Le kalevala : un retour aux origines poétiques

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Une entrée dans le mythe des peuples ouraliens : La création du Sampo (objet magique) par Ilmarinen,

Rencontre littéraire. L’association Cœur de livres débute un cycle de débats autour des littératures nordiques en partenariat avec L’Hérault du jour et Radio Campus. Ce soir les origines de la Finlande.

Si les dieux mettent en suspens le destin des hommes, la littérature se charge, à travers le temps, de le transcrire à l’écrit. Mais l’origine de l’histoire humaine passe par le langage qui précède l’apparition de l’écriture et nous propulse dans l’univers des mythes et des légendes. La première rencontre littéraire de la saison « Elias Lönnrot et le Kalevala », proposée par l’association Cœur de livres dans le cadre d’un cycle autour des littératures nordiques, plonge en profondeur près des racines primitives finnoises.

Il sera question du Kalevala, qui signifie pays de Kaveva. Une  œuvre majeure et méconnue de  la littérature mondiale constituée d’un ensemble alliant des mythes et des légendes à des récits héroïques, épiques ou lyriques. On peut avancer que le Kalevala est un pendant boréal à l’Odyssée méditerranéenne homérique. L’œuvre regroupe divers poèmes populaires oraux transmis par les bardes, poètes chanteurs, rassemblés par Elias Lönnrot (1802-1884) qui met un terme à son épopée au milieu du XIXème siècle.

L’épopée de Lönnrot
Fils de tailleur, Lönnrot poursuit ses années de médecine tout en étudiant parallèlement le latin, le grec, l’histoire et la littérature. En avril 1828, il part pour son premier périple avec dans l’idée de s’ouvrir à une vision plus large de son pays. Il souhaite particulièrement approfondir la connaissance de sa langue à travers l’approche des différents dialectes et notamment de la poésie populaire. Au début, il ne trouve rien de très intéressant mais après avoir poussé vers la Finlande Orientale jusqu’aux provinces de Savo et Carélie, il rencontre les premiers chanteurs-poètes qui lui ouvrent les portes de la mythologie à partir des incantations et des narrations scandées qu’il s’applique à retranscrire avec passion.

Tout en poursuivant ses études, Lönnrot consacre l’essentiel de son temps à ses recherches sur la poésie populaire et prépare ses nouvelles expéditions vers l’Est qui le conduiront de part et d’autre de la grande barrière de l’Oural. Au cours de ses voyages successifs, il parcourt 20 000 km pour contribuer à ses frais à la mémoire collective. Lönnrot transcrit près de 65 000 vers, proverbes devinettes recueillis auprès des bardes, chanteurs, chasseurs, guérisseurs qui tiennent de leurs anciens ces chants prononcés dans certaines circonstances comme les noces, la maladie, la peur, la semailles…

D’une fabuleuse densité et diversité, les chants des peuples ouraliens transcrivent aussi les pratiques de la vie ordinaire : chant de pleureuse, complaintes de veuves, regrets de jeunes filles, jurons d’ivrognes… En 1835, a lieu la publication du Kalevala dans sa première version. Elle reste confidentielle mais est très remarquée par les défenseurs de la philosophie nationaliste qui fleurit en Europe. En 1849 Lönnrot donne à son oeuvre une version définitive contribuant grandement à la renaissance de la langue finnoise qui devint officielle en 1902.

Pour évoquer Le Kalevala, Cœur de livres a invité Gabriel Rebourcet, consul de Finlande à Marseille, qui a traduit le texte chez Gallimard en prenant le parti de conserver la saveur archaïque de la langue. Ce lettré passionné de culture, expliquera notamment ce soir* en quoi cette œuvre fondatrice a répondu au sentiment national finlandais et par quel ressort magique elle s’inscrit dans le patrimoine universel.

Jean-Marie Dinh

*Rencontre avec Gabriel Rebourcet jeudi 20 février à 19h salle Pétrarque, entrée libre.

Ecouter la rencontre. Sur Radio Campus Montpellier.

Le Kalevala épopée des Finnois, éditions Quarto Gallimard.

