Festival Dans un contexte national très complexe le cinéma syrien a toujours peiné à trouver une voie qui lui soit propre. Mais la révolution de 2011 a décuplé la volonté d’expression des artistes syriens. Le festival Cinemed se porte à l’écoute en sélectionnant cette année deux films dans la compétition documentaire.
De ses premiers pas à nos jours, l’histoire du cinéma syrien a fortement pâti des guerres et bouleversements politiques traversés par le pays. La première projection cinématographique publique en Syrie, a lieu en 1908 dans un café d’Alep. Sous le mandat français de nombreuses salles de cinéma ouvrent à Damas. La première production en langue syrienne signée Mohamed Shamel et Ali el-Arna’ut voit le jour en 1948. La production de films se développe au cours des années 1950, mais peine à percer faute de réseau de distribution. En 1963, est créée l’Organisation générale pour le Cinéma comme le bras du ministère de la Culture qui supervise la production et la distribution des films.
Suite à la Guerre des Six Jours, le gouvernement confie le monopole de la production et de la distribution de films à l’Organisation générale pour le Cinéma. L’industrie cinématographique se met à produire des films de propagande, avec l’objectif de soutenir le gouvernement et de sensibiliser le monde arabe au problème palestinien. La révolution du peuple syrien en 2011 est à l’origine d’une nouvelle effervescence artistique, notamment cinématographique, qui s’oriente à travers le documentaire à une interprétation du réel, avec l’intime conviction que le cinéma peut traiter directement des choses de la vie.
Deux documentaires à voir Radio Kobanî de Reber Dosky est un documentaire exceptionnel tournée durant trois ans ce film nous propulse sur le front à Kobané, ville syrienne anéantie par l’État islamique. On passe du coeur des combats pour la libération à la période de la reconstruction de la ville.
Le fil rouge est incarné par Dilovan une jeune kurde de 20 ans qui a lancé une station de radio locale. Dilovan raconte sa propre histoire à l’enfant qu’elle espère avoir un jour. Dans les programmes de son émission, se succèdent des survivants, des réfugiés, des combattants et des artistes, chacun décrit son vécu de la guerre aux auditeurs. La deuxième partie du film qui pointe le retour de la vie et le nécessaire dépassement des traumatismes psychologique et moral de la guerre pour reconstruire est superbe.
A Memory in Khaki de Alfoz Tanjour est le cri du cœur et de l’esprit d’individus en proie à l’oppression du régime syrien. Le récit personnel de l’auteur se mêle à ceux d’autres personnages syriens contraints, en raison de leurs opinions politiques, de quitter le pays avant ou après la révolution. Le film met en lumière des années de silence, de peur et de terreur et plonge dans des histoires ayant pour toile de fond l’explosion de la société syrienne et les prémices de sa révolution. C’est un récit syrien qui, en réveillant le passé du pays, raconte son avenir.
JMDH
A Memory in Khaki,Vendredi 27 octobre à 18h15 Corum -Einstein.
Si invoquer le cinéma algérien contemporain est aussi s’interroger sur la capacité de ses réalisateurs à évoquer les tabous de la société, cette édition du Cinemed ne pouvait passer à côté de Merzak Allouache. Réalisé en 1976, durant la période Boumediene en pleine crise pétrolière, son premier long métrage Omar Gatlato va perturber le cinéma algérien, ouvrant la voie à un cinéma plus inventif et surtout plus proche de la réalité.
Ce premier pas de côté libère dans son sillage le cinéma algérien de la veine propagandiste. Pour la première fois, un film algérien décrit non plus les méfaits de la colonisation, les affres de la guerre d’indépendance, mais la vie quotidienne des jeunes qui n’ont pas connu la guerre de l’indépendance.
Des films libres qui brassent la société algérienne sur 40 ans
Depuis son premier film, Merzak Allouache suit avec une liberté assumée, les évolutions et les blocages de la société algérienne. Le Cinemed propose cette un année un riche panel de son oeuvre. Quarante ans de cinéma libre où apparaît toute la complexité algérienne. Le réalisateur met en lumière une société à la fois bloquée et en pleine mutation que l’on découvre notamment dans ses derniers films.
Harragas décrit l’univers désespéré des clandestins qui traversent la méditerranée, Normalaborde la difficulté d’exprimer ses idées artistiques, ainsi que les émeutes de 2011. Avec Les Terrasses, il pointe les transformations d’Alger, naguère espace des femmes devenues refuge pour la population rurale exilée en ville qui y vivent comme dans les bidonvilles. Aujourd’hui, Merzak Allouache poursuit son oeuvre miroir d’un pays sans projet politique.
