La rupture par l’Arabie saoudite de ses relations diplomatiques avec l’Iran, dimanche 3 janvier, a creusé la cassure confessionnelle entre chiites et sunnites au Moyen-Orient. Cette montée des tensions entre les deux puissances rivales de la région est trop rapidement réduite à un conflit confessionnel entre sunnites et chiites. Pour y voir plus clair, voici un résumé de ce qui lie, différencie et oppose ces deux grandes familles de l’islam.
Une division historique
La division entre sunnisme et chiisme est historiquement le fruit d’un conflit de succession, après la mort du prophète, en 632 à Médine, dans l’actuelle Arabie saoudite. Les compagnons du prophète choisissent l’un d’entre eux, Abou Bakr, en conclave selon la tradition tribale. Selon les chiites, le pouvoir légitime revenait en droit aux descendants directs du prophète, par sa fille Fatima et son gendre Ali. Ecarté du pouvoir, ce dernier deviendra, vingt-cinq ans plus tard, le quatrième calife. Son règne, contesté par Mouawiya, un proche du troisième calife, Osman, assassiné, se termine dans la confusion et il meurt tué par d’anciens partisans devenus dissidents, les kharidjites.
Hussein, le fils d’Ali, qui se soulève contre l’autorité du calife Mouawiya, installé à Damas, sera tué lors de la bataille de Kerbala, en 680. Les chiites révèrent Ali, ses descendants et successeurs comme les « douze imams », persécutés, qui servent d’intermédiaires entre les croyants et Dieu. L’islam sunnite, lui, se voit comme la continuité des premiers califes de l’islam, qui ont conservé intacts et fait observer les commandements de Mahomet.
Une différence de doctrine
Le sunnisme, qui rassemble environ 85 % des musulmans, tend à se définir par opposition aux sectes qui ont parcouru l’histoire de l’islam, en premier lieu le chiisme, et revendique un idéal de consensus. Il se veut fidèle aux origines et pur d’influences étrangères, bien qu’il comprenne une grande variété d’interprétations et de traditions.
Il se définit par l’acceptation du Coran, parole de Dieu, et des enseignements et exemples donnés par le prophète, transmis sous forme de récits et d’informations (« ?adith » et « khabar »). Il opère un constant retour à ces textes.
Le chiisme partage ces sources fondamentales. Il est, lui aussi, très diversifié. Sa branche principale (« duodécimaine ») est caractérisée par le culte des douze imams et l’attente du retour du dernier d’entre eux, Al-Mahdi, « occulté » en 874 aux yeux des hommes mais toujours vivant, qui doit réapparaître à la fin des temps. En son absence, le clergé est investi d’une autorité particulière : il permet une médiation de l’autorité divine. Les religieux chiites sont structurés en une véritable hiérarchie cléricale, à la différence des oulémas (théologiens) sunnites.
Quelle répartition géographique ?
Le sunnisme est majoritaire au Maghreb et en Afrique noire, en Libye et en Egypte, en Turquie, en Arabie saoudite et dans le Golfe, en Syrie, en Afghanistan et au Pakistan, en Inde et en Indonésie. Les chiites sont majoritaires en Iran, en Irak, à Bahreïn et en Azerbaïdjan, et significativement présents au Liban, au Yémen et en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan et en Inde.
Des rivalités exacerbées par les luttes politiques
Les divisions entre sunnites et chiites fluctuent à travers l’Histoire, selon les luttes politiques. Au XVIe siècle, la dynastie safavide, qui impose le chiisme en Iran, combat ainsi la Turquie ottomane, sunnite, même si la religion n’explique qu’en partie leur différend.
A l’époque moderne, en 1979, la révolution islamique iranienne polarise le Moyen-Orient. La volonté iranienne d’exporter sa révolution et sa politique de soutien à des groupes armés chiites, en premier lieu le Hezbollah, au Liban, mais aussi au Koweït, cristallisent les rivalités avec les pays arabes sunnites de la région, qui soutiennent Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran (1980-1988). Au même moment l’Arabie saoudite, où le wahhabisme, un courant du sunnisme ultrarigoriste et antichiite, est religion d’Etat, soutient le djihad antisoviétique en Afghanistan. Al-Qaida s’y forgera.En 2003, l’invasion américaine de l’Irak déclenche une guerre civile entre chiites et sunnites irakiens. La branche irakienne d’Al-Qaida y développe un djihad spécifiquement antichiite, et forme, avec le renfort d’anciens cadres du régime de Saddam Hussein, la matrice de l’actuelle organisation Etat islamique (EI). Celle-ci profite aujourd’hui du ressentiment des populations sunnites d’Irak contre le gouvernement dominé par les partis chiites, et sous influence iranienne. L’EI a par ailleurs mené des attentats terroristes contre des communautés chiites loin de ses lignes de front d’Irak et de Syrie, jusqu’en Arabie saoudite, au Koweït, au Yémen et au Liban.
En 2011, dans la foulée des « printemps arabes », la Syrie bascule dans la guerre civile. La répression du régime, tenu par la minorité alaouite (une branche du chiisme) à laquelle appartient la famille Assad, a favorisé la montée en puissance d’un extrémisme sunnite, communauté dont est issue la quasi-totalité de la rébellion anti-Assad. Par la suite, le régime a libéré des prisonniers djihadistes sunnites, dont certains ont rejoint l’EI, le Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida) et des groupes radicaux, afin de diviser et discréditer l’opposition comme la rébellion.
