en développant la politique de départ :

  • Toujours les inédits des grands du genre, mais aussi l’exhumation d’écrivains qui, étrangement, étaient restés inconnus du public français (Charles Willeford, Ted Lewis, Ronald-Hughes Morrieson), accompagnée de la réédition de quelques classiques un peu oubliés (Geoffrey Holmes, Dorothy B. Hugues, James Cain, Elliot Chaze, Eric Ambler, Giorgio Scerbanenco).
  • Toujours la découverte de nouvelles voix, que ce soit aux États-Unis (James Lee Burke, Edward Bunker, Dennis Lehane, Jim Nisbet, Barry Gifford, James Sallis) avec, en corollaire, la reprise d’auteurs un peu négligés par leurs précédents éditeurs (Donald Westlake, Elmore Leonard), en Grande-Bretagne (Robin Cook, John Harvey, Bill James, David Peace), en Italie (Gianrico Carofiglio, Davide Ferrario), au Mexique (Paco Ignacio Taibo), à Cuba (Daniel Chavarría), en Écosse (William McIlvanney), au Japon (Kyotaro Nishimura), dans les pays nordiques (Maj Sjöwall et Per Wahlöö, Leif GW Persson, Michael Larsen), en Hollande (Janwillem van de Wetering), en Australie (Peter Corris, Peter Temple), au Canada (Emily St. John Mandel) et, bien sûr, en France (Hugues Pagan, Tobie Nathan, Jean-Hugues Oppel, Marc Villard, Hervé Le Corre, Abdel Hafed Benotman).

J’arrête ici l’énumération. Contrairement aux apparences, ceci n’est pas un catalogue. Car tous les noms d’auteurs cités ci-dessus ont un rapport avec le cinéma. Leurs livres ont été adaptés à l’écran, ou sont en cours d’adaptation.

Polar-noir et cinéma

Entre le « polar-noir » (c’est ainsi que Alain Corneau identifiait le genre) et le cinéma, ce fut, dès le début, une histoire passionnelle. Des passerelles n’ont cessé d’être établies entre les romans et les films, les romanciers devenant parfois scénaristes, et vice-versa. Il n’est donc pas surprenant que, sur les mille et quelques titres de Rivages/Noir, plus d’une centaine aient été transposés en images. Avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Mais la sélection présentée par la Cinémathèque me semble représentative de l’esprit de la collection. À commencer par l’éventail des catégories : de la noirceur profonde de Jim Thompson (Les Arnaqueurs) à l’humour toujours un peu délirant de Donald Westlake (Les Quatre malfrats), du « mélodrame historique » selon les propres termes d’Ellroy (L.A. Confidential) à l’univers kafkaïen des espions de James Grady (Les Trois jours du Condor), du romantisme désespéré de David Goodis (Nightfall) au sens tragique du destin de Geoffrey Homes (Pendez-moi haut et court), de l’allégorie politique et psychanalytique de Dennis Lehane (Shutter Island) à la vision nostalgique du privé de Neville Smith (Gumshoe), de la radiographie impitoyable du Yorkshire de David Peace (1974, 1980, 1983) au soleil trompeur de Californie d’Elmore Leonard (Jackie Brown), du constat accablant des méthodes policières de Sjöwall et Wahlöö (Un flic sur le toit) à la trahison des sentiments d’Andrew Coburn (Toutes peines confondues)…

Cette variété de « tonalités » – du récit criminel au western intimiste, de l’univers le plus sombre et le plus désespéré à un monde plus proche de la comédie, du style baroque, voire sophistiqué, au style réaliste, voire minimaliste – ajoutée à la diversité des décors (des bayous de Louisiane aux déserts de l’Arizona, du soleil de Floride aux landes glaciales d’Angleterre) illustrent bien la vivacité d’un genre qui, en littérature et en cinéma, ne cesse de se renouveler. Sans doute pour la raison évoquée par Alain Corneau : « Face aux clartés, affirmations, définitions positives, happy ends et autres catégories identificatrices rassurantes, le polar est là qui veille, attaquant de plein fouet ou corrompant dans l’obscurité. Éclatement d’identités, dédoublements, pertes de soi-même, retournements brutaux, “dangerous ground” (Nicholas Ray), vertiges sournois ou violents, il y a de quoi rendre tous les autres films malades, même quand ceux-ci tentent de préserver leur belle santé par des habitudes bien “bourgeoises” bien réglées… De tous ces films, qu’est-ce qui va rester ou pas ? Je ne lis pas dans les marcs de café, moi… Je ne sais qu’une chose, c’est que le “polar-noir” est vivant, et que je le rencontre tous les jours au ciné. »

Lors de l’hommage « littéraire » aux trente ans de la collection, beaucoup de journalistes ont écrit que la liste des auteurs était prestigieuse. On peut en dire autant de la liste des réalisateurs sélectionnés pour cet hommage « cinématographique », puisqu’on y trouve les noms de Stephen Frears, Bo Widerberg, Nicolas Winding Refn, James Marsh, Mike Hodges, Steven Soderberg, Quentin Tarantino, John Frankenheimer, Delmer Daves, Martin Scorsese, Ben Affleck, Clint Eastwood, Michel Deville, Bertrand Tavernier, Jacques Tourneur, Sidney Pollack, David Lynch, Daniele Vicari, Deborah Granik, Errol Morris, Curtis Hanson, Peter Yates, James B. Harris, Burt Reynolds, Taylor Hackford…