Voir aussi : Rubrique Littérature, rubrique Finlande, On Line La Comédie du livre 2014, Présentation de la rencontre Télécharger la brochure au format .pdf

Direction artistique. Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier

Dossier réalisé par Jean-Marie Dinh

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Une nouvelle page est en train de s’écrire pour le théâtre à Montpellier. Si la question des infrastructures demeure un problème pour les compagnies qui manquent de moyens et de lieux de création, celle des lieux de diffusion est en phase de stabilisation à l’exception du Théâtre du Hangar laissé en désaffection depuis trop longtemps. Reste la question essentielle des hommes en charge de conduire les beaux navires chargés d’imaginaire dont dispose Montpellier.

public vignette 1Les projets artistiques ont en commun la volonté d’instaurer un dialogue pour trouver de nouveaux publics. photo d.r

Les départs annoncés en 2013 de Luc Braemer (Théâtre Jean-Vilar) Frédéric Sacard (Théâtre de la Vignette) et Jean-Marie Besset au CDN se concrétisent cette année avec l’arrivée de trois nouveaux directeurs sur la ville.

Frantz Delplanque nommé à La Paillade et Nicolas Dubourg au théâtre universitaire de Paul-Valery ont à faire à un héritage marqué par l’identité des fondateurs. Rodrigo Garcia devra relever le défi de faire bouger les lignes afin que le Centre dramatique national (CDN) s’imprègne davantage de son époque. Tous trois partagent la volonté d’insuffler une dynamique territoriale plus créative. Chacun à leur manière, ils élaborent un projet artistique pour instaurer un dialogue nouveau susceptible d’élargir le public. Il revient aux partenaires publics de soutenir financièrement le développement de ces projets qui sont économiquement et politiquement porteurs pour notre territoire.

Ce n’est pas les contraintes financières qui doivent limiter la liberté des nouveaux directeurs artistiques mais le devoir d’adaptation pour répondre aux questions que suscitent les transformations majeures du champs théâtral et culturel. L’impact du numérique sur la production, la diffusion et la consommation de la culture. Le brouillage des distinctions culture élitiste ou populaire, locale, nationale et universelle. L’élargissement et l’hybridation des formes artistiques. La variété des enjeux associés aux thèmes de la diversité culturelle. Les nouveaux directeurs qui livrent ici leur témoignage ont tous trois conscience de l’importance de la création et donc des artistes pour participer et construire de nouvelles dynamiques culturelles. Les frontières de l’art se déplacent. Il s’agit moins d’affirmer comme naguère l’indépendance de l’art et de la création que de penser de manière critique la mobilisation de l’art dans les industries créatives.

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La Vignette : Le nouveau directeur Nicolas Dubourg souhaite que le théâtre universitaire catalyse les énergies

NICOLAS DUBOURG 003Lieu privilégié d’expérimentation, la vocation première du théâtre universitaire La Vignette n’est pas de proposer une offre culturelle, mais d’accompagner le processus de recherche, de création, et d’apprentissage pratique et théorique du théâtre. Les choix et les ouvertures impulsés par Fred Sacard ont au fil des années, oeuvré pour une valorisation permettant une mise en partage du langage universitaire et culturel. La Vignette est un lieu qui accueille aujourd’hui un public jeune et diversifié d’amateurs et de professionnels. Son nouveau directeur, Nicolas Dubourg, travaille aux fondations du projet depuis 2005 en tant qu’administrateur. « J’ai été en dialogue permanent avec Fred Sacard pour mettre en oeuvre le projet. J’entends poursuivre la même méthode dialectique qui nous a occupés avec l’équipe du théâtre pour conduire notre mission. »

Avec Nantes, Metz, ou Aix, Montpellier fait partie des rares villes à disposer d’un théâtre universitaire. Aujourd’hui, l’Université Montpellier 3 assume 75% du budget. La Drac qui a soutenu l’initiative dès sa création est le second partenaire financier. Le Conseil général, la Mairie et l’Agglo participent symboliquement au budget à hauteur de 10 000 euros. La particularité du théâtre universitaire est de se trouver en partie déconnecté des contraintes des autres théâtres telles que le taux de remplissage (le taux actuel est tout de même de 80%) ou la mission de vitrine parfois attribuée aux théâtres municipaux.