Une rivalité mise en scène par l’Iran et l’Arabie saoudite
Le conflit syrien est devenu un terrain d’affrontement, par alliés interposés, entre l’Iran, dont les forces et les milices chiites internationales (Liban, Irak, Afghanistan) combattent aux côtés des troupes régulières et de la Russie, et les puissances sunnites que sont l’Arabie saoudite, la Turquie et les monarchies du Golfe, qui appuient des groupes rebelles.
Arrivé au pouvoir en janvier 2015 en Arabie saoudite, le roi Salmane a adopté une stratégie agressive pour contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient. Ce raidissement s’est matérialisé par l’entrée en guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, en mars 2015. Le royaume saoudien, qui a formé une coalition de neuf pays arabes sunnites, cherchait à empêcher la rébellion des houthistes, de confession zaïdite (une branche du chiisme), alliés à l’Iran, de s’emparer de son voisin du Sud.
Le Premier Ministre turc Ahmet Davutoglu et le Président du Conseil Européen Donald Tusk lors du sommet Union Européenne – Turquie à Bruxelles le 29 novembre 2015. Yves Herman / REUTERS
Des conclusions brèves – trois pages – avec des engagements d’ordre général et sans calendrier détaillé. L’accord signé dimanche soir 29 novembre, à Bruxelles, entre les Européens et la Turquie, pour tenter de résoudre la crise migratoire, est censé être historique : cela faisait onze ans, depuis le début des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Europe, que ces partenaires ne s’étaient pas retrouvés de cette manière, alors que les discussions sont au point mort depuis des années. Mais, malgré l’ampleur de la crise des réfugiés, les Européens n’ont pas lâché grand-chose pour convaincre les Turcs de retenir les migrants sur leur sol.
L’UE fournira bien les 3 milliards d’euros d’aide financière qu’exige la Turquie pour s’occuper des 2,2 millions de réfugiés syriens hébergés sur son sol, mais l’argent ne sera déboursé qu’au compte-gouttes, en fonction des projets d’aide aux migrants soumis par Ankara à Bruxelles. Au départ, les Turcs envisageaient un versement de 3 milliards chaque année. Surtout, la provenance des fonds doit encore être déterminée, seule la Commission européenne ayant accepté pour l’instant de mettre 500 millions d’euros du budget européen sur la table. Plusieurs pays, comme la France, aimeraient qu’elle aille plus loin avant de s’engager à leur tour. Les négociations des prochaines semaines pour concrétiser cet accord s’annoncent ardues.
« La Turquie va tenir ses promesses »
Les Européens ont aussi accepté d’envisager la libéralisation de la délivrance des visas européens pour les Turcs à l’automne 2016. Mais à condition que d’ici là, ces derniers surveillent mieux leurs frontières, luttent plus efficacement contre les passeurs, et acceptent d’admettre à nouveau sur leur territoire les migrants « économiques » ayant pénétré illégalement en Europe. Un rapport sera fait tous les mois à Bruxelles sur les progrès constatés sur le terrain en Turquie.
« Nous ne sommes pas en mesure de dire si le nombre de migrants qui arrivent en Europe va diminuer, cela dépend trop de la situation en Syrie, a prévenu le premier ministre turc Ahmet Davutoglu, qui avait fait le déplacement à Bruxelles. Mais je peux vous assurer que la Turquie va tenir toutes les promesses du plan d’action avec les Européens, et je suis convaincu qu’il y aura plus de migration régulière qu’illégale. »
Sur la très sensible relance du processus d’adhésion à l’UE, le texte de l’accord mentionne l’ouverture, le 14 décembre, du chapitre 17 des négociations (sur le plan politique, économique et monétaire), mais pas celle des chapitres 23 et 24 (justice, libertés publiques), pourtant demandée par Ankara. Ces deux chapitres sont bloqués depuis 2009 par Chypre, qui conditionne cette ouverture à un accord sur l’occupation du nord de l’île par les Turcs. Nicosie, avec la Grèce, a d’ailleurs tout fait pour limiter au maximum les engagements précis concernant la relance du processus d’adhésion d’Ankara. En plein sommet, Alexis Tsipras a lancé une série d’attaques contre les Turcs. « Heureusement que nos pilotes ne sont pas aussi versatiles que les vôtres avec les Russes », a tweeté le premier ministre hellène, accusant Ankara de violer régulièrement l’espace aérien grec en mer d’Egée.
Voies légales
Le sommet de dimanche n’a surtout pas dissipé le malentendu historique sur la finalité de ce processus d’adhésion, auquel plus personne ne semble vraiment croire.M. Davutoglu a certes célébré un jour « historique » qui « redynamise » ce processus. « Dans les années à venir, l’adhésion à l’UE ne sera plus un rêve mais une réalité », a-t-il même célébré. Mais « le processus d’adhésion est engagé depuis des années, il n’y a pas de raisons de l’accélérer ni de le ralentir », a immédiatement relativisé François Hollande. Pour les diplomates européens, cet excès d’optimisme turc était essentiellement à mettre sur le compte des difficultés actuelles du président turc Recep Tayyip Erdogan en politique étrangère. Ce dernier, très isolé sur le plan international, a besoin de montrer à son opinion qu’il a encore des alliés.
