Budget 2018 : un pari à haut risque

Editorial.

Emmanuel Macron et le gouvernement auront fort à faire pour convaincre les Français que la réforme de l’ISF et la « flat tax » à 30 % prévues dans le projet de loi de finances 2018 ne sont pas des « cadeaux » faits aux plus riches.

Y a-t-il une malédiction du budget inaugural d’un mandat présidentiel ? En 1995, Jacques Chirac avait décrété une rigoureuse austérité aux antipodes de ses promesses de campagne. En 2007, Nicolas Sarkozy avait instauré, en faveur des plus fortunés, un bouclier fiscal qu’il allait traîner comme un boulet durant tout son mandat. En 2012, la brutale hausse des impôts décidée par François Hollande avait assommé les Français et ruiné leur confiance.

Sachant cela et ayant fait de ses prédécesseurs des contre-modèles, le président de la République a pris grand soin de préparer sa première loi de finances en respectant au mieux les engagements du candidat Macron : favoriser le risque plutôt que la rente, l’enrichissement par le talent et l’innovation plutôt que par l’investissement immobilier. En outre, il bénéficie d’une conjoncture encourageante, puisque la croissance (+ 1,7 % prévu, prudemment, pour 2018) retrouve des couleurs après dix ans de crise.

Emmanuel Macron avait promis de réduire les dépenses publiques. De fait, la baisse annoncée des dépenses est significative. S’il est inférieur aux 20 milliards d’euros envisagés au début de l’été, le plan d’économies budgétaires porte tout de même sur 15 milliards, dont 7 sur le budget de l’Etat, 5 sur celui de la Sécurité sociale et 3 sur celui des collectivités territoriales. Inscrit dans une programmation sur cinq ans, cet effort de rigueur est censé se renforcer après 2018.

Deux mesures hautement symboliques

De même, le chef de l’Etat avait promis d’alléger les impôts, aussi bien pour tenter de dissiper le ras-le-bol fiscal des Français que pour encourager les entreprises et ­l’activité. De fait, ce sont, au total, 7 milliards d’euros de baisse nette des impôts qui sont prévus, amorçant la décrue ­annoncée des prélèvements obligatoires durant le quinquennat. Avec un déficit ­public repassant sous la barre des 3 % de PIB (2,6 % en 2018), des prévisions de croissance raisonnables et une gestion plus rigoureuse des deniers publics, voilà donc un budget de nature à satisfaire à la fois la Cour des comptes et la Commission de Bruxelles.

Mais, pour les Français, c’est une autre ­affaire. Car deux mesures hautement symboliques risquent fort de parasiter l’ensemble de la démarche budgétaire : d’une part, la réforme de l’ISF, réduite à une taxation sur la fortune immobilière et auquel ne ­seront plus assujettis les placements financiers ; d’autre part, la création d’un prélèvement unique de 30 % sur les revenus du ­capital (qui peuvent être aujourd’hui taxés jusqu’à 58 %).

Le gouvernement peut bien plaider qu’il entend ainsi doper l’investissement. Il peut également souligner toutes les mesures destinées à améliorer le pouvoir d’achat des Français, notamment des plus modestes (exonération progressive de la taxe d’habitation pour 80 % d’entre eux, baisse des cotisations salariales, hausse de la prime d’activité et des minima sociaux, etc.).

Il n’empêche, la réforme de l’ISF couplée à la flat tax à 30 % représentent un allégement fiscal substantiel accordé aux contribuables les plus aisés et, en particulier, aux fameux 1 % les plus fortunés, dont l’essentiel de l’épargne est constitué de placements financiers. Pour convaincre les Français qu’il ne s’agit pas d’un « cadeau » fait aux plus riches, il faudrait que ces derniers investissent effectivement dans les entreprises et contribuent à relancer la machine économique. C’est un euphémisme de dire qu’il s’agit d’un pari à très haut risque.