On ne doit pas s’attendre à une révolution dans la conduite impulsée par Nicolas Dubourg mais plutôt à un approfondissement du projet. Sur le campus, le nouveau directeur souhaite favoriser « une appropriation plus forte du lieu par la communauté universitaire. » Il s’agit d’exploiter la spacialité physique du Théâtre pour inviter les enseignants et les chercheurs à sortir des champs académiques. « En travaillant en amont, nous nous efforcerons d’associer davantage les chercheurs en sciences sociales aux problématiques sociétales qui mobilisent le théâtre contemporain. Un théâtre est un lieu où les choses sont sensées se croiser. » Le partenariat avec d’autres théâtres universitaires européens se poursuivra notamment avec Berlin. « Je souhaite développer les échanges avec les universités de l’Europe du Sud, avec l’Espagne, l’Italie… C’est intéressant de savoir ce que la jeunesse raconte quand elle fait du théâtre. »

Nicolas Dubourg se donne aussi pour mission de mieux définir les pratiques artistiques avec les partenaires de La Vignette, comme le Département d’études théâtrales de Paul Valery et le Conservatoire d’art dramatique.

« Je ne peux que me satisfaire de l’identité actuelle du théâtre que je souhaite renforcer. La Vignette est un atout fort pour le territoire. Ce projet existe et répond aux objectifs de démocratisation culturelle, de rayonnement du territoire, de soutien à la création et à la diffusion. Il crée une énergie qui participe à notre identité à tous », constate le nouveau directeur qui souhaite que cette appropriation collective trouve auprès des collectivités territoriales des moyens plus ambitieux.

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« Je ne programmerai pas du théâtre classique de répertoire »

Rodrigo_Garcia_legende_6Premiers pas dans la cité de Rodrigo Garcia sur le marché du plan Cabanne

Théâtre des Treize Vents. Nommé à la tête du CDN de Montpellier, Rodrigo Garcia a proposé un projet qui s’affranchit des formes traditionnelles. Ils veut ouvrir le CDN sur la cité et rajeunir le public.

Heureuse surprise pour les uns, alternative radicale pour les autres, la nomination de Rodrigo Garcia à la tête du CDN de Montpellier a suscité l’étonnement. Elle fait suite au bras de fer perdu par Jean-Marie Besset avec Aurélie Filippetti. La ministre de la Culture avait fait valoir deux critères dans la nomination des directeurs de CDN sous sa mandature. Celui de voir accéder des femmes aux responsabilités, Marion Aubert et Christine Le Tailleur figuraient dans la dernière sélection, et celui de ne pas exclure les candidatures étrangères. C’est l’écrivain et metteur en scène hispano-argentin Rodrigo Garcia, Prix Europe pour le théâtre Nouvelle Réalité en 2009 qui est l’heureux élu.

La réputation de votre indépendance d’esprit vous précède. Quel regard portez-vous sur l’institution culturelle française ?
Je la connais peu, même si j’ai travaillé avec le Festival d’Automne de Paris, le TNP de Rennes ou le Festival d’Avignon. Les institutions culturelles françaises m’ont accompagné sur des projets risqués. Je ne poursuivais pas l’objectif de diriger un projet comme celui-ci. Lorsque j’ai pris connaissance du poste, j’ai changé un peu mon point de vue. J’ai travaillé pour présenter un projet qui convenait à mes aspirations en me disant que si j’étais choisi, ce serait très bien. J’ai été très clair avec la commission composée des représentants de la Drac et des collectivités territoriales concernées, je leur ai dit que je ne programmerai pas du théâtre classique de répertoire ni des pièces commerciales. Donc je démarre confiant.

Le cahier des charges ne vous assigne-t-il pas une mission dans ce sens notamment en direction du jeune public ?
Je ne crois pas. Je peux préserver l’indépendance de mes options artistiques tout en remplissant ma mission. Mon action en direction des jeunes prendra d’autres formes.

Que vous inspire, l’interdiction de l’avortement en Espagne et la manif’ jour de colère en France ?
En tant qu’artiste, il ne m’appartient pas vraiment de commenter l’actualité. Je pense que Rajoy opère une nouvelle mesure rétrograde avec cette loi. C’est régulier avec lui. La manifestation de ce week-end à Paris me rappelle les gens qui sont venus défiler au Théâtre du Rond point contre ma pièce Golgota Picnic sans avoir la moindre idée de ce que je présentais.

Plusieurs de vos pièces ont donné lieu à une mauvaise interprétation de votre expression théâtrale, comment vivez vous cette relation entre théâtre et société ?
Je refuse d’alimenter la polémique mais je suis conscient du potentiel provocateur de mon travail. Le cœur du travail d’artiste,  du moins tel que je l’entends, est de montrer d’autres points de vue sur la réalité. En même temps je ne sais pas jusqu’à quel point le théâtre peut secouer la société. Je n’ai pas le sentiment de présenter la réalité avec mon œuvre. J’aime les paradoxes, je présente des choses incomplètes, fragiles, tout en gardant une volonté de communication. Mes œuvres peuvent atteindre le public. Elles ne sont pas sélectives, ou elles le sont, dans le sens où il faut une capacité d’ouverture. Mes pièces peuvent choquer les gens qui ont des certitudes.