En tant que chef de gouvernement du premier pays d’accueil des réfugiés en Europe et principale demandeuse de ce sommet, la chancelière allemande, Angela Merkel a bien tenté d’aller plus loin. Elle a notamment été à l’initiative d’une réunion avec sept autres des pays les plus concernés par la crise des migrants (Finlande, Suède, Autriche, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Grèce) pour les convaincre d’organiser l’arrivée d’une partie des réfugiés syriens directement depuis la Turquie par des voies légales, plutôt que par la périlleuse route des Balkans. « La question est aussi de rendre l’immigration illégale légale », a expliqué la chancelière, qui discute depuis déjà quelques semaines d’un tel mécanisme en « bilatéral » avec Ankara. Prudemment, elle n’a pas cité le nombre de réfugiés qui pourraient en bénéficier.
Mais ce mini-sommet, baptisé par la presse allemande celui des « bonnes volontés », n’a clairement pas suscité l’enthousiasme. Les participants ont rappelé qu’ils se sont déjà entendus avec difficulté en septembre pour se répartir 160 000 migrants à leur arrivée en Italie et en Grèce. Et malgré l’échec de ce plan – 160 réfugiés seulement ont été « relocalisés » en deux mois –, la plupart ne semblent pas vouloir aller plus loin. « Il n’est pas question de faire plus en termes de réinstallation tant qu’il n’y a pas de décisions très claires sur le terrain », a lancé Charles Michel, le premier ministre belge.
François Hollande avait, lui, prudemment décliné l’invitation de la chancelière, en raison de problèmes d’agenda. Mais l’entourage du président explique de toute façon que « notre intérêt est que les personnes restent en Turquie. Pour le reste, on verra après ». Mme Merkel a toutefois obtenu que la Commission européenne se penche sur son idée et fasse des propositions d’ici au prochain conseil européen, prévu les 17 et 18 décembre.
Des militaires patrouillent la gare de Lyon à Paris. AFP
La France continue à privilégier la dimension militaire dans sa lutte contre les djihadistes.
D’où vient le groupe djihadiste Daech ?
Né en 2006, d’une scission d’Al-Qaida en Mésopotamie, l’irruption de Daech (acronyme arabe de l’organisation armée État islamique) sur la scène du djihadisme international résulte d’une conjonction de facteurs.
En mai 2003, la décision américaine de dissoudre le parti Baas et de démanteler l’armée de Saddam Hussein a eu pour effet de faire basculer une grande partie des soldats et officiers sunnites du côté de différents groupes insurgés, notamment Al-Qaida puis Daech. La politique sectaire du gouvernement central irakien, notamment celui de Nouri Al-Maliki, a joué dans le même sens, poussant une partie de la communauté sunnite dans les rangs des insurgés.
Ces opposants au gouvernement de Bagdad, à dominante chiite, ont été soutenus par l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe, sous forme d’envois de volontaires, d’armes et d’aide financière. Daech a ensuite profité du vide politique né de l’échec du soulèvement contre Bachar Al Assad et de la guerre civile pour se développer en Syrie.
La Turquie a laissé les combattants étrangers rejoindre Daech, fermé les yeux sur son approvisionnement en armes et accueilli ses blessés dans ses hôpitaux.
Quels sont ses objectifs ? et ses moyens ?
Daech veut mettre en place un État fondé sur la loi islamique et dirigé par le « calife » autoproclamé Abou Bakr Al-Baghdadi.
Le groupe djihadiste contrôle aujourd’hui un territoire de près de 200 000 km2 entre l’Irak et la Syrie et dispose d’une armée de plusieurs dizaines de milliers de combattants, dont un tiers d’origine étrangère, et d’un équipement militaire (chars, humvees et artillerie) laissé sur place par l’armée irakienne lors de la prise de Mossoul en juin 2014.
Ses ressources financières sont également importantes?: avoirs récupérés dans les banques sur son territoire, contrebande de pétrole, trafic des antiquités, racket et financement extérieur. Plusieurs groupes lui ont fait allégeance?en Lybie, en Égypte et au Nigeria.
La France est-elle l’une des cibles privilégiée ?
Revendiqués par l’organisation, les attentats de Paris contre des civils suggèrent une inflexion de la stratégie du groupe terroriste, centrée jusque-là sur la création de ce « califat » sur les ruines de l’ordre établi au Proche-Orient à la fin de la première guerre mondiale avec les accords Sykes-Picot.
Sur la défensive en Syrie et en Irak, Daech se tourne vers l’action terroriste à l’extérieur, particulièrement en Europe, une zone facile d’accès pour ses combattants et lui assurant un maximum de résonance.
La France, avec son passé colonial, sa « laïcité » affichée, son interdiction du voile et son importante communauté musulmane, constitue une cible toute désignée pour l’organisation djihadiste, soucieuse d’affirmer sa capacité de nuisance et son pouvoir d’attraction.
Après l’attentat de Beyrouth et le crash de l’avion russe dans le Sinaï, les attaques de Paris relancent le spectre d’une campagne planifiée et coordonnée par la direction de Daech, qui jusque-là se contentait d’inspirer des actes de violence commis par des « loups solitaires ».
Quelle est la place de la France dans la « guerre contre le terrorisme » ?
Depuis quinze ans, les États-Unis, suivis par leurs alliés européens, mènent une « guerre contre le terrorisme ». De l’Afghanistan, au lendemain du 11 septembre 2001, cette guerre s’est étendue à l’Irak, au Yémen, à la Somalie, aux pays du Sahel, à la Libye et à la Syrie. Sous la présidence de François Hollande, Paris est devenu le premier partenaire militaire de Washington sur de multiples fronts.