Source Le Monde 28/09/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique DéfensePolitique, Les ministres macron compatiblesFlorence Parly touchait 52.000 euros par mois, Affaires, rubrique Economie, Macron met les collectivités au régime sec,

Loi travail : ci-gît le compte pénibilité

Le travail de nuit, par exemple à l'hôpital, est l'un des critères reconnus de pénibilité. Dr Shutterstock

En direct pour la télévision, le président de la République Emmanuel Macron a signé le 22 septembre les ordonnances réformant le droit du travail. Parmi ces ordonnances, l’une est entièrement consacrée à la transformation du « compte personnel de prévention de la pénibilité » ou C3P en « compte professionnel de prévention » ou C2P. Un changement de nom qui cache « péniblement », pourrait-on dire, la mise à mort pure et simple de ce dispositif.

Cette réforme du compte pénibilité avait été présentée le 20 juillet au Conseil National d’Orientation des Conditions de Travail par Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Elle avait été annoncée un peu plus tôt aux interlocuteurs sociaux par une simple lettre signée du Premier ministre, Edouard Philippe.

Feu le C3P et ses dix critères de pénibilité

En quoi consistait « feu » le C3P ? Dispositif novateur et ambitieux, il avait pour objectif de rétablir l’équité dans les départs à la retraite en garantissant à tous les citoyens la même espérance de vie en bonne santé. Dix critères avaient été retenus : le travail en milieu hyperbare (où la pression est supérieure à la pression atmosphérique), les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif, ainsi que la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition à des agents chimiques dangereux.

Un C3P devait s’ouvrir dès qu’un salarié était exposé à au moins l’un de ces facteurs, au-delà de seuils de durée et d’intensité définis. Le nombre de points comptabilisés dépendait du nombre de facteurs auquel le salarié était exposé mais aussi de son âge et du temps passé dans l’entreprise durant l’année. Le C3P permettait de cumuler et d’utiliser des droits au cours de la vie active, via des actions de formation, de réduction du temps de travail à salaire égal et d’anticipation de départ à la retraite.

Mis en place par étapes depuis 2015, ce dispositif a dû faire face à de nombreuses critiques, principalement de la part des employeurs : coût administratif, complexité, reconfiguration des logiciels de paie, délais de transmission des informations à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (Cnav) et à la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), nécessité de concevoir de nouveaux outils de recueil et d’analyse des expositions, ainsi que le risque accru de départs massifs en retraite anticipée. C’est ainsi que, sur les 2,6 à 3 millions de salariés potentiellement concernés évoqués par la Cnav (chiffres officiels non publiés consultés par l’AFP), seulement 800 000 salariés ont été déclarés par leurs employeurs.

Avec le C2P, quatre critères exclus et un nouveau mode de financement

Le passage du C3P au C2P a condamné quatre des dix critères, en les excluant tout simplement du dispositif de compte à points : charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et risques chimiques. Ces critères apparaissaient comme les plus décriés par les dirigeants d’entreprises, qui les jugeaient inapplicables en l’état, du fait de leur présumée complexité à être mesurés.

Le départ anticipé d’un salarié suite à l’exposition à l’un de ces quatre critères reste envisageable. Mais, et c’est là que ça se complexifie, uniquement lorsque « qu’une maladie professionnelle a été reconnue » – ce qui suppose que la maladie du salarié figure dans l’un des 98 tableaux du régime général de la Sécurité sociale ou un des 59 du régime agricole, si « le taux d’incapacité permanente excède les 10 % », et suite à une visite médicale de fin de carrière permettant au salarié de faire valoir son droit. Des conditions qui constituent autant de barrières à la compensation ou à la réparation.

Pourtant Muriel Pénicaud annonçait dès le 12 juillet que 10 000 salariés pourraient bénéficier de la retraite à taux plein dès 2018 suite à des examens médicaux. Elle a malheureusement omis de compléter cette évaluation chiffrée, dont elle n’a pas précisé les fondements, par celle du nombre de salariés dont les pathologies apparaîtront seulement à la retraite, notamment les cancers.

La seconde évolution majeure liée au C2P repose sur le mode de financement du dispositif : exit la double cotisation patronale, place à un financement assuré par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale (du fait, certainement, de sa situation excédentaire). La logique de « pollueur-payeur » du C3P est ainsi remplacée par une logique de mutualisation du financement, répondant à une demande de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). On cherchera longtemps en quoi ces changements incitent les employeurs à réduire les expositions aux facteurs de pénibilité.