Du 20 au 28 octobre aura lieu le festival Cinemed grand rendez-vous du 7e art méditerranéen à Montpellier. Aure Atika sera la présidente du jury de cette 39e édition qui met l’Algérie à l’honneur.
Trente neuf années que Montpellier suit le cinéma méditerranéen en privilégiant tous ses acteurs et notamment les réalisateurs quelque soit leur origine. Le festival participe pleinement au rayonnement d’une expression cinématographique immensément riche trop souvent oublié par les circuits de production et de diffusion de l’industrie du cinéma. Quatre décennies ont permis de tisser des liens de confiance qui portent aujourd’hui le festival montpelliérain comme un carrefour reconnu dans tout le bassin de la grande bleue mais aussi dans des instances professionnelles comme le CNC. « Cela concourt au développement des échanges artistiques et économiques entre la France et les pays de la Méditerranée, afin que nous soyons les uns pour les autres des partenaires de premier choix », confirmee son président Frédérique Bredin.
Hier, lors de la présentation à la presse, l’ex ministre de la culture Aurélie Filippetti, qui préside le festival depuis 2016, a souligné la solidité de l’engagement financier singulier des partenaires publics « qui s’investissent en laissant une totale liberté aux programmateurs.» La part des fonds publics s’élève à 863 000 euros dont 83% en provenance de la Métropole et de la ville de Montpellier, l’Etat et la Région entrant chacun dans ce budget pour moins de 10%. Pour le maire et Président de la Métropole Philippe Saurel, le Cinemed apparaît comme un des fleurons d’une politique cinématographique et audiovisuelle forte dont l’engagement vise à structurer le secteur des industries culturelle et créative.
Ambiance de fête
Avec 211 films à l’affiche le festival séduit un large public sans céder au faste ni à la tendance people. On attend 80 000 spectateurs dont une grande majorité d’habitants de La Métropole. La volonté de simplicité alliée à l’exigence est un aspect qui joue pour beaucoup dans la réussite public de l’événement. C’est une composante de l’identité du festival qui participe à son ambiance, très ouverte, en correspondance avec la convivialité que partage les peuples de la Méditerranée si terrible soit l’histoire que traversent certains d’entre-eux.
Après la Tunisie en 2016, le Cinemed donnera cette année un coup de projecteur sur le cinéma algérien en privilégiant la jeune garde dont beaucoup ont choisi l’exil après les années 90.
L’énergie du cinéma algérien
Films documentaires, courts et longs métrages vont se succéder, pour dessiner la richesse du paysage cinématographique algérien. Plus d’une vingtaine de films récents sont programmés. On pourra notamment découvrir Kindil de Damien Ounouri, En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui sélectionnés à Cannes, Les bienheureux de Sofia Djama et retrouver la filmographie de l’invité d’honneur Merzak Allouache qui n’a eu de cesse de suivre l’évolution tourmentée de l’Algérie contemporaine.
Parmi les autres réjouissances attendues : une rétrospective du grand maître italien d’après-guerre Alberto Lattuada. Un focus sur l’oeuvre du réalisateur espagnol Fernando Trueba, au sommet de la comédie madrilène. Des hommages : à Manuel Pradal, ainsi qu’au duo Olivier Nakache et Eric Toledano, l’intégrale de la réalisatrice d’origine algérienne Dominique Cabrera, Les Lumières de la ville de Charlie Chaplin en ciné-concert avec l’Orchestre national de Montpellier, de nombreuses avant-premières, et tous les films en compétition… La présidence du jury de l’Antigone d’Or est confiée à une fille du rock, Aure Atika.
Les soirées bouillonnantes du festival Fiest’A Sète qui se clôture ce week end se suivent mais ne se ressemblent pas .
Retour à l’Afrique jeudi au théâtre de la Mer après la soirée d’ouverture en hommage à Fela avec Roy Ayers et son fils Seun Kuti. La soirée Divas africaines réunit sur le premier plateau la berbère franco-marocaine Hindi Zahra et la malienne Fatoumata Diawara auxquelles on porte une précieuse attention. C’est sans doute à travers le parcours des deux artistes que réside l’origine de cette belle fluidité qui s’est emparée de la scène. Chacune dans leur domaine, Hindi Zahra et Fatoumata Diawara ont su franchir les frontières musicales pour affirmer leur personnalité artistique.