L’intervention française au Mali (opération Serval) s’est élargie depuis le 1er août 2014 à tout le Sahel (opération Barkhane). En Syrie, Paris a milité pour des frappes aériennes contre le régime en 2013, intervention refusée par les États-Unis et le Royaume-Uni.
L’engagement dans la coalition conduite par les États-Unis des forces aériennes françaises (opération Chammal) en Irak (septembre 2014), puis en Syrie (septembre 2015) s’est ajouté aux théâtres d’opérations au Sahel et en Centrafrique. L’engagement français comprend également une centaine de conseillers et forces spéciales déployées en Irak, à Erbil, et à Bagdad.
La contribution française aux vols de reconnaissance et aux bombardements (4 % des frappes en Irak, trois raids réalisés en Syrie) reste modeste mais François Hollande, chef des armées, a délibérément adopté un discours guerrier, multipliant les déclarations publiques à chaque étape de l’engagement français.
Cette communication de guerre, comme la traque assumée des recrues françaises de Daech en Syrie, a fortement contribué à installer la posture d’une France en première ligne.
L’action militaire va-t-elle s’amplifier ?
Le nombre de soldats mobilisés en France dans le cadre de l’opération Sentinelle va passer de 7 000 à 10 000 hommes. Le ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, a annoncé la définition prochaine d’une nouvelle doctrine d’emploi des armées sur le territoire national. Les frappes françaises vont s’intensifier en Syrie et en Irak avec la participation des moyens aériens supplémentaires apportés par l’envoi du porte-avions Charles de Gaulle dans le golfe Persique.
Les forces spéciales et l’armée de l’air française ont participé, en soutien, à la reprise de Sinjar, la semaine dernière, par les forces kurdes. Les autorités françaises continuent à exclure l’envoi de troupes au sol en Syrie.
L’éradication militaire des « barbares » est-elle possible?? Certains en doutent. Dans une tribune libre publiée dans L’Opinion, le député européen Arnaud Danjean (Les Républicains) évoque « une grave illusion nous condamnant à être les Sisyphe de l’interventionnisme ».
Recep Teyyip Erdogan empoche un beau succès personnel. Le président turc voulait continuer à gouverner son pays en autocrate plus ou moins éclairé. Il en a, à nouveau, les moyens. Sa formation islamo-conservatrice, l’AKP, a très nettement remporté les élections législatives du dimanche 1er novembre. Elle obtient la majorité au Parlement et permettra à M. Erdogan de rester le maître d’une Turquie qu’il dirige de façon de plus en plus autoritaire – et, bien souvent, inquiétante.
Ce résultat va peser lourd sur l’évolution de la guerre en Syrie, sur une crise des réfugiés qui s’installe dans la durée et, enfin, sur les relations de ce pays membre de l’OTAN avec ses partenaires européens, au moment précis où ils ont plus que jamais besoin de la Turquie.
Elu président en 2014, M. Erdogan n’était pas satisfait du résultat des dernières élections générales, en juin. Pour la première fois depuis 2002, l’AKP avait perdu la majorité absolue. Elle était condamnée à gouverner en coalition. Le président s’y est refusé. Il a convoqué un nouveau scrutin et, contrairement à la lettre de la Constitution, mené lui-même une campagne conduite d’un bout à l’autre sur un seul registre : la stratégie de la tension.
La guerre avec les autonomistes armés du PKK kurde – organisation considérée comme terroriste par l’UE et les Etats-Unis – a été relancée avec l’intention de séduire une partie de l’électorat de la droite ultranationaliste. Les militants de l’AKP ont vandalisé plusieurs centaines de permanences d’une formation kurde modérée (le HDP, le Parti démocratique du peuple), qui avait réalisé une percée spectaculaire en juin. Plus grave, des rassemblements du HDP ont été la cible de deux attentats, qui ont fait plus d’une centaine de morts, en général attribués à des cellules djihadistes.
Le président a donné le ton en qualifiant ses adversaires de traîtres ou de terroristes. Sa stratégie a payé. Dans ce climat de peur, les électeurs turcs – y compris parmi les Kurdes – ont voté pour la stabilité. Avec un peu plus de 49 % des voix, l’AKP retrouve la majorité absolue (316 sièges sur 550). Qu’il réussisse ou non à faire changer la Constitution – passer d’un système parlementaire à un régime présidentiel –, M. Erdogan a les moyens de poursuivre une dérive amorcée il y a ou trois ou quatre ans : l’exercice d’un pouvoir de plus en plus personnel. Pour lui, la démocratie se résume aux élections : le vainqueur a le droit de mettre au pas tous les contre-pouvoirs, qu’il s’agisse des élus, de la justice ou de la presse – tous intimidés, malmenés, voire persécutés.
Le patron de l’AKP se retrouve à la tête d’un pays de 75 millions d’habitants qu’il a contribué à polariser chaque jour davantage et dont la moitié de la population lui est farouchement opposée : laïcs contre religieux, Turcs contre Kurdes, sunnites contre alévites, élites urbanisées contre conservateurs du plateau anatolien. Ce paysage politique fragmenté est encore fragilisé par une situation économique des plus médiocres et par un environnement extérieur dominé par la guerre en Syrie.
Loin d’être le pôle de stabilité qu’elle a pu être, durant les deux premiers mandats de l’AKP, la Turquie d’Erdorgan présente le profil d’un pays largement déstabilisé sous l’effet cumulé des choix politiques de son président et du chaos proche-oriental. Obnubilée par la question kurde, sera-t-elle un partenaire sérieux dans la lutte contre l’Etat islamique ? Volontiers irascible, et parfois imprévisible, M. Erdogan peut-il contribuer à la rechercher d’une issue politique en Syrie ? Rien n’est moins sûr.