Les objectifs affichés par le gouvernement sont de plusieurs ordres : simplifier un dispositif qui « s’est avéré trop complexe à mettre en œuvre », « libérer » les entreprises – notamment les PME – d’une « contrainte administrative » et d’une « obligation franchement usine à gaz », selon les termes de la ministre du travail. L’expression « usine à gaz » et plus généralement, la position de la ministre, ont été critiquées, notamment par le député socialiste Régis Juanico lors de la séance des questions au Gouvernement.

La disparition du mot pénibilité, une stratégie d’affichage

Ne nous leurrons pas : le changement de nom du dispositif, avec la disparition du mot pénibilité, n’est pas exempt d’une stratégie d’affichage ; les organisations patronales n’appréciaient pas que la notion de travail soit associée à quelque chose de pénible, une réticence dont le candidat Macron, déjà, avait tenu compte… Cachez cette pénibilité que nous ne saurions voir !

Mais le plus paradoxal est que ce nouveau compte, prétendument de prévention, tend beaucoup plus vers une logique de compensation a posteriori des atteintes à la santé, que vers une logique de prévention a priori. Cette tendance s’inscrit dans la lignée des dernières heures de feu le C3P : le rapport demandé par Manuel Valls, alors premier ministre, en novembre 2016 faisait déjà état d’un déséquilibre patent entre ces deux approches. Cependant le C3P présentait de sérieuses avancées dans la lutte contre les risques professionnels, avec la prise en compte en amont de l’exposition réelle des individus. Aujourd’hui la perspective choisie relève essentiellement de la réparation.

Le C2P pose également un problème d’inégalités entre salariés. En effet, les salariés exposés aux six facteurs maintenus dans le dispositif pourront, de droit, partir à la retraite de manière anticipée alors que, à moins d’avoir pu faire reconnaître une maladie professionnelle incapacitante d’au moins 10 %, ceux exposés aux quatre facteurs sortis du compte ne pourront bénéficier ni d’un départ anticipé, ni du système de points pour suivre une formation et changer pour un métier moins pénible, ni d’un temps partiel payé à temps plein. Quid donc des milliers de personnes ayant accumulé des « points pénibilité » en raison de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques ou risques chimiques ?

Des différences d’espérance de vie entre les citoyens

Légiférer autour de la pénibilité fournit pourtant une occasion unique de souligner le rôle déterminant du travail dans les différences d’espérance de vie et d’état de santé entre les citoyens. Ce constat est validé par de nombreuses études liant l’exposition aux facteurs de pénibilité avec, notamment, la sortie précoce de l’emploi, ou l’état de santé après 50 ans. L’espérance de vie sans incapacité est également corrélée avec les catégories professionnelles.

Cette réforme du C3P intervient alors que le Plan Santé Travail 3 pour 2016-2020 (PST3) adopté en 2015, et qui constitue la feuille de route du gouvernement en matière de santé au travail jusqu’en 2020, souligne l’importance d’une « politique de prévention qui anticipe les risques professionnels et garantit également la bonne santé des salariés en prenant aussi pleinement en compte la qualité de vie au travail ».

L’un des axes de ce Plan santé travail donne explicitement la priorité à la prévention primaire, axée sur l’organisation du travail, et au développement d’une culture de prévention. En effet, bien menée, la prévention permet d’éviter des dommages sur le plan humain et peut aussi se traduire par un bénéfice financier pour les entreprises. Ainsi, des calculs réalisés en 2015 dans le secteur du bâtiment montrent que 1 euro investi dans la prévention des risques professionnels se traduit par un gain final de 2,34 euros.

Avec le C2 P, le P de « personnel » est devenu celui de « professionnel », celui de « pénibilité » s’est volatilisé, et celui de « prévention » perd de son sens. Le nouveau dispositif constitue une marche arrière unilatérale en matière de prévention, et celle-ci n’augure rien de positif, ni pour les salariés ni pour les employeurs. Le risque est de voir perdurer ou augmenter les invalidités, ainsi que les décès précoces chez les retraités.