Partie de la musique traditionnelle gnaouie, Hindi Zahra, suit la ligne d’un courant musical et spirituel qui a enrichi des styles aussi divers que la fusion, le jazz, le blues, le rock ou le reggae. Avec l’agilité joyeuse qui la caractérise la chanteuse remporte en 2011 la Victoire de la musique dans la catégorie «album de musique du monde» avec son album Handmade qui pousse vers les contrées folk.
Fatoumata Diawara qui a grandi à Abidjan (Côte d’Ivoire) plaque tournante de la musique africaine, avant de partir pour le Mali, explore les voies possibles de l’émancipation humaine et notamment celle du cinéma et du théâtre. Elle tourne six ans au sein de la troupe de cirque contemporain Royal de luxe. Elle participe à l’enregistrement d’un album de Dee Dee Bridgewater, chante avec Herbie Hancock et Hank Jones. Mais quand elle décide de se mettre à ses propre compositions, c’est aux sources fraîches des chants du bassin wassoulou (à cheval entre le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire ) qu’elle retourne puiser son inspiration.
Un concert humble, proposant un mariage musical d’une étonnante douceur qui est allée jusqu’au bout des choses.
Sangaré lionne au grand coeur
L’ alliance naturelle avec Oumou Sangaré qui assurait la deuxième partie de cette soirée féminine coule pour ainsi dire de source. Née à Bamaco, la grande dame malienne, dans tous les sens du terme, a sollicité Fatoumata Diawara à ses débuts pour l’enregistrement de son album Seya, mais c’est surtout en temps qu’ambassadrice du Wassoulou, que les programmateurs éclairés du festival ont eu recours à ses talents pour concocter cette heureuse soirée.
Femme de coeur et de conviction, la star malienne a connu un succès précoce. En 1987, son premier album Moussoulou se vend à 100 000 exemplaires au Mali. Elle n’a alors que 18 ans. Elle s’épanouit depuis à travers une carrière internationale.
Propulsé par un combo hyper efficace, le concert sétois a été l’occasion de découvrir son dernier opus Mogoya (les relations humaines d’aujourd’hui ) sorti en mai, avec la collaboration musicale de Tony Allen.
Il s’appuie sur des textes engagés en faveur d’un retour aux racines africaines. Il encourage les femmes maliennes à se saisir de leur destin pour impulser un changement en faisant basculer les vieux poncifs aux oubliettes.
Fadwa Suleimane à Sète : « Nous sommes les fantômes de ceux qui étaient là-bas. » Photo JMDH
Poésie à Sète La Syrienne Fadwa Suleimane enflamme le public de Voix Vives qui fête son 20e anniversaire.
Fadwa Suleimane n’aura eu de cesse de maintenir inlassablement son cœur ouvert et de tirer les conséquences, des plus banales aux plus irrecevables, du drame vécu par le peuple syrien. Un drame dont les répercussions annoncent un changement civilisationnel pour l’humanité dans son ensemble. L’obscurité éblouissante, le dernier recueil de Fadwa Suleimane, fait écho au réveil nécessaire et attendu de tous les peuples face à une barbarie dont Bashar el-Assad et Daesh ne sont que les symptômes.
Née à Alep, Fadwa Suleimane grandit dans une petite ville en bordure de la Méditerranée. Elle perd son père très jeune. C’est sa mère, une femme de la terre, qui assume son éducation. « A treize ans, j’ai refusé d’entrer dans les jeunesses du parti Baas. Cela ne se faisait pas. Cette décision choquait les gens. Moi qui me résignais déjà tous les jours à porter l’uniforme qu’il fallait mettre pour aller à l’école, je ne voulais rien savoir. J’ai tenu bon. Je me souviens que ma mère avait peur mais elle a fini par me laisser faire. »
Inlassablement curieuse, Fadwa ne se satisfait pas aisément des réponses quelconques ou toutes faites qu’on lui donne. Elle cherche a répondre à son propre questionnement. « Je me suis toujours insurgée contre la pauvreté, l’injustice, le vide dans nos vies. Je n’étais pas heureuse. J’ai rêvé toute ma vie qu’on pouvait faire quelque chose. A 17 ans, je me suis demandée qu’elle révolution je voulais. Même la Révolution rouge a tué des millions de gens. J’appelais de mes vœux une révolution qui aboutisse à une évolution, une Révolution blanche. »
Fadwa Suleimane est une visionnaire. Ses intuitions premières, qui passent sans cesse du je au nous, adviendront sous la forme d’un sombre destin. Femme d’action, qui s’engage et que l’on condamne à mort, femme sensible qui trouvera la poésie à la fois comme voie de transmission et comme ultime refuge. Fadwa rejoint Damas pour suivre des études d’Art dramatique. Elle joue dans plusieurs pièces de théâtre dont Une maison de poupée d’Ibsen au théâtre Qabbani à Damas et dans de nombreuses séries télévisées.
Miroir d’autres miroirs
« Le milieu culturel ne se distinguait guère du système, tout y était dirigé par les services de sécurité. Au début des années 90, J’ai porté la langue du refus. Je voulais changer les modes d’action, convaincue que nous pouvions améliorer les choses à travers notre pratique théâtrale. J’ai découvert en travaillant que les artistes vendaient leur liberté critique au régime. C’est pourquoi je crois qu’ayant participé à la destruction, les intellectuels doivent aujourd’hui construire. »
En 2005, cinq ans après l’intronisation de el-Assad, le parti Baas décrète la fin de l’étatisme au profit de l’économie sociale de marché. « Le régime a détruit le peuple. Les grands groupes ont vu le jour tous aux mains de proches du pouvoir. Les écarts entre l’élite et la population, qui ne trouvait plus les moyens de vivre, se creusaient. C’est ainsi que la conscience du peuple syrien a mûri. »
Les effets des événements en Tunisie et en Egypte s’ajoutant, en 2011, le peuple descend dans la rue pour faire une révolution pacifique. « J’ai participé à ce soulèvement que j’attendais depuis longtemps. Nous avons commencé dans la joie en chantant et en dansant. Tout s’ouvrait, c’était formidable. Nous ne payions plus nos factures. Il y a eu un mouvement de solidarité immense. Les gens s’invitaient, se nourrissaient gratuitement. J’ai la chance d’avoir vécu ça. »
Tous responsables de tout
Réprimé brutalement par le régime dans tout le pays, le mouvement de contestation se transforme, malgré lui, en une rébellion armée. « Ce dont j’avais peur est arrivé. Parce qu’on ne voulait pas qu’on remplace Bachar par un autre dictateur ou par un religieux. Ce que demandait le peuple syrien c’est un Etat libre et laïque, en ce sens, nous menacions le capitalisme. »
Fadwa Suleimane prend part à la coalition des quartiers de Damas où elle organise plusieurs manifestations. Elle poursuit son combat humaniste en dénonçant le conflit communautaire attisé par le régime dans la ville assiégée de Homs. Elle devient le porte-voix de la contestation et parvient à faire tomber le veto pour permettre l’arrivée des ressources alimentaires. Alouite, elle rejette toute appartenance communautaire autre qu’au peuple syrien.
« Cette sauvagerie qui est apparue en Syrie ne tient pas à Bachar ou à Daesh. Ce sont les cinq pays qui ont gagné la 2e guerre mondiale qui se partagent le monde aujourd’hui. Ils ont arrêté la révolution. Ils prétendent amener la démocratie mais aujourd’hui les masques tombent. Ils tentent d’effacer notre mémoire. On doit faire ensemble parce que nous sommes tous concernés. On doit partager cette responsabilité parce que nous sommes tous responsables de tout. »
En mars 2012, les armes sont arrivées de toute part. « Le conflit religieux était instrumentalisé, on entrait dans la guerre. J’ai compris que c’était fini. J’ai obtenu l’asile politique en France et j’ai commencé à écrire, de la poésie. »
Jean-Marie Dinh
Nuit
Dans l’obscurité éblouissante
mon visage est un charbon en fleurs
dans la blessure de la mémoire
et ma mémoire
est faite des villes qui meurent
effacées
par le déversement du temps dans un autre temps
Dans l’obscurité éblouissante
ma main droite est un pont formé des têtes de mes amis
et ma main gauche de forêts de bras coupés
qui continuent à réclamer la paix
dans l’obscurité éblouissante
Mon dernier souffle comme la chute de l’argent sur les villes
de cendres endormies brûlant
de Rome à la Palestine
d’Hitler à Daech
« La poésie peut faire comprendre. Ma place dans le déversement du temps dans un autre temps ? Je me sens perdue et parfois non, je suis dans les deux temps pour faire un trou entre ces deux temps. Parce que nous sommes ces deux temps. Cette situation m’assassine… »