L’UE est la première concernée. Elle a besoin de la Turquie pour freiner, voire enrayer l’exode des réfugiés de Syrie. Plus de deux millions d’entre eux ont été généreusement accueillis par les Turcs. Les Européens sont prêts à toutes les concessions pour qu’Ankara continue à les héberger et contribue à empêcher une migration sauvage qui s’est encore traduite, ces derniers jours, par des dizaines de noyades.
M. Erdogan est en position de force. Mais jusqu’où faut-il lui céder, s’il s’obstine à diriger la Turquie en autocrate aussi agressif à l’intérieur qu’à l’extérieur ?
Partisans ou opposants au régime de Bachar el-Assad, Moscou, Washington, Téhéran, Riyad, Ankara, Paris, Londres, Doha et Berlin sont tous impliqués de près ou de loin dans la crise syrienne. Parce qu’un règlement du conflit qui ravage la Syrie depuis plus de quatre ans dépend de leur capacité à trouver un terrain d’entente, « L’Orient-Le Jour » propose un récapitulatif de l’évolution de leurs positions depuis 2011 et de leurs engagements diplomatiques et sur le terrain.
Position initiale
Pourtant plutôt favorable aux « printemps arabes », qualifiés de « réveil islamique », Téhéran a, dès le début des manifestations en Syrie, dénoncé « un complot » venu de l’extérieur. En août 2011, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad parle d’« ingérences malfaisantes de l’Occident et de certains pays arabes dans les affaires intérieures syriennes ». Pour l’Iran, la chute du régime profiterait aux Occidentaux et à leurs alliés turcs et arabes, particulièrement l’Arabie saoudite. Disposant de très bonnes relations avec Damas depuis le début des années 80 et l’éclatement de la guerre Irak-Iran, Téhéran va faire le choix de soutenir coûte que coûte le président syrien Bachar el-Assad, tout en reconnaissant la légitimité de certaines revendications populaires. Anticipant une possible chute du régime syrien, l’Iran va toutefois rentrer en contact avec une partie de l’opposition syrienne, de tendance « Frères musulmans ». Téhéran veut s’assurer que, quelle que soit l’issue de la crise, il ne perdra pas tous ses intérêts stratégiques en Syrie. Ceux-ci sont historiques et nombreux. La Syrie est une pièce essentielle, si ce n’est la pièce maîtresse, de la politique étrangère de Téhéran. La Syrie a été le premier pays arabe à reconnaître la République islamique après la révolution de 1979, et le seul, avec la Libye, à le soutenir durant la guerre Iran-Irak. Le fait que la Syrie soit dirigée par des alaouites (une branche du chiisme) a également certainement favorisé l’entente entre Damas et Téhéran, même si d’autres considérations semblent plus importantes : la Syrie donne à l’Iran un accès au Moyen-Orient arabe et à la Méditerranée. Damas est un chaînon indispensable de l’axe stratégique qui relie Téhéran au Hezbollah, appelé « axe de la résistance », contre Israël. Le gouvernement syrien est d’ailleurs présenté par Téhéran comme le « fer de lance de la lutte contre le sionisme ». Le soutien logistique de Téhéran au Hezbollah passe essentiellement par la Syrie. Le conflit dans ce pays est un enjeu géopolitique majeur pour Téhéran : ce dernier joue sa place de gendarme régional contre son rival saoudien, mais aussi sa capacité à défendre certains fondements de sa doctrine révolutionnaire, islamiste et anti-occidentale.
Engagement sur le terrain
L’engagement militaire de l’Iran en Syrie a été progressif. Dès le début de la crise, Téhéran envoie des conseillers à Damas, pour contrôler l’opposition. En 2012, il commence à envoyer des gardiens de la révolution en Syrie, certains d’entre eux seront capturés par l’Armée syrienne libre puis libérés en janvier 2013. La présence des pasdaran en Syrie a été dans un premier temps niée, puis admise sans toutefois préciser combien de combattants étaient mobilisés. Il s’agirait aujourd’hui de plusieurs milliers de combattants chargés d’encadrer et de former des milices comprenant des Syriens (essentiellement chiites et alaouites), des Irakiens, ou encore des Afghans et des Pakistanais.
En outre, entre 5 000 et 8 000 membres du Hezbollah se trouvent actuellement en Syrie. Le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, reconnaît la présence de ces combattants en avril 2013, au moment de la bataille de Qousseir. Parallèlement à son soutien militaire, Téhéran fournirait plusieurs milliards de dollars par an à Damas.
Position actuelle
Deux facteurs ont eu des répercussions sur la politique étrangère de Téhéran en Syrie. Un : la présence de plus en plus importante de jihadistes, foncièrement antichiites, au sein de l’opposition syrienne. Téhéran voit dans cette présence une manœuvre de l’Arabie saoudite visant à contrer son influence dans le monde arabe. Cette évolution va amener l’Iran à durcir sa position, à intensifier son soutien au régime et à se présenter comme un protecteur des minorités. Deux : l’accord nucléaire conclu en juillet 2015 à Vienne entre l’Iran et les 5+1. Cet accord ouvre la voie à des négociations entre Téhéran et les Occidentaux dans la mesure où il symbolise le retour de la République islamique dans le « concert des nations ». Mis à l’écart au moment des négociations de Genève I et de Genève II, l’Iran cherche depuis à s’imposer comme un acteur indispensable pour trouver une issue au conflit. Pour l’instant, Téhéran cherche, à l’instar de Moscou, à imposer son propre agenda qui vise à éradiquer la menace jihadiste dans un premier temps, avant de discuter du sort du président syrien dans un second temps. Les discours du président iranien Hassan Rohani laissent entendre que Téhéran ne se sent pas engagé envers Bachar el-Assad. Les Iraniens n’ont jusqu’à présent pas précisé quelles concessions ils seraient prêts à faire et quelles garanties ils souhaiteraient obtenir en cas de négociation sur une sortie de crise.