Au lieu de rester sur une telle mesure, la création d’une délégation interministérielle à la santé au travail chargée notamment de la prévention des risques professionnels serait davantage à la hauteur des enjeux de santé en lien avec le travail. Cette délégation pourrait être chargée, en lien avec le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), de suivre la mise en œuvre du Plan santé travail. Une chance pour que les mots santé et travail occupent enfin ensemble la scène médiatique et politique ?

Source : The Conversation 27/09/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, Loi travail  rubrique Société, Travail, Santé,

Rachats d’Alstom : la com’, et les coups tordus

Capture d'e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Capture d’e?cran issue du documentaire sur LCP (DR)

Chaque matin du lundi au vendredi, si possible à 9h15 précises, Daniel Schneidermann publie cette chronique sur les dominantes médiatico-numériques du matin. Ou parfois de la veille au soir (n’abusons pas des contraintes). Cette chronique est publiée sur le site indépendant arrêt sur images (financé par les abonnements) puis sur Rue89.

C’est reparti pour les hymnes au « champion européen ». A en croire la presse unanime, Alstom et Siemens devraient annoncer aujourd’hui leur fusion. Les passagers du TGV rouleront donc allemand.

Enfin, disons, franco-allemand. Qu’on se rassure dans les chaumières françaises, rien à craindre pour le « fleuron français » du ferroviaire : la fusion se fera à égalité ; l’emploi est préservé pour quatre ans ; enfin l’actuel PDG d’Alstom, le Français Henri Poupart-Lafarge, sera maintenu à la direction du nouvel ensemble.

De toutes manières, c’est la moins mauvaise solution : le concurrent chinois guette à la porte. Ça, c’est le rideau de fumée de com’ qui enveloppe tous les épisodes du gigantesque Mecano industriel.

Pour connaître la réalité des bras de fer, des coups tordus, et des épreuves de force, il faut attendre -dans le meilleur des cas- quelques années. Heureusement, la chaîne parlementaire diffusait opportunément, hier soir, un documentaire sur le rachat par General Electric de la branche « énergie », de la même Alstom, en 2014, titré « Guerre fantôme, la vente d’Alstom à General Electric ».

Quelques années ayant passé, un coin du voile peut être soulevé (un premier coin l’avait déjà été l’an dernier par l’émission de Canal+ Special Investigation). Et sous le voile, illustrations apocalyptiques à l’appui, c’est l’histoire d’une entreprise, Alstom donc, prise en tenaille entre une amende pour corruption infligée par le Département de la Justice américain, et la proposition opportune de rachat par General Electric, qui propose, dans ce cas, de payer l’amende à la place d’Alstom.

Y a-t-il eu concertation entre le Département de la Justice et General Electric ? En d’autres termes, quelques vautours industriels américains suivent-ils à la la trace, autour du monde, les inspecteurs anti-corruption US, pour racheter à bas prix les entreprises inquiétées par la Justice américaine ? Tout le monde en France le soupçonne, personne ne peut le prouver. De la même manière, que personne ne peut prouver que c’est sous la menace de cette amende, et de poursuites personnelles contre lui, que le PDG d’Alstom, Patrick Kron, a vendu à GE.

« On n’est pas au Venezuela »

N’empêche que tout le monde le soupçonne, même Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, qui faisait état de ses soupçons devant une commission de l’Assemblée. Soupçons qui ne l’avaient pas empêché quelques mois plus tôt, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, de favoriser la vente, contre le ministre de l’économie Montebourg, dont il triompha avec cet argument massue : « on n’est pas une économie dirigée. On n’est pas au Venezuela ».

Des soupçons, pas de preuves, et pas d’enquête officielle : ainsi, et pas autrement, naissent les légendes conspirationnistes. Après avoir, dans un premier temps, promis une fusion à 50/50, GE a donc mis la main sur la branche énergie d’Alstom, et notamment sur sa pépite, la fameuse turbine Arabelle, dont vous n’avez jamais entendu parler parce que la presse ne parle pas de ces choses triviales, mais que le monde nous envie.