Aujourd’hui votre travail est moins provocateur ?
J’ai arrêté mon discours sur la consommation parce que je le trouvais un peu naïf. Je suis moins démonstratif. J’explore un théâtre poétique de réflexion. C’est une déclaration d’intention, celle de pratiquer un théâtre qui ne soit pas spectaculaire.

Comment va s’articuler votre projet ?
Je proposerai un programme contemporain permettant la multiplicité des genres. Le mélange de paroles de musique et de danse correspond à la vie d’aujourd’hui. Je veux faire sortir le CDN pour aller chercher de nouveaux publics dans la cité. Nous associer à différentes structures, créer du lien, multiplier les initiatives, les ateliers. Élargir l’idée du CDN, faire de la production de création plutôt qu’un lieu d’accueil. Il existe beaucoup de possibilités..

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Théâtre Jean Vilar « La rencontre avec l’art passe par l’artiste »

DELPLANQUE 006Frantz Delplanque : « Le quartier de la Paillade se cherche.» Photo RA

Théâtre Jean-Vilar. Frantz Delplanque, l’ex directeur du service culturel de la ville se voit confier les rênes artistiques.

Après vingt ans de loyaux services, Luc Braemer a rendu les clés du théâtre municipal Jean-Vilar, qu’il dirigeait dans le quartier la Paillade depuis 1994, pour s’accorder une retraite bien méritée. C’est Georges Frêche qui lui avait confié cette mission en lui donnant carte blanche et deux objectifs. Celui de remplir son théâtre et de faire preuve d’hospitalité à l’égard des compagnies régionales. La mission a été accomplie.

Sous la houlette d’une équipe  impliquée, le théâtre jouit aujourd’hui d’une bonne réputation. Il y a trois ans, le statut du théâtre est passé en régie municipale directe. C’est Frantz Delplanque, directeur adjoint à la culture de Montpellier, dépêché à l’époque pour faciliter la transition, qui hérite de la direction du théâtre pour trois ans. « Ma formation m’a amené à travailler dans la conduite de politiques culturelles mais j’ai toujours eu un goût pour le théâtre. L’univers de la création me passionne », confie  Frantz Delplanque qui s’y adonne à ses heures perdues en écrivant des romans noirs.

Cet homme de dialogue et de consensus dispose de plusieurs cordes à son arc. Il a occupé la fonction de conseiller théâtre pour la Drac en Alsace. Il connaît bien le quartier où il a rencontré les représentants de la société civile pour y organiser la ZAT Paillade avec succès. En cette période de transition, il présentait donc un profil providentiel pour se voir confier cette mission. Il devra démontrer ses capacités de directeur artistique en poussant ses idées et en prenant des risques. « J’arrive avec de l’enthousiasme. Je souhaite ouvrir davantage le théâtre sur le quartier, pas seulement à travers les rencontres scolaires. Je fonde ma démarche sur une idée simple. La rencontre avec l’art passe par l’artiste

Le théâtre poursuivra sa programmation diversifiée largement axée sur la création avec une ouverture plus grande sur les cultures du monde et la participation d’artistes associés qui travailleront sur des créations partagées avec la population.

Source Jean-Marie Dinh La Marseillaise 29/01/2014

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Politique culturelle, rubrique Montpellier, Dossiers,

Rencontre Eloi Recoing : Ibsen

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Brochure de la rencontre autour d’Ibsen avec Eloi Recoing

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Mila Turajlic : « Tito était vraiment passionné par le cinéma »

Mila+Turajlic+Filmmaker+Welcome+Party+2011+S02IelMnFPslMila Turajlic. La jeune réalisatrice filme l’histoire de l’ex-Yougoslavie racontée par son septième art. Elle était invitée hier soir au cinéma Utopia à Montpellier.

Après des études à la London School of Economics et une formation en audiovisuel à Belgrade, Mila Turajlic entreprend une carrière de documentariste. Séduite par l’aspect subversif du cinéma, elle se lance dans le septième art, En 2011, elle réalise son premier long métrage : Cinema Komunisto : il était une fois en Yougoslavie. Le film qui a reçu de nombreux prix est distribué par Les films des deux rives. Il était projeté hier soir à 20h au cinéma Utopia en sa présence. Entretien.