Position initiale
Historiquement tendues, même après la fin de la guerre froide, les relations entre la Syrie et les États-Unis s’améliorent quelque peu après l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche en 2009. En effet, le successeur de George W. Bush estime que Damas a un rôle-clé à jouer dans la région. Ces progrès volent en éclats lorsque le soulèvement populaire éclate en Syrie en mars 2011, bien qu’Obama mette plusieurs mois à réagir. Une première vague de sanctions, économiques surtout, est imposée, touchant les réseaux de télécommunications et de banques, ainsi que le pétrole et l’aviation. Bien d’autres suivront au cours des années suivantes, au fur et à mesure que le pays s’enlise dans une guerre de plus en plus complexe et meurtrière. L’administration Obama finit par demander le départ du président syrien Bachar el-Assad à la fin de l’été 2011. Il faudra attendre mars 2014 pour que Washington se décide à fermer son ambassade à Damas, en raison de « l’illégitimité si évidente du régime » Assad, selon les termes du secrétaire d’État John Kerry.
Engagement sur le terrain
Dès juillet 2011, l’Armée syrienne libre (ASL), constituée de soldats et haut gradés déserteurs, ainsi que de civils ayant pris les armes, s’impose sous la houlette de Riad el-Assaad, comme principal courant d’opposition sur le terrain à l’armée loyaliste de Bachar el-Assad. Très vite, l’ASL reconnaît l’autorité du Conseil national syrien (CNS, opposition syrienne en exil formée fin 2011), et s’attire peu après le soutien d’une grande partie de la communauté internationale, dont Washington. Dès le printemps 2012, des agents de la CIA aident l’ASL, lui fournissent renseignements, assistance et matériel dans ses camps en Turquie, en Jordanie et en Syrie, où ils font transiter des armes.
L’année suivante, l’hostilité monte d’un cran entre Damas et Washington, qui accuse le régime d’utiliser des armes chimiques contre la population civile, en référence au massacre au gaz sarin de la Ghouta orientale. Jugeant qu’une « ligne rouge » a été franchie, les États-unis menacent de recourir à la force et décident d’intervenir militairement en Syrie. Une intervention finalement avortée : après un suspense généralisé, Barack Obama décide de s’en remettre au Congrès. Moscou obtient entre-temps de Damas de mettre son arsenal chimique sous contrôle international.
En juin 2014, le Pentagone met en place le Train and Equip Program, dont le but est d’entraîner plusieurs milliers de rebelles triés sur le volet, mais qui s’avère être un fiasco total. Seuls quelques dizaines de combattants sont choisis et formés, avant d’être envoyés en Syrie, où ils disparaissent pour la plupart. À la mi-septembre, le commandant
des forces américaines au Moyen-Orient reconnaissait que seuls « quatre ou cinq » rebelles syriens formés et équipés par les États-Unis combattent effectivement sur le terrain.
C’est à la même période qu’une coalition de plus d’une cinquantaine de pays se met en place, menée par Washington. Cette coalition s’inscrit dans la lutte contre l’État islamique (EI) en Irak comme en Syrie. Les frappes sont aériennes, et surtout américaines. Mais en un an, si l’action de cette coalition a permis de freiner quelque peu l’expansion du groupe jihadiste, elle n’a pas réussi à l’endiguer totalement ni à l’éliminer.
Position actuelle
Plus de quatre ans après le début de la guerre, aucune solution ne semble être en vue. Le conflit est d’une complexité à toute épreuve, et les positions de certaines grandes puissances ont évolué avec la situation sur le terrain. La politique américaine semble hésitante et confuse, sans stratégie bien définie. Ainsi, en mars 2015, tout en répétant comme ce fut le cas dès 2011 que la seule solution au conflit est politique et non militaire, Washington se démarque toutefois de ses positions passées et n’exclut plus de négocier avec Bachar el-Assad. Récemment, le secrétaire d’État John Kerry a estimé que Bachar el-Assad devait partir, tout en indiquant que le calendrier restait à déterminer dans le cadre de négociations pour résoudre le conflit en Syrie.