Cette turbine équipe notamment les centrales nucléaires françaises, ce qui donne désormais à GE le contrôle de la maintenance de ces centrales, pouvoir dont l’Américain entend bien se servir, si j’en crois cet écho.

Que l’on trouve, aux avant-postes de la dénonciation de cette absorption, toute la fine fleur du souverainisme politico-médiatique français (le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, intervenant régulier de Polony.tv, l’ex-député homophobe et assadophile Jacques Myard, ou Nicolas Dupont-Aignan, qui était ce matin sur France Inter), doit bien sûr conduire à la prudence, mais n’invalide pas a priori le récit de l’opération. Sur laquelle, donc, toute la lumière n’est pas encore faite. Dans une dizaine d’années ?

Daniel Schneidermann

Source Rue89 26/09/2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Actualité France , Rubrique Economie, Chroniques, rubrique Politique, Affaires,

Des cadres de la France insoumise et des personnalités réclament un « média citoyen »

 KAMIPHUC/FLICKR/CC BY 2.0


KAMIPHUC/FLICKR/CC BY 2.0

Certains avaient annoncé une « chaîne de télé insoumise ». Ce sera finalement un « média citoyen » censé produire sur Internet une information gratuite et francophone reflétant toutes les sensibilités de la gauche. Ce lundi 25 septembre, un collectif comprenant des personnalités politiques, dont plusieurs cadres de la France insoumise, des artistes et des intellectuels ont cosigné une tribune appelant à la création d’un média alternatif tournant le dos au modèle économique dominant des sites d’information.

« Nous appelons à soutenir la création d’un nouveau média fondamentalement alternatif par sa gouvernance, son modèle économique et son fonctionnement », peut-on lire dans cette tribune parue dans Le Monde et sur la plateforme de pétitions Change.org où l’initiative avait récolté quelques 4500 soutiens ce lundi en fin d’après-midi. Objectif: « bâtir un espace commun et visible, influent et fraternel, un espace qui agrège et rassemble des initiatives citoyennes » autour de valeurs marquées à gauche (fonctionnement collaboratif, humanisme, anti-racisme, féminisme, écologie, défense des droits LGBTI).

Qu’y verra-t-on? De l’écrit, de l’audiovisuel, des infos avec un JT « cinq fois par semaine », des reportages, de la culture, des débats. Des personnalités connues du grand public participeront occasionnellement ou régulièrement au média.

« Ce ne sera pas un média Mélenchon »

Si l’initiative se revendique « indépendante », un doute subsiste sur le rôle qu’occupera la France insoumise dans le fonctionnement et le financement de ce média alternatif. Plusieurs de ses cadres, dont Jean-Luc Mélenchon, la directrice de la communication de la FI Sophia Chikirou, l’avocate et chroniqueuse Raquel Garrido ou encore les députés insoumis Adrien Quatennens et François Ruffin ont signé le manifeste. Des compagnons de route affichés du parti, comme le comédien Yvan Le Bolloc’h, le psychanalyste Gérard Miller, le politologue Thomas Guénolé ou le journaliste Guillaume Tatu figurent dans la liste.

« Ce ne sera pas un média Mélenchon », a promis Gérard Miller ce lundi sur France Inter, en précisant que Jean-Luc Mélenchon préparait de son côté sa propre « télévision insoumise ». « Ce média, coopératif, sera indépendant: sa gouvernance impliquera ses sociétaires, ses salarié(e)s et ses ‘bénéficiaires' », peut-on lire dans le manifeste.

Des responsables politiques extérieurs à la FI ont d’ailleurs apporté leur soutien: les anciens ministres socialistes Pierre Joxe, Aurélie Filipetti et Arnaud Montebourg, tout comme l’ancien candidat du NPA à la présidentielle Philippe Poutou et les écologistes Noël Mamère et Eva Joly.

Si la FI assume d’être à l’initiative du projet, « ce média citoyen ne sera pas affilié à la France insoumise », jure l’un des concepteurs joint par Le HuffPost. Ce dernier promet « un pluralisme complet sur une ligne de gauche ». La direction éditoriale du média devrait justement être confiée à une personnalité qui sera garante de son indépendance vis-à-vis de la France insoumise.