Comment a germé l’idée de départ de Cinema Komunisto ?
Au début, je ne pensais pas m’attaquer à un sujet aussi vaste. Je voulais faire un documentaire sur des studios Avala aujourd’hui laissés à l’abandon à Belgrade. En travaillant sur les archives, il m’est apparu que la disparition des studios était liée à celle de la Yougoslavie. Et c’est au cours de mes rencontres avec les protagonistes de l’époque que je me suis décidée a évoquer le destin de ces studios comme une métaphore du pays.

Votre film met en parallèle le cinéma, l’histoire du pays et celle de Tito. Quels choix de traitement avez-vous fait ?
Je ne voulais pas me concentrer sur Tito mais il était difficile de raconter cette histoire sans lui. C’est en avançant que j’ai découvert, la nature de son engagement qui s’exprimait dans le financement et le choix des films, et bien au-delà encore, puisqu’il allait jusqu’à s’impliquer dans les casting. Le film révèle un des aspects méconnus de sa personnalité, celle d’un vrai passionné de cinéma. J’ai aussi voulu faire appel à des personnages témoins, pas à des historiens du cinéma ou à des experts. Tous les gens qui parlent dans le film ont été impliqués dans l’histoire et beaucoup le reste. Ils ne livrent pas une analyse distanciée. Cela amène une dimension plus humaine. J’ai dû m’armer de patience pour convaincre le projectionniste personnel de Tito de s’exprimer, il n’avait jamais donné d’interview.

Lorsque Tito crée les studios en 1945, il s’inspire de l’école soviétique portée par les films des années vingt comme ceux d’Eisenstein, puis par le réalisme soviétique, sous Staline. Sa volonté s’inscrit-elle dans cette veine ?
Tito était très inspiré par le cinéma soviétique qui faisait référence. Le premier film de fiction Yougoslave, sorti avant la fin de la guerre, avait d’ailleurs un chef opérateur soviétique mais on pressent déjà une rétissance chez lui. Il le commente en disant c’est bien, mais un peu trop idéologique, il faut faire des choses plus subtiles…

La production des studios Avala accompagne les enjeux politiques du moment avec des films de guerre, de propagande ou autour de l’unification nationale, quand est-il de la politique de non alignement ?
On tourne en effet beaucoup de films de guerre. L’axe idéologique de la fraternité ethnique revient également avec constance. Les aspects du communisme yougoslave reposant sur le principe socio-économique de l’autogestion sont mis en valeur avec des sujets sur la production ouvrière dans les usines ou la valorisation d’une jeunesse engagée et bâtisseuse. Le sujet des non alignés n’apparaît pas directement dans le cinéma Yougoslave mais beaucoup de cinéastes se sont déplacés dans les pays prenant part au mouvement.

Est-ce la rupture avec l’URSS en 1948, qui ouvre la porte à Hollywood ?
Oui, l’incidence notamment économique se fait tout de suite sentir. En 1949 il n’y a plus un seul film soviétique distribué en Yougoslavie. Avec intelligence Tito parvient à attirer l’industrie du cinéma américain qui débarque avec des moyens importants pour réaliser des super productions.

Le film, souligne l’autoritarisme de Tito avec subtilité…
C’est vrai que Tito était un dictateur, mais un dictateur différent de ses homologues à l’Est. C’est le seul à avoir ouvert les frontières, permettant à beaucoup de Yougoslaves d’aller travailler en Allemagne. Il a aussi instauré une forme de liberté économique ouvrière. Sa dictature s’est surtout exercée à travers les persécutions et l’absence de liberté politique, ce que je suggère dans certains passages. Je ne voulais pas faire un film didactique. Nous avons beaucoup travaillé sur le montage pour mettre en scène l’autoritarisme qui est caché dans le décor afin que le spectateur le sente et construise ses propres représentations.

Dix ans après la mort de Tito, la guerre inter-ethnique resurgit suivie d’un processus d’effacement perceptible dans la nostalgie de vos personnages. Un mode de vie disparaît de l’histoire ?
Le film touche à cette question de la disparition d’une réalité orchestrée par le pouvoir politique établi. On retrouve en effet ce processus dans tous les pays de l’ex-Yougoslavie qui s’appliquent à faire disparaître le passé, y compris la lutte antifascisme de la seconde guerre mondiale.

Quel regard portez-vous sur le cinéma des républiques de l’ex-Yougoslavie ?
L’activité s’est réduite, on ne produit plus dans ces pays que six ou sept films par an. Faire des films suppose d’être soutenu par le fonds européens ce qui implique souvent de travailler en co-production. Le résultat étonnant, est que les co-productions réunissent les ex-pays yougoslaves pour des raisons de simplicité comme le partage de la langue. La plupart des films Bosniaques sont des co-productions régionales, tant et si bien qu’on ne parle pas du cinéma de tel ou tel pays mais de l’ex cinéma Yougoslave.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 15/01/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Histoire, rubrique Rencontre, On Line, Le pillage des studios d’Avalla,

Gilles Kepel : « La politique française arabe est difficile à décrypter. »

gilles_kepel_photo.1233692599GILLES KEPEL. Le Politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe est à
l’Agora des Savoirs ce soir à 20h30 pour évoquer les révolutions arabes.

 

Gilles Kepel est politologue, spécialiste monde arabe contemporain est professeur des université à Sciences Po Paris

Par quel bout allez-vous aborder la question des révolutions arabes dont la perception des enjeux est pour le moins brouillée pour les citoyens français ?

Face à cette situation complexe il est difficile de comprendre. Je suis allé sur le terrain, entre 2011 et 2013, où j’ai rencontré tous les intervenants politiques de la région dont les dirigeants du Qatar, principaux rivaux de l’Arabie Saoudite pour l’hégémonie du monde arabe sunnite, qui se sont retrouvés fragilisés après la destitution du président égyptien Mohamed Morsi. J’ai rendu compte de cette expérience sous la forme d’un journal* dans lequel je croise ma vision de myope issue de ce parcours, avec mon regard de presbyte, celui du recul sur ce monde que je connais bien.

Ce soir, je vais tenter de présenter la diversité des choses et de mettre un peu d’ordre. En plusieurs partie : la chute des régimes anciens, Irak, Libye, Tunisie, Egypte, et leurs maintient comme au Yemen, au Qatar, ou en Syrie. Je parlerai des guerres civiles de plus en plus islamisées et des guerres abandonnées.

Comment analyser l’appel au dialogue lancé par les Frères musulmans en Egypte ?

Leur position s’est considérablement affaiblie avec la montée en puissance du général Al-Sissi, maître du jeu en Egypte,  qui a bénéficié du soutien de l’Arabie Saoudite. Ils ne peuvent plus compter sur l’aide du Qatar et de la chaîne Al Jezeera qui a perdu, elle aussi, de son influence. Cet appel au dialogue est lié à une perte de popularité. Leur seule ressource est d’apparaître comme une force démocratique même si leur expérience du pouvoir s’avère désastreuse.

De l’aventurisme de Sarkozy en Libye aux déconvenues de Hollande en Syrie, on a le sentiment que  la politique arabe française ne sait pas sur quel pied danser…

Elle est très difficile à décrypter. J’ai le sentiment qu’elle est devenue la propriété d’énarques omniscients et d’idéologues qui souhaitent faire parler d’eux. Cette politique nous vaut peu de considération dans le monde arabe où la voix de la France était respectée

Quels sont les éléments qui permettraient de construire un état de droit dans les pays arabes ?

Un modèle de ce type ne peut se constituer qu’à partir d’une classe moyenne porteuse d’un projet démocratique. Malgré ses turpitudes actuelles, la Tunisie est le pays qui en semble le plus proche.

L’occident qui prêche la démocratie n’est pourtant pas très légitime quand il abandonne les peuples et se discrédite moralement et symboliquement ?

Notre culture dispose d’assez peu de fondement démocratique. Nous sommes face à un processus où les forces souhaitent retrouver la liberté d’expression et s’inscrire dans la citoyenneté. Le monde arabe a beaucoup changé. Il est hétérogène, composé de démocrates et de salafistes, la réalité est entre les deux. Le parachutage d’un modèle démocratique n’a pas de sens sans l’implication des populations.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

* Passion arabe. Journal, 2011-2013, éd Gallimard.

Gilles Kepel à 20h30 centre Rabelais, entrée libre.

Source : L’Hérault du Jour 20/12/2013

Voir aussi :  rubrique  Méditerranée,  rubrique Moyen Orient, Syrie, rubrique  Rencontre, rubrique Livre, Essais On Line : L’Agora des Savoirs