Position initiale
Allié de la Syrie depuis la période soviétique, la Russie a réaffirmé à plusieurs reprises son soutien indéfectible au régime du président Bachar el-Assad. Un soutien illustré notamment par ses livraisons d’armes à ce pays malgré le conflit qui dure depuis maintenant plus de quatre ans. La Syrie est l’un des alliés essentiels de la Russie dans le monde arabe. Damas est d’abord important pour Moscou sur le plan commercial. Si des opposants à Bachar el-Assad venaient à s’emparer du pouvoir, ils pourraient remettre en cause les nombreux investissements russes dans l’économie syrienne. Ensuite, la base de ravitaillement et de maintenance de sa marine dans le port de Tartous dans le nord-ouest syrien est la seule dont la Russie dispose hors de l’ex-URSS, alors que l’accès aux mers chaudes est une obsession pour elle. La chute du régime de Damas entraînerait le départ de Moscou du Moyen-Orient. Depuis le début de la crise, les Occidentaux ont tenté de faire fléchir la position russe à maintes reprises. Mais la Russie a, comme la Chine, opposé son veto à quatre résolutions du Conseil de sécurité sur la situation en Syrie : les 4 octobre et 4 février 2011, le 19 juillet 2012 (condamnations de la répression en Syrie des protestations contre le régime) et enfin le 22 mai 2014 (saisie de la Cour pénale internationale par l’Onu concernant les crimes de guerre en Syrie). Par ces « niet » francs, la Russie s’est attirée les foudres de la communauté internationale qui l’accuse de légitimer les exactions du président syrien. Les Russes n’ont aucune confiance dans les Occidentaux et craignent que l’adoption d’une résolution à l’Onu ne rappelle le précédent libyen (guerre civile de 2011) et que Bachar el-Assad ne subisse le même sort que le colonel Kadhafi. Pour la Russie, il revient aux Syriens de décider de son sort et du leur. En outre, Moscou a toujours démenti le recours aux armes chimiques par le régime, d’où le dernier veto de 2014. Cependant, le soutien de Moscou à Damas n’a, en coulisses, pas toujours été tout lisse. En effet, celui-ci a maintes fois été exaspéré par l’obstination du régime à refuser tout dialogue.
Engagement sur le terrain
La Russie, deuxième exportateur d’armes au monde, a fourni des armes à la Syrie sur la base de contrats signés avant et après le début du conflit en 2011. Les Russes ont envoyé des centaines d’instructeurs et de techniciens entretenir le matériel de guerre qu’elle a vendu : hélicoptères d’attaque, missiles, radars, batteries antiaériennes. Son site militaire de Tartous est précieux. Il s’agit d’une base navale rétablie en 1971 et dans laquelle stationnait jusqu’à présent une garnison de 150 hommes. Le commandant en chef de la marine, l’amiral Vladimir Massorine, avait déclaré en 2012 que la Méditerranée est « une mer de la plus haute importance stratégique » et « une région où la puissance navale et le drapeau russe doivent être vus ». Malgré son soutien au régime d’Assad depuis le début, Moscou n’a jamais émis le souhait d’intervenir militairement jusqu’au déploiement de troupes en été 2015. Les avions russes ont mené plusieurs raids contre des positions « terroristes », selon Moscou, à Hama et à Homs, dans le nord-ouest et le centre du pays. Un engagement de troupes au sol est pour le moment exclu par le Kremlin. L’objectif de cette intervention est, selon Moscou, de soutenir les « forces armées syriennes dans leur lutte contre l’État islamique » et les groupes « terroristes » en général.
Position actuelle
Au cours de cet été, la Russie a intensifié son aide au régime syrien, notamment par la livraison de blindés et d’avions, et renforcé les garnisons russes à Lattaquié (aéroport) et Tartous. Le 28 septembre dernier, Vladimir Poutine défend le régime syrien devant l’Assemblée générale de l’Onu. Le chef du Kremlin a demandé une « large coalition antiterroriste » pour lutter contre les jihadistes en Syrie et en Irak. Cette coalition serait « semblable à celle contre Hitler » au cours de la Seconde Guerre mondiale et les pays arabes « y joueraient un rôle-clé », a-t-il dit. Enfin, Moscou a appelé le gouvernement syrien à dialoguer avec les différents acteurs du conflit. Ce dernier a accepté de participer à des discussions préliminaires proposées par l’Onu afin de préparer une conférence de paix. Lors de son discours à l’Onu fin septembre, le président russe a estimé que refuser de collaborer avec le gouvernement syrien serait une « énorme erreur » car il fait, selon lui, preuve de « courage » dans sa lutte contre les jihadistes.
Position initiale
Dès le début de la crise, les pays de l’Union européenne (UE) se montrent très fermes à l’égard de la Syrie. Quand le régime lance la répression des manifestants, l’UE condamne avec virulence l’attitude du régime, appelle au départ du président syrien Bachar el-Assad, et impose très vite un premier train de sanctions économiques, commerciales et diplomatiques, ainsi qu’un embargo sur les armes et le pétrole. De même, des personnalités proches ou faisant partie du régime sont interdites de visa pour l’UE. La France, surtout, se démarque par la violence de ses critiques contre le régime de Damas, d’où elle retire son ambassadeur dès novembre 2011. Quelques mois plus tard, c’est au tour de la Grande-Bretagne, de l’Italie et des Pays-Bas de fermer leurs chancelleries dans la capitale syrienne. Les membres de l’UE ont quasiment tous apporté leur soutien à l’opposition syrienne, multipliant les sommets et réunions internationales (comme Genève II, par exemple), malgré le peu de résultats obtenus.
Engagement sur le terrain
Si les États membres de l’UE affichent, dès le début, un front uni contre Damas et ses alliés, ils ne sont toutefois pas d’accord sur la manière de procéder. Ainsi, depuis mai 2013, certains États européens ont le droit de vendre des armes aux rebelles syriens. Toutefois, la mesure n’a pas eu grand impact sur le terrain.