« Moins élitiste et plus accessible » que Mediapart

Le mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon porte un regard très critique sur le fonctionnement des médias grands publics et les contourne régulièrement en diffusant en ligne ses propres émissions. Le député des Bouches-du-Rhône accuse la presse de se plier à une doxa libérale et met en cause la pression des actionnaires sur les rédactions.

La raison d’être du site est de « faire masse » pour toucher un très large public. « Mediapart a ses limites et notamment son coût. Notre média sera moins élitiste et plus accessible », confie la même source. Sans préciser que les relations entre le site cofondé par Edwy Plenel et la France insoumise ne sont pas toujours simples.

Parmi les premiers signataires figurent nombreuses personnalités marquées à gauche comme les acteurs Jacques Weber et Josiane Balasko, les réalisateurs Cédric Klapisch et Philippe Lioret, l’humoriste Guillaume Meurice ou le Youtubeur politique Usul. Des journalistes cosignent l’appel comme Cécile Amar, qui avait été sanctionnée par L’Obs après avoir cosigné un livre avec Jean-Luc Mélenchon, Aude Lancelin, licenciée de L’Obs, ou l’ancienne journaliste et conseillère de Ségolène Royal Françoise Degois.

Geoffroy Clavel

Source HuffPost 25/09/2017

Pétition

Rubrique Médias, rubrique Politique, Société civile, rubrique Internet,

Frédéric Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Invité des Chapiteaux du livre de Béziers, le philosophe Frédéric Worms donne ce soir au Théâtre sortieOuest, une conférence sur le thème « Les maladies chroniques de la démocratie ».

Frédéric Worms est philosophe, professeur de philosophie contemporaine, membre du Comité consultatif national d’éthique et depuis septembre 2015, directeur-adjoint de l’École normale supérieure. Frédéric Worms s’intéresse à l’histoire de la philosophie. Il est considéré comme un spécialiste de l’œuvre de Bergson.

Dans votre dernier ouvrage*, vous vous portez au chevet de la démocratie en crise pour poser un diagnostic. Pourquoi avoir user des termes de maladie chronique à propos de la démocratie ?
Pour deux raisons : la thèse de maladie chronique permet de la distinguer de la maladie aiguë. Elle soutient  que les problèmes de la démocratie sont structurels à la démocratie elle-même. La crise correspond à une inflation de problèmes structurels qui  doivent être contenus. Il nous incombe de les conjurer, de les affronter pour qu’ils ne débordent pas du cadre. Par ailleurs, l’usage du mot maladie, implique que la démocratie peut être plus ou moins en bonne santé et qu’elle fait partie de la vie.

Votre approche s’applique-t-elle  à la crise de manière globale ?  Relève-t-on par exemple, les mêmes symptômes de Rangoun à Damas ou de la Floride à la Meuse ?
Non, on distingue des seuils. Aucun pays n’est une démocratie parfaite. La France remplit un certain nombre de critères qui restent inexistants dans d’autres pays.

Vous soulignez l’état d’une partie grandissante de l’opinion qui pense que la démocratie est terminée, pour avoir gagné un statut incontournable ou parce qu’elle est perdue. Ce qui dans les deux cas revient à éluder les questions…
Exactement, ce sont deux erreurs qui se nourrissent l’une l’autre, la démocratie ce n’est justement pas tout ou rien. Ce raisonnement peut conduire à faire la guerre au nom de la démocratie. Je me prononce plutôt en faveur des tribunaux internationaux,  que pour les interventions militaires. Parce que la guerre contribue à renverser tous les principes moraux et politiques de la démocratie. Aucune démocratie n’est complète, elle doit toujours être pensée, programmée. La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre, elle n’a pas vocation à les faire disparaître.

Votre démarche ne se limite pas au mode de gouvernance cependant, peut-on considérer que le régime politique français est tempéré d’une part de monarchie voire d’aristocratie  ?
Je ne le pense pas. Ceux qui évoquent une monarchie constitutionnelle, liée au présidentialisme font planer l’idée que nous ne serions plus dans une République, hors, c’est faux ! Cette posture présente le risque de leurrer les citoyens. C’est une forme rhétorique permettant d’exporter les principes pour finalement abandonner la défense de ces principes. Cela n’empêche pas pour autant de critiquer la 5e République mais il faut formuler des critiques avec des exigences précises. Le  système français n’est pas parfait mais il permet de peser sur le gouvernement.

Dans votre interprétation de la crise, vous soulevez la convergence de trois dangers que sont le soupçon, le racisme et l’ultralibéralisme. En quoi le cynisme contemporain repose-t il sur un déni de démocratie ?
L’esprit a besoin d’une confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre. Lorsqu’on vous dit : on vous ment  ou tous pourris, on sape cette confiance.  Si certains médecins acceptent les cadeaux des laboratoires, cela ne signifie pas  que tous les médecins sont corrompus. On a le droit de critiquer mais on ne doit pas saper la démocratie au nom de la démocratie. Tout citoyen se conforme à des principes, le peuple n’a pas tous les droits. La démocratie appelle aussi à une auto-limitation.

Le racisme vous apparaît comme une maladie de la représentation de soi-même ?
Le racisme, c’est l’illusion de penser qu’il y a eux et nous. Le racisme, c’est une idée de l’autre mais aussi de soi-même qui sous-tend que nous n’avons pas de problème. C’est un piège. Un peuple fort et démocratique assume cette discussion. Il se reconnaît par ses institutions et reconnaît les différences.

Bergson définit les principes moraux comme une nécessité pour la société de régler la liberté humaine. N’est-ce pas tout le contraire que prône aujourd’hui l’Occident ultra libéral sous couvert d’assurer notre sécurité  ?
Même les libertés peuvent devenir des idéologies si on ne voit pas qu’il faut les construire à travers les institutions. L’erreur du libéralisme est d’avoir opposé la liberté à la loi. La liberté c’est bien, mais il faut apprendre que l’on a besoin des autres. Pour les bébés ou les vieillards, c’est une évidence. Les catastrophes qui sont terribles nous le rappellent parfois.

Face à la convergence des dangers, vous prônez la résistance, sous quelle forme de lutte ?
Dans un pays comme la France, des luttes peuvent s’organiser dans le cadre des institutions, de l’université, de la presse …  Nous vivons dans une démocratie mûre, épanouie et solide qui dispose de cadre pour sa propre critique. Nous avons les moyens de lutter sans se cacher, sans avoir peur.

Pour reprendre la question d’Adorno : peut-on mener une vie bonne dans une société mauvaise ?
C’est la vraie question philosophique. J’espère que oui. Cette vie bonne peut être heureuse, mais il faut être critique. Les gens qui critiquent la démocratie sont des gens heureux. Et ce sont souvent  ceux qui sont heureux qui font progresser les choses.

Ce travail intérieur aux relations humaines vous situe dans un esprit rousseauiste, comme votre présence au sein du Comité national d’éthique. Quels sont les dossiers importants qui arrivent sur la table ?
Le dossier de la PMA, et ceux liés aux nouveaux progrès scientifiques dans le domaine  de la biomédecine, du génome, ou encore de l’intelligence artificielle, de la nouvelle médecine connectée. Dans dix ans la médecine sera transformée. Nous serons soignés à distance avec nos téléphones. Comment cela restera-t-il éthique  ? Comment cela restera-t-il  un soin  ? Comment avoir le sentiment d’être soigné par quelqu’un  dans ce cadre ? Que fera-t-on des données médicales fournies ?  Tout cela pose des problèmes relatifs à la démocratie…

« La convergence n’est pas à inventer puisqu’elle nous fait déjà vivre et avancer », votre conclusion porte à l’espérance. Est-ce un appel à l’introspection  ?
C’est un appel à l’endurance lucide, regarder ce qui nous fait vivre, nous permet de comprendre…

Réalisé par Jean-Marie Dinh

*Les maladies chroniques de la Démocratie, éditions Desclée de Brouwer, 18,90 euros.

Source La Marseillaise.23/09/2017

Voir aussi : Rubrique RencontreJean- Claude Milner, rubrique Philosophie, rubrique Livre, Essais,