François Guérif

Source ; Cinémathèque Française Septembre 2016

Voir aussi : Rubrique Livre, Mark Haskell Smith maître de la satire loufoque, Céline Minard Faillir être flingué , Rubrique Roman noir, rubrique Rencontre, Bernard Tavernier, Chez Rivages, David Peace, James Ellroy, William Bayer,

Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami est mort à l’âge de 76 ans

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C’est une perte majeure, celle d’un immense artiste – par ailleurs photographe, poète et peintre – qui aura marqué d’une empreinte indélébile l’histoire du cinéma mondial. Le réalisateur iranien Abbas Kiarostami est mort à 76 ans, a-t-on appris lundi 4 juillet, des suites d’un cancer. Selon l’agence de presse ISNA, le réalisateur, dont l’état de santé s’était dégradé, avait quitté Téhéran la semaine dernière pour subir un traitement en France, après avoir été opéré à la mi-mars dans la capitale iranienne.

La vie s’arrête donc, y compris pour l’auteur de Et la vie continue. Dans ce film magnifique de 1992, un cinéaste de Téhéran, double de l’auteur, revenait en compagnie de son fils sur les lieux du tournage d’un film précédent, où venait de se produire un tremblement de terre meurtrier, à la recherche de survivants parmi les enfants qui y avaient participé.

Cette quête de la vie dans un paysage de mort, cette aspiration humaniste sous le carcan qui oppresse, fut en vérité l’admirable constante de l’œuvre d’Abbas Kiarostami. Une œuvre menée avec courage sous les fourches caudines de la censure islamique, jusqu’à épuisement de l’auteur, parti tourner sous d’autres cieux lorsque le régime durcit son autorité.

L’instigateur d’un nouveau cinéma iranien

Né à Téhéran le 22 juin 1940, formé aux Beaux-Arts, réalisateur de films publicitaires, Abbas Kiarostami participe en 1969 à la création du département cinéma de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes (le Kanoun), dans le cadre duquel il va réaliser de nombreux courts-métrages. Ce sont des films à vocation civique et pédagogique, d’emblée sublimés par le sens effarant de la mise en scène qui s’y exprime.

Le tout premier, réalisé en 1970 et intitulé Le Pain et la Rue, annonce le génie de Kiarostami à transformer un scénario de trois lignes en un monument de comédie humaine, ipso facto en morceau d’anthologie du cinéma. Ici, l’histoire d’un garçonnet cheminant par les ruelles pour ramener le pain du déjeuner à la maison, quand un chien menaçant, soudain, lui barre la route.

En 1979, commencé sous le régime du Chah, il réalise Cas n° 1, cas n° 2. Un exemple de dilemme moral comme il les affectionne (des élèves exclus de la classe pour chahut, puis la dénonciation par l’un d’eux du coupable) qu’il soumet à l’appréciation de diverses personnalités, dans ce qui est devenu, durant le tournage, la République islamique d’Iran. Beau panel utopique, qui réunit un communiste, un rabbin, des artistes, ainsi que l’ayatollah Sadeq Khalkhali, homme affable qui se montre l’un des plus libéraux envers les enfants. C’est le même qui, au titre de chef du Tribunal révolutionnaire, fera pendre haut et court des centaines d’opposants au régime. Le film disparaît rapidement de la circulation.

Le Kanoun n’en devient pas moins, sous l’impulsion de Kiarostami, le havre d’une relative liberté artistique, en même temps que le laboratoire d’un nouveau cinéma iranien qui émerge sur la scène internationale. L’Asie, en effet, prend à cette époque le relais des nouvelles vagues qui refluent partout ailleurs. De Taïwan (Hou Hsiao-hsien), de Hongkong (Wong Kar-waï) et donc aussi d’Iran, renaissent des propositions esthétiques stimulantes. Etonnamment, sous un régime autoritaire et iconoclaste, que tout semble vouer à devenir un no man’s land cinéphilique, apparaît un courant qui, se fortifiant des interdits de représentation qu’on fait peser sur lui, requalifie à nouveaux frais, par son mode opératoire et sa vive préoccupation sociale, le néoréalisme italien.

L’enfance comme motif central

Avant que les cinéphiles ne découvrent sur la scène des plus grands festivals cette silhouette qui leur deviendra familière – lunettes fumées, élégance discrète, humour fin, sourire désarmant –, on peut dater le moment de sa découverte en France. C’était en mars 1990, avec la sortie en salles de son quatrième long-métrage, Où est la maison de mon ami ? (1987). L’histoire simple, et néanmoins épique, d’un garçonnet qui a chipé le cahier de son ami, et cherche, de village en village, à le lui rendre, faute de quoi il pourrait se faire renvoyer de l’école. Le film, remarquable, tend vers le conte et condense l’esprit du cinéma de Kiarostami : l’enfance comme motif central, la fraîcheur revigorante du regard porté sur le monde, le dépouillement de l’argument allant de pair avec la complexité de la structure narrative.

Mais à peine découvert, le cinéaste change déjà de braquet. Il signe en 1990, avec Close up, le premier d’une série de chefs-d’œuvre qui le consacre comme l’un des plus grands cinéastes du monde. L’utilisation du document comme source d’une fiction indécidable est renforcée, le vertige baroque creusé. Le film reconstitue la trame d’un fait divers, avec dans son propre rôle le principal protagoniste : Hossein Sabzian, un imposteur cinéphile qui se fait passer pour le célèbre réalisateur Mohsen Makhmalbaf. Kiarostami a également eu la possibilité de filmer le vrai procès de Sabzian, dont le verdict est infléchi par la présence des caméras. Ici donc, l’entremêlement entre la réalité et la fiction, la réflexion sur la passion du cinéma et son rapport à la vraie vie atteignent un point de fusion et de jouissance étourdissant.

A 50 ans, le cinéaste va vivre la décennie la plus fertile de sa carrière. Et la vie continue (1992) et Au Travers des oliviers (1994) suivent Où est la maison de mon ami ?, chacun renvoyant à un élément, réel ou fictionnel, qui touche au précédent, la trilogie tissant une trame fascinante où la figure du cinéaste et le processus du tournage se trouvent chaque fois remis en abyme selon le principe des poupées russes. Le miracle en l’espèce est que cette construction retorse est conçue pour redonner droit à l’accident, à la pure présence, à la vie débarrassée des scories de l’apprêt.

Un « code » Kiarostami

En 1997, arrive ce qui devait arriver : Le Goût de la cerise (1997) remporte la Palme d’or au Festival de Cannes. L’histoire d’un type nommé « monsieur Badii », dont l’idée fixe est de se suicider, et donc de trouver une main charitable pour jeter de la terre dans la fosse où il escompte terminer ses jours. Sillonnant les environs de Téhéran dans un antique 4 × 4, ce singulier pionnier du covoiturage propose le marché à chaque passager qu’il embarque. Deux ans plus tard, effleurant avec toujours autant de grâce la dialectique de la mort et de la vie, Kiarostami donne Et le vent nous emportera (1999), une sorte d’En attendant Godot installé dans un village du Kurdistan, où un anthropologue qui attend de pouvoir observer les rites funéraires locaux finit par sauver la vie d’un ouvrier prisonnier d’un trou.

A cette date, un « code » Kiarostami s’est imposé à tous les cinéphiles. Routes serpentines accrochées aux vallons, paysages somptueux traversés de voitures-caméras, panoramiques amples et langoureux, récits tragiques et drôles, délibérément indéterminés. Une croyance s’en dégage : un film ne sera jamais que le début d’un chemin qui s’achève dans l’esprit du spectateur. Artiste de la dépossession, comme Kafka avait imaginé un artiste du jeûne, Kiarostami crée en un mot un cinéma qui est une épreuve de la liberté dans un système qui n’a de cesse de la contraindre.

Cette inclination le conduira plus loin dans la remise en cause des prérogatives de l’auteur et de la mise en scène. Une nouvelle période va ainsi s’ouvrir, plus expérimentale, qui privilégie le dispositif, manière de laisser le monde entrer à plein dans le cadre plutôt que de le subjuguer. Force est de constater que cette inflexion a lieu au moment où, en Iran, la lutte entre les forces réformatrices et conservatrices est en train de tourner à l’avantage des secondes. Après vingt ans de régime islamique, dont dix consacrées à attaquer et à interdire l’artiste célébré en Occident, une possible lassitude a peut-être gagné Kiarostami, dont les deux derniers films n’évoquent sans doute pas pour rien le motif de l’enterrement vivant.

Ten (2002) inaugure donc une série de films, dont le minimalisme va aller s’accentuant (Five, Shirin…), estompant de fait la présence de ce maître du cinéma sur la scène internationale. Le premier titre reste le plus exaltant : une séduisante conductrice dans la circulation de Téhéran, deux caméras installées sur le tableau de bord, dix séquences numérotées de 10 à 1, correspondant chacune à un personnage qui monte à bord. Une société réelle, ayant soif de démocratie, y bout d’impatience. On connaît la suite. Election de Mahmoud Ahmadinejad comme président en 2005, répression sanglante des manifestants lors de sa réélection en 2009.

« Je ne renoncerai jamais à mon métier »

Kiarostami change alors de cap : le tournage à l’étranger, possiblement avec vedette. Au fond de lui-même, y croît-il vraiment, lui qui avait naguère défendu la nécessité pour le cinéaste de demeurer sur son terreau ? Copie conforme (2010), variation rossellinienne avec Juliette Binoche, puis Like Someone in Love (2012), respectivement tournés en Italie et au Japon, confirmeraient ce doute, sans le moindre déshonneur. Son ultime tournage, resté inachevé en raison de la déclaration brutale de sa maladie, aura eu lieu en Chine. Kiarostami aurait d’ailleurs pu, de longue date, s’installer à l’étranger. Il s’y est toujours refusé, car il lui importait de tourner dans son pays, auquel le rattachait, spirituellement et plastiquement, toute la tradition poétique et picturale persane, très sensible dans ses films.

Ce souci justifiait le refus courtois qu’il opposait aux sollicitations politiques des journalistes occidentaux. Mais en juillet 2009, dans les jours les plus noirs de la répression, il n’y tint plus. Déclarant, alors qu’on le retrouvait en Toscane sur le tournage de Copie conforme :

« La situation politique est telle que la possibilité même d’y travailler paraît très compromise. Et je ne sais pas, franchement, si ça sera possible à l’avenir. Nous sommes ici informés tous les jours, par Internet, des événements qui ont lieu en Iran. Ce qui nous parvient de la violence de la répression donne l’impression qu’une page vient d’être tournée, sans retour. Pour ce qui me concerne, tout ce que je sais, c’est que je veux retourner à Téhéran, que mon désir est de tourner des films dans mon pays. J’ai été jusqu’à présent un citoyen très conciliant, dans la mesure où l’on ne montre plus mes films en Iran depuis douze ans. Si la situation devait encore empirer, si l’on me privait de mes droits, une chose est certaine, c’est que je ne renoncerai jamais à mon métier. »

Poignante déclaration d’un créateur épuisé par le combat contre l’obscurantisme. Comment, s’agissant de sa propre mort, ne pas songer à l’épilogue sublime, une des plus belles fins de l’histoire du cinéma, du Goût de la cerise ? A ce monsieur Badii, allongé dans sa fosse par une nuit orageuse, à sa solitude infinie et silencieuse sous le ciel sombre et déchiré, à l’écran noir qui le fait durablement disparaître, avant ce retour inopiné du jour et du mort dans une prise vidéo d’amateur et phosphorescente de la fin du tournage.

On y voit Badii fumer une cigarette avec Kiarostami, on y accueille la lumière frémissante d’une aube nouvelle, on y suit des soldats jouer comme des enfants, on y entend s’élever un bouleversant instrumental du funèbre Saint James Infirmary. Ebloui, sonné, on n’y comprend plus rien : « twist » conceptuel ? Résurrection de Badii ? Pied de nez à la censure religieuse qui proscrit le suicide ? Du moins voit-on que la vie, bel et bien, continue.

Jacques Mandelbaum

Source Le Monde 04/07/2016

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Festival de Cannes : la Palme d’or pour Ken Loach

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Au terme de dix jours de projections de films en tous genres et de montées des marches sur fond de flashs et de paillettes, le jury, présidé par l’Australien George Miller, le réalisateur de la saga Mad Max, a fait son choix, récompensant le réalisateur britannique Ken Loach avec la Palme d’or pour son film Moi, Daniel Blake. Jean-Pierre Léaud, lui, a reçu une Palme d’honneur pour sa carrière, au cours de la cérémonie de clôture du 69e Festival de Cannes, présentée par l’acteur Laurent Lafitte.

 

La Palme d’or à Moi, Daniel Blake, du Britannique Ken Loach

Six fois primé à Cannes, où il avait déjà reçu la Palme d’or en 2006 pour Le vent se lève, Ken Loach, 79 ans, raconte l’histoire d’un menuisier qui se bat pour obtenir l’aide sociale. Moi, Daniel Blake n’est pas une satire d’un système absurde. Ken Loach n’est pas un humoriste, c’est un homme en colère, et le parcours de l’ouvrier privé de travail et de ressources est filmé avec une rage d’autant plus impatiente qu’elle est impuissante.

Il a profité de son temps de parole, lors de la cérémonie de clôture, pour attaquer « les pratiques néo-libérales qui ont entraîné dans la misère des millions de personnes, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s’enrichit de manière honteuse ».

 

Director Xavier Dolan, Jury Prize award winner for his film "Mommy", poses during a photocall at the closing ceremony of the 67th Cannes Film Festival in Cannes Le Grand Prix à Juste la fin du monde, du Canadien Xavier Dolan

Le réalisateur canadien, extrêmement ému, a notamment déclaré : « Tout ce qu’on fait dans la vie, on le fait pour être aimé, pour être accepté. Je tournerai toute ma vie des films, aimé ou non ». Il a terminé en citant Anatole France : « Je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence ».

 

Le prix de la mise en scène ex aequo au Français Olivier Assayas (pour Personal Shopper) et au Roumain Cristian Mungiu (pour Baccalauréat)

 Le réalisateur Olivier Assayas au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. Le réalisateur Olivier Assayas au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Le réalisateur Olivier Assayas au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

 

Cristian Mungiu avait déjà reçu la Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Dans Baccalauréat, il sonde avec acuité les compromissions et la corruption dans la société roumaine. Pour Olivier Assayas, ce prix « est le plus beau prix, que je partage avec un cinéaste que j’admire. La mise en scène, c’est quelque chose qui s’invente collectivement, mais j’ai l’impression d’avoir construit un collectif, et ce prix lui appartient collectivement ».

 

Le prix du scénario à l’Iranien Asghar Farhadi pour Le Client (Forushande)

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« Mes films ne sont pas connus pour être joyeux », a dit le réalisateur en recevant son prix, espérant que son film « apporte de la joie » au peuple iranien. Il raconte l’histoire d’un couple de comédiens en train de répéter une pièce de théâtre, qui se trouve contraint de quitter son appartement à Téhéran en raison de travaux menaçant leur immeuble.

Le prix d’interprétation féminine à Jaclyn Jose, pour son rôle dans Ma’Rosa, du Philippin Brillante Mendoza

La star philippine a remercié « Brillante Mendoza, un réalisateur formidable, un vrai génie ». Dans Ma’Rosa, elle incarne Rosa Reyes, dite « Ma’Rosa » (Maman Rosa). Pour le rôle, elle est allée s’immerger incognito, de nuit, dans les quartiers que le film décrit, pour faire connaissance avec des personnes du même milieu.

 

Le prix d’interprétation masculine à Shahab Hosseini, pour son rôle dans Le Client (Forushande)

 L’acteur Shahab Hosseini au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016.

L’acteur Shahab Hosseini au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016.

L’acteur iranien joue Emad, professeur et comédien, au sein d’un couple qui se trouve confronté à des événements et des choix bouleversants, alors qu’ils jouent Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller. « Je sais que mon père, là où il est, au paradis, est en train de partager cette soirée avec moi. Paix à son âme, et que son âme soit joyeuse, a-t-il dit en recevant son prix. Ce prix, je le dois à mon peuple, donc de tout mon cœur avec tout mon amour, c’est à lui que je le rends»

Prix d’interprétation masculine pour Shahab Hosseini dans « Le Client » d’Asghar Farhadi https://t.co/DlfcKFdJg6

 

 

Le prix du jury à American Honey, de la Britannique Andrea Arnold

 

 La réalisatrice Andrea Arnold au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. La réalisatrice Andrea Arnold au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. VALERY HACHE / AFP

La réalisatrice Andrea Arnold au 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. VALERY HACHE / AFP

Elle a été saluée pour son premier film tourné aux Etats-Unis. Un prix qu’elle avait déjà reçu à Cannes pour Red Road (2006) et Fish Tank (2009). Habituée de la compétition, Andrea Arnold s’est offert, comme se doit aujourd’hui de le faire tout cinéaste sélectionné à Cannes qui se respecte, son « film américain ».

 

La Caméra d’or à Divines, premier long-métrage de la Franco-Marocaine Houda Benyamina

 

 La réalisatrice Houda Benyamina lors de la cérémonie de clôture du 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. La réalisatrice Houda Benyamina lors de la cérémonie de clôture du 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016. VALERY HACHE/AFP

La réalisatrice Houda Benyamina lors de la cérémonie de clôture du 69e Festival de Cannes, le 22 mai 2016.

« Cannes, c’est aussi notre place à nous. Cannes est à nous, à nous les femmes ! ». La réalisatrice a un peu réveillé une salle endormie en début de cérémonie, avec un discours d’anthologie. Dans le film, l’actrice principale (et petite sœur de la réalisatrice), Oulaya Amamra, 20 ans, incarne Dounia, une jeune fille qui vit dans un camp de Roms en marge d’une cité de la banlieue parisienne, et a décidé que dans sa vie, tout serait possible.

  • La Palme d’or du court-métrage à Timecode, de l’Espagnol Juanjo Gimenez, ainsi qu’une mention spéciale du jury pour le Brésilien Joao Paulo Miranda Maria, pour La Jeune Fille qui dansait avec le diable.

Source : Le Monde 22/05/2016

Voir aussi ; Actualité Internationale, Rubrique Festival, rubrique Cinéma,

 

 

Arabesques « Le combat est culturel. Nous devons être au front »

Arabesques : pour se construire il faut savoir d’où l’on vient

Nesma  dépeint l’itinéraire de la poésie  arabo-andalouse.  Photo dr

Nesma dépeint l’itinéraire de la poésie arabo-andalouse. Photo dr

Le festival Arabesques qui met en lumière la richesse des cultures arabes est aussi un vecteur d’intégration.

A travers cette 11e édition, le festival Arabesques poursuit l’exploration des multiples richesses de la culture du Monde Arabe. Un voyage qui nous conduit à travers l’histoire sur des terres d’échanges et de tolérance en se gardant bien de la tentation exotique ou folklorique au sens touristique du terme. Il s’attache aux racines comme à la réalité multiculturelle, y compris dans l’hexagone. L’action menée auprès des scolaires durant toute l’année par l’association Uni’Son, mis à l’honneur au début du festival, est une pierre angulaire d’une manifestation dont la programmation reste avant tout festive.

Hier au cinéma Diagonal, la projection du documentaire de Wahid Chaïb et Laurent Benitah s’inscrit pleinement dans cet esprit. Le film Chaâba du bled au bidonville évoque le Chaâba, lieu d’habitation surnommé par ses habitants qui signifie « trou», « patelin lointain » en arabe dialectal. Il propose un coup de projecteur sur un lieu de vie de 1949 à 1967 d’une trentaine de familles algériennes venues en France au sortir de la seconde guerre avec l’espoir d’améliorer le quotidien de leurs familles restée en Algérie.

Ce témoignage soulève la difficulté d’une génération de migrants et de leurs descendants à évoquer le passé. Il participe pleinement à la démarche positive d’Arabesques quant aux origines déjà évoquées lors des éditions précédentes avec le témoignage des Chibanis.

Le passage de repères identitaires bouleversés  à celui de cultures partagées suppose un travail de (re) connaissance auquel s’emploie le festival à travers de multiples propositions.
A l’heure de la montée de l’influence salafiste auprès d’une partie de la jeunesse, les déclarations du chef du gouvernement actant que le courant fondamentaliste « était en train de gagner la bataille idéologique et culturelle » ne peuvent que renforcer l’échec de l’intégration. Parce qu’elles tendent à désigner l’islam en général comme une menace dirigée contre la France.

La partie de la compréhension et de l’humanisme défendue par Arabesques qui concerne la grande majorité des musulmans français sans se limiter à une communauté religieuse ou une carte d’identité, porte en revanche ses fruits. On le voit dans la diversité du public.

A l’heure où les bidonvilles ressurgissent dans les grandes villes françaises, poussés par les inégalités croissantes, et l’arrivée de nouvelles populations migrantes il parait urgent de s’intéresser, aux origines des problèmes posés, à la richesse des identités culturelles concernées pour ne pas reproduire un schéma discriminant voué à l’échec.

JMDH

Source : La Marseillaise 19/05/2016

Du bonheur en perspective

Orchestre arabo-andalou de Fès

Orchestre arabo-andalou de Fès

Le début de semaine fut illuminé par la présence exceptionnelle et  hypnotisante de l’Orchestre arabo-andalou de Fès à l’Opéra Comédie.  Sous le serein patronage de Mohamed Briouel qui se produit aussi en compagnie d’artistes de traditions juives, les huit musiciens chanteurs de l’orchestre national ont interprété un répertoire traditionnel du XV² siècle. La restitution de la musique ancienne andalouse marocaine dans la pure tradition, porte en elle une dimension populaire attisée par la présence des artistes qui a conquis le public Montpelliérain.

La fin de semaine s’annonce également riche en propositions.

Hindi Zahra

Hindi Zahra

Vendredi  à 19h30 au Théâtre Jean-Claude Carrière, un concert de  Bab Assalan quartet issue d’une rencontre entre le luthiste syrien Khaled et son frère percussionniste, Mohanad  Aljaramani et le clarinettiste français  Raphaël Vuillard. A 21h30 suivra dans l’Amphi D’O un double plateau plein d’énergie. Karimouche la chanteuse danseuse rappeuse et comédienne  débarque sur scène avec son style et son franc-parler pour embarquer le public dans un show musical où se côtoient ragga, reggae électro et pop music. Dans un style tout autre, plus dépouillé, la chanteuse d’origine berbère Hindi Zahra pose le charme de sa voix sur des mélodies jazz, soul et folk.

Waed Bouhassoun

Waed Bouhassoun

Samedi, le rêve commence à 15h avec la conteuse Halima Hamdane (pour enfant). A 16h le journaliste Rabah Mezouane fait le point sur la musique du Maghreb dans le paysage français. A 18h, il ne faut pas manquer le récital de la syrienne Waed Bouhassoun, une outiste talentueuse qui chante des poèmes d’Adonis, Mansur al-Hajjal, d’al -?Mulawwah, ou d’Ibn Arabi sur ses propres compositions.

Voir programme jusqu’à dimanche Festival Arabesques 2016.

 

 

 

« Faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. »

Habib Dechraoui

Habib Dechraoui

Entretien avec Habib Dechraoui, le directeur du festival Arabesques qui a débuté par deux journées dédiées au public scolaire.

Fort de son expérience, le festival Arabesques se positionne aujourd’hui comme un carrefour permettant le croisement des richesses artistiques du monde arabe et comme un merveilleux outil de coopération avec les villes et acteurs culturels des pays de l’autre rive de la Méditerranée. L’édition 2016 qui se tient à Montpellier jusqu’au 22 mai rend compte de ce mouvement, de ces croisements, de ces apports culturels.

Après la dixième édition célébrée l’année dernière, quel type de motivation vous guide dans le contexte difficile que traversent les pays arabes ?


L’édition 2015, a été très appréciée pour sa qualité artistique et très suivie avec près de 200 000 personnes concernées par le festival et tout le travail réalisé en amont par l’association Uni’Sons qui oeuvre notamment auprès des scolaires. Avec Jeunesse en Arabesques, nos activités de sensibilisation artistique qui contribuent au rapprochement entre les peuples, connaissent une demande exponentielle. Pour une autre partie du public,  l’opéra du Caire perpétuant le répertoire Oum Kalsoum à l’opéra Comédie reste un souvenir inoubliable.

C’est aussi un vecteur qui fait sens  car il s’agit  de musique classique. Un double rapprochement s’est opéré du public habituel de l’opéra vers un répertoire différent et d’un public qui apprécie ce répertoire mais n’avait jamais franchi les portes de l’opéra. Avec la directrice de l’opéra, Valérie Chevalier, très enthousiasmée par cette expérience, nous poursuivons notre collaboration. Cette année nous recevons l’orchestre arabo-andalou de Fès, le groupe le plus important  du genre andalou marocain. Ils seront à Montpellier lundi 16 mai pour une date unique en France. Et d’autres projets sont en cours.

Sous quelles étoiles s’inscrit le thème de l’Orient merveilleux ?


Sous le ciel  aux mille et une étoiles de l’héritage arabo-andalou. Nous avions choisi la thématique avant les attentats de novembre dernier. Ces sinistres événements nous renforcent dans notre conviction que la culture est le vecteur essentiel du savoir vivre ensemble. Il s’agit de souligner et de faire émerger l’idée d’une communauté au sein de laquelle  ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise. Cet héritage commun n’appartient pas à une religion ou une autre.

Vous employez  le terme communauté, comment faut-il l’entendre ?


Lorsque je parle d’Arabesques, je fais tout pour ne pas évoquer la religion qui relève du domaine privé. La communauté à laquelle je fais référence se compose d’une pluralité d’identités à la fois sociales, géographiques, ethniques, populaire, rurales et urbaines… La communauté est la somme de ces identités qui composent le public d’Arabesques.

Auquel s’ajoute les artistes qui viennent d’autres rives de la Méditerranée. J’admire par exemple le courage de la société civile tunisienne qui est très active. J’ai envie d’y contribuer à un petit niveau en faisant venir des artistes. La scène émergente du monde arabe est pleine de vivacité à l’instar du  festival musical de Beyrouth Beirut & Beyond dont la dernière édition à pour la première fois été annulée en raison des troubles que connaît la capitale libanaise. Tous ces artistes composent une partie de notre communauté. Il nous font du bien. C’est une des raisons d’être du festival Arabesques de donner à comprendre,  de préserver l’art traditionnel arabe et de rendre visibles les créateurs émergents. Pour des raisons budgétaires, j’ai malheureusement dû annuler deux projets auxquels je tenais beaucoup : une création audiovisuelle égyptienne, et un groupe palestinien.

Le festival ne se réduit pas  à établir une programmation, où en êtes-vous dans la mise en perspective ?

Nous avons passé le cap des dix ans l’an dernier. Après chaque édition l’équipe du festival se retrouve dans les Cévennes pour faire le bilan. Je sais généralement où je veux aller mais il est important pour moi de rester à l’écoute des acteurs qui m’accompagnent depuis le début. Si la musique reste  au centre de notre programmation parce qu’elle est populaire et fédératrice le festival a la volonté d’amener le public ailleurs . Aussi bien vers des  formes classiques que vers la découverte de groupes rock et électro qui font une percée significative dans les pays arabes. Nous avons aussi la volonté d’ouvrir le festival à d’autres formes d’expressions artistiques comme les arts plastiques,  le théâtre, le cirque… pour suivre le mouvement de la nouvelle scène arabe qui diversifie ses moyens d’expression.

La délocalisation du festival pourrait-elle être en jeu dans les années à venir ?

Depuis trois ans les sollicitations se succèdent à l’échelle européenne et au-delà. Mais je suis attaché à mon territoire d’action qui est un des plus sinistrés. Notre QG se situe toujours dans le quartier haut de La Paillade. Je pense que le combat doit se mener au front. C’est important de ne pas déserter parce que le monde à horreur du vide.

Aujourd’hui dans les quartiers, on voit les acteurs économiques, sociaux et culturels agoniser. Une fois qu’ils ne seront plus là, ce sera la fin. Après les attentats de Bruxelles, le  Bourgmestre à fait un constat très lucide en affirmant que le combat contre le terrorisme et le repli identitaire passaient d’abord par la culture et l’éducation.
Pour moi le succès  du festival n’est pas une surprise. Il est lié au soutien du Conseil départemental, mais je connaissais dès le début le potentiel de ce projet. Après 10 ans nous devons projeter de nouveaux axes de développement. Je persiste à penser que nous devons lancer des passerelles à partir d’ici, des racines. Mes parents sont arrivés là dans les années 50. Tout cela je le valorise aujourd’hui et cela me donne de la force. On ne devrait pas accorder tant d’attention aux gens qui présentent leur projet avant de leur demander leur bilan. Ce qu’il ont fait concrètement.

Vos coup de coeur à l’affiche de cette 11e édition…

Le cabaret Tam Tam qui nous fait replonger dans les nuits parisiennes festives de la diaspora orientale parisienne dans les années 40. Et le récital  de Waed Bouhassoun réfugiée syrienne qui interprète ses compositions au Luth sur des poèmes d’Adonis, Sorhawardi ou Ibn Arabi. Elle me touche beaucoup.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 14/05/2016

Voir aussi : Rubrique  Festival, Il était une fois les Chibanis, rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Politique Immigration, Politique Culturelle, Politique de l’Education,

Une offre artistique globale

Les politiques entourés des directeurs artistiques Crédit Photo jmdi

Les politiques entourés des directeurs artistiques Crédit Photo jmdi

Par Jean-Marie Dinh

Sept  festivals incontournables se succéderont au Domaine départemental d’O du 7 mai  au 27 août 2016.

Les rapports à la culture se déplacent mais l’espace départemental dédié à la culture du Domaine d’O conserve son attractivité. Le président du Conseil départemental Kléber Mesquida entouré du président de l’Epic du Domaine, Michael Delafosse, et des directeurs artistiques des festivals d’été Elysé Lopez, président des Folies d’O, Habib Dechraoui pour Arabesques, Sabine Maillard pour les Nuits d’O, Jean Varela pour le Printemps des comédiens et Isabelle Grison pour Saperlipopette, Mélanie Villenet-Hamel pour la direction du pôle artistique ainsi que Jean Pierre Rousseau pour la longue escale du Festival de Radio France ont présenté succinctement l’offre culturelle du Domaine d’O jusqu’à la fin de l’été.

Qualité diversité accessibilité


L’offre est pléthorique et la qualité se dispute avec la diversité dans un souci d’accessibilité qui a toujours guidé la politique culturelle du département de l’Hérault. « Parce qu’elle émancipe et rassemble, la culture doit être ouverte à tous plus que jamais, le Département s’engage pour le savoir, les artistes et le spectacle vivant », résume le vice-président à l’Education et à la Culture Renaud Calvat.

La fête commencera les 7 et 8 mai avec Saperlipopette, festival dédié aux plaisirs des enfants et des parents qui répond cette année à la thématique « Il était une fois… Aujourd’hui ». Occasion d’aborder la dimension contemporaine des textes et des spectacles destinés au jeune public, souligne Isabelle Grison. Après le week-end d’ouverture à Montpellier le festival rayonnera dans pas moins de 18 communes du département jusqu’au 29 mai.

Du 11 au 22 mai le festival Arabesques, grand rendez-vous des arts du monde arabe, prendra le relais. Pour sa 11e édition, sans se départir de ses épices festives et éclectiques, l’expression artistique donnera de l’air à la confusion politique, aux idéologies pernicieuses et aux libertés confisquées sur le thème de L’Orient Merveilleux de Damas à Grenade. Les recettes de ce festival qui concerne un public  peu présent dans la sphère culturelle habituelle, s’avéreront savoureuses en termes de partage.

30e Printemps des Comédiens

En trente ans, combien de représentations ? combien d’artistes ? combien d’éclats de rire ? combien d’orages ? d’éblouissements ? de bonheurs de théâtre ? Le second festival de théâtre français après Avignon se tiendra du 3 juin au 10 juillet au Domaine d’O avec une nouvelle programmation, signée Jean Varela, d’un équilibre exceptionnel. Le public fidèle s’y rend désormais les yeux fermés. Un signe de confiance, dans un monde qui en manque, mais Jean-Claude Carrière, qui préside le festival et garde toujours les yeux ouverts, nous invite par ce geste à affirmer que nous sommes vivants. « Cette année nous avons une raison de plus d’aller au théâtre. Car il y a quelques mois, à Paris, un théâtre a été mitraillé, acteurs et spectateurs. »

Pour sa 10e édition, Folies d’O qui propose une programmation d’opérettes et comédies musicales en plein air présentera  Orphée au Enfers les 2, 3 et 5 juillet dans l’amphithéâtre d’O. Oeuvre parodique de libération pour Offenbach mis en scène par Ted Huffman sous la direction musicale de Jérôme Pillement. Le Festival de Radio France poursuivra la fête du 11 au 26 juillet avec son volet Jazz concocté par  Pascal Rozat et un Carmina Burana dans la version pour deux pianos. Les Nuits d’O musique et cinéma  clôtureront l’été du 18 au 26 août avec six fiévreuses soirées à déguster sous les étoiles.

Transfert de compétence

La bataille politique engagée pour la gouvernance du Domaine d’O servira-t-elle la culture ?

La présentation de l’offre culturelle départementale s’inscrit dans un âpre débat sur le transfert de compétence entre le département de  l’Hérault et la Métropole de Montpellier présidée par Philippe Saurel. Celui-ci dispute la compétence culturelle au département qui tente de conserver la vitrine d’une politique culturelle ambitieuse.

Alors que la carte  des nouvelles compétences des 13 Métropoles est presque achevée, ce combat fait de la Métropole montpelliéraine un cas d’école. A l’exception de la Métropole Rouen-Normandie qui a acquis par convention la gestion de trois musées, aucune des conventions de transferts signées à ce jour ne concerne la culture. L’enjeu semble avant tout politique pour Philippe Saurel, dont l’exclusion assumée du PS et le faible score aux Régionales, le pousse à asseoir son assise sur le territoire métropolitain.

La question de ce transfert se pose aussi en termes économiques. Le budget culturel global du Conseil départemental de l’Hérault avoisine les 12M d’euros dont 3M à 4M d’euros devraient être compensés par la Métropole en cas de transfert, si celle-ci conserve la qualité de l’offre actuelle.

Une troisième réunion sur le sujet est prévue prochainement entre les représentants des deux institutions. Dans le cas où les deux parties ne parviendraient pas à un accord, un ensemble beaucoup plus vaste de compétences serait transféré de plein droit à la métropole pour un budget estimé à 31M d’euros.

Pour l’heure, ce dossier n’a pas été débattu au Conseil de la Métropole. Dans l’hypothèse d’un transfert du Domaine d’O, Philippe Saurel s’est déjà prononcé pour y installer le CDN. Ce projet qui nécessite l’avis de l’Etat, avait naguère été évoqué par le Conseil général mais aujourd’hui, d’un côté comme de l’autre, personne ne se soucie de projet artistique et les directeurs qui jouissent d’une liberté de programmation n’ont pas voix au chapitre…

 

L’évolution des festivals

Faute de pouvoir présenter la programmation artistique de chaque festival et d’en mesurer la pertinence dans les équilibres, la présentation mutualisée  a été nourrie par le regard d’ Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS en Science politique dont les travaux confrontent les politiques culturelles à l’épreuve des pratiques.

Auteur de plusieurs études sur les festivals, l’expert a évoqué le phénomène de la  festivalisation en soulignant plusieurs grandes tendances.  Ainsi à quelques exceptions près concernant une poignée de grands festivals en Europe, l’inflation des festivals consolide leur ancrage territorial. Les festivals deviennent des opérateurs culturels  et développent des actions tout au long de l’année.  50% des manifestations étudiées «?génèrent?» ainsi une activité à l’année.  70% du public des festivals est local. Sociologiquement ont assiste à une féminisation du public ainsi qu’à son vieillissement, accompagné d’une fragmentation des goûts artistiques.

Si on  compare les coûts de fonctionnement d’un théâtre ou d’une salle de concert, les festivals permettent de faire des économies  notamment grâce au recours au bénévolat. Mais ils bénéficient moins des politiques publiques en matière de pédagogie et de démocratisation artistiques.

 

Voir aussi : Actualité Locale  Rubrique Politique culturelle, Vers un Domaine d’O multipolaire, Crise : l’effet domino, rubrique Festival, Théâtre, rubrique Musique,,