Lorsque le régime syrien est accusé en 2013 par la communauté internationale de perpétrer des massacres au gaz sarin et autres armes chimiques, l’UE le condamne vivement. La fameuse « ligne rouge » américaine franchie, la France s’empresse d’annoncer des frappes punitives en Syrie; mais le Parlement britannique inflige un camouflet à ses partenaires internationaux et vote contre, tandis que les États-unis se rétractent à la dernière minute. Par la suite, les États membres de l’UE prendront part à la coalition internationale contre l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie, qui regroupe plus d’une cinquantaine de pays. En termes de frappes concrètes, seules la Grande-Bretagne et la France en ont effectué en Syrie, et seulement récemment.
Position actuelle
Nombreux sont les observateurs et connaisseurs de la région qui estiment que, contrairement à la France, une bonne partie de pays européens (comme la Suède, l’Autriche, l’Espagne, la Roumanie ou la Pologne) ne sont plus opposés à l’idée que Bachar el-Assad fasse partie d’un processus de transition. Même la Grande-Bretagne et l’Allemagne se sont prononcées, récemment, pour l’inclusion du président syrien dans des négociations de sortie de crise. Un virage considérable par rapport à leurs positions depuis le début du conflit.
Autre pression sur l’Europe pour une résolution du conflit : l’arrivée massive depuis quelques semaines de réfugiés syriens.
Position initiale
Malgré d’importants contentieux historiques, Damas et Ankara ont entretenu de bonnes relations au cours des années 2000. Le président turc, alors Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, ne tarissait d’ailleurs pas d’éloges sur le président syrien, Bachar el-Assad qu’il qualifiait « d’ami ». Au moment des premières manifestations, Ankara cherche à être un médiateur entre la Syrie et l’Occident et appelle Damas à faire de sérieuses réformes. Au fil des mois, le discours d’Ankara va se durcir à mesure que le régime va poursuivre sa politique de répression contre les manifestants. Le 2 octobre 2011, des opposants syriens annoncent depuis Istanbul la création du Conseil national syrien (CNS), coalition de courants politiques opposés au régime. De partenaire, la Turquie va progressivement devenir l’un des chefs de file de l’opposition au régime Assad, opérant un réel retournement de position diplomatique qui l’éloigne de Téhéran, mais lui permet de se rapprocher des puissances sunnites du Golfe.
Alors que Riyad a accueilli les révolutions arabes avec beaucoup d’inquiétude, Doha a essayé de tirer profit de ce changement de situation pour favoriser la montée en puissance des Frères musulmans. Cette divergence stratégique a très largement compliqué les relations entre les deux voisins du Golfe, mais ces derniers se sont tout de même retrouvés sur un point : le soutien à l’opposition syrienne. Les pays du Golfe ont misé sur le fait que la chute du régime Assad serait un coup dur pour Téhéran, qui perdrait alors son seul allié dans la région. Les puissances du Golfe vont donc apporter, dès le début de la crise, leur soutien à l’opposition syrienne, non par souci démocratique mais pour des questions d’ordres géopolitique et stratégique. Selon des informations publiées par WikiLeaks, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie auraient conclu un accord secret en 2012 visant à renverser le gouvernement syrien.
Engagement sur le terrain
L’axe Ankara-Riyad-Doha va progressivement mutualiser ses efforts en faveur de l’opposition syrienne, en fournissant argent et armes aux groupes rebelles. Leur entente a permis d’apporter un soutien logistique important à l’Armée de la conquête, coalition de rebelles menée par le Front al-Nosra (branche syrienne d’el-Qaëda) et le groupe salafiste Ahrar el-Cham, au moment de la grande offensive du printemps dernier dans la province d’Idleb. Tous les trois se sont engagés à fournir un soutien politique, financier et militaire à al-Nosra, selon certains spécialistes, bien que d’autres estiment que Riyad serait moins impliqué que ses alliés dans cet engagement implicite. Les trois pays ont également été accusés d’avoir favorisé l’expansion de l’organisation État islamique (EI), mais aucune preuve ne peut étayer ce fait jusqu’à présent.
L’Arabie saoudite aurait transféré les armes les plus lourdes dont disposent les insurgés, parmi lesquelles des lance-roquettes antichars, des lance-missiles sol-air ainsi que quantité de munitions et obus. Au printemps 2013, le Financial Times estimait l’aide qatarie aux rebelles à plus de 2,25 milliards d’euros. Ankara a été de son côté accusé par le quotidien turc Cumhuriyet d’avoir livré un millier d’obus de mortier, 80 000 munitions pour des armes de petits et gros calibres et des centaines de lance-grenades aux rebelles. Officiellement pourtant, le gouvernement turc s’est toujours défendu de ces accusations.
Le 2 octobre 2014, le Parlement turc a adopté une résolution permettant au gouvernement d’intervenir en Syrie et en Irak. Refusant au départ de prendre part à la coalition contre l’EI, les Turcs vont changer de position et accepter, en août 2015, de mettre à disposition des avions de la coalition leurs bases aériennes. Ils se lancent alors dans une guerre « contre le terrorisme » visant surtout le PKK et dans une moindre mesure l’EI. Bien que participant également à la coalition, le Qatar et l’Arabie saoudite n’effectuent officiellement pas de raids en Syrie.
Position actuelle
Ankara, Riyad et Doha continuent de réclamer le départ de Bachar el-Assad, même si Recep Tayyip Erdogan a récemment admis que le président syrien pourrait faire partie d’une période de transition. La Turquie réclame la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au nord de la Syrie, alors qu’elle doit gérer près de deux millions de réfugiés syriens sur son territoire. Riyad a de son côté récemment déclaré, par le biais de son ministre des Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, que deux options mènent à la chute d’Assad, l’une étant politique, l’autre